Du coup le toit, faut le mettre à la fin, c’est ça ? souffla Connor en reposant l’objet au sol, qu’il tenait tout seul depuis de longue minute en attendant une réponse de ses partenaires.

Tout autour du château qu’ils tentaient de construire proche de la caravane de la fille d’Isha, il y avait quasiment tout le campement. Sur le sol, ils avaient étalé un grand tapis vert qui faisait une drôle d’imitation d’herbes, sur lequel Gemma n’aurait aucun mal à se rapper les genoux. A côté, le coffre a jouets commençait à se remplir progressivement. Chacun avait fait l’effort de chercher lors des sorties pour le faire déborder, mais un tri s’imposait : il y avait beaucoup de trucs qui ne donnaient vraiment pas envie de s’amuser avec, ou qui mériteraient de finir plutôt en isolation dans un laboratoire tellement ça donnait l’impression de porter des maladies improbables dessus.

J’y pige que dal à ce plan, quand vous avez récupéré le château c’était le seul truc qu’il y avait ? soupira Connor en retournant le livret qu’il tenait de son autre main. Il posa le toit, tourna les pages, tenta de retrouver les éléments, et abandonna en balançant le livret sans vergogne : J’vais gonfler les ballons, assura-t-il.

Il n’aurait jamais su quoi faire d’autre, et de toute façon, c’était à Isha de parvenir à faire aboutir ce projet. Avec lui, l’ambiance était toujours extrêmement tendue, et ils ne s’étaient pas adressés la parole plus que nécessaire depuis son retour contraint et forcé au camping. Ce fut près de Seth que Connor se trouva, s’installant sur une des chaises de jardin pour soupirer à nouveau. Le soleil ne tapait pas tant que ça – tout du moins il ne faisait pas extrêmement chaud – et pourtant, sa peau encore pâle était en train de rougir à force d’être dehors. Ça n’allait pas s’arranger.

Il entama une brève conversation avec Seth, pas forcément hyper intéressante, sur le gonflage de ballons, sur comment les attacher ensuite, sur s’ils s’amusaient vraiment, avant que la voix de Bruce ne s’élève en lui annonçant qu’il y avait quelqu’un au portail. Connor se raidit, se tourna vers l’afro-américain et se leva dans la foulée :

J’y vais, assura-t-il. Il ne mit que quelques minutes à rejoindre l’entrée où se trouvait en effet Valérian derrière la grille. Un sac sur l’épaule, une mine fatiguée, et sans un mot il lui ouvrit pour le laisser rentrer : Tu tombes bien, on a besoin d’aide pour monter le château de la princesse, fit-il avec un sourire accueillant.

Il était parti tôt ce matin-là, après avoir passé des jours à ressasser les mêmes pensées, les mêmes rancoeurs. Ce jusqu’à ne plus être capable de discerner une pensée cohérente au sein de ce raffut intérieur et de perdre le fil de ses propres idées. Le grec était incapable de garder le cap à la distillerie et il lui semblait que les murs de celle-ci l’oppressaient de plus en plus, comme s’ils rapetissaient de jour en jour et l’empêchaient de garder la tête hors de l’eau. Installé à son bureau, Valérian avait le sentiment d’étouffer et d’être constamment confronté à ses échecs. Il avait besoin de prendre le large. Ce besoin était flagrant et lui donnait l’impression d’une bouffée d’air en suspens, qui lui aurait permis de chasser la confusion de son esprit et d’y remettre un certain ordre.

C’était lâche et il en avait bien conscience. Mais ce recul lui était nécéssaire. Il avait besoin de faire ce pas en arrière pour mieux contempler l’intégralité du tableau et ainsi prendre les meilleures décisions possibles concernant Ruby et Joaquin. Tout du moins, l’espérait-il.

Alors que l’aube pointait le bout de son nez, Valérian avait préparé ses affaires, prévenu Markus et Dana qui étaient de garde - sans cependant s’épandre sur les raisons de sa sortie, ni sur la durée de son absence - puis quitté la distillerie. Le grec avait ensuite erré un moment dans les rues désertes de Seattle, indécis quant-à sa destination. La proposition de Connor lui revenait constamment à l’esprit. Pourtant, Valérian rechignait à l'accepter. Il n’y avait pas à dire : il s’était comporté comme un con en compagnie de Connor. Et pourtant, celui-ci lui avait tendu une main secourable au moment où il en avait eu besoin. Un geste dont Valérian ne parvenait pas à comprendre le désintéressement et qui, par conséquent, le mettait mal à l’aise.

