Let's Escape

Pas de signe des agresseurs depuis l'autre jour, ou alors je n'y ai pas fais attention, trop obnubilé par la préparation que m'a complétement imposé Curtis. Je me suis retrouvé au pied du mur, moi qui n'avait pas pris de décision, ni rien préparé depuis le début de l'épidémie. J'ai du mal, ouais, à choisir, à faire, d'habitude je me contente de suivre et de fermer ma gueule.

Alors j'me suis largement inspiré de ce qu'avait préparé Curtis la première fois, sans aucune originalité si ce n'était que j'avais ramené ma guitare en prime. Le feu de camp, les couvertures, à manger, de la musique … On est sur un bon gros cliché, mais ô combien agréable et délicieux. Si normal en ces temps troublés que j'en aurais presque la larme émue à l'oeil.

J'ai terminé le ménage rapidement, le matin, avant de me ruer sur la préparation. Puis j'étais rentré pour me laver, me changer, et attraper les deux bouteilles que j'suis parvenu à dégôter depuis que je suis au No Man's Land.
Arrivé au pied de l'établissement, je tiens plus. Nerveux, fatigué, toujours effrayé que ces connards me tombent dessus, j'ouvre la vodka et la porte à mes lèvres, d'abord pour goûter, avec précaution, n'ayant plus réellement bu depuis un moment, avant d'en avaler un bon shot. Le temps que Curtis arrive, j'ai juste le temps de me détendre un peu.

Et les minutes passent, peut-être les heures aussi. J'suis incapable de savoir l'heure qu'il est dans une journée. Malheureusement, j'ai continué à boire. Et quand le soleil commence doucement à décliner à l'horizon, j'suis affalé par terre, dos appuyé contre la porte, la bouteille au trois quart vidée à côté de moi. Au départ, j'étais bien, porté par les effets salvateurs de l'alcool. Mais j'commence à avoir de sombres pensées, là, tout seul, à la merci de tous.

- Que coño … que j'soupire en attrapant la bouteille.

Je peux pas empêcher toutes ces pensées néfastes de m'accabler. J'me dis que Curtis va pas venir, qu'il est sans doute parti du hangar. Que j'ai trop abusé de lui et de sa gentillesse. C'est sans doute tout ce que je mérite, au final.

- No te lo mereces, j'baragouine encore, me parlant à moi-même.

J'rigole, j'me redresse un peu, péniblement, et la terre tourne autour de moi.

- Ni siquiera mereces vivir, residuos de basura !

Mon rire se transforme en geignement plaintif alors que je me frotte le visage en continuant de marmonner pour moi-même.
Finalement, dans ma semi-conscience, j'me dis que c'est sans doute l'heure et que je devrais sans doute monter sur le toit.

J'me mets sur mes jambes en grognant, sans lâcher ma bouteille, en me maintenant sur le mur, et parvient à rejoindre le premier étage sans me briser la nuque. Pourtant je me relaisse tomber quand je me retrouve devant l'obstacle à enjamber. Une pause. Une pause, et je le fais après.

Sunset, no regrets
First chance, last dance
Stuck in the middle
Even I've got it, not gonna lie
You taste so sweet it hurts a little



Je brûle d'impatience et d'appréhension. Depuis que je lui fais ma proposition pour notre petite soirée, je tente de me persuader que cette fois je vais gérer au mieux. Ne pas dire, ne pas faire de conneries. Maître de moi-même et de mes émotions pour qu'on puisse passer un moment parfait en toute insouciance. Je refuse cependant de me dire qu'il aura réfléchi et que j'aurai droit aucune réponse à ma question. Me faire trop d'espoirs c'est pas bon, bien trop souvent ils deviennent de faux espoirs et je me retrouve à la case départ. Non mes intentions sont tout autre pour ce soir et je prie pour qu'elles ne volent pas en éclat à l'instant où je vais poser les yeux sur lui. Travail de persuasion, conditionnement. Inspiration, expiration et certitudes. Il paraît que parfois le conditionnement ça fonctionne. Je l'espère sincèrement. Je suis bien décidé à tenter d'y voir plus claire sur ce qu'il se passe entre nous à la fin de cette soirée.

