Lian attrapa sa main pour s’aider à redescendre. Se réceptionnant maladroitement sur ses jambes, elle se saisit de lui pour se mettre debout comme avant. Le parkour n’était pas son truc, mais la jeune femme avait gagné en endurance. Elle esquissa un sourire désolé en le regardant timidement. Levi haussa les épaules : ça n’était pas grave. Mais lorsqu’il était avec elle, il avait du mal à lui reprocher quoi que ce soit. Il avait du mal à être vraiment de mauvaise humeur aussi. Comme si tout ça était plus doux désormais, même si ça n’avait pas davantage de sens. Il la scruta du coin de l’œil en reprenant leur route, comme il avait l’habitude de le faire en marchant à ses côtés.

D’une certaine manière, elle le fascinait. Dans toute sa pudeur et sa retenue, il y avait en elle une innocence inébranlable alors qu’elle avait traversé pire que ce qu’il pouvait imaginer. Elle ne s’en plaignait jamais, ne semblait pas en souffrir. C’était sa personne entière qui le soignait. Grâce à elle, il prenait contact avec cette part humaine de lui qu’il avait oublié depuis longtemps, sans réussir à l’exploiter pour autant. Tout lui était mystérieux. Alors, elle, elle était la bonne conscience qu’il n’avait jamais eue.

Il croisa son œillade, et sur le coup de la surprise fronça les sourcils. Lian lui rendit un sourire, ne s’étonnant plus de le voir la fixer ainsi depuis deux ans qu’ils se connaissaient. En réponse, elle glissa sa main dans la sienne avec douceur, serrant ses doigts. Il referma les siens.

Se dégageant d’une ruelle, ils s’engagèrent sur une rue plus grande avant qu’un cri ne les fige tous deux. Levi tira d’un coup sec le bras de Lian pour qu’elle se place derrière lui, et dégaina sans hésiter son arme. Relâchant la brune, il avisa la situation d’un air militaire. Une voiture, encastrée dans un poteau. Les deux passagers, vivant, tentant de garder les portes closes. L’une des fenêtres, arrière, venait de se briser sous les coups de la dizaine de morts qui s’acharnait autour.

Levi fit reculer Lian d’un pas. Elle se figea, il la heurta :

On va… On va les laisser ? Demanda-t-elle d’une voix blanche, en fronçant les sourcils. Ses yeux sombres exprimèrent du désarroi. Ils étaient vivants, non ?
Lian… Commença-t-il, sans essayer d’arguer avec elle d’une quelconque manière. Il n’était pas là pour négocier, c’était trop dangereux.
Je ne peux pas… Coupa-t-elle en le contournant, s’avançant d’un pas assuré.

Cependant, sa démarche perdit de sa confiance lorsqu’elle fut plus proche. La gorge nouée, elle tira un sifflet de son col, et trembla en le mettant entre ses lèvres. Levi lâcha un juron, et bondit vers l’avant quand elle siffla dedans. Sur les dix morts, la grosse majorité se détourna avec une lenteur exagérée et frustrante. Levi serra la mâchoire.

Fais ce que je dis, exigea-t-il alors, retirant la sûreté de son arme avant de tirer les deux premières balles.

Ç'avait eu l'air d'être une idée acceptable, de se trouver une bagnole pour se déplacer plus rapidement vers le Sud, mais c'était bien uniquement de cela dont il s'agissait, la rapidité, parce-que ce n'était en rien plus facile qu'à pied. Entre les autres bagnoles laissées à l'abandon sur les routes, les cadavres, les déchets, et tous ces trucs qui font que la ville est clairement morte, que la nature a doucement repris ses droits. Une idée acceptable oui, mais pas forcément la meilleure. Qu'avaient-ils à perdre de toute façon à essayer ? Après avoir passé un certain temps au hangar du No Man's Land, les Hamilton avaient eu ce besoin de garder un semblant de ''sécurité'', et c'était précisément ce qu'avait semblé pouvoir offrir l'habitacle. Jusqu'à ce que, par manque d'entretien, les freins lâchent et que la bagnole finisse encastrée dans un poteau. Plus de peur que de mal, vous vous en sortez indemnes. Enfin, tu te fous pas mal de ton cas, mais Tess est indemne, et c'est ce qui importe le plus. Sûr qu'elle serait inutilisable maintenant, à moins qu'ils trouvent de quoi la réparer mais ce n'était clairement pas avec les connaissances du coursier qu'ils y arriveraient.

