Joaquin Hernandez
Dim 29 Déc 2019 - 23:23
Débrouillard Fidèle Protecteur Courageux Pragmatique Sanguin Méfiant Impatient Borné Menteur | J’ai gardé le tonfa que j’avais piqué sur le cadavre du maton au moment où je me suis tiré. Et j’ai toujours un couteau sur moi, c’est super utile. Une lame crantée de 20 centimètres rétractable. Un vrai petit bijou. Evidemment, j’ai gardé mon glock. Même si je m’en sers presque pas, trop bruyant. Mais, pour le principe d’avoir une arme de flic à moi. J’essaie de pas m’encombrer du reste. De toute façon, j’avais pas vraiment d’effets personnels quand c’est arrivé. Si ce n’est un dessin d’Esperanza et une photo d’elle qui tient son petit frère qui vient de naitre dans ses bras que je garde précieusement depuis tout ce temps. Le reste, c’est au petit bonheur la chance. Enfin, j’avais plus de trucs mais, depuis que j’ai embarqué Ruby, j’ai tout laissé. Donc on se démerde comme on peut. Et ça marche pas trop mal. On arrive à bien s’en sortir en tout cas. Je suis pas un mec spécialement grand. Je crois que l’adjectif qui me qualifie c’est trapu. Ouais, ça veut rien dire, encore un truc d’intello pour parler d’un mec baraqué mais qui atteint pas le mètre quatre-vingt. C’était un truc qui me faisait un peu rager quand j’étais ado… un des trucs d’accord. J’ai eu ma poussée de croissance après les autres et en plus, elle était pas fameuse. Je culmine à 1m78. Autant dire que pour un mec, c’est pas terrible donc. Mais je compense autrement. Je fais du sport depuis toujours ou presque et je me suis à la boxe pendant ma première session en prison. Donc je suis du genre musclé. Si j’ai perdu du poids, comme tout le monde j’imagine, depuis la fin du monde, je peux toujours miser sur ma force. A défaut d’être discret ou super rapide, je peux faire mal, très mal avec mes mains. Contrairement à tout le reste de la fratrie, j’ai les yeux bleus. Ce bleu intense que j’ai hérité de ma mère et qui tranche avec ma peau mate. Ca perturbe un peu les gens je crois et ils savent pas trop me donner une origine. Faut dire que, sans trop m’avancer, y a déjà eu de sacrés mélanges dans la famille. Avec ou sans l’accord des femmes concernées. Donc j’ai pas trop l’air du mexicain à moustache qu’on peut s’imaginer. Mais j’ai pas trop la gueule du petit blanc qui vit en banlieue non plus. J’ai quelques tatouages. J’ai réussi à éviter de me retrouver couvert de la tête aux pieds ce qui, avec la taule et la vie que je mène, relève de l’exploit. Le symbole du gang auquel j’appartiens depuis toujours, un hibou qui surmonte une coix à la naissance du cou, la date de naissance de ma fille en chiffres romains sur mon poignet gauche, un portrait de la vierge Marie sur l’omoplate droit pour faire plaisir à ma mère qui voulait absolument que je sois protégé malgré mes conneries. Heureusement, j’ai pas été assez con pour faire un truc en lien avec la pétasse qui me servait de femme. Avant tout ce bordel, j’avais tout le temps le crâne rasé et je portais pas de barbe. Maintenant, c’est un peu plus aléatoire. Ca dépend de ce que je trouve surtout et il m’arrive de pas me raser pendant plusieurs jours. Parait que ça me donne encore l’air plus antipathique à en croire une petite blonde. En soit, je m’en cogne mais, vu qu’il paraît qu’on doit avoir l’air plus inoffensif qu’on ne l’est réellement, je fais des efforts. Ca marche aussi niveau vestimentaire. J’ai jamais porté autre chose qu’un jeans, des baskets et des sweats plus ou moins trop grands. Ouais, le parfait putain de cliché du cassos, je sais. Mais je continue. Et ça tient chaud, ça entrave pas les mouvements. Donc c’est parfait. |
Bon, peut-être que je suis pas mieux au final. Parce que je suis du genre borné. A m’arrêter sur ce que je pense, ce que je crois savoir, ce genre de trucs. Faut dire que changer d’avis ou de ligne de conduite m’a jamais réussi. Alors c’est pas maintenant que je vais m’y mettre, surtout quand tout ou presque est devenu une question de survie. Au moins, j’ai toujours sur me débrouiller, d’aussi loin que je me souvienne. Que ce soit pour trouver les bons plans quand j’étais gosse, repérer les bonnes personnes ou, aujourd’hui, arriver à trouver du matos que je peux refourguer auprès des autres. Et vu que je suis du genre à pas faire dans mon froc devant la moindre difficulté, j’ose un peu plus que les autres, j’arrive à faire un peu plus de trucs. Et à trouver les bons plans dans un monde où ils ne sont plus vraiment nombreux.
Et puis, même si c’est de la merde, j’arrive à embobiner les gens pour leur faire croire qu’ils sont tombés sur le plan du siècle. Je crois que j’ai toujours été du genre à mentir. Ca faisait sourire ma mère au début et après, elle m’emmenait à confesse tous les dimanches. Et je devais expliquer au bon dieu tous les mensonges que j’avais débités au cours de la semaine. Autant dire que c’était long et chiant. Vu que je suis pas du genre patient, j’ai vite trouvé la parade à mentir un peu plus. De toute façon, si Dieu nous regarde, il doit sacrément se fendre la poire nous voir courir comme des poulets sans tête depuis le début de tout ce merdier. Alors un mensonge de plus ou de moins, ça change quoi ?
Peut-être que je suis aussi un peu… sanguin. Violent. Plutôt prompt à me servir de mes poings pour terminer une discussion qui sera en train de me gonfler. Non mais, franchement, de toute façon, tous ces foutus intellos qui passent leur temps à palabrer, à jouer au diplomate, y a pas que moi que ça gonfle non ? Et un bon coup dans la gueule, ça calme tout le monde, je vous le garantis.
Je sais, à m’entendre, je suis juste blindé de défauts. Mais c’est pas le cas. Je crois. Enfin, en vrai, on s’en fout un peu non ? Vu que je suis du genre pragmatique, je vais pas être le mec qui va tenter de lister toutes ses qualités pour se sortir du lot. Si on me connaît, on sait qu’on peut compter sur moi, que je suis fidèle dans tous les domaines, amour, amitié, business. C’était la base me disait Diego. Ne jamais trahir ceux en qui t’as confiance, surtout s’ils sont pas nombreux. Et pourtant, je me suis bien fait avoir. Que ce soit ma femme ou mon frère. Quand je pense que j’avais fait tout ça pour les protéger. Vous savez le pire dans tout ça ? C’est que ça me revient de temps en temps. Ce foutu instinct protecteur. Avec la gamine par exemple. Je pourrais donner un milliard de raisons pour justifier ça, mais au fond, c’est peut-être juste pour me dire que je suis pas simplement devenu un connard fini qui se méfie de tout et de tout le monde.