J'ai rendez-vous pour un deal une demi heure avant de devoir le retrouver. Ça aurait pu se jouer sans problème si le gars ne m'avait pas fait un mauvais plan. Quinze minutes de retard et il me dit que pour me payer il faudra que je le suive à sa planque parce qu'il pas ce qu'il faut avec lui. Si j'en avais pas besoin pour rejoindre Dany , j'aurais jamais accepté. Je l'ai suivi pour récupérer mon paiement que j'ai enfui précieusement dans ma poche. Je regarde ma montre et je constate que je suis en retard de déjà vingt minutes quand je me mets à courir comme un possédé. S'il partait en pensant que je lui ai fait faux bonds ? Ou s'il ne venait pas du tout ? J'accélère et pousse ma course le plus que je peux avant d'arriver enfin devant le bâtiment. Je pose mes mains sur mes genoux, essoufflé, et je tente de reprendre un minimum de consistance. Pas le temps. Rouge et transpirant, je me dirige à l'intérieur, non sans jeter un coup d'œil aux alentours. Personne. C'est bon.

Je me jette à l'intérieur et entame d'enjamber les obstacles que je connais par cœur. Je viens souvent ici. Je sais quand lever le pied ou baisser la tête et ce même dans l'obscurité naissante de la fin de journée. J'arrive au premier étage, toujours aussi pressé quand un obstacle inattendu me bloque la route. Je me prends les pieds dans je ne sais quoi. Pas eu le temps de voir et je m'éclate de tout mon long dans les escaliers montant vers le toit. La marche en plein dans les côtes, le genou explosé. Je parviens à me protéger la tête en atterrissant et je pousse un cri enragé face à la douleur et la frustration. Qu'est ce qui peut bien avoir changé dans cet itinéraire? Je me redresse en grognant et pose les yeux sur un Dany affalé par terre. Je me suis pris le pied dans ses jambes. Pris de panique, je me demande s'il est blessé et je rampe jusqu'à lui. En arrivant à sa hauteur je sens directement les effluves d'alcool qui émanent de lui. Il est défoncé. Je sers la mâchoire. A cause de moi ? Parce que je suis en retard? Ou c'est un moyen pour lui de tenter de lâcher prise et de pouvoir me parler ? Ou encore plutôt un moyen de fuir toute conversation qui pourrait l'embarrasser ? Je ne sais et je ne sais pas si j'ai vraiment envie de savoir. Je passe une main lentement sur son visage.

Dany ! Ptain pourquoi tu t’es mis dans cet état là ?

Je suis mal placé pour lui en vouloir vu l'état dans lequel j'étais le soir où nous nous sommes rencontré. Pourtant, je peux pas m'empêcher de me dire qu'a cette époque je lui devais rien et que jamais ce soir je me serais pointé ici dans un tel état. Je me redresse difficilement alors que la douleur me tiraille les côtes et le genou. Je glisse mon bras sous le sien et attire son poids vers moi.

Viens. De l’air frais, ça te fera du bien.

Et tout en enjambant les obstacles avec difficulté je l’emmène jusqu’au toit en espérant qu’il puisse reprendre ses esprits.

Ma pause s'éternise un peu, mais j'en ai même pas conscience. Ce qui me ramène à moi, c'est ce truc qui me bouscule brutalement. Je sais qu'il me faut un certain temps avant d'émerger de ma contemplation béante de l'escaliers, mais j'ai quand même un sursaut quand je vois cette silhouette s'étaler devant mes yeux.
Un juron en espagnol m'échappe alors que je culpabilise soudainement de m'être mis dans cet état. Je percute pas de suite qu'il s'agit de Curtis – alors que ça ne pouvait qu'être lui, bien sûr -, et j'ai peur, d'un coup.

