Ils ont refait surface.

Cela fait un peu plus d’une semaine que nous avons retrouvé leur trace, une semaine que je rumine et que je m’impatiente ; faisant de mon mieux pour refouler cet esprit revanchard qui m’anime depuis le premier jour, depuis que ces connards ont osé s’en prendre à mon groupe. Des mois que nous menons l’enquête, ponctuellement aidés d’Anton. Finalement, notre patience et nos efforts ont payé, ces fils de pute ont pris le risque de se pointer au No Man’s Land… Eux aussi ont visiblement été touchés par les récentes épidémies. Une grossière erreur qu’ils paieront, c’est certain…

Alors en fin de matinée, je décide de réunir tout le monde dans le grand salon de l’hôtel. Une fois que nous sommes tous là, je fais un léger signe de la tête à Kerwan, lui seul est pour l’instant dans la confidence. L’ancien agent immobilier a été d’une aide précieuse au cours des derniers mois, nous avons souvent cherché des informations concernant ces hommes ensemble. Prenant une profonde inspiration, je parcours brièvement l’assemblée avant de prendre la parole. « Si je vous ai demandé de venir ce matin, c’est pour vous annoncer qu’avec Kerwan, nous avons retrouvé les hommes qui nous ont donnés la farine qui nous a empoisonné en avril dernier. » Le son de ma voix est grave et je fais de mon mieux pour rester impassible, ne montrant pas cette colère qui m’anime depuis des mois. « Nous avons enquêté depuis des mois. Et nous sommes certains de savoir où ils se cachent. Avec l’aide d’Anton, nous avons pu retrouver leur trace. » L’aide apportée par l’ancien chasseur de primes a été déterminante et nous serions probablement toujours au même point sans lui.

Je regarde ceux qui me font face, observant leurs réactions. Mes yeux s’arrêtent sur Jane. La fillette est également présente et je ne peux m’empêcher de me sentir mal en évoquant à nouveau les événements tragiques qui ont emporté sa sœur. Je lui adresse un sourire, à peine perceptible, me voulant pourtant rassurant. Cette fois, ils ne feront de mal à personne… « Je suis conscient que ce n’est pas la priorité en ce moment… Certains d’entre nous peinent à se remettre de la maladie des dernières semaines. Mais nous devons décider ensemble du sort que nous leur réservons. » Je reste convaincu que ces types doivent payer pour ce qu’ils ont fait. Mais… Je n’ai pas l’intention d’embarquer les autres là-dedans… Sans avoir leur avis sur la question.

Les réunions comme celles-ci, le groupe n’en avait plus fait depuis un moment. Ça n’était pas qu’ils n’en avaient pas envie, c’était que l’occasion ne s’était pas représentée. Il y avait pourtant toujours à discuter, mais pas qui pouvait impliquer de le faire avec tout le monde. Si Kendale prenait cette peine, Emerson savait que ça n’était pas pour du vent – il ne pouvait pas se permettre de faire perdre du temps à tout le monde. Exceptionnellement depuis le début de l’épidémie qui touchait tout le monde au No Man’s Land, tout le monde était d’ailleurs au refuge. Chose qui n’était pas gagnée considérant que les Barnett avaient été obligé de beaucoup s’activer sous la tente médicale.

Emerson ne pouvait pas dire. Elle allait mieux, progressivement. La fièvre avait drastiquement baissé, le traitement qu’avait fourni les New Eden y était pour beaucoup. Sans eux ? Difficile de savoir comment ils s’en seraient sortis, mais la blonde n’était pas dupe : pas aussi bien qu’aujourd’hui. Elle ressentait pour eux une profonde gratitude, un véritable soulagement également. Le fait de ne pas avoir à compter davantage de morts la rassurait profondément.

Enfoncé dans son fauteuil, elle avait laissé Sean à son sommeil, même si elle devrait le réveiller bientôt, scrutant chacun des membres. A côté d’elle, Hannah était à portée de discussion, mais elles n’eurent pas le temps d’échanger de trop puisque Kendale posa les bases du sujet. Ceux qui les avaient empoisonnés. L’ambiance semblait se charger, comme du plomb dans l’air. Si elle n’articula rien sur le moment, elle ressentit comme l’effet d’une boule dans son ventre, un nœud violent qui lui serrait également la gorge.