Garder un peu d’humanité, même si je déboîte le premier qui pourrait me dire que je suis ptet pas si imbuvable que ça.
4 juillet 1985
Pendant que certains fêtaient l’indépendance américaine, ma mère me mettait au monde. 23 heures de travail. Je sais, elle me l’a répété tellement souvent que ça m’a gonflé à la longue. Parce que ouais, forcément, ça allait avec les « madre de dios Joaquin, tu pourrais être reconnaissant ». Voyez l’idée quoi.
Troisième d’une fratrie de cinq mais, surtout, le premier né aux Etats-Unis. Mes parents avaient pas de papiers à l’époque et ils vivaient dans la terreur de l’immigration. Un mot que j’ai pigé des années plus tard. Mais moi, j’ai eu du bol, si on peut dire ça comme ça. Estampillé produit américain juste parce que j’avais eu la bonne idée de pousser mon premier cri dans la patrie d’oncle Sam, c’est la classe non ? Enfin, à force d’entendre tout mon entourage parler espagnol à longueur de journée, autant dire que j’aurais grandi à l’autre bout du monde, j’aurais pas vraiment fait la différence.
Mais, malgré le spectre de l’immigration, la vie était plutôt belle quand j’étais petit. C’était un joyeux bordel quand bien même les fins de mois étaient difficiles, surtout à partir du 2 ou du 3. Mon père avait tout quitté pour rejoindre son frère aîné qui tenait un petit commerce à Seattle, en terre promise. Vous savez, le genre d’épicerie où vous trouvez tout et n’importe quoi à n’importe quel moment de la journée. Il avait absolument besoin de quelqu’un de confiance. Et la vie à Vera Cruz était difficile. Très difficile. Bon, j’avoue, quand je voyais ce que j’avais autour de moi, mes fringues usées jusqu’à la corde, mes chaussures trouées et j’en passe, j’avais du mal à imaginer comment ça pouvait être pire. Pourtant, mamita disait qu’on avait de la chance. Elle répétait ça à longueur de journée. Même si toute la famille, restée au pays, lui manquait. Je peux pas vraiment dire que ce soit mon cas, à part tio Jorge, on avait jamais vraiment eu de famille au final. Sauf si on prend en compte toute la communauté latino de Seattle avec qui on passait tout notre temps ou presque.
En bref, ça allait plutôt pas mal. Jusqu’à ce que j’ai une petite sœur. Et un autre petit frère. Là, ça a commencé à être vraiment difficile. Je me souviens avoir entendu les parents se disputer un paquet de fois. Mamita voulait rentrer chez eux. Finalement, la terre promise l’était pas tant que ça. Et avoir des assiettes remplies à chaque repas était devenu compliqué.
14 septembre 1995
Je hoche la tête alors que Diego me tend un petit paquet que je glisse dans mon sac à dos rapiécé. « T’as pigé Jo’ ? C’est facile. Tu donnes ça au mec au blouson rouge qui attend dans la ruelle à côté de la boutique de ton oncle et, en échange, t’as une paire de baskets neuves. C’est pas un super deal ça ? Ca te prendra cinq minutes. » Il a un sourire éclatant que je lui rends sans hésiter. Je l’aime bien Diego, même si c’est un vieux. Il a au moins 20 ans. Il est toujours gentil avec moi et me file des bonbons ou des cartes à jouer. L’autre coup, il m’a même demandé si je voulais lui rendre un petit service contre un billet de cinq dollars. Fallait juste transmettre un message à un type pas loin de mon école. C’était super facile. Et j’étais trop fier d’avoir ce billet. Je l’ai toujours dans ma poche, je sais pas quoi faire avec tout cet argent.
Comme il a vu que je me débrouillais bien, il a continué à me faire faire des petites courses comme ça. Et au lieu de fric, il m’a filé des trucs. Et c’est carrément mieux. Même si Mamita me regarde d’un air méfiant depuis quelques jours. Sauf que là, je pense juste aux baskets quand je refile le sachet plein de poudre au type en blouson. Il renifle en me regardant d’un air méfiant mais il hausse une épaule avant de me filer une enveloppe et de partir.
Diego est super content quand je reviens et m’ébouriffe les cheveux avant de me filer le graal. Autant dire que je marche pas pour rentrer, mais je cours, je vole même. Pour me prendre la claque du siècle de la part de Mamita. Faut que j’arrête ces mauvaises fréquentations qu’elle me dit. On a pas besoin de ça dans nos vies et je dois me concentrer à l’école, faire comme mon grand frère de 13 ans, Agustino, qui a des supers notes. Sauf que, quand je lui demande pourquoi, quand je lui dis que j’ai gagné plus vite ces chaussures sans aller à l’école et que papa serait pas foutu de m’en offrir même en travaillant jour et nuit, je m’en prends une autre. Et je suis puni dans ma chambre.
… évidemment, ça m’empêche pas de continuer les courses pour Diego, bien au contraire. Faut juste que je fasse un peu plus attention. Et je lui dis que je préfère l’argent aux cadeaux, c’est plus facile à cacher. Il sourit quand je lui dis ça et m’ébouriffe de nouveau les cheveux en disant que j’irais loin. Et que si je veux lui présenter ma sœur, il dirait pas non pour lui faire voir le loup. Il me dit ça avec un clin et je rigole, même si je comprends pas tout.
A noter qu’il lui fera voir le loup deux ans plus tard d’ailleurs. Et qu’elle finira par l’épouser, même si Mamita et Papito sont pas d’accord. Parce que, et ça je le comprendrais plus tard, personne ne dit non à Diego. C’est lui qui a le monopole du trafic de drogues et du trafic d’armes dans le quartier. Et il a décidé qu’il ferait de moi son associé.
2002
Bras croisés, je me retiens de lever les yeux au ciel alors que Papito est devenu écarlate à force de me crier dessus et s’il m’en colle pas une, c’est que je suis plus grand que lui maintenant. Je soupire avant que mon regard ne finisse par croiser celui de ma mère. Et je me fige quand même, ayant quand même la décence de baisser les yeux en voyant les siens embués de larmes. On a les mêmes yeux tous les deux, elle me l’a toujours dit avec de l’affection dans la voix. Faut dire que je suis le seul de la fratrie à avoir hérité de ce bleu tellement improbable dans une famille d’émigrés mexicains que, forcément, ça marque. Et ça nous donnait une espèce de lien unique. Que j’ai brisé aujourd’hui je pense.