Mais très vite, je reconnais son visage, et un sourire un peu lointain se dessine sur le mien.

- Curtis ! T'es … t'es v'nu !

Je lui tapote la joue de ma main avant de grimacer un peu en sentant la douleur dans ma jambe. De mon autre main, je me masse la cuisse endolorie par le choc précédent.

- Aah mais tu m'as fais trop mal …

Je hausse les épaules, d'un air faussement nonchalant quand il me pose cette question, et mon regard s'abaisse vers la bouteille qui gît à côté de moi, comme si je l'accusais de m'avoir influencer.

- Ah ben j'en sais rien, pourquoi que j'suis dans c't'état ! Demande-lui à elle ! C'est elle la coupable !

Mon regard, un peu rieur, un peu vitreux, se rebraque sur Curtis, et je me laisse porter par cette euphorie nouvelle qui remplace la fatigue et toutes les mauvaises émotions qui m'accablaient jusqu'à présents. Il est là. Tout va bien. Il ne peut rien m'arriver de mal.

Je grogne quand il m'attrape pour me mettre sur mes jambes et m'agrippe à lui comme un noyé à sa bouée. Désequilibré, je manque de retomber aussi sec.

- Ca va … ça va … ça va je .. j'arrive tout seul …

Je refoule un haut le cœur mais malgré mes mots, je le lâche pas. Mes doigts sont crispés sur ses vêtements. Doucement, tout doucement, on évolue. Et ça me paraît encore plus difficile que la fois précédente.

- Tu m'as manqué angelo …

Un petit rire m'échappe, mais je me coupe tout seul et un hoquet horrifié le remplace alors qu'on arrive en haut :

- J'ai oublié ma bouteille ! Faut aller la chercher sinon on va me la voler !

La porte s'ouvre, l'air frais me fouette alors, et j'oublie aussitôt la bouteille. Ici, je connais bien. On est loin de tout, on est en sécurité.
Fièrement, je le lâche pourtant tout doucement pour reculer en titubant un peu. J'écarte les bras de chaque côté de mon corps pour lui désigner mon petit travail de la journée. Rien de transcendant pourtant. Mais j'en suis tout ravi.

- T'as vu ! J'ai toout bien fait pour nous !

Je ris encore et chancelle jusqu'à lui pour lui pincer les joues de mes deux mains.

- T'es trop beau toi !

- Curtis ! T'es … t'es v'nu !

Il a donc eu un doute que je vienne. Est-ce que ce serait pour ça qu'il a bu ? Je devrais me sentir coupable ? Oh et puis non, il est bien assez grand pour savoir ce qu'il fait sans que je doive en prendre la responsabilité. Ou la culpabilité. Je sais que c'est en partie légitime de sa part après lui avoir dit que j'allais partir, mais c'est tout autant légitime de ma part d'avoir pensé que lui aussi n'aurait jamais pu venir. Et pourtant nous sommes là tous les deux. Certes ce ne sont pas les retrouvailles idyllique qu’on aurait pu espérer, mais venant nous je ne suis même pas surpris. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.

- Aah mais tu m'as fais trop mal …

Et moi alors ? Je me demande même si je ne me suis pas cassé une côte. Je suis encore sous l'adrénaline de la chute et je ne parviens pas réellement à connaître l'ampleur réelle de ma blessure. Il est certain que je risque au minimum d'avoir un putain de bleu. Et sur le genou aussi.

Désolé ! Avoue que t’aurais pu avoir une meilleure idée que de te déguiser en marche d’escalier pour me surprendre…

Je lui demande alors ce qui lui a pris de se mettre dans cet état et mon regard suit le sien lorsqu'il se pose sur la bouteille d'alcool.

- Ah ben j'en sais rien, pourquoi que j'suis dans c't'état ! Demande-lui à elle ! C'est elle la coupable !

