Putain, pourquoi je comprends rien ? que je grogne en revenant en arrière sur ma lecture.

Je ramène le bouquin tout près, pour essayer de lire les petites lignes. Mais impossible de les décrypter, c’est totalement incompréhensible et surtout, ça cible absolument pas ce que j’essaie de comprendre. J’ai l’impression que ma pensée tourne en rond à force de lire et relire les mêmes choses, pourquoi j’en suis rendue là ? Valérian m’a tellement cassé les pieds pour que je découvre comment les gens de chez lui ont changé le monde, en échange, il jetterait un véritable coup d’œil aux comics que Markus a accepté – pas de gaiété de cœur – de lui filer. D’autant plus qu’il a du lui faire quand même un point sur la mythologie des Marvel pour essayer de l’impliquer dans le sujet.

Mon lot de consolation, c’est que le grec en est certainement au même point que moi : il doit rien piger à ce qu’il lit. Sauf que lui, à défaut de comprendre, il s’amuse. Moi ? J’en chie. Je tourne et retourne la même page en plissant le regard, essayant de comprendre ce que je lis sans que ça fonctionne un seul instant. J’suis seule sur le canapé de la salle de vie, sous un plaid immense, à côté de moi un thé qui a refroidi, et une envie de m’enquiller de la vodka pour oublier que je suis trop bête pour ça.

Mais des bruits de pas me sortent de ma lecture et je lève le regard vers… Clint, je crois ? Le gars a distribué des ordres toute la journée pour qu’on avance sur les travaux, et c’est pas si mal. La salle principale est faite, on en est rendu à finir les chambres une par une, là. Je fronce les sourcils :

Tu tombes bien, t’as une idée de ce que veut dire Ataraxie ? que je lui demande dans la foulée, articulant le mot comme je peux, même si ça a aucun sens pour moi. J’pince les lèvres. Faut que j’abandonne. J’suis trop têtue pour ça, mais ça m’emmerde beaucoup quand même : Valérian m’a convaincu de lire ses bouquins de philosophie sur les grands penseurs grecques, que je lui explique alors en haussant les épaules : Mais je comprends pas les trois quarts des mots, j’esquisse une petite grimace.

Pas faute d’essayer. J’y mets du mien, tout ça pour me faire chier un peu plus. Super.

Plus les travaux se terminaient rapidement, et plus tôt ils rentreraient à la maison. Du moins, c'était ce qu'il espérait, ce qu'il visait depuis la seconde où Andréa lui avait parlé du projet. Ça ne dérangeait pas particulièrement Clint d'aider ce groupe à s'installer, mais il espérait vraiment que ça ne serait pas pour rien. À quel point pouvait-il leur faire confiance? Il n'en savait rien, et son sixième sens naturel l'obligeait à rester au garde-à-vous.

Un verre à la main droite et une bouteille dans l'autre, il descendait les marches avec son précieux liquide ambré qui l'aiderait à apaiser sa journée. Heureusement que Serena avait pensé à tout, emportant avec elle quelques bouteilles d'alcools pour aromatiser les soirées. La militaire lui avait offert d'aller à l'extérieur pour fumer, mais l'entrepreneur avait plutôt préféré trouver un coin tranquille, n'appréciant pas trop la fumée secondaire de toute façon.

Une voix féminine qu'il reconnaît à peine l'aborde, et il se retourne aussitôt dans sa direction. Fronçant un sourcil, il se demandait bien pourquoi elle lui demandait ça à lui. S'avançant à pas lent vers elle, s'attendant à ce qu'elle lui explique pour elle cherchait à comprendre un mot comme ça. "Hum... Je sais que j'ai besoin d'une coupe de cheveux, mais je ne pensais pas avoir l'air d'un philosophe." Il s'exprima avec un sourire amusé au coin des lèvres, déposant par le fait même la bouteille sur la petite table tout près de la jeune femme. Il se pencha pour voir ce qu'elle lisait exactement, analysant un brin dans sa tête le mot qu'elle avait prononcé. "Je crois que... C'est un truc par rapport au paradis ou un truc du genre..." Il avait bien dû entendre ce mot une fois ou deux dans le passé, sans trop être certain de savoir l'interpréter. Encore fallait-il s'y intéresser de toute façon.