Je suis allé trop loin. A force de sécher les cours, la sentence est tombée, je suis viré de mon troisième lycée. Et il y en a plus dans le coin qui accepte de m’accueillir. Le privé pourrait mais ça demande du fric. Sauf que même si la situation de mes parents s’est arrangée depuis que Diego est leur gendre, ils ont pour autant pas les moyens pour ça. Alors j’aurais aucun diplôme. Et j’ai beau dire que je m’en fous, que j’ai une carrière toute tracée devant moi, ils refusent de l’entendre. Le pire ? C’est quand je balance que je gagne déjà plus que Papito juste en conduisant des bagnoles pour Diego. Quand ils font leurs petits braquages, je prends le volant. Je suis assez vieux pour que les flics fassent pas attention à moi et, de toute façon on va pas se mentir, ils ferment les yeux très souvent dans notre quartier.
Et puis, vu qu’on fait partie de la famille de Diego, on est un peu intouchables dans le coin. Tout le monde doit aller à l’épicerie de tio Jorge où bosse mon frère maintenant vu qu’il a pris de l’ampleur. Et Mamita a fini par apprécier ce gendre plutôt respectueux qui l’emmène à l’église tous les dimanches. Même si elle a moyennement aimé la mauvaise influence qu’il a sur moi. Enfin, je sais pas trop comment il a réussi son affaire mais, quelques jours après cette histoire, elle est venue me voir avec un sourire tremblant, m’a effleuré la joue en me disant de faire attention, de jamais aller contre les principes qu’elle avait tenté de m’inculquer. J’avoue, j’ai pas tout pigé mais je sais juste que j’ai eu quartier libre pour suivre Diego, que les parents sont plus jamais intervenus.
18 octobre 2003
Je sursaute quand le marteau cogne contre le … c’est quoi ce truc ? Un bureau ? Ouais, un truc du genre. Je suppose. On s’en fout un peu non ? Je sais juste que ce bruit résonne dans ma tête alors que je suis condamné à deux ans de prison pour vol de voiture avec agression. Faut dire que j’ai eu un peu la main lourde cette fois. D’habitude, suffit que je cogne une fois ou deux, quand je tombe sur un pépin mais là, le proprio de la caisse est revenu trop tôt. Et il a été assez con pour vouloir se défendre. Alors que, depuis quelques mois, je passe des heures dans la salle de sport du quartier, que j’ai pris du muscles et que je fais de la boxe. Suffisamment pour canaliser ces élans de colère qui ont commencé à venir quand j’ai réalisé à quel point ce monde de merde était injuste. C’est Diego qui m’a ouvert les yeux là-dessus. On est nés du mauvais côté de la barrière, les gens en face nous chieraient dessus s’ils le pouvaient. Alors on doit se servir. Parce qu’on mérite autant qu’eux. Et s’il faut utiliser la violence, on le fait.
C’est comme ça que je me suis retrouvé à tabasser ce mec dans la ruelle. J’ai pris cher mais carrément moins que lui. Sauf qu’il y avait des flics. Et que cette fois, personne a pu fermer les yeux. J’entends Mamita sangloter derrière moi. Enfin je suppose que c’est elle. J’ai pas le cran de me retourner.
Le Coyote Ridge Corrections Center dans la charmante bourgade de Connell, dans l’état de Washington. Prison de moyenne sécurité. Pour les petites crapules comme moi donc. Trois ans de cauchemar donc. Pourquoi trois et pas deux ? Parce que je fréquente pas forcément les bonnes personnes en taule. Et que je me bats plusieurs fois. Alors on me rallonge ma peine. Comme si ça allait m’apprendre la vie. Bande de crétins.
2006 - 2012
Je me souviens de ma sortie de prison. De cette sensation d’être encore plus paumé, d’être en rage contre le monde entier. Je crois que j’ai jamais parlé à personne de ce que j’ai vécu, ce que j’ai ressenti. Je l’ai enfoui au fond de moi et enterré aussi loin que possible. Diego m’a attendu à la sortie. Il m’a ébouriffé les cheveux, comme quand j’étais gosse et m’a dit que ça passerait. Comme le reste. J’ai souri, pas vraiment convaincu. Et il m’a glissé un flingue entre les mains. En expliquant qu’il allait m’apprendre à m’en servir. Et que plus personne oserait me renvoyer en taule.
Il a part tort. Ca marche plutôt bien. Et je commence à mettre mon nez dans ses trafics. J’avoue que j’ai pas vraiment de scrupules, que ce soit trimbaler de la drogue, me retrouver au milieu de la nuit dans une ruelle, le coffre ouvert, à refourguer des armes qui passent de je ne sais qui à je ne sais qui. En vrai, je m’en fous, je m’attarde sur les billets verts. Et le regard de Mamita qui essaie d’oublier l’origine de ce fric quand on la couvre de cadeaux. Faut dire qu’elle a ses petits enfants pour s’occuper aussi, ça aide. Même si elle et Papito refusent qu’on aborde quoi que ce soit qui ait un lien de près ou de loin avec ce qu’on fait pour gagner nos vies. C’est beau le déni quand on a des lits neufs et des fenêtres sans carreaux pétés hein ?
Je sens que la boxe suffit pas à me défouler. Je m’énerve de plus en plus facilement, je cogne plutôt que de parler. Et je remarque que Mamita a l’air d’avoir… peur de moi. Comme les frangines. Comme si quelque chose dans mon regard ou dans ma façon de me comporter leur faisait croire que j’allais les frapper elles. Sauf que jamais je les toucherais. Enfin, je crois.
Et puis, je rencontre Clara. Elle est jolie. Très jolie. J’avoue, au début, c’est juste une autre façon de me défouler. Je suis pas tendre avec elle, on va pas se mentir. Mais elle est patiente et me montre que je peux être doux avec quelqu’un. A un point tel que je finis par prendre du plaisir à être avec elle. Que je me sens apaisé d’une certaine façon. Alors, quand elle me dit qu’elle est enceinte, je me sens même pas forcé d’écouter les ordres de Mamita qui me dit que je dois l’épouser vu qu’elle fait partie de notre communauté, que ça la foutrait mal sinon.
Esperanza vient au monde le 17 février 2010. Le plus beau bébé du monde, en toute objectivité. Et tout ce que je fais, je le fais pour elle. Je dis même à Diego que je veux raccrocher, pour la petite princesse. Et il a l’air de piger. Alors je me retrouve à bosser dans le commerce parental, même si je continue de lui filer des coups de main de temps en temps. Et que je dors toujours avec un flingue sous mon oreiller.