Je plisse les yeux, mais ne relève pas ses paroles. Putain quand ce n'est pas de sa faute il en prends toute la responsabilité et quand c'est la sienne il trouve toutes les excuses. Ce ne serait pas lui que ça aurait eu le don de m'énerver. Magnifique incohérence.

- Ca va … ça va … ça va je .. j'arrive tout seul …

Sauf que non ! Et je le laisse s'accrocher à moi sans retenue alors que je lutte de nos deux poids sur mon genou blessé. Je grimace et sers la mâchoire alors qu'il ne tient pas bien sur ses jambes.

- Tu m'as manqué angelo …

Mon cœur manque un battement dans ma poitrine et un sourire vient remplacer la grimace de douleur. Je lui ai manqué. C'était un peu le but en le laissant planté comme ça l'autre fois. Je suis plus que ravi de constater que ça à fonctionner et plus encore qu'il est prêt à me l'avouer même si c'est une confession alcoolisée. J'en veux bien d'autres comme ça.

J'ai oublié ma bouteille ! Faut aller la chercher sinon on va me la voler !

Ce serait pas plus mal en vérité. Je ne suis pas convaincu qu'il ai besoin d'en rajouter une couche. Pas tout de suite en tout cas. Il semble l'oublier aussi vite et c'est tant mieux. Il s'écarte de moi et je maintiens mes mains en avant le temps d'être certain qu'il ne va pas basculer et s'éclater par terre. Il écarte les bras et je contemple alors la copie de notre première « vraie » soirée. J'en attendais pas plus, et c'est parfait au détail près de son état actuel.

T'as vu ! J'ai toout bien fait pour nous !T'es trop beau toi !

Il me pince les joues et je me laisse faire en laissant échapper un petit rire. Tous me plans s'écroulent, mais tant que je peux passer un moment avec lui je réalise que j'en ai pas grand-chose à foutre. Et s'il tes dans cet état va falloir faire avec. Je l'attire contre moi et pose un baiser sur son front.

Tu m’a manqué toi aussi ! Et t’est plutôt mignon dans ton genre. Merci d’avoir tout préparé.

Mais pas merci d'avoir fini mort bourré. Je suis face à deux options et je crois que j'ai déjà fait mon choix alors que mon regard se pose sur une autre bouteille d'alcool. Je relâche Dany et pars la chercher pour l'agitée devant lui.

Toi t’y a plus droit pour le moment ! Être bourré tout seul c’est drôle ni pour toi ..quoi que…ni pour moi...Je propose que tu me laisse quelques minutes pour te rejoindre dans cet état..

Je lui souris et l'attire vers les couvertures pour qu'il s'installe. Ce serait pas le moment de basculer du toit. Je ne sais pas si je fais le bon choix et j'ai bien l'intention de tenter de garder un peu de contenance pour qu'on ne soit pas tous les deux incapable d'agir en cas de besoin, on verra bien. Le self contrôle c'est pas toujours mon fort. Je dévisse le bouchon de la bouteille et en vide de larges gorgées dans ma gorge. Je fouille dans ma poche et effleure des doigts ce que j'ai pour lui dans ma poche. Ce n'est pas le bon moment. J'en sors mon paquet de clope dans lequel j'ai un joint déjà roulé que j'allume aussitôt. Je pense avoir une plus grosse résistance que lui et il va me falloir un peu de temps pour arriver ne serait-ce que à la moitié de son état. Ça tombe bien bien on à tous le temps devant nous. C'est pas ce que j'avais en tête, mais un peu d'insouciance ne peut définitivement pas nous faire de mal. Je me glisse doucement a côté de lui tout en grognant de douleur et je bois une nouvelle gorgée avant de recracher en l'air la fumée. Je tourne enfin la tête vers lui.

Alors monsieur on ne tient pas bien l’acool ?

J'ferme les yeux le temps de profiter son chaste baiser, et j'lui offre un sourire rendu mou par l'alcool.

