La musicienne se remettait doucement de son rhume. C’était la première nuit depuis une semaine qu’elle avait passé sans avoir le nez atrocement bouché. Elle avait presque envie de célébrer ! Peut-être l’aurait-elle fait si Hope ne l’avait pas réveillée plusieurs fois à cause de ses terreurs nocturnes. Ainsi, Selene s’était levée avec un lourd mal de crâne qui lui donnait l’impression que sa tête pesait une tonne. Après avoir habillés les filles et pris sont petit-déjeuner avec elles, elle confia Elizabeth à Shawna et laissa la réplique blonde d’Ashley la possibilité de retourner lire dans son coin.

C’était son tour de s’occuper des chevaux. Vêtue de son leggings d’équitation et d’un sweatshirt, la pianiste traversa les quelques mètres qui la séparaient de l’écurie improvisée. Après avoir vu les plans d’agrandissement du fort pour que les équidés aient enfin une place conséquente, leur logement actuel lui paraissait minuscule. Avant de passer la grande porte de la grange réaménagée, la jeune femme aperçut la petite fille qui la regardait, postée à quelques mètres de là.

- Salut Jodie, elle jeta un regard circulaire aux alentours, pensant que la gamine attendait quelqu’un, tu… tu cherches quelque chose ou… tu veux venir avec moi ?

Selene désigna l’écurie d’un signe de tête. La plupart des enfants – et pas que – étaient fascinés par les chevaux. Qu’ils aient connu le monde avant ou pas, ces animaux exerçaient une impression presque mystique. La musicienne n’était pas en reste : avant que les morts ne se relèvent, avant qu’elle ne rencontre Isaac, elle n’avait jamais approché un véritable équidé de sa vie. Désormais, elle ne s’imaginait pas vivre sans Fury.

- Je dois nettoyer leurs box et leur donner à manger. Tu… tu peux m’aider si tu veux.

Elles avaient eu l’habitude de se fréquenter. Quand Ashley était encore là et qu’elle formait un duo avec Hope. Le lien s’était refroidi avec les mois passés à Nisqually mais Selene avait mis ce phénomène sur la disparition des Grants et les divers événements qui avaient stressés les adultes depuis l’été. Les enfants n’étaient pas mis au courant de tout ce qui se passait, loin de là, mais… ils sentaient forcément les changements, les non-dits et les secrets.

Parfait si elle acceptait d’aider. Dans l’écurie improvisée, les deux protagonistes furent accueillies par les souffles d’Amarok et Saba qui se trouvaient plus proche de l’entrée. La musicienne salua tous les équidés d’un « salut » à la volée et s’amusa à observer leurs réactions habituelles. Fury levait la tête, trépignant à l’idée d’enfin se dépenser, Anoki semblait lui jeter un œil en coin espiègle, Django faisait sagement office de premier de la classe et les deux étalons prenaient leurs distances.

- On va commencer par les murs et les surfaces, expliqua Selene en atteignant le fond du bâtiment où était entreposés plusieurs outils de nettoyage en plus du matériel d’équitation, on frotte bien partout, y compris sous les mangeoires et sur les abreuvoirs. Si tu es trop petite pour les plafonds, je m’en occuperai, la jeune femme s’empara d’un long manche au bout duquel était fixé une brosse, , tu peux commencer par chez Django et Fury si tu veux, ils tiennent mieux en place. Fais attention avec Saba, il a tendance à mordre encore.

Isaac avait fait des merveilles en débourrant le jeune mâle retourné à l’état sauvage et même en son absence, Romy avait continué à s’en occuper. Néanmoins, il faudrait encore quelques mois supplémentaires, sans doute, pour que le cheval fasse pleinement confiance aux humains qui l’entouraient. C’était déjà un incroyable progrès qu’il se laisse monter assez facilement par l’égyptienne qui n’avait que les bases. La pianiste confia un ustensile identique au sien à la petite et entreprit d’œuvrer dans le box d’Anoki, qui n’était pas toujours plus tendre avec ceux qu’il pensait pouvoir chahuter.

- Tu es sûre que tout va bien ? Demanda-t-elle après quelques minutes de besogne silencieuse, tu es… inquiète pour Hope ?

Dans l’absolu, c’était la seule explication que Selene imaginait pour justifier le renfermement de Jodie en sa présence. A son âge, il devait effectivement être particulièrement traumatisant d’apprendre que son ami avait été séquestrée par des criminels. Même si elle n’avait sans doute pas tous les détails des pratiques des Scarecrows, les adultes parlaient et les enfants pouvaient parfois avoir les oreilles qui traînaient.

La jeune femme se retourna en entendant la petite voix dans son dos. Quand Hope allait-elle redevenir « comme avant » ? La question lui faisait mal au cœur à elle aussi. Selene reposa son outil et s’accroupit pour être plus à la hauteur de Jodie. Elle plongea ses yeux bleus dans les siens, la sonda un instant, cherchant les mots qu’elle allait pouvoir utiliser avec une enfant qui avait, en quelque sorte, perdu sa meilleure amie.

- Hope est traumatisée. Ça veut dire qu’elle… elle a vécu quelque chose de très difficile et de très effrayant qui a comme… cassé quelque chose à l’intérieur d’elle. Tu vois ? La notion était abstraite, la pianiste ne voyait pas exactement comment expliquer à une gamine que la fille d’Ashley était peut-être différente à jamais, des fois, les traumatismes font un peu changer les gens. Pour quelques temps ou pour toujours… ça dépend.

La musicienne se pinça les lèvres et eut une moue désolée. Elle aussi aimerait savoir quand Hope serait sortie de ce cauchemar permanent, quand elle recommencera à rire et à bavarder comme avant. Selene ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle regrettait toutes les fois où elle n’avait pas pris le temps de l’écouter lui raconter les superbes aventures de sa poupées Barbara, ou quand elle avait dû lui demander de se taire parce qu’elle avait besoin de réfléchir. Aujourd’hui, sa voix et sa volubilité lui manquaient… la petite était véritablement un rayon de soleil. Elle faisait sourire tout le monde.

- Mary va l’aider, tenta de rassurer Selene, elle fera de son mieux. Et nous… on doit être patient et l’aider à reprendre confiance et à ne plus avoir peur. Tu sauras faire ça, demanda-t-elle en doutant réellement que la réponse soit « non », on pourrait… même essayer de lui faire un cadeau toi et moi. Quelque chose qui lui ferait plaisir ! Un sourire encourageant modela les fossettes de la pianiste, tu as une idée ? Dis-moi ce que tu voudrais lui offrir.

L’idée était soudaine… mais elle lui plaisait ! Elles pourraient même joindre d’autres personnes au secret si besoin. Ensemble, il y avait peu de chose qu’ils ne sauraient pas réaliser pour Hope.