La vie devient belle en fait. Clara tombe enceinte début 2013 et je me sens devenir un autre homme. Jusqu’à ce que Diego aille trop loin. Et que le gang rival décide de se venger en mitraillant l’épicerie. Je me souviens de Clara, le ventre arrondi, qui me supplie de pas l’accompagner, de pas aller venger mon père qui a agonisé trente minutes avant que ces putains de secours ne se décident à rappliquer dans le quartier le plus craignos de la ville. Toute la colère que j’avais réussi à oublier, à mettre de côté, refait surface. Et je suis mon beau-frère.
2013-2015
Diego est mort sur le coup. J’en ai pris pour 10 ans. C’était les flics qui nous attendaient. Et j’ai fait la connerie d’en descendre un. Je me demande ce qui ce serait passé si je l’avais pas suivi ce soir-là. Et je soupire alors que je regarde les papiers que j’ai sous les yeux. Cette fois, je suis à Walla Walla. Drôle de nom hein. Mais ça reste une putain de prison. A 5 heures de bus de Seattle. Autant dire que, là-bas, un tueur de flic est à la fois super bien vu par les autres prisonniers et tabassé régulièrement par des mecs payés par les matons. C’est la joie donc.
Enfin bref… les papiers je disais. Du divorce donc. Et Clara qui me regarde, se mordillant la lèvre. Pendant qu’Agustin, mon cher frère aîné, passe un bras autour de ses épaules. Je me fige alors qu’elle le repousse doucement mais sûrement. Et je souffle, d’une voix sèche. « Tu comptes la baiser sous mes yeux ou pas ? Déjà que vous faites ça chez moi, dans mon lit putain ! Tu peux pas te retenir ? » Il a le bon goût de baisser les yeux sans rien dire. Alors que ma femme souffle, d’une voix douce. « Joaquin… querido. Esperanza ne sait même plus à quoi tu ressembles. Et… Adrian ne sait même pas qui tu es. Il l’appelle papa. Tu … tu ne veux pas que tes enfants soient heureux ? Que je sois heureuse ? Tu veux que j’arrête de vivre pendant 10 ans ? » Je garde le silence, tapotant du bout des doigts sur la table alors que je me sens bouillir de l’intérieur. Et elle le sait, elle me connaît mieux que les autres. Alors, forcément, elle ne sursaute même pas quand je me lève d’un bond et que je balance les papiers, stylos et autres merdes qu’elle avait ramenés aujourd’hui. Ou quand je me mets à gueuler, à l’insulter. Je sais plus vraiment ce que je lui dis mais c’est pas super sympa. Je crois que je parle de baiser sur ma tombe ou un truc du genre.
Je sais juste que je me débats quand les matons viennent me ceinturer, que j’en cogne un ou deux… ou mille. En vrai, je sais juste que je suis fou de rage. Et la dernière image que j’ai avant de me prendre un coup de matraque à l’arrière du crâne, c’est Clara qui me souffle qu’elle est désolée. Je sais que je me jure que je ferais tout pour lui pourrir la vie, qu’elle perdra les gosses, qu’elle perdra tout cette petite pute. Les autres m’aideront, il reste encore du monde à Seattle que je peux contacter.
… sauf que, quand je me réveille à l’infirmerie quelques jours plus tard, je sais pas encore que rien de tout ça n’arrivera jamais. Parce que le monde vient de basculer.
Octobre 2015 – Printemps 2016
Je pensais que l’enfer, c’était la rue. Ou la prison. Avant tout ça. Les premiers temps, j’ai pas trop compris ce qui se passait. Faut dire que les infos étaient pas mal filtrées. Y avait juste plus du tout de visites mais, vu que je voulais plus voir personne, ça m’a pas étonné. Et puis, les gardiens ont commencé à devenir de plus en plus nerveux à mesure que mes côtes se consolidaient et que mon traumatisme crânien devenait un souvenir. Alors, forcément, c’est contagieux ce genre d'attitude et les prisonniers ont commencé aussi à être sur les nerfs. Et la sécurité s’est renforcée, l’air de rien. Plus de sorties dans la cour, plus le droit d’aller à la bibliothèque. Ce genre de trucs qui aurait dû vraiment nous mettre la puce à l’oreille plus tôt.
Il y a eu de moins en moins de gardiens qui venaient bosser. On se disait qu’ils se faisaient porter pâles mais, quand on a tiqué qu’à la télé, on avait plus que de vieilles redifs de séries, on a commencé à se dire qu’il y avait un truc. Et certains ont fini par lâcher le morceau. Un des vieux matons, de ceux qui avaient la main dure quand on faisait de la merde. Il était nerveux et il a dit qu’il voulait rester ici, que c’était bien plus sûr derrière ces murs. J’avoue, on a pas cru toutes les conneries qu’il nous balançait. Mais son regard était comme fou. Ca, je l’oublierais jamais, même si je devais vivre 100 ans. C’était pas à moi qu’il causait, mais aux types chargés de la surveillance de l’infirmerie.
C’est le moment où on nous a annoncé que des bus allaient arriver. Visiblement, on allait être transférés. Dans une autre prison, dans un autre état. Sauf que, au vu de ce qu’on commençait à entendre, c’était un bordel sans nom sur les routes. Et j’avais du mal à imaginer comment les gardiens en sous-nombre allaient pouvoir nous gérer pendant le transfert. Parce que ça grondait de plus en plus du côté des taulards. Ce qui donne jamais rien de bon, faut pas avoir fait de grandes études pour le savoir ça.
Le courant a sauté, pour la énième fois depuis le début du mois. Et le générateur a de nouveau pris le relai. Sauf que toutes les lumières se sont pas rallumées.
C’est là que la fin du monde a commencé pour nous, les prisonniers de Walla Walla.
Parce que les premiers rôdeurs ont pu entrer dans la prison. Que les gardiens qui étaient dans la cour pour préparer le départ ont été rapidement submergés et que certains, moi y compris, en ont profité pour se mutiner. Buter du gardien ou du rôdeur, à ce moment-là, ça n’avait plus grande importance. C’était un bordel sans nom. Je suis même pas sûr qu’on ait pas buté des prisonniers en cours de route. Tout ce qui comptait, c’était de refermer le portail principal et de pas monter dans ces foutus bus. Le pire, c’est que c’était peut-être, sûrement même, l’option la plus débile. Mais c’est celle qu’on a choisie, tous, sans exception.
Je saurais pas dire combien de temps ça a duré. Combien de personnes sont mortes. Je me souviens d’avoir dû éclater un infirmier qui était devenu comme enragé. Mon premier rôdeur donc. Je savais pas encore, à l’époque, comment on devait les buter. Mais je l’ai frappé à la tête. De toutes mes forces. Jusqu’à attraper sa tête et la cogner au sol. Je me souviens du bruit de ses os contre le carrelage de l’infirmerie. Et le silence.