- J'sais que j'suis mignon, hé !

Je le bouscule gentiment, un peu plus brutalement sans doute que ce que je voulais puisque je manque de tomber au passage.
Il agite la bouteille et je me rends compte alors qu'il va se mettre une mine juste pour faire comme moi. C'est pas bien, ça, non ? Je l'influence mal !

- Non mais t'es … t'es pas obligé … Et j'suis pas si bourré t'sais … J'peux aller bien … J'ai juste …

J'secoue la tête et soupir en me grattant la joue, mais déjà il m'emmène jusqu'aux couvertures. Sans me faire prier, je me laisse tomber dessus, mais mon attention se relève immédiatement vers lui qui a déjà commencé à boire. J'essaie d'attraper la bouteille qu'il vide un peu trop rapidement à mon goût :

- Héééé doucement ! Te rends pas malade !

J'ai un éclat de rire qui s'apparente un peu à un aboiement à sa dernière invective. Me redressant sur un coude, je hausse un sourcil et le détaille des pieds à la tête. J'essaie de trouver un truc intelligent à dire, mais rien ne vient, alors je me contente de lever ma main à hauteur de son visage et de lui toucher le nez du bout de l'indexe :

- Boop !

Et j'ris mollement, levant mon visage vers le ciel qui se teinte de ces couleurs que j'adore. Mon bras se lève, et j'contemple ma main, mes doigts, que je plie, déplie, distraitement, maintenant ma tête de mon autre main, coude au sol.
Je gonfle mes poumons d'airs, retiens un instant ma respiration, avant de laisser les paroles exploser au bord de mes lèvres, sans grande retenue :

Gooo down, let’s go down, lets go down,
Don’t you want to go down and wriggle on?
Have a sing along, put some pickles on and play the Mellotron.

J'agite un peu mes épaules au rythme de ma musique, avant de vivement attraper la bouteille de Curtis en me redressant et d'en descendre un gorgée. Anticipant une réaction de sa part, je plaque mon autre main contre son buste.
Provocateur, j'souris.

Gooo dooown, let's go doown, let's go dooown,
Don't you want to come down and wriggle on ?

Sans doute que l'alcool m'aide à me faire sentir si bien.

- Tu restes sage okay ? Et tu partage ! Il reste de la vodka dans l'autre, aussi ! Que t'as abandonné là-bas !

Je hausse les épaules en mode 'et ouais mon gars'. J'vois flou, j'suis obligé de garder mes yeux plissés, mes sens sont ramollis, mais c'est pas grave. Rien de grave.

- J'peux fumer aussi ? Allez, on échange !

J'sais que j'suis mignon, hé !

Sans blague ! Et c'est un euphémisme, je me laisserais bien aller à dire qu'il est sexy as fuck. Mon regard glisse sur lui alors qu'il titube en s'éloignant de moi. J'aurais presque envie d'en profiter, mais je n'en fais rien. Il compte beaucoup trop pour moi pour que je me permette d'agir comme un con.

Non mais t'es … t'es pas obligé … Et j'suis pas si bourré t'sais … J'peux aller bien … J'ai juste …

Oui, oui c'est ça on n'y crois. Pour le sortir rapidement de cet état la seule chose envisageable c'est un gros coup de flippe. Une bonne dose d'adrénaline dans les veines,un coup de fouet le ramener à la réalité. Je n'ai aucune envie de lui imposer ça. Je pense qu'il est largement préférable que je le rejoigne à mi-chemin. Agir comme des gamins. Comme s'il n'y avait pas de lendemains ni de conséquences. Bien trop souvent quand je finis défoncé c'est pour fuir quelque chose pas pour le simple plaisir de se détendre. Ce qui est bien moins malsain au final. Je doute par contre que ce soit ce genre de raison qui ai conduit Dany à se mettre dans cet état. La roue tourne.

Héééé doucement ! Te rends pas malade !...Boop !

