- LÂCHE-MOI ! Vociféra-t-elle alors qu’on l’arrachait à sa victime, LÂCHE-MOI TOUT DE SUITE !

Elle gesticulait, s’agitait, dû même donner quelques coups à son ami qui l’éloignait tant mieux que mal de l’adolescent. La musicienne ne sentait pas la brûlure de l’estafilade sanglante sur son avant-bras, elle entendait à peine Lisandro qui essayait de la ramener à la raison. Elle voyait rouge, son cœur pulsait d’un besoin unique et animal : serrer ses doigts autour de la gorge de Milow. Rien ne s’arrangeant quand Nolan fit irruption dans la pièce. Bien sûr. Nolan le Scarecrow, Nolan le traître. A tous les coups, il était complice. Tous les deux devaient fomenter un sale coup pour faire tomber le camp et nuire à sa famille au passage. Face à l’index accusateur du serpent, Selene n’était pas prête de redescendre.

- Il en a après moi ! Lisandro, il n’arrête pas de tourner autour d’Effy, il veut lui faire du mal et à moi aussi ! LÂCHE-MOI !! Protesta-t-elle une dernière fois.

Elle s’arracha plus violemment qu’elle ne l’aurait voulu à l’étreinte de son compagnon mais se retint de se jeter sur son cadet. Ce dernier disposait de trop de remparts désormais et du coin de l’œil, elle apercevait sa fille qui la regardait d’un air terrifié. Non-non-non-non-non… elle n’était pas censée voir ça. Elle n’était pas… la jeune femme prit sa tête entre ses mains, le visage crispé, le mots formant une boule dans sa gorge.

- Je… j-je… c’est lui ! R-regarde ! Elle montra sa blessure au croquemort, tu vois ?! Il est dangereux ! Il avait prévu de me faire du mal, il… il attend que ça ! Si je le tue, c’est pour tout le monde ! Blême et tremblante, sa voix fébrile s’adoucit alors qu’elle essayait de susciter l’adhésion du chilien, Lisandro… je veux juste vous protéger, tu le sais…

Que pouvait-elle dire de plus ? Elle avait l’intime conviction d’être dans le vrai. Milow s’était pointé, il l’avait provoquée sans aucune raison alors qu’elle était prête à faire l’effort de fermer les yeux. Mais comment le prouver ? Comment gagner la confiance de son ami alors que la moitié du camp semblait s’accorder à la faire passer pour une dingue…

C’était surréaliste, et pourtant.
Il faisait de son mieux pour contenir une Selene en pleine explosion. Il ne l’avait jamais vu ainsi, parce qu’elle avait toujours admirablement bien dissimulé sa déficience aux siens, mais il n’était plus surpris. Pas maintenant qu’il savait. Mais il ne pouvait toujours rien pour elle, que ce soit quand elle était elle ou quand elle était l’autre comme en cet instant. Tout ce qu’il pouvait faire en l’état c’était de l’éloigner de Milow. Le garçon suffoquait derrière lui, et le médecin était désemparé de ne pouvoir se dédoubler. Mais il avait l’intime certitude que s’il la libérait, elle recommencerait.