C’était la première fois depuis des semaines, des mois, des années même, où il n’y avait plus un bruit. Comme si tout le monde était mort. Juste ma respiration haletante alors que je repoussais le cadavre de l’infirmier d’un coup de pied. Un peu comme un film où on mettrait pause.
Et puis, tout a recommencé.
Pendant des jours. J’ai tué plusieurs personnes mais la plupart étaient déjà foutus de toute façon. On a fini par s’organiser entre survivants. Je crois même qu’un ou deux gardiens s’étaient glissés dans le lot. Mais à ce moment-là, on en avait plus rien à foutre. Ces saloperies commençaient à être plus nombreuses que nous et on a jamais réussi à refermer ce foutu portail. Theodore, mon compagnon de chambrée, a commencé à prendre le lead de tout ce joyeux bordel. Les prisonniers le respectaient avant ça et il en a joué. Je crois qu’il nous a sauvé la vie. J’en suis même persuadé.
Au bout de plusieurs semaines, on a réussi à reprendre le contrôle d’une partie de la prison. Par se calfeutrer entre l’infirmerie et la cuisine et par survivre tant bien que mal. Ca nous a permis de souffler un peu, même si on avait foutrement pas la moindre idée de ce qui se passait au-dehors. Certains disaient que les secours allaient venir. D’autres qu’on était les derniers survivants. J’avoue que si je devais être le seul avec la vingtaine de types qui m’entouraient, autant me flinguer tout de suite hein.
Mais j’ai attendu. On a passé l’hiver grâce à la bouffe de la prison. Faut dire que le problème de la surpopulation carcérale avait été drastiquement réglé. On a fini par s’habituer au râle incessant qu’on entendait derrière les portes qu’on avait barricadées.
Et le printemps a fini par arriver. Avec la fin de nos réserves de bouffe. Il était temps de réfléchir à ce qu’on allait faire. Et comment.
Printemps 2016
Je lève un sourcil alors que je regarde la matraque avec laquelle Theodore joue et je hausse une épaule. « Si t’as un meilleur plan, je t’écoute. Mais on a plus rien à bouffer et personne n’est jamais venu. Si ces fils de pute étaient encore en vie, je suis sûr qu’ils seraient déjà venus nous remettre à notre place et nous rappeler que la chaise électrique fonctionne encore. Y a plus personne dehors, j’en suis persuadé. On doit se tirer. Et je veux retrouver mes gosses. »
Il garde le silence, un rien surpris de m’entendre parler aussi longtemps. Faut dire que je suis pas du genre loquace. Je peux presque l’entendre peser le pour et le contre. Personne n’est sorti de là durant tout l’hiver, on a survécu comme on pouvait mais l’extérieur est resté totalement inconnu. Faut dire que Seattle est à cinq heures de bus, c’est le bout du monde un peu.
Finalement, il lui a fallu une semaine pour dire oui. Tout le monde n’avait pas envie de nous suivre mais on a été une dizaine à prendre la route pour Seattle. A pied.
La découverte de ce nouveau monde a été… chaotique. Heureusement, les vieilles habitudes ont la vie dure et le fait d’avoir dévalisé l’armurerie de la prison avant de partir a été bien utile. Que ce soit contre les rôdeurs, dont on a fini par comprendre le point faible, ou les rares personnes qui pensaient pouvoir nous prendre pour des cons. Une façon comme une autre de se ravitailler aussi.
Il nous a fallu plusieurs semaines pour arrive à Seattle. Dont la vision dépassait de loin tous les cauchemars que j’avais pu faire à ce propos. Comme je l’avais supposé, il n’y avait plus personne chez cette petite garce quand j’y suis allé. L’appartement était sans dessus dessous mais ils avaient clairement mis les voiles. Quand ? J’en avait foutrement pas la moindre idée, elle m’a évidemment pas laissé de mot. Restait une photo de ma princesse sur le frigo, tenant son frère dans les bras, que j’ai attrapée, avec un dessin qu’elle avait fait. Avant d’attraper le tisonnier et de défoncer ce putain d’appartement, ou plutôt ce qu’il en restait.
Après avoir constaté que c’était pareil chez mes parents, j’ai eu le choix. Essayer de les retrouver sans avoir la moindre idée d’où commencer mes recherches. Ou suivre Theodore, qui avait sa petite idée sur la façon dont on pourrait occuper nos journées.
Je vous laisse deviner quelle option j’ai préférée.
Printemps 2016 – Automne 2017
J’aimerais dire que la fin du monde a révélé ce qu’il y avait de meilleur en nous. Que chacun de nous s’est remis en question et a essayé de faire au mieux avec cette nouvelle chance qui nous a été donnée.
Mais ce serait mentir. En vrai, si elle a révélé quelque chose, c’est qu’on était pas en taule pour rien, que notre place n’était vraiment pas dans la société. Sauf qu’elle s’est pété la gueule et pour de bon. Et qu’on en a profité autant qu’on pouvait. Piller est devenu notre lot quotidien. Que ce soit les baraques abandonnées ou les personnes assez connes pour rester à deux ou trois et qui avaient le malheur de croiser notre route. C’était encore pire quand il y avait des filles. En même temps, lâchez des ex-taulards qui n’ont connu que les joies des douches pendant des années, forcément, ils seront incapables de se tenir.
Et j’aimerais dire que je me suis pas mêlé à tout ça. Que j’ai été contraint et forcé. Que je voulais pas. Sauf que là aussi, ce serait mentir. Dieu sait si je suis un menteur mais là ce serait du foutage de gueule. Parce que j’ai laissé libre court à tout ce que je retenais depuis des années. Toute cette colère, cette rage même, qui faisait peur à ma mère il y a des années de ça. Elle avait vu ce que je pouvais devenir. Ce que je suis devenu. Tuer des rôdeurs est devenu notre lot quotidien. Et certains encore vivants aussi. On se partageait les filles quand on en trouvait et qu’elles soient d’accord ou non était devenu accessoire.
Je saurais pas donné de moment exact où on est devenus des monstres. Peut-être qu’on l’a toujours été et que ça a juste été la bonne occasion de le montrer. J’en sais rien. Et, pour être honnête, à cette période, je m’en foutais totalement. C’était presque grisant de vivre comme ça. De prendre ce que je voulais, de gré ou de force. De buter qui me revenait pas.
Les notions de bien et de mal ont fini par disparaître totalement de mon esprit. Et plus d’une fois, j’ai pu voir la terreur dans le regard des femmes que je pouvais croiser. Mais ça n’avait plus d’importance.