Je me laisse aller à rire quand son doigt viens se poser sur le bout de mon nez.

Il m’en faut beaucoup plus que ça pour être malade.

Il devrait le savoir. Ce premier soir quand il m'a trouvé dans la ruelle, j'avais ingéré bien plus que ça et oui j'étais en total indignité, mais pas malade. Je me perds quelques secondes à repenser a cette soirée. Je n'aurais jamais imaginé que cette rencontre prenne tellement d'ampleur dans ma vie. Qu'est ce qu'il se serait passé si je ne l'avais pas rencontré? J'en suis à la fois tellement reconnaissant, mais un peu amer aussi. Mon regard se pose sur lui alors qu'il contemple sa main en l'air. Si seulement je pouvais tout lui faire oublier. Si seulement il pouvait s'ouvrir à moi, me laisser prendre la place qui est la mienne. Pourtant, je continue à lutter sans jamais trouver les clefs pour ouvrir ses portes. Je détourne les yeux et tire une nouvelle taffe. Il commence à chanter et je l'écoute tranquillement. Il a une belle voix. Pas de doutes qu'il aurait tout démonté s'il en avait eu la chance. Je fais tout mon possible pour prendre bien les choses et faire avec tout ça, avec ce soir. Au fond, j'ai mal au ventre. Je ne veux pas tout gâcher, mais je ne sais pas combien de temps je vais supporter tout ça. Qu'il souffle le chaud puis le froid sans que je sois capable de trouver ou me positionner dans cette histoire. Il vient saisir la bouteille tout en posant sa main sur moi et je n'ai pas le courage de l'en empêcher. Même si ça me fait chier, il a bien besoin de lâcher prise. Au pire s'il fini par dégueuler ses tripes ça ira mieux après.

Tu restes sage okay ? Et tu partage ! Il reste de la vodka dans l'autre, aussi ! Que t'as abandonné là-bas !J'peux fumer aussi ? Allez, on échange !

Je secoue la tête.

C’est toi qui n’est pas assez sage.

Je me penche sur lui et lui prends la bouteille dans la main avec facilité. Il est bien trop défoncé pour être vif. Je lui adresse à mon tour un regard provocateur avant de boire à nouveau plusieurs gorgées pour finalement poser la bouteille à côté de moi, hors de sa portée.

Tu devras me passer sur le corps si tu en veux encore.

Une pointe de défis dans le regard. Je me doute bien que ce n'est pas ça qui va l'en empêcher, mais avant qu'il puisse réagir je pose à mon tour une main sur son torse. De mon poids, je le fais légèrement basculer vers l'arrière et j'approche mon visage du sien. Je porte le joint à mes lèvres et tire un longue taffe avant de venir poser mes lèvres sur les siennes et de souffler la fumée entre ses lèvres. Ma langue vient ensuite se glisser entre ses lèvres, caressant la sienne avant de venir lui mordre la lèvre inférieure. Je me recule doucement. Il a beau être défoncé, j'ai tout autant envie de lui. Je me redresse, lui dévoilant mon dos. Qu'il ne puisse pas voir mon regard perdu. Je ne sais pas quoi faire. Je pourrais me laisser aller à profiter de ce moment. Je garde pourtant toujours en tête qu'on ne maîtrise tellement rien que ça pourrait être la dernière fois. Je me retourne brusquement et me penche à nouveau sur lui. Mon visage qui se pose contre sa mâchoire, profonde inspiration de son parfum et mes dents qui se serrent. Oh tant pis ! Tentons le tout pour le tout, au pire il ne s'en souviendra même pas dans quelques heures . Au mieux son état le poussera à être sincère sans s'encombrer du reste.

T’as réfléchis a ce que je t’ai demandé ?

- J'suis toujours sage ! C'est pas moi le bad boy entre nous !