Elle hurlait, le griffait, mais il tenait bon. Quand Nolan entra à son tour dans les écuries, le chilien se sentit soulagé. D’un signe de tête, il lui désigna Milow, alarmé. Il jeta brièvement un coup d’œil aux deux, mais renonça bien vite quand elle manqua de se dégager de sa prise. Priorité numéro une ; ramener Selene avec lui. Milow… ? Elle hurlait sa haine et sa paranoïa concernant le garçon. « Mais non, Selene… » D’un mouvement plus brusque – et aussi parce qu’elle était aussi fine qu’une satanée anguille – elle lui glissa des bras, mais ne sauta pas directement sur le garçon qui peinait à reprendre son souffle. Lisandro s’approcha, suffisamment pour l’attraper au moindre mouvement en avant, mais ne fit aucun geste pour essayer de la reprendre dans ses bras. « Cariña, respire… Regarde-moi. » Evidemment, qu’elle n’écoutait pas. Du coin de l’œil, il avisait Effy qui se tenait prostrée en retrait, en regardant sa mère, terrifiée. Elle perdait pied, elle aussi avait remarqué la détresse de sa fille. Lisandro concentra toute son attention sur elle et sur ses paroles. « Soy consciente, Cariña.* » Dit-il d’une voix rassurante. « Sé que harias todo lo posible para protegernos… Pero mira… No es peligroso… Grano en el culo et irritante, si… Pero no peligroso… Andrea le importaba, ella te ha escucado e lo hemos estado vigilando… Effy no corre peligro… Confias en Andrea, si ?** » Demanda-t-il et le tout dans un espagnol suffisamment lent pour que Selene le comprenne – l’ayant appris avec Eli à l’époque – mais suffisamment rapide pour ne pas que les deux autres ne puissent trop comprendre. Il ignorait si Nolan ou Milow parlait espagnol. Sa langue maternelle lui était venue d’emblée pour reconcentrer l’attention sur lui, et sur Effy. Il jeta ensuite un coup d’œil à Nolan, interrogatif. Il espérait que Milow irait mieux rapidement.



*Je le sais bien, ma chérie.
**Je sais que tu ferais tout ce qui est en ton pouvoir pour nous protéger… Mais écoute… le garçon n’est pas dangereux, casse-couille et énervant, oui. Mais pas dangereux. Andrea y a veillé, elle t’a écouté et nous l’avons surveillé… Effy ne risque rien. Tu fais confiance à Andrea
 

Je le savais, j’aurais dû me poser dans un coin, me perdre dans un livre et oublier le monde autour de moi. Je sais faire ça bien en temps normal, alors pourquoi j’ai eu l’idée lumineuse de me balader ? Prendre l’air, c’est dangereux. La preuve. Outre le fait que je pensais pas me retrouver au milieu d’une bagarre ou de je sais pas quoi, je voulais surtout pas que Selene y soit mêlée. Je sais qu’elle peut pas me supporter et j’ai encore de vieux doutes sur le fait qu’elle ait envie de me tuer. Alors je l’évite autant que possible en temps normal.

Sauf que là, c’est un peu cramé ouais. Mais, pour le moment je dois gérer une urgence, en espérant que Lisandro arrive à la canaliser. Sinon je vois gros comme une maison qu’elle va sauter au cou de Milow. Ou du mien. Ou des deux. Bref, le bonheur. Si j’avais des doutes sur le fait qu’elle était dangereuse et surtout impossible à contrôler, ils s’envolent à mesure que passent les secondes.

Je me concentre sur le jeune homme pour le moment. Je dois m’assurer qu’il va bien, qu’il y a rien de grave. Et surtout, je dois essayer de le calmer. Je le vois s’agiter et essayer de m’expliquer ce qui lui est arrivé. Je me fige un instant à le voir tendre l’index en direction de Selene et mon regard essaie de capter celui de Lisandro qui tente de son côté de la calmer alors qu’elle a l’air enragée. Bon, pas de diagnostique hâtif à son propos. Mais je peux quand même me dire qu’elle a un putain de pet au casque ou pas ?

J’attrape de nouveau la main de Milow et je me place entre lui et la cinglée, cherchant à capter au mieux son attention. « Je suis là. On est là. Tout va bien se passer. Tu ne risques rien. Mais je veux que tu te calmes. Que tu essaies de prendre de grandes inspirations. » Histoire que je m’assure qu’elle n’a rien abîmé. « Après seulement tu essaieras de parler. Il faut que j’évalue les dégâts. D’accord ? » J’entends Lisandro parler en espagnol, captant ça et là quelques bribes de mots qui me rappellent mes cours au lycée. Mais j’y prête pas vraiment attention. « Tu te concentres sur moi. Que sur moi. Elle ne te tuera pas. Personne ne tuera personne. » J’ai parlé d’une voix douce, calme, qui tranche avec celle de Selene ou la panique que je peux lire dans ses yeux à lui. Cette fois, c’est Lisandro qui cherche mon attention et je grimace, avant de souffler, toujours sur le même ton tranquille. « Il faut qu’on les garde suffisamment éloignés l’un de l’autre. Histoire de laisser retomber le soufflé chef. » Le conseil prendra le temps d’écouter les uns et les autres une fois que ce sera calmé. Je suppose. Je sais pas vraiment encore comment ça fonctionne dans un cas pareil mais, dans le fond, ça ne m’intéresse pas. C’est leur santé à tous les deux qui prime. Oui, même la cinglée. « Et tout le monde va se calmer sans qu’on ait besoin d’aller à l’infirmerie. » J’essaie de me montrer assuré, en espérant vraiment qu’on ait pas à en arriver là.