Ca a duré des mois. Des années même. Quand on a commencé à bien contrôler le flux des rôdeurs, ce sont les autres humains qui sont devenus les vraies cibles. Enfin, c’était déjà le cas pour nous. Mais les autres ont fini par comprendre, qu’il fallait rester en groupe, qu’il fallait faire attention. D’autres se sont réunis et ont commencé aussi à prendre de l’influence. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on a fait profil bas durant l’été 2017. A cause de ce groupe qui butait tout ce qui pouvait être une menace. On s’est installés dans un quartier huppé de la ville, ces splendides baraques que j’avais jamais vues que de loin, en prenant le bus. Autant dire que je me suis fait plaisir à aller péter tout ce que je pouvais péter. Histoire de me confirmer que l’ordre des choses avait bien été foutu en l’air.
Les choses se sont tassées et on aurait pu continuer longtemps comme ça. Jusqu’au tremblement de terre. C’était en automne 2017. Je me souviens parce que c’est le jour où Theodore est mort après avoir agonisé pendant des heures. On était en train d’explorer une baraque et de sentir le sol trembler l’a juste… surpris putain. Il a raté la première marche des escaliers, s’est s’est éclaté un étage plus bas et ses membres faisaient un angle super chelou. Y avait plein de sang autour de lui, beaucoup trop même pour qu’il s’en sorte. Et je me souviens que j’ai fini par lui tirer une balle dans la tête parce que je supportais plus de l’entendre gueuler. Et parce qu’il allait attirer des rôdeurs à force. D’autres membres du groupe sont morts au fil du temps, mais c’était pas si grave. On a continué et j’ai fini par prendre plus ou moins la tête de notre équipe de connards.
D’autres ont fini par nous rejoindre. Parce que c’était ça ou la mort. Autant dire qu’entre la peste et le choléra, le choix est pas vraiment facile. C’est à ce moment-là que Dany est entré dans ma vie. Comme j’ai jamais été un leader-né, je l’ai laissé prendre la main sur le groupe. Qui s’est fait encore plus violent. Je pensais même pas que c’était possible en vrai. Parce que le pillage devenait plus difficile alors fallait être plus rude pour avoir ce qu’on voulait.
Hiver 2017 – Hiver 2018
L’hiver a été difficile. Pas uniquement à cause du temps mais aussi parce que la vie est devenue plus dure. Encore plus oui. Dany est devenu notre chef. On était une petite vingtaine de mecs. Cinq ou six filles qui tournaient toujours dans le groupe. Certaines volontairement. Après tout, elles étaient en sécurité ici, si on oublie ce qu’on pouvait leur faire. Quand l’un de nous se prenait d’affection pour une fille, c’était tout bénéf. Ca a été mon cas. Avec Eliza. Elle était plutôt jolie, marrante et pas chiante. Je l’ai gardée pour moi. Ouais, dans un monde où c’est la loi du plus fort, même les filles se monnaient. C’est moche. Je sais. Parce que les gens auraient dû avoir à se soucier des rôdeurs ou de reconstruire le monde. Pas de pourritures comme nous.
J’ai commencé à passer de plus en plus de temps avec Eliza. Elle me faisait presque oublier tout ce que j’avais pu faire ces dernières années. Oh, je sais qu’elle m’aimait pas. Elle était juste suffisamment futée pour me donner l’impression d’être important pour elle. Je pouvais lire, cette lueur de peur dans ses yeux quand je commençais à monter le ton. Mais, au fil du temps, elle a commencé à disparaître aussi. Je crois qu’elle a vraiment fini par m’apprécier aussi. Quand j’ai fini par me faire moins violent, quand j’ai attendu qu’elle ait envie de moi sans la forcer à quoi que ce soit. Je me souviens encore de son premier rire, un soir, quand elle était blottie contre moi. Je crois que ça l’a autant surprise que moi. C’était un chouette bruit. Normal. Naturel.
Et, quand elle m’a soufflé qu’on pourrait peut-être partir de là, quitter ce groupe, voire Seattle, qu’on pourrait construire quelque chose en paix, j’avoue que j’ai commencé à être tenté. L’idée était belle. Beaucoup trop belle. Qui n’a pas plu à Dany. C’est pas moi qui ait vendu la mèche et si je chope le fils de pute qui l’a fait, autant dire que je le bute, sans sourciller.
Parce qu’il a décidé qu’il voulait récupérer Eliza pour elle, que j’en avais assez profité. Et, forcément, quand on te balance ça entouré de quatre mecs plus baraqués que toi, bah tu laisses faire. J’en avais assez appris en taule pour pas faire mon malin. J’ai détourné le regard quand Eliza m’a supplié de faire quelque chose. J’ai rien dit. J’ai rien fait. Et quand on l’a trouvée morte, quelques jours plus tard, les veines ouvertes, j’ai pas fait de commentaires. Surtout face au sourire narquois de Dany. Je me suis contenté de quitter notre refuge du moment et… d’aller à l’église. Ce que j’avais pas fait depuis des années. Je me suis assis au troisième rang, là où Mamita voulait qu’on s’installe parce que c’était le meilleur endroit pour voir notre curé dire la messe et la lumière qui tombait sur l’autel.
Et j’ai pleuré. Toutes ces larmes que je gardais pour moi depuis toujours ou presque. Elles ont coulé. Pour Eliza, pour Clara, pour Esperanza. Pour tout le mal que j’avais fait, pour tout ce que je continuais de faire. Pour ce monstre que j’étais devenu. J’ai fini par sécher mes larmes. Par retourner à la maison. Parce que j’avais nulle part d’autre où aller et personne avec qui le faire de toute façon. Et j’ai continué. Parce que j’avais pas d’autres options. Même si plus aucune fille n’est entrée dans mon lit depuis.
Eté 2019
Je plisse les yeux alors que j’assiste, sans y participer, à l’agitation qui parcourt notre groupe. Trois types avaient été envoyés ce matin pour faire du repérage dans les quartiers alentours. On fonctionne souvent comme ça maintenant. Du repérage et, si les groupes sont plus faibles que nous, on attaque. Perso, je suis plutôt chargé du ravitaillement à proprement parler. J’arrive à dégoter les trucs intéressants et j’ai réussi à entrer en contact avec quelques types au no man’s land. Pour échanger ce que j’arrive pas à trouver.
Je me suis encore plus renfermé qu’avant et j’observe beaucoup plus que je ne parle. Je sais que je fais peur aussi. Les quelques filles qui osent m’approcher filent bien souvent sans demander leur reste. Et c’est très bien comme ça.