Ils auraient donc pu reprendre leur avancée, tous les deux. Rehisser leurs sacs sur les épaules et continuer à descendre vers le Sud, mais le bruit du moteur ajouté au vacarme provoqué par l'accident avait attiré un groupe d'une dizaine de rôdeurs. Ou peut-être y en avait-il plus ? Impossible à savoir de l'intérieur. L'angoisse à son paroxysme, le Californien essayait de trouver un moyen de s'extirper en douce, faire diversion, ou n'importe quoi qui leur donnerait une porte de sortie. « Andy tu... tu saignes... » La voix de la jeune femme, pas beaucoup plus rassurée que lui et un brin chevrotante, ne fit qu'accentuer sa propre panique. T'aurais peut-être dû envisager de suivre ces réunions de gestion du stress à l'époque, ça t'aurait évité de perdre le contrôle à chaque pic d'angoisse. Machinalement il portait une main à son front, avisant ses doigts qui en effet étaient recouvert de son fluide vital. « Bordel... C'est pas grave, on verra quand on sera sortis d'ici. » Parce-que si c'était grave la douleur se ferait bien plus ressentir, pas vrai ? Ou peut-être que l'adrénaline était telle qu'il ne la ressentait tout simplement pas encore.

Le temps était compté, et déjà une vitre arrière se brisait sous le poids des morts, Tessa laissant filer un nouveau cri. Elle se tassait contre la portière passager tandis que les bras à l'arrière tentaient de les attraper tous les deux. Comment se tirer de là au juste ? Toutes les issues étaient bloquées et les autres fenêtres ne tarderaient pas à se briser à leur tour sous les coups. Si aucun des deux ne perçurent le sifflement, ils remarquèrent que certains cadavres s'éloignaient, dégageant un peu le passage. Et deux coups de feu. Mais les vivants ne sont-ils pas plus dangereux encore que les morts, Andy ? Continue à te laisser bouffer par l'angoisse, vous y passerez tous les deux. Un macchabée à l'arrière, ayant désormais plus de place, était parvenu à passer la moitié de son buste par la fenêtre, ses doigts à quelques centimètres de la jeune femme. Il n'en fallut pas plus pour qu'Andrew lui plante sa lame en plein crâne, fermant les yeux dans le même temps dans l'espoir que son estomac n'en soit pas retourné. C'est beau de rêver.

Un deuxième rôdeur tué et le châtain parvint à sortir de son côté, suivit de près par sa sœur qui crispait ses doigts autour de son propre couteau, pas franchement à l'aise. Lorsqu'il en tuait un troisième, il n'eut d'autre choix que de se retourner, son estomac rendant le maigre contenu de ses tripes. Faudra bien t'y faire un jour parce-que là, tu fais clairement pitié à voir.

Le conducteur parvint à s’extirper de la voiture et Levi afficha un air clairement méfiant. Par réflexe, ses doigts se resserrèrent autour de sa prise, et s’il braqua l’individu, il fut contraint de changer de cible rapidement. Une troisième détonation, et le mort s’effondra. Lian, elle, perdait à la fois patience et concentration, consciente que tout pouvait basculer d’un instant à l’autre. Elle n’avait pas cette abnégation militaire, cette capacité à résister à la pression. Elle avait peur de la mort, encore plus que d’avoir mal. Ses paumes accrochées à cette arme qu’elle maitrisait mal, elle sentait la grosse de son flingue glisser à cause de la couche de sueur qui recouvrait sa main.

Vise les genoux, argua-t-il à l’asiatique, qui s’interrompit, le regarda, et hocha vivement la tête : puisqu’elle n’arrivait pas à atteindre les têtes, puisque ses balles se perdaient dans les thorax d’individus qui n’éprouvaient rien à cet égard. Recule, souffla-t-il en s’éloignant d’un pas à son tour, signe qu’il fallait absolument maintenir une distance entre eux et les morts.

Une autre détonation, un des morts s’effondra, son genou éclaté par la balle qu’elle venait de lui mettre. Levi la regarda un moment avant de dégainer son poignard militaire. Il la féliciterait plus tard, sans doute.

S’engageant au front, comme il l’avait très souvent fait, l’arabe bouscula l’un des morts d’un violent coup d’épaule pour le déstabiliser, son poignard se planta sans commune mesure dans le crâne de celui au sol, alors qu’il s’approchait du duo de conducteur. Il en restait, un pour chacun, mais pour lui les conditions n’étaient pas suffisamment bonnes pour que ça vaille la peine de prendre le risque. Il ne dit rien en admirant le jeune homme vomir en se raccrochant au mur, s’étonna tout de même un peu. Mais ça n’était pas le moment de perdre du temps. Il siffla distinctement pour couvrir le râle des morts, une intensité audible à l’oreille pour attirer l’attention :

Bougez, leur ordonna-t-il en désignant devant eux, l’endroit où se trouvait encore Lian qui leur fit un signe de la main.

Lui ramena l’un des morts contre la carrosserie du véhicule, et se créa un passage sous son menton pour y planter sèchement son arme. D’autres viendraient, avec le bruit qu’ils avaient fait, ça n’était pas le moment de s’attarder. Il en allait de même pour les discussions, mieux valait remettre ça à plus tard, s’ils parvenaient à trouver un abri fiable en déguerpissant d’ici.