Kendale disait vouloir savoir ce qu’ils en pensaient. Savoir ce qu’ils voulaient faire. Elle connaissait déjà la réponse de certains – notamment Hayden qui avait perdu lourdement durant cet événement… Mais elle n’était pas de ce bord-là…

De quoi on parle alors ? Demanda-t-elle dans un premier temps en fixant Kendale : De Justice ou de Vengeance ? S’enquit-elle.

Elle savait que c’était un mélange des deux. Mais elle sentait aussi vers lequel tout ça flirtait.

Kaycee observa les autres présents dans la pièce. Elle se sentait fatiguée. Elle n'était plus vraiment malade pourtant, mais l'intensité de ces dernières semaines l'avait laissée sur les rotules. A vrai dire, depuis même le départ de Vaughn de la tente médicale, ils avaient du redoubler de travail. Ce n'était pas une vie. Ce n'était en tout cas pas celle qu'elle voulait, mais passons. S'ils étaient réunis aujourd'hui, ce n'était pas pour aborder cet aspect-là – le moment viendrait – mais pour annoncer qu'après d'interminables recherches, ils avaient enfin une piste sur l'endroit où trouver ceux qui les avaient si profondément blessés quelques mois auparavant. Pour tout dire, la petite blonde avait commencé à espérer qu'ils ne referaient simplement jamais plus surface. Car elle n'avait pas besoin d'entendre son père ou Hayden répondre à la question de sa mère. Calée dans le canapé, à côté de Jimmy, elle fronça un sourcil.

- Ensemble ? J'croyais que vous aviez une idée bien précise de ce que vous vouliez leur faire. Ça aurait changé ? Elle regardait notamment son père, car leur apiculteur ne cacha pas ses intentions. « Sans pitié ». Elle ne voulait pas être mêlée à ça. Je sais qu'on pourra pas vous convaincre, alors laissez-nous en dehors de ça, ok ?

Son regard coula un instant sur Jane. Elle lui avait dit qu'elle était libre de ressentir pour ces meurtriers ce qu'elle voulait. Vouloir leur mort était naturel, elle ne jugeait pas Hayden pour ses propos violents. Aucun d'entre eux n'était à sa place pour comprendre. Mais il n'y avait pas de mal non plus à ne pas leur en vouloir complétement. Cette vengeance après laquelle certains courraient... elle ne soulagerait réellement personne.

- J'imagine que le plan serait de s'en charger rapidement ? Une piste, mieux valait la suivre tant qu'elle était encore chaude. Vous croyez que c'est vraiment le bon moment ? Elle n'avait pas besoin de ça en plus. Sans parler du risque. Il n'y aurait aucun bon moment pour perdre un de leurs compagnons, mais disons que celui-ci était peut-être le pire de tous. Entre les pluies qui avaient mis à mal de nouveau leurs plantations, leur foyer, les épidémies. Cette expédition lui paraissait d'autant plus absurde.

Avec Kendale, les deux hommes étaient au courant de tout. Ils avaient eu vent des types qui s'en étaient pris à eux, et ils s'étaient même montrés. Au vu des circonstances, cela avait été assez dur pour les deux de ne pas se charger d'appliquer eux même la vendetta, sans en parler à personne. Mais avec ce qu'il s'était passé récemment, d'autres problèmes avaient été plus importants. Mais maintenant, il fallait que tous les autres soient au courant de leur découverte. Les voilà donc tous deux dans le grand salon, côtes à côtes. Le grand brun regardait les gens arriver petit à petit, les bras croisés. Il leur faisait un signe de tête en guise de salutation, la mine assez grave. Pour le moment, l'heure n'était pas vraiment aux réjouissances.

L'ancien agent immobilier laissa le chef parler, l'écoutant attentivement. Une fois qu'il eut fini son discours, les autres commencèrent à parler à leur tour et Kerwan se contenta, pour le moment, de les écouter attentivement. Comme à ce que les deux pensèrent, les réactions divergeaient. Celles des deux dames Barnett, évidemment, étaient plutôt négatives. A l'inverse, Hayden était même presque "enchanté" de savoir qu'il pourrait déverser toute sa vengeance sur les connards qui ont complètement détruit sa vie ; c'était le cas de le dire. Au bout d'un moment, il se décida à prendre la parole avant que quelqu'un d'autre ne le fasse.