Mais aujourd’hui, c’est différent. Ils ont trouvé une nouvelle fille. Une blondinette. Elle a été plutôt amochée, à croire qu’ils savent vraiment pas faire les choses proprement. Et ça déplaît à Dany qui aime pas les voir avec des bleus ou autre. Elle boite aussi, elle a dû se tordre la cheville quand elle a dû tenter de se barrer. Je devrais probablement faire comme d’habitude et détourner les yeux, en essayant de faire comme si je me foutais de tout ce qui va se passer. Ce qui est le cas, on va pas se leurrer. Le peu de conscience que je pouvais avoir étant noyé depuis longtemps, je peux continuer de faire comme si rien ne me touchait.
Sauf que mon regard croise le sien. Ruby. Elle s’appelle Ruby. Enfin ça, je le saurais plus tard. Pour le moment, je me rends juste qu’il y a quelque chose de différent chez elle, même si je serais infoutu de me rendre compte de ce que c’est vraiment. Je sais juste que j’ai beaucoup de mal à détacher mon regard d’elle. Et que j’ai envie d’elle. Tout simplement.
Pour la première fois depuis des mois, je tente ma chance et je demande à Dany pour l’avoir. Sauf que, bien évidemment, il refuse. J’aurais dû m’en douter. Il préfère me voir renfermé, incapable de me lier à qui que ce soit. Je suis moins influent donc moins dangereux, je risque pas de secouer son petit univers. Et ça me rend complètement dingue. Tout ce que j’ai occulté ces derniers mois remonte petit à petit et, quand il décrète que Ruby est suffisamment remise pour la mettre dans son lit, je décide qu’il est temps d’en finir. Il le voit pas venir quand j’entre dans sa chambre. Encore moins quand je lui tranche la gorge. Les 18 coups de couteau dont je le martèle sont totalement inutiles, j’en suis bien conscient. Mais ça me fait un bien fou. Le pire ? C’est d’avoir été capable de compter les coups. Je pourrais même plaider la folie devant un tribunal.
Je relève la tête et je fixe la blondinette. Elle a un semblant de mouvement de recul et je laisse filer un grognement avant de lui prendre le bras. « On se tire de là. » Je lui laisse pas vraiment le choix et je verrais plus tard qu’elle la trace de mes doigts sur son poignet. J’attrape le sac à dos que j’ai préparé rapidement dans l’optique de me tirer de là et je lui tends avant de reprendre, à mi-voix. « Tu la fermes si tu veux survivre. » Je remonte mon blouson jusqu’à mon menton pour cacher le sang dont je suis maculé et on sort de là.
Il faudra plusieurs heures avant que les gens tiquent sur ce qui s’est passé. Et d’ici à ce qu’ils fassent le lien avec moi, ça risque de prendre encore plus de temps. Ils vont probablement accuser Ruby, ce serait pas totalement déconnant. Et moi j’étais tellement en train de m’éloigner du reste du groupe qu’ils vont se dire que je me suis juste tiré. Ou que je suis mort. On devrait être tranquilles donc.
Quand je vois qu’elle est plus du tout capable de marcher, je décide de faire une pause et de fracturer une maison dans laquelle on s’installe plusieurs jours. Le temps qu’elle puisse se remettre un peu de tout ça. Et que je comprenne pourquoi j’ai fait cette connerie. Probablement pour ce que je continue de voir dans ses yeux, qui reflète un peu trop ce que je peux voir quand je me regarde dans un miroir. Je sais qu’elle attend le moment où je vais abuser d’elle. Ce serait bien la seule raison qui m’a poussé à l’embarquer avec moi non ? Sauf que ça n’arrive jamais. Pas que l’envie d’elle me soit passée, mais parce que ce serait l’horreur de trop, qui me ferait basculer définitivement et me rendrait totalement barge. Je suis déjà devenu un monstre, je vais éviter de devenir un monstre incontrôlable. Ou un truc du genre.
Et les jours passent. Puis les semaines. Sa cheville se remet. Les marques sur son corps disparaissent. Elle parle. Beaucoup trop. A m’en filer mal au crâne. Mais elle se révèle une alliée précieuse pour trouver de quoi survivre. A deux, on s’en sort plutôt bien. Même si je suis à peu près sûr qu’elle dort avec un couteau dans la main. Juste au cas où. Et elle a pas tort.
Automne 2019
Je regarde mon poing fermé et j’essaie tant bien que mal de le rouvrir, sans le moindre succès. Il est arrivé ce que je redoutais depuis plusieurs semaines. Je l’ai frappée. Qu’elle me porte sur les nerfs soit une chose, c’est ni la première, ni la dernière. Elle parle trop, elle a toujours un avis sur tout et, quand j’ai le malheur de pas lui répondre, elle fait le dialogue à elle toute seule. La plupart des temps, je le supporte plutôt bien, même si elle me file mal au crâne.
Point positif, j’ai carrément moins envie de la sauter depuis que j’ai découvert à quel point elle pouvait être chiante. Je dis pas que ça revient pas de temps en temps mais, comme le reste, ça finit par passer. Autre point positif, elle est loin d’être conne. Et elle a toujours de très bonnes idées. On a fini par devenir un duo plus qu’efficace et on a déniché pas mal de trucs cools. Qui nous ont valu une bonne réputation quand on a fait du troc. Ne jamais arnaquer ceux avec qui on traite, c’est le seul principe qu’on ait je crois. Par contre, piquer dans les stocks des groupes quand ils sont distraits ou dépouiller des solitaires, ça nous pose aucun problème. Elle a aussi peu de valeurs que moi, c’est pratique.
Je finis par relever les yeux vers elle et me fige quand je vois la lame briller entre ses mains. Quand je disais qu’elle devait avoir un couteau sur elle. « Tu veux me buter ? Remarque, ce serait mérité. » Et je sais pas combien de temps on reste comme ça, sans bouger, juste à se regarder. Je devrais probablement m’excuser, j’en suis bien conscient. Mais je souffle, d’une voix sèche. « T’aurais pas dû. Ouvrir cette boîte. Je t’ai jamais cassé les couilles sur ce que tu gardes secret. Tu devrais faire pareil. » Et je finis par soupirer avant me détourner d’elle, mon poing s’ouvrant enfin. Si elle voulait me buter, ce serait déjà fait, je la connais. Ou elle fera ça quand je dormirais. Pas maintenant, pas alors qu’elle a aucune chance. J’attrape mon écharpe et une gourde que j’imbibe de flotte avant de tendre la main pour nettoyer son nez qui pisse le sang. Elle a un sale mouvement de recul et je lève les yeux au ciel. « Reste tranquille. » Ce qu'elle fait. C'est déjà ça.