Elle n’arrivait pas à y croire. Ses yeux ronds se tournèrent vers Lisandro. Son Lisandro, son allié depuis plus de deux ans. Celui qui l’avait connue à la prison, qui l’avait fait accoucher, qui l’avait vu donner son âme pour son groupe. Ce Lisandro là… ne la croyait pas. Il répétait les mots d’Andrea comme s’il s’agissait d’une vérité absolue et que pouvait-elle contre ça ? Bien sûr qu’elle avait confiance en son amie, bien sûr qu’elle se fiait même plus au jugement de la régisseuse qu’au sien. Mais ce sale gosse… c’était viscéral. Ses tripes lui hurlaient qu’il était mauvais. Mauvais jusqu’à l’os.

Voyant que personne ici ne la croiraient, les yeux bleus de la jeune femme allaient d’un protagoniste à l’autre. Un souffle désabusé lui échappa et elle s’en alla vers la sortie des écuries, non sans un regard déçu sur le chilien. Ignorant les autres, elle s’accroupit devant sa fille effrayée, les yeux embués de larmes. De longues secondes, elles se dévisagèrent, jusqu’à ce qu’Effy se jette finalement dans les bras de sa mère. Une vague de soulagement, chaude et apaisante, traversa la musicienne. Elle ne pensait plus à Milow, plus à la douleur de son bras, plus à la rage qui lui dévorait les entrailles. L’espace d’un instant, il n’y avait plus que son trésor.

- Je suis désolée, murmurait-elle en boucle, maman est désolée…

Alors seulement, Selene se releva. Sa fille dans les bras, ses prunelles glacés foudroyèrent chacun des hommes face à elle. Qu’importe ce qu’avait promis Nolan, qu’importe les soi-disantes « mesures » qu’ils se pensaient capables d’instaurer pour les éloigner l’un de l’autre. Quand il était question de défendre ses proches, la pianiste ne connaissait plus aucune règle, ni aucune limite.

- Je te le redis une dernière fois, persifla-t-elle à l’adolescente qui peinait encore à articuler une phrase complète, approche-toi encore une fois d’elle, juste une fois, et je te promets que je te tue, et s’il ne voulait pas l’en croire capable, Lisandro pourrait lui faire un cours de rattrapage pour qu’il se mette à jour, ni Andrea, ni Connor, ni Nolan, ni ta sœur, ni personne ne m’empêcheront de le faire, jura-t-elle. Ensuite, elle les planta là. Pour soigner son bras, elle irait voir Juliet ou Emilie.

S’il pensait bien faire, il devait se rendre à l’évidence : Selene lui échappait. Pourtant cette rage viscérale qu’il avait vu sur son visage il y a quelques instants avait disparu, la folie furieuse s’était tarie, et seul restait le choc de ne pas être soutenue à la hauteur de ses espérances. Elle finit par tourner les talons pour rejoindre Effy et le chilien sentit ses épaules se détendre. Si elle avait décidé de se tourner vers elle, c’est qu’elle ne risquait plus de se jeter la gueule ouverte pour arracher la jugulaire de Milow avec ses dents. Il resta pourtant figé entre les deux, les yeux fixés sur la mère et la fille, attendant… Quelque chose ? Il ne savait pas trop.

Elle finit par les rejoindre, le regard noir mais à nouveau elle. Bien sûr qu’il n’était pas très objectif en se rassurant de cette nouvelle. Selene venait d’essayer d’étrangler Milow et tout ce qui le préoccupait c’était que sa crise de folie soit passée. Il n’y aurait pas de suite, et pour cause. Avec un air bravache, la jeune femme tourna les talons, Effy calée sur sa hanche, comme si de rien n’était. Dans sa tête, Lisandro nota d’en parler à Andrea, d’arrondir les angles, mais qu’il fallait qu’elle sache. Ce n’est que quand elle quitta les écuries que le chilien se rapprocha de Nolan et de Milow.

