Ils bossaient durs ici, tous, sans exception. L'idée de s'établir au sein de ce bâteau était bonne, ils n'en démordaient pas. Néanmoins, même s'il était encore en bon état, il y avait des travaux à faire, beaucoup de travaux. La préparation pour les heures les plus froides était pour l'heure, l'activité principale.
Une belle réserve de plaid, couette, vêtements chauds et couvertures en tout genre commençait à voir le jour pour commencer. Mais pour éviter de s'ensevelir sous des tonnes de tissus, les Revival tentaient d'isoler le lieu comme ils le pouvaient. Près de l'eau, le vent était d'autant plus glacial.

La rencontre avec les Scarecrows avait ralenti le chantier. Heureusement, le groupe ne déplorait aucune perte, aucun blessé. Tout le monde allait bien. Et maintenant qu'ils étaient sûr que le danger était pour l'instant terminé, il était temps de s'y remettre.

La journée avait bien commencé. Le soleil perçait haut dans le ciel, mais le vent était aussi de la partie. Tout le monde n'était pas présent, chacun avait sa tâche du jour, certains partis à la chasse, d'autres de corvée de ménage – parce qu'il le fallait aussi -, Richie s'était retrouvé seul proche du navire, non loin de l'eau, des outils étalés autour de lui, des pièces de métal et autres bazars.
Pour l'heure, il s'évertuait à nettoyer avec vigueur l'un des deux matelas qu'ils avaient trouvé non loin d'ici. Ils n'étaient pas en mauvais état, ni même vraiment sales, mais le père de famille ne souhaitait pas prendre de risque.
Du bicarbonate de soude, du vinaigre blanc, et une bonne brosse, autant dire qu'il y mettait du sien, au point de faire monter son rythme cardiaque et sa température corporelle.

- Oh, Liam, je ne t'avais pas vu. T'as trouvé ce que je t'ai demandé ?

Des serviettes ou morceaux de tissus plus ou moins propres, pour éponger le surplus de produit qu'il utilisait.
Ce jour-là, Richie était moins taciturne que d'ordinaire. Peut-être que le fait de prendre un peu le soleil lui faisait du bien. Peut-être aussi le fait de n'avoir perdu aucun de ses proches. Mais il n'était pas toujours ainsi. À vrai dire, il y avait longtemps qu'il avait cette sensation affreuse d'être la tête sous l'eau. Peu productif, peu présents pour les siens, agressif voir même parfois méchant … Il ne s'en était même pas rendu compte. Personne ne lui en avait parlé. Par crainte, peut-être, ou bien par habitude ?

- Tu vas faire quoi, après ? Y'a un autre matelas à faire, si jamais t'es libre.

L'hiver n'avait pas encore totalement refermé son étreinte sur Seattle. Si l'eau de mer était déjà glaciale, l'air lui laissait encore un peu de répit aux survivants. Ce qui voulait clairement dire qu'ils devaient utiliser ce temps pour s'équiper et se préparer au maximum. Liam avait été voir si les fumoirs nouvellement installés fonctionnaient bien. Ils avaient facilement trouvé les plans et les matériaux dans des magasins de bricolage et de construction en ville. Pour la conservation du poisson, ainsi que pour les échanges de celui-ci dans le cadre du troc notamment à la saison chaude, c'était plus que nécessaire. Les vieilles méthodes de conservation étaient les meilleures, et revenaient en force au goût du jour. Il avait ainsi contrôlé l'état des poissons et des filets placés à l'intérieur, puis une fois satisfait été allé retrouver Richard avec ce qu'il lui avait demandé.

Il trouva celui-ci en train de frotter un des deux matelas qu'ils avaient récemment trouvés et qui leur seraient toujours utiles en cas de besoin. Apparemment, Richard fut surpris de le voir arriver. À moins bien sûr que le biologiste n'ait appris à se déplacer plus discrètement que ce qu'il pensait. Il posa le matériel demandé à côté du quadragénaire, histoire de bien lui montrer qu'il avait déniché tout ce qu'il fallait. En revanche, l'invitation au nettoyage du second matelas ne faisait pas partie des plans initiaux.