Je suis encore plus silencieux que d’habitude les heures et les jours qui passent. Je lui laisse s’éloigner de moi autant que possible et dormir à l’autre bout de la pièce. Je peux difficilement lui en tenir rigueur. Elle se tire pas pour autant, ce qui m’étonne un peu mais pas tant que ça. Elle le fera que si elle trouve quelqu’un de plus apte que moi à la protéger. Parce que je fais ça bien. En temps normal. Veiller sur elle, empêcher qu’on lui mette la main dessus.
Sauf qu’il y a personne pour la protéger de moi. Et que ce que je pensais disparu n’est juste qu’endormi. Alors je réfléchis. Pendant plusieurs jours. Jusqu’à lui proposer de rejoindre ce groupe avec qui on a déjà troqué plusieurs fois. Ils sont pas nombreux, ils cherchent pas à rendre le monde meilleur mais juste à profiter des opportunités qu’on peut avoir. Ca nous irait plutôt bien, surtout que le troc, trouver des trucs, on sait faire ça. Et elle pourra s’éloigner de moi si elle en a envie. Je sais pas si moi j’en ai envie par contre. En vrai, je préfère la garder près de moi, juste à moi, aussi insupportable qu’elle puisse être. Mais ce serait la condamner à plus ou moins court terme, on va pas se mentir. Parce que je sais pas du tout de quoi je peux être capable. Alors, j’embarque Ruby avec moi et je chercher Yulia, la petite russe que j’ai déjà croisée à plusieurs reprises et avec qui j’avais déjà fait affaire. Pour une nouvelle vie. Ou un truc dans le genre. Reste à voir ce que ça va donner.
Il fait encore nuit quand j’ouvre les yeux. Comme toujours, je me lève en sursaut, le coeur battant à tout rompre. Je sais pas si je fais des cauchemars, je serais bien infoutu de m’en souvenir si c’est le cas. Il me faut toujours bien quelques secondes, comme à chaque fois, pour me rappeler où je suis.
C’est la silhouette de Ruby, roulée en boule à quelques mètres de moi dans son sac de couchage qui me permet de me raccrocher à la réalité. Et je la fixe, comme tous les matins quand je me réveille, le temps de retrouver petit à petit mes esprits. Elle est jolie quand elle dort. Elle a l’air calme, apaisée et, surtout, elle ferme sa gueule. Donc forcément, j’apprécie ce moment. Je m’extirpe de mon sac de couchage que je repousse et je fais craquer les muscles de mon cou avant de me rapprocher d’elle. Et d’effleurer son front du bout des doigts. Elle s’en rend jamais compte et c’est tant mieux. Parce que ce serait un coup à me retrouver avec un couteau planté dans la main. Ou n’importe quel objet qu’elle aurait à portée en pleine gueule.
Je m’éloigne en toussotant quand elle commence à bouger. Elle va bientôt se réveiller et me casser les couilles avec ses plans minutieux, ses idées de petite surdouée. Alors ouais, à la fin, elle a souvent raison. Pour pas dire tout le temps. Mais c’est gonflant. J’arrête souvent d’écouter quand on prend la route pour le no man’s land histoire de voir ce dont les gens ont besoin. Et je finis même par me casser quand elle commence à échafauder ses plans. Moi je suis les bras, c’est le cerveau. Je crois que ça, on l’a acté depuis un moment. Même si parfois, elle se sent le besoin de le rappeler. La plupart du temps, je vais me balader dans le quartier où on squatte, essayant de repérer ce qui pourrait être un danger potentiel. Des groupes un peu trop nombreux, des rôdeurs ou des trucs du genre. J’essaie parfois de me rappeler, à quoi ressemblait le monde avant tout ça. Et je me rends compte que j’ai oublié. Comme si ce cauchemar avait pris le pas sur tout le reste.
C’est ptet pas plus mal au fond. Et puis, je trouve souvent des trucs à cogner, je vais pas m’en plaindre. D’autant que je suis dehors, ce qui aurait pas été le cas sans tout ce bordel. Et je suis en vie, ce qui est autrement plus étonnant.
Je me glisse dans une baraque à la porte éventrée et je flâne un peu, pas vraiment pressé de rentrer pour l’entendre me raconter son super plan ficelé comme le rôti du dimanche. Et je ramasse un bouquin. Une encyclopédie. Je devrais lui ramener. Elle le lira et ça la fera peut-être taire pour quelques heures ce soir. Sinon je vais encore avoir droit à toute sa vie en long, en large et en travers. Sérieux, c’est pas humainement possible d’avoir toujours un truc à dire. Et je tombe sur un playboy que je ramasse, la mine dubitative, me demandant vaguement si les filles qui ont posé sont toujours aussi fraîches ou si elles se baladent à moitié pourries. Autant vous dire que c’est typiquement le genre d’images qui vous pètent toute envie. Je balance la revue avant de rentrer. J’ai la dalle et pour ça, je suis prêt à supporter son babillage.
Et ça rate pas. Comme tous les midis, on se retrouve pour manger ensemble et elle m’explique son idée. Je hoche la tête, me demandant à quel moment lui demander de fermer sa gueule mais ça finit par se tarir tout seul avant qu’on finisse par aller à la chasse. Ce sera deux rôdeurs cette fois. Une affaire rondement menée, sans qu’on ait à prendre plus de risques que nécessaire. Pour trouver plusieurs packs de flotte planqués sous un parquet. Et des cannettes de coca. Récolte un peu étrange mais on aurait pu tomber plus mal.
On est rentrés tôt cette fois. Mais au moins, elle s’est plongée dans le bouquin que je lui ai ramené. Et je me fais une petite séance de sport pendant ce temps-là. La soirée finit par arriver et, évidemment, le bouquin ne suffit pas à l’occuper entièrement. Mais cette fois, je me sens d’humeur bavarde, enfin je suis un peu plus loquace que d’habitude quoi. J’arrive même à esquisser un sourire, c’est dire.
Demain, on recommencera. Une autre maison. Un autre plan parfait. Ou on restera plusieurs jours enfermés parce qu’il y a des rôdeurs, qu’il fait un temps de merde ou un truc foireux dans le même genre. Toujours cette routine qui n’en est pas vraiment une en fait. Et qui finira probablement par nous rendre cinglés d’une façon ou d’une autre. Mais on verra bien de quoi sera fait demain.
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Re: Joaquin Hernandez
Dim 29 Déc 2019 - 23:27
Rebienvenue!
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Re: Joaquin Hernandez
Lun 30 Déc 2019 - 0:00
Bon courage pour la rédaction de ta fiche!
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Re: Joaquin Hernandez
Lun 30 Déc 2019 - 5:43
Et je plussoie Aodhan : t'es beau
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