« Hey, Nolan… Dis-moi ce qu’il en est. » Il y avait déjà des traces violacées sur le cou du jeune homme, mais il respirait. Il parvenait même à articuler des mots – mots auxquels il décida de ne pas prêter attention pour le moment. « N’essaie pas trop de parler, Milow, tes cordes vocales sont probablement abimées. » Le chilien n’essaya pas de s’interposer pour prendre les premiers soins de Milow en main, Nolan gérait parfaitement les choses. Et pour avoir été du côté de Selene il y a un instant, il ne pensait pas que poser les mains sur le jeune homme soit une bonne idée. « Je suis désolé, pour Selene. » Parce qu’il n’y avait pas vraiment d’autres mots. Bien sûr, il ne laisserait personne s’en prendre à elle, mais il était compliqué de nier ce qui venait juste de se dérouler sous leurs yeux. Il ne comptait pas expliquer ce qu’il savait, surtout pas en présence de Milow. Nolan devrait probablement savoir, mais ce n’était ni le lieu, ni le moment. Ce qui était urgent là, maintenant, c’était de s’assurer que le garçon n’avait pas de blessures plus graves encore.

Quel bordel sérieux. J’essaie de garder mon calme et de chercher une explication rationnelle à ce qui vient de se passer mais, pour être honnête, plus ça va et moins ça me paraît clair. Même si je me retiens de hocher la tête quand il me dit que Selene est folle. Ca, j’avais aucun doute à ce sujet mais, de base, elle agit pas sans raison. Même si elle peut parfois semble obscure aux autres, il y a le plus souvent une « logique » dans son comportement. Et j’ai assez souvent croisé Milow ou entendu parler de lui pour savoir qu’il est doué dans la provoc, quand bien même ça justifie en rien qu’il se retrouve dans cet état.

Dans tous les cas, ça fait beaucoup trop de zones d’ombres pour moi, surtout que je suis bien conscient que j’ai pas les cartes en main. Sauf que là, ça relève pas de mes compétences. Moi, tout ce que je peux faire, c’est m’assurer que Milow va aussi bien que possible. J’ai un mouvement de recul quand Selene se rapproche de lui, même si je m’efforce de rester à côté du gamin. Je fronce les sourcils à ses propos alors que ça fait que rajouter des questions de plus et j’ai un bref soupir de soulagement quand elle finit par quitter les lieux avec sa fille.

Je continue de faire de mon mieux pour calmer le gamin et je l’ausculte rapidement avant de lever un œil en direction de Lisandro. « Ca devrait aller. » Il a pu articuler quelques mots alors, si les cordes vocales sont abîmées, devrait rien y avoir de trop définitif. « Faudra juste s’assurer qu’il y a pas de trauma laryngé. Mais on le saura rapidement. Désolé Milow, tu vas devoir me tenir compagnie à l’infirmerie jusqu’à demain au moins, je veux être sûr que tu vas bien. » Je finis par attraper le gamin par les épaules et par l’aider à se relever. « Allez, je te traîne jusque là-bas. Essaie de pas trop jouer au poids mort, j’ai la force d’une moule paraplégique quand je m’y mets. » J’essaie d’avoir un ton pas trop mélodramatique, même si, dans mon esprit, je me dis qu’il va falloir rapidement mettre en place un traitement pour Selene. Ou voir ce qui peut être fait pour l’aider. Et je souffle, alors que je m’efforce de remettre Milow sur des deux jambes. « Lisandro… tu devrais aller discuter avec Andrea. Et les autres. Tu pourras me rejoindre à l’infirmerie, je te ferais un topo sur son état. Ou il le fera lui-même comme un grand. » Très franchement, je préfère être à ma place qu’à celle du chef là de suite, parce que je sens que les évènements vont pas aller en se simplifiant, bien au contraire. En attendant, moi je fais mon boulot, sans essayer de trop m’inquiéter du reste.