« A vrai dire, je viens d'aller contrôler l'état des poissons dans les fumoirs. Et je pensais aller relever les filets et les casiers pour voir si quelque chose est pris et s'il n'y a pas de rôdeur à la dérive en train de tout nous flinguer. J'imaginais même aller faire un peu de pêche au harpon, avec ce soleil la visibilité ne doit pas être trop mauvaise. Mais je peux toujours attendre une heure.

Haussant les épaules, le biologiste s'assit à côté de Richard, face au second matelas. Il fallait avouer que depuis le début de l'apocalypse, les tâches ingrates s'étaient considérablement multipliées. Les tâches manuelles avaient désormais une grande part dans leur quotidien. Laver la vaisselle ou le linge, réparer des choses, nettoyer leur refuge ou ce qu'ils ramenaient... Très clairement, il n'était plus temps de répugner à se salir ou à avoir des cals aux mains ! Faisant preuve de bonne volonté, Liam se saisit d'une deuxième brosse et réalisa la préparation pour nettoyer le matelas. Pourtant, alors qu'il se mettait à frotter, il avait la sérieuse impression que le temps jouait plus que jamais contre eux. C'était une belle journée ensoleillée, agréable. Mais le vent qui soufflait parfois en rafales brèves mais intenses étaient froides. Elles venaient souvent de la mer, mais provenaient du Nord. Le froid ne tarderait sans doute plus à arriver, c'était une certitude. Et avec lui, leur vie allait à nouveau devenir plus rude.

- J'ai l'impression que trop de choses restent à faire pour l'arrivée de l'hiver. Trouver un moyen de chauffer, et pas seulement de nous isoler du froid, par exemple... »

- Fais ce que t'as à faire, alors.

Liam choisit néanmoins de rester, et ne perdit pas une minute pour s'y mettre à son tour.

- Je viendrai te filer un coup de main quand on aura terminé, ajouta-t-il histoire que l'échange soit correct.

Une seconde, Richie posa sa brosse et se remit sur ses jambes. Mains sur ses hanches, il se tendit des pieds à la tête pour étirer son dos fatigué, avant de balancer ses bras au-dessus de son crâne, une légère grimace sur le visage. Un peu de musculation, peut-être, devrait atténuer les douleurs qui se multipliaient dans son dos. Malheureusement, depuis quelques temps maintenant, les séances d'entraînements se faisaient rares à cause du travail. Il était pourtant tout aussi important de s'entretenir.

Liam prit de nouveau la parole pour exprimer ses doutes. Se remettant à genoux sur le matelas, Richie prit une seconde pour répondre.

- Clairement. C'est une galère sans fin.

Heureusement que le groupe était un minimum organisé. Les tâches étaient longues, fastidieuses et nombreuses, mais ça avançait relativement vite tout de même.

- Raf a trouvé pas mal de bougies chauffe-plat, à sa dernière sortie. Il voulait en troquer quelques-unes, mais on va les garder. Avec un pot de fleur en terre-cuite retournée, des briques pour le surélevés, et une énorme vis à l'intérieur, y'a moyen de se faire de bons chauffages. C'est pas ce qu'il y a de mieux niveau santé, mais si vraiment on se les pèle, ce ne sera pas de refus.

Il haussa les épaules et se remit au travail. Ses mains crispées sur la brosse étaient pleines d'ampoules, il aurait dû mettre des gants plutôt que des mitaines.

- Et si vraiment le bâteau ne convient pas … Faudra songer à trouver autre chose. Y'a pas l'air d'avoir d'humidité déjà, et ça c'est un putain d'avantage.

L'envie de fumer le prit soudainement. Pinçant les lèvres, il la mit dans un coin de sa tête pour continuer de bosser. Quelle perte de temps, ça aussi. Il était déjà un gros fumeur avant l'épidémie, était parvenu à limiter sa consommation au début lorsqu'il avait encore ses filles – et car il n'en trouvait pas -, mais depuis qu'ils s'étaient tous installés ici, il s'y était remis, et les enchaîner parfois sans s'en rendre compte. Il avait aussi développer un sixième sens pour en dénicher partout où il allait.