Un grognement m'échappe quand il récupère la bouteille. Rapide, le Curtis. Mon air boudeur se détend aussitôt à sa provocation et j'ai un sourire en coin, mutin, prêt à relever le défi.
Mais il m'en laisse pas le temps, et je me fige quand il approche son visage du mien, sans perdre mon sourire. Je me mords la lèvre en fixant les siennes tandis qu'il tire sur son joint pour m'en faire profiter les effets, de la meilleure manière qui soit.
Une chaire de poule descend le long de mes bras durant notre baiser enfumé. Bordel … Si peu, et pourtant mon cœur s'emballe déjà. Les effets du joint me monte rapidement à la tête, j'ai un moment d'absence ou je le fixe intensément, même s'il me tourne le dos.

Ma main se glisse dans mes cheveux, distraitement, avant de passer le long de son dos décoré de tatouages. Je toussote un peu la fumée en détournant le visage, mais Curtis revient vers moi de nouveau. Mon menton se redresse naturellement pour lui offrir mon cou, qu'il inspire profondément. Une décharge me prend dans le creux des reins. Ce simple contact. Sa simple présence. Ça devrait être interdit.

Je fronce finalement les sourcils à sa question et je le dévisage longuement, incapable de remettre le doigt dessus. Dans une moue pensive, je tente :

- Pourquoi je me suis mis dans cet état ?

L'expression de son visage me prouve que c'est pas ça. Je lâche un 'hm' pas satisfait, avant d'ouvrir la bouche, mes souvenirs revenant à moi.

- Ah ! Ah ouais … hm … ouais …

Je balance la tête en arrière et lâche un grognement, comme si ma mère venait de me demander de ranger ma chambre.

- J'sais paaaaaas …

Je laisse la note planer un moment avant de fermer la bouche pour en lancer une autre.

- C'est trop compliquééé …

Et j'ai déjà du mal à mettre des mots sur mes pensées quand je suis sobre, actuellement c'est comme si je pataugeais dans des sables mouvants.

- Si je te dis que … genre … tu mérites pas d'avoir quelqu'un comme moi dans ta vie … Tu m'croiras pas et tu te diras que j'te sors le discours habituel. Mais pourtant ! Pourtant c'est vraiment ça en vrai … j'ai … j'suis pas … rah mais tu sais … je te l'ai déjà dis …

Je me redresse et me frotte le visage. Papillonnant des paupières pour tenter de reprendre un peu contact avec la réalité, je renifle un grand coup.

- J'veux pas t'infliger ce que je suis et ce que j'ai vécu, voilà. Parce que c'est sale. J'suis sale. J'm'écoeure, tu le sais, ça ? J'me dégoûte. Et .. vraiment, sincérement, j'aimerais pouvoir te dégoûter. Et si j'veux pas que tu me touche …

Mes lèvres se retroussent en une moue écoeurée. J'en dis trop. Je sais qu'il finira par savoir, qu'il doit sans doute se douter de tout ça, déjà, mais le dire une bonne fois pour toute, ce serait comme faire un bond dans le passé. Ce serait comme repartir dans ma cave, le revivre et le ressentir.

- Je te fuis pas parce que je veux pas de toi, tu sais.

Je me mets lentement à quatre pattes et j'étire mon corps au-dessus de celui de Curtis, tendant le bras pour essayer d'attraper la bouteille, en vain. Il ne semble pas décider à me laisser boire.
Alors je geinds un peu et je me laisse doucement glisser jusqu'à ce que mon ventre se pose sur ses jambes et que je sois allongé ainsi, sur le ventre, dans cette position pas franchement confortable.

Mes bras se croisent devant mon visage que je fourre une seconde dedans. Mon cerveau décide que cette conversation est trop difficile et menace de me mettre dans un état, et quand j'ouvre de nouveau la bouche, c'est pour de nouveau pousser la chansonnette, toujours caché :

Heeey hooo, where did you go ?
Did you wriggle or roll ?
Did you giggle or grumble throoooooough ?