La journée avait été plutôt chargée, aujourd’hui. Entre notre départ du Fort, ce matin-même, notre arrivée au No Man’s Land où l’on s’était installé ; Andrea, Shawna, Daniella et moi, pour prendre les rôles que l’on était venu prendre au nom de The Haven et ce rassemblement qui avait donné la voix à bien des membres de ce vaste réseau de troc, nous n’avions pas eu beaucoup d’instants de repos ! Et c’était tant mieux comme ça ! Ça m’avait, pour ainsi dire, occuper l’esprit. Ça m’avait empêché de replonger dans les eaux sombres et profondes de ces émotions qui m’avaient accompagnées tout au long de ce dernier mois éprouvant… Et même si mes démons intérieurs s’étaient manifestés, à chacune des fois où mon regard avait croisé Daniella, l’action de cette journée m’avait tout de même permis de les tenir à bonne distance. M’avait permis de les enfermer, à double tour, dans une pièce reculée de ma conscience.

Il faisait déjà nuit noire, à l’extérieur, lorsqu’on avait enfin regagné notre tente – gracieuseté de Kara – dressée dans un coin plus tranquille de l’entrepôt. Exténué par cette longue journée de rencontres et de négociations, j’avais alors rapidement installé mon sac de couchage et rassembler mes affaires pour les garder à porter de mains. Posant ma tête sur mon oreiller, je n’avais même pas eu le temps de regretter le confort de mon lit avant de sombrer dans le sommeil. Je m’endormis vite, mais, malheureusement, pas pour longtemps… Parce que mes cauchemars, quant-à-eux, n’avaient pas cru bon de me laisser tranquille. Notre petit séjour au No Man’s Land n’avait donc eu aucune incidence sur eux… Ou, plutôt, oui il en avait eu une, mais pas celle que j’aurais espéré. Ces démons intérieurs – que j’avais cru enfermés à double tour – semblaient vouloir se venger de n’avoir pu me torturer durant le jour. Prendre grand plaisir à retrouver le contrôle sur mon esprit endormis, ils se reprenaient donc, au centuple, pour le temps qu’ils avaient perdu.

À peine m’étais-je endormis, que je me réveillais tout aussi brusquement, en nage et à bout de souffle. Le cœur me martelant douloureusement la poitrine, comme s’il cherchait à fuir ces images d’horreurs qui continuaient de me hanter, même les deux yeux grands ouvert. Je mis de longues minutes à tenter de calmer ma respiration, à tenter de faire le tri entre la réalité et le cauchemar… Mais le cauchemar, comportait une trop grande part de réalité. Incapable de retrouver le sommeil – pas dans cet état et pas avec cette angoisse étouffante à l’idée de replonger aussitôt dans le cauchemar – j’avais discrètement quitté la tente. Sans faire de bruit, pour ne pas réveiller les autres. Prenant soin de ne surtout pas jeter le moindre coup d’œil vers le lit de camp de Daniella, en n’ayant pas envie d’alimenter davantage mes démons, je n’avais alors pas remarqué son absence.

Ayant grand besoin d’aérer quelque peu mon esprit torturé, j’étais sorti de l’entrepôt. Déambulant dans les rues du quartier, sans trop m’éloigner, ni savoir où j’allais vraiment. Puis, alors que je sentais l’air frais de la nuit commencer enfin à m’apaisé quelque peu, jamais je n’aurais pu m’imaginer que les évènements à venir me prendraient à ce point du revers… La vie pouvait être une vrai pétasse lorsqu’elle s’y mettait !

Entendant des éclats de voix et des bruits de pas s’approcher du coin de rue où je me trouvais, je m’étais empressé de me cacher dans l’ombre de ce qui fut autrefois une benne à ordure. Attendant, silencieusement, que les deux vagabonds passent leur chemin. Me dissimulant, plus encore, lorsqu’ils entrèrent finalement dans mon champ de vision. Lorsque je pu les détailler comme il se doit. il s’agissait donc d’un homme, la tête complètement dégarnie vu le reflet de la lune qui lui tapait sur le coco, et d’une fille – probablement sa meuf – qui avançait à ses côtés avec sa veste de cuir sur les épaules… J’avais mis quelques secondes avant de comprendre qu’il s’agissait de Dani… et lorsque je la reconnu, ça m’avait frappé comme un coup de canon en plein ventre. Me coupant le souffle et me pétrifiant sur place.

Je n’arrivais pas à y croire ! Elle et… lui ! Ça ne pouvait qu’être lui ; le gars de Tacoma ! J’étais tellement choqué, tellement blessé, que je finis par me dire que je ne m’étais probablement jamais réveillé… Que je nageais toujours en plein cauchemar ! Toutefois, cauchemar ou pas, je sentais la colère. Je la sentais – tellement réelle et tellement douloureuse – m’envahir jusqu’au plus profond de mon être. Une colère sourde qui m’avait fait perdre toute raison. Je voyais noir. Sans réfléchir, j’étais sorti de l’ombre et m’étais précipité à leur rencontre ;

« Alors, c’est lui hein ?! Hurlais-je en fonçant droit sur le beau petit couple. En fait, c’était pour ça que tu voulais venir au No Man’s Land, pas vrai ?! Tu voulais pouvoir le revoir, lui ! » Je m’étais planté face à Isha. Le dévisageant rageusement à deux pouces de son putain de visage d’enfant de chienne ! Le défiant sans qu’il puisse comprendre ce qui se passait vraiment. Et si mon regard aurait pu l'assassiner sur le champ, il l'aurait assurément fait.