Après avoir déambulé un long moment, ses pas avaient finalement conduit Valérian au campement de Connor, puisqu'il n'avait, en définitive, nulle part ailleurs où aller. Ce dans la mesure où importuner Elena au sujet de ses problèmes était absolument hors de question et que traîner indéfiniment seul dans la nature aurait été plus dangereux qu'autre chose. Il s'était donc résigné à accepter l'offre du sportif - quoique franchement honteux à l'idée de lui demander une fois de plus son aide.

Alors qu’il patientait à l'entrée du campement, Valérian vit tout à coup Connor approcher et lui adressa une grimace contrite : « Si ta proposition tient toujours, j’aurais bien besoin de rester quelques jours. » lui souffla t-il presque à contrecoeur. La réponse de Connor le fit cependant papillonner des yeux d’un air dubitatif : « Le château de la princesse ? » répéta t-il, les sourcils froncés, sans comprendre ce que le sportif voulait dire par là.

Intrigué, le grec suivit Connor dans le campement, déposa ses affaires dans un coin, puis s’approcha du reste du groupe auquel il adressa un signe de tête. Au milieu de tous ces hommes, dont la plupart était grands que larges d’épaules, étaient éparpillées les pièces colorées d’un château de fillette qui, semblait-il, causait beaucoup de contrariété à l’ensemble du groupe : « Un château de princesse. » constata alors Valérian, toujours aussi perplexe, avant de jeter un regard malicieux à Connor : « Une simple caravane m’aurait suffi, tu sais. »

C’était étrange de voir Valérian ici, mais sans relever sa demande et l’aspect coincé de son visage lorsqu’il la formula, Connor hocha simplement la tête. Il était le bienvenu ici, et il serait accueilli correctement en tout cas. Lui faisant un signe du chef, tous deux se rapprochèrent finalement de la construction, où Donovan se promenait avec le toit au-dessus de la tête pour faire quelques exercices de musculation tout en ne montant absolument pas le château. Pour tout dire, tous ici étaient en train de saturer : les murs tenaient le choc, vaguement, ils n’arrivaient pas à monter les volets et la porte au bon endroit – Bruce avait tenté en tout cas mais à l’envers – et les tourelles leur donnaient beaucoup de fil à retordre.

La petite ligne d’humour que Valérian lança arracha un sourire à Connor. Il avait en effet une caravane qui lui revenait, dans laquelle Archibald pénétra armer d’un balai, quand Bruce l’invita à ne pas hurler s’il voyait des araignées. L’adolescent n’était pas forcément le plus courageux du lot, mais il faisait de son mieux pour gagner sa place au milieu de tous ces tas de muscles :

On a préparé les petites robes aussi, si tu veux aller les essayer, se moqua gentiment le blond alors que Bruce les retrouvait.

Son sourire se fit plus franc. La compagnie de Bruce avait toujours tendance à le mettre en joie, comme si les choses avec son ami étaient plus faciles. L’afro-américain accueillit Valérian avec son bagou habituel et le blond intervint dans la foulée pour préciser quelques points :

Je lui ai proposé de se joindre à nous s’il voulait se sortir la tête de l’eau, expliqua-t-il. Après tout, n’étaient-ils pas une véritable colonie de vacances dans le coin ? J’ai revu Valérian a la taverne, et sa gueule de bois aurait fait passer Pinocchio pour un vrai petit garçon, souffla-t-il.

L’instant d’après, Donovan reposa le toit, tenta de monter le château, fit presque basculer l’un des murs et Connor dut intervenir pour le visser à nouveau en conséquence. Ce montage était catastrophique, il ne fallait pas s’en cacher, même si Alan était là pour aider avec son sens logique :

Ok, ça tombera pas ! fit-il avec une pointe de soulagement en se reculant, rangeant le tournevis : Vous voulez faire une pause, les mecs ? proposa-t-il. Lle thé de Bruce ne pouvaient pas attendre.