- Comment ça va, toi, en ce moment ?

On disait souvent qu'il n'y avait rien de tel que le travail manuel pour se vider la tête. Liam était plutôt d'accord, mais à une condition : il ne fallait pas être préoccupé par ailleurs. Sauf que ces derniers temps, il y avait beaucoup de choses qui donnaient à réfléchir. Il en avait même perdu le sommeil, par moments. Il ne comptait plus les nuits où il était réveillé dans le noir complet, à fixer un plafond qu'il ne voyait pas, tout en étreignant doucement Lucia pour ne pas la réveiller. Comme toujours, sa femme était un phare dans l'obscurité. Avec elle, tout devenait plus simple. Réalisable. Ce qui, en son absence, ne lui évitait pas de réfléchir, comme il le faisait en ce moment même. Ce fut la voix de Richie qui le tira de ses songes. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il y avait replongé en formulant à voix haute ses interrogations sur leur ressource en énergie. Entendant la réponse de son vis-à-vis, il secoua doucement la tête.

« Salem pourrait peut-être bricoler un générateur qui tournerait avec les cuves de carburant du bateau. Elles sont bien remplies, et si on gère correctement la ressource on en aura pour un moment niveau chauffage, eau chaude et électricité. On pourra aussi récupérer ce que les quelques autres navires en réparation ont encore dans les cuves. Je verrai ça avec elle. Ce serait dommage d'abandonner un endroit qui nous offre tant.

Abandonner le navire était tout bonnement impensable pour lui. C'était peut-être surprenant, mais il se sentait bien ici. Il avait toujours été passionné par la mer, et vivre juste à côté d'elle, même dans ces conditions, lui apportait une vraie sérénité. Si on y ajoutait le fait qu'ils étaient relativement bien cachés et abrités et qu'ils tiraient de l'océan l'essentiel de leur nourriture qui était de qualité et suffisait amplement à leurs besoins, alors... De son point de vue, il fallait songer à des façons d'améliorer les choses et non envisager de changer déjà de crèmerie. Si tout se passait bien, ce n'était que le premier hiver qu'ils passeraient là, mais pas le dernier. Le biologiste fut un peu surpris quand Richard s'enquit de son état de santé, mais il haussa les épaules d'un air désinvolte.

- Tu veux dire, en dehors de ce qui s'est passé récemment ? Bien. Je suis revenu entier et en bonne santé de tout ce bordel. J'ai retrouvé ceux que j'aime, alors que demander de plus ? Ma femme ne me trouve pas repoussant avec cette croûte et cette future cicatrice au crâne. Bon, j'ai encore cette cicatrice de la barre de métal qui m'a empalé qui me fait un mal de chien dès que l'occasion se présente, mais on s'y fait.

À vrai dire, ils en avaient vues de dures ces derniers temps. Salem bien plus que les autres. Le jeune homme veillait toujours à être présent pour elle depuis leur retour. Le traumatisme devait toujours être présent, même si elle ne le montrait pas trop. C'était un processus normal, mais Liam pensait pouvoir lui être utile même s'il n'avait pas été torturé. Ils avaient été enlevés ensemble et avait connu le risque de se faire prendre lors de leur fuite. Le plus important allait être de ne pas s'enfermer dans le passé et d'apprendre de leurs erreurs.

- Je crois qu'on va devoir sérieusement revoir nos dispositifs de sécurité. Même si nous sommes bien cachés, on risque un jour d'avoir une mauvaise surprise en continuant à nous développer. Il va falloir envisager d'aménager les alentours, et de prévoir des tours de garde plus conséquents. »

Même si les Scarecrows avaient connu une sévère déconvenue, cela ne signifiait pas pour autant que le danger était écarté. En d'autres termes, ils allaient devoir prendre la menace très au sérieux et agir en conséquence.