"Et il t'a convaincu de lire des livres plus vieux que la bible pour quelle raison exactement?" Ça paraissait con comme question aux premiers abords, mais pourquoi elle s'infligeait ça? Son ex-femme aurait bien pu le convaincre de lire des livres de biologie, ça n'aurait pas fait de lui un docteur pour autant. Lire un livre sur les penseurs grecs lui paraissait un peu inutile, voire absurde, surtout considérant que la vie d'aujourd'hui était loin d'être celle d'avant.

J’esquisse une grimace alors qu’il essaie de m’expliquer ce que je lui demande. C’est dire que je suis déjà plus capable de l’orthographier correctement. Et le pire, c’est que je pige encore moins ce que ça signifie, j’ai déjà paumé la phrase où je l’ai trouvé. Franchement ce bouquin, c’est le sommet de la merde du monde.

Allez, t’as pourtant l’air d’être un gars avec qui on peut parler des heures de trucs comme ça, que je souffle néanmoins à son égard, à sa remarque sur son besoin de coupe de cheveux. Je lui proposerais bien de m’en occuper mais vaut mieux pas, ça serait scandaleusement moche : Mais moins chiants, hein, t’inquiète, que je le rassure très vite. A ma manière quoi.

Je ferme le livre, lassée déjà, en venant le poser sur la table à côté de moi. Lui a de l’alcool, moi du thé, j’ai l’impression d’être dans une galaxie différente. Normalement c’est lui le vieux qui devrait profiter de sa verveine avant d’enfiler ses pantoufles et allait rejoindre bobonne… Et moi qui devrais m’enivrer toute la nuit en me tapant un illustre inconnu. Plus rien a de sens, ça me fatigue.

Je sais pas trop, nouvelle grimace d’incompréhension esquissée, il me pose une sacrée colle : Il est Grec, donc pour lui, c’est le Marvel de son pays tu vois ? On a rien fait de mieux depuis, et maintenant que je dis ça, je me rends compte qu’il vient probablement d’un autre monde, que j’analyse. Ou alors il me veut du mal !

Voilà qui semble beaucoup plus logique quand on y pense ! Je soupire, venant remettre le coussin dans mon dos pour me redresser un peu. Je regarde autour, la distillerie est globalement calme et chacun à rejoint ses quartiers. Sauf ceux qui doivent partager – genre, moi. Maintenant qu’Allia squatte ma piaule jusqu’à la fin des travaux, j’ai qu’à prendre mon mal en patience.

Tu t’ennuies dans ta chambre ? Ou y’a trop de monde avec toi ? Que je lui demande sur le ton de la discussion. J’aurais bien voulu vous fournir plus de place mais nous aussi on est limités en espace, et puis surtout, mieux vaut pas dormir dans l’une de celles qui a de la moisissure au mur quoi. Je suis contrainte de squatter ici parce que Dana ronfle ET prend toute la place dans le plumard qu’on partage, que je râle dans la foulée. Le comble.

"Le Marvel de son pays?" Il souffle du nez, souriant amusé par la remarque. Socrate peut bien se retourner dans sa tombe d'être comparé à Spiderman. Quoique, même s'il n’est pas expert en comics, y a toute l'histoire avec l'importance des responsabilités et tout... Peut-être que ça comporte plus de philosophie qu'il puisse penser. Par contre entre des vieux ennuyeux qui se baladait uniquement d'une toge à longueur de journée et un costume de super héros, le choix est vite fait.

"Honnêtement, je pensais vraiment pas que ça pouvait être important pour un Grec. Je pensais qu'il ne faisait que boire du vin en mangeant des olives." C'était grossièrement stéréotypé, mais d'une certaine façon, ça pouvait l'être autant que d'être un fan de philosophie ancienne. "Je suis américain, c'est pas pour autant que la constitution me sert de lecture de chevet... D'après moi, il te veut du mal ouais." Surtout qu'a priori, elle ne connaissait pas la moitié des mots, alors il y avait sûrement des lectures plus légères pour commencer... Comme le dictionnaire.