- Kendale et moi comprenons parfaitement vos réactions, nous y avons pensé. Notre but n'est pas de vous inciter à participer, mais de vous tenir au courant des faits actuels. Nous savons que ces connards se cachent ici, à Seattle, et notre but premier est de les empêcher de recommencer. Quoiqu'il arrive, sachez que Kendale et moi allons nous occuper de cette affaire. Ceux qui veulent se joindre à nous sont les bienvenus. Il marqua une pause pour regarder Hayden avant d'hocher la tête en signe d'approbation. Il finit par reprendre. Notre but aujourd'hui, c'est de savoir ce que nous faisons d'eux. Personnellement, je suis d'accord avec Hayden : il faut qu'ils servent d'exemple. Il faut que tous comprennent que nous ne nous laissons pas faire, que nous savons nous défendre. Si ça ne tenait qu'à nous, on se serait déjà occupés de ces types. Mais foncer tête baisser ne sert à rien, c'est contre-productif.

Il regarda ensuite Kaycee puis Emerson, toujours les bras croisés. Il s'adressait notamment à elles lorsqu'il mentionna sa dernière phrase. Les trois hommes étaient plutôt du genre impulsif, ce qui n'était clairement pas bon pour un un tel "objectif". Et, dans une situation aussi tendue, il savait qu'elles avaient la tête suffisamment froides pour mieux réfléchir et penser qu'eux.

- Le problème, c'est que si nous n'agissons pas rapidement, ils est fort probable qu'ils recommencent à frapper fort. C'est maintenant qu'il faut les attaquer, par surprise, car ils ne sont pas au courant que nous connaissons leurs identités.

Les premières réactions se font entendre. Et je ne peux pas m’empêcher de lâcher un soupir d’agacement quand c’est au tour de Kaycee de s’exprimer. Gardant mon calme, je me contente de lui répondre. « Que je sache, je n’oblige à rien. Ceux et celles qui n’ont pas envie d’en être, vous avez parfaitement le droit de ne pas être mêlés à tout ça. Et personne ici ne vous en voudra ! Il est simplement question de savoir qui est partant ou pas… » Après avoir éclairci les choses, je me contente d’écouter Kerwan préciser certaines choses. Puis je reprends à mon tour. « Evidement, nous devons régler cette histoire au plus vite. Mais pas sans nous organiser. C’est pourquoi j’ai besoin de vous pour que nous élaborions le meilleur plan pour se charger d’eux en prenant le moins de risque possible… » Je suis conscient du risque que cela représente, et qu’il y a de fortes chances pour que cela dégénère. Néanmoins, je reste convaincu que c’est ce que nous avons de mieux à faire…

Surpris par le choix de Luisa, je jette un regard à Kerwan avant de gratifier la jeune d’un léger sourire. Mais si elle veut vraiment se joindre à tout cela, je n’ai pas mon mot à dire. Alors je poursuis mes explications, donnant plus de précisions sur les hommes dont nous aurons à faire. « Concernant les informations que nous avons réussi à obtenir sur eux… Il s’agit apparemment de deux gars qui viennent d’un groupe de pêcheurs basé à la Parkshore Marina, constitué de cinq ou six personnes. Néanmoins, je ne suis pas en mesure de vous dire si tout le groupe a participé ou non à l’empoisonnement de la farine que nous avons récupéré. » Cela rend évidemment le plan délicat… M’en prendre à des innocents ne me plaît pas vraiment. Mais je n’ai aucun moyen de le savoir… C’est pourquoi je préfère être clair et honnête avec les miens. « L’idée serait de faire ça d’ici deux ou trois jours. J’aurais besoin de quelqu’un pour m’accompagner avant, pour repérer l’endroit et les observer de loin… Histoire de ne pas avoir de mauvaise surprise le jour-j. » Je garde un air grave. Peu enchanté à l’idée d’avoir à faire ça… Malheureusement, nous n’avons pas le choix. Et le plus tôt sera le mieux…