Le ménage, j'commence à connaître. Et pour être tout à fait honnête, c'est doucement l'activité qui commence à me taper sur le système, alors qu'au départ, quand j'étais au No Man's Land, j'étais ravi. Parce que c'était la première activité que je reprenais après mes années de galère. À présent que d'autres opportunités s'offrent à moi, où je me rends compte qu'il est possible pour moi de faire quelque chose de ma vie, même durant cet apocalypse, ben ça me lasse. Mais j'sais en même temps qu'on est obligé, tous, de passer par là pour redonner à la Cage de sa superbe.

Alors j'm'applique. Le matin, je suis là de bonne heure, quand j'arrive à me réveiller. Vaughn est bien moins sur mon dos qu'avant, alors il est plus simple pour moi de faire la grasse matinée. Et j'arrive facilement à corrompre Curtis pour qu'il reste avec moi. J'avoue, parfois, je joue un peu de mon charme naturel. Mais … c'est seulement pour partager un peu plus de temps avec lui.

Loin des tourments qui m'étouffent la nuit, j'arrive à la Cage avec mon sourire habituel et mon enthousiasme. J'crois que je suis chaque jour un peu plus ravi que le précédent d'être encore vivant, et plus précisément d'avoir survécu à mes nuits d'enfers.

Je constate l'absence de monde pour l'instant, m'efforce de ne pas remarquer les quelques personnes tout de même présentes pour aller me poser cinq minutes et … sur les gradins, une silhouette. Une jolie silhouette que je pourrais reconnaître entre mille.

- Nina !

Un rire m'échappe alors que Max vient joyeusement à ma rencontre. Pour autant, j'ai en tête ce que m'avait dis Curtis, comme quoi elle n'était pas au top de sa forme en ce moment. Je ne peux que la comprendre, et ça me fait plaisir malgré tout de la voir, même si je regrette de ne pas avoir pu être plus présent pour elle.

Sa salutation ne m'arrête pas dans mon enthousiasme. J'ai vécu bien pire, ce n'est pas un regard froid et une voix morne qui va m'arrêter. C'est avec tendresse que je passe mes bras autour d'elle pour la serrer fort fort contre moi, dans l'optique, peut-être, de lui offrir un peu de ma force vitale.

- Hola guapaaaaa !

Je m'écarte d'elle mais garde mes mains posées sur ses épaules. L'une d'elle remonte jusqu'à son visage pour lui pincer les joues. En effet, elle n'a pas l'air des plus heureuses.

- Tu m'as manqué ! Ça me fait plaisir de te voir !

Je finis par la lâcher pour apporter mon attention sur Max qui n'en finit par de sautiller autour de moi.

- Ooouh mon gros pépère ! Toi aussi tu m'as manqué !

Mon genoux se pose au sol pour mieux m'occuper de lui.

- Tu seras toujours la plus jolie pour moi, je chantonne après lui avoir pincé les joues.

Et ça me fait de la peine de la voir si taciturne. Malgré mes propres tourments et souffrances, je fais parti de ces gens qui seraient capables d'aspirer, si c'était possible, ceux des autres. Ceux de mes proches. Nina en fait partie, même si on ne s'est pas vu depuis quelques temps maintenant.

Alors que je fais la fête avec Max, sa voix s'élève encore, et mon dos se raidit brièvement. Je déglutis, garde mon attention sur l'animal.

- Oui, j'ai vu. C'est chaud.

Oui, c'est la seule phrase que je veux bien lui offrir à ce sujet, même si ça semble froid ou désintéressé.
Tout le monde est au courant, de toute manière, mais qu'est-ce que je peux dire ? Est-ce que je dois en être outré ? Énervé ? Certes, cette nouvelle m'attriste. Mais … J'essaie de me protéger. De protéger ce qu'il reste de sains à l'intérieur de ma tête, et ça veut dire me détacher de