Il remarque qu'elle boit du thé, puis pousse légèrement la bouteille dans sa direction avant de lui jeter un coup d’œil et un sourire en coin. Il n'était pas trop tard pour vider son thé par terre et remplir sa tasse d'un peu de poison. La chaleur n'était pas la même, mais la deuxième était plus agréable. Toute façon, il avait toujours été plus café que thé. Une bonne tasse d'eau brune avant d'entamer le travail, il n'y avait rien de plus agréable. Pour le coup, il resterait dans le non verbal, et lui permettrait de prendre la bouteille, si elle le souhaitait.

"Oh ça va. T'inquiète pas avec ça... Toute façon, je dors jamais beaucoup." L'habitude du métier, surtout après avoir lancé son entreprise. Généralement, il se levait très tôt, un peu avant le soleil, et il se couchait très tard, pour travailler sur ses soumissions. Raison de plus pour l’addiction au café probablement. "J'imagine que ça veut dire que tu es obligé de supporter ma compagnie maintenant." Elle faisait défiler les noms dans sa tête... Y avait une blonde, Ruby et l'autre brunette c'était Dana, donc elle c'était Yulia. Il avait une excellente mémoire des visages, mais celle des noms, ça avait toujours été son défaut.

"Yulia c'est... Russe? Ukrainien?" Qu'il lui demande un peu dans la foulée de vouloir poursuivre la discussion dans plusieurs directions. Il était capable d’identifier son nom et ses traits à l'Europe du nord en tout cas. "Y a eu des tas de grands philosophes russes il me semble. Alors je pense pas que tu trouveras les réponses que tu cherches dans des livres poussiéreux.... Si tu cherches des réponses." Il avait fait des guillemets avec ses doigts au mot philosophie. Ça servait à ça la philosophie non? Trouver des réponses? Il cherchait un peu à pointer l'ironie de regarder à travers les yeux d'une autre partie du monde alors qu'elle devrait peut-être regarder plus près de ses racines, voir même simplement ailleurs que dans des livres trop compliqués à lire.

C’est totalement cliché ça, que j’articule en plissant les yeux avant d’éclater de rire.

Je m’attendais pas à ça. Clint a pas exactement l’air d’un gars qui rigole trop souvent, ça explique pourquoi il a pas de rides, par exemple. Alors faire de l’humour – si c’est de l’humour – c’est totalement inédit. J’suis peut-être la seule personne vivante sur cette planète qui ait entendu le gusse dire une bêtise pour plaisanter. Ok, faut pas que ça se perde, je le note dans un coin de ma tête et je renchéris un peu derrière en lui posant une question sincère :

Donc les américains boivent du mauvais whisky en tirant en l’air avec leurs flingues ? et tout en disant ça, j’imite avec mon index et mon majeur un flingue qui tire au plafond avec des petits « pan » très bien imités. Juré, c’est à s’y méprendre.

Il fait glisser jusqu’à moi sa bouteille d’alcool, que je regarde avec une petite moue amusée. Je termina ma tasse – dans laquelle il me reste plus grand-chose – avant d’attraper la contenant pour en verser dans ce qui me sert ici de verre :

Merci, que je souffle discrètement. J’ai au moins besoin d’un verre pour oublier tout ce que je viens de lire et cette tentative de meurtre, il a proposé silencieusement, je vais pas faire davantage de bruit pour lui répondre. Et je dois dire que son alcool réchauffe aussi bien que ma tisane : Ca vient de chez vous alors ? que j’enchaine avec un air taquin.

M’étonnerait qu’ils se soient mis à produire de l’alcool, même si nous on teste les liqueurs de notre côté, on est pas encore sur du gros rendement pour l’instant. Ça viendra, la distillerie va bientôt retrouver ses lettres de noblesse, j’en suis persuadée.

Russe, que je réponds ensuite franchement en hochant la tête. Passons sur les philosophes, c’est pas exactement ce dont je me souviens de mon propre pays : On est surtout connu pour nos régimes politiques, nos sorciers et nos chefs de guerre, je hausse les épaules dans la foulée : On a quelques compositeurs et peintres pas trop mauvais, mais en vrai ce qui se fait en Russie dans les domaines de l’art ou de la philosophie, c’est totalement un autre monde, influencé par la politique russe, ces cultes de la personnalité, et bien d’autres choses au final. J’y ai vécu que deux ans quand j’étais gamine, je suis incapable de te dire à quoi ressemble vraiment Moscou. T’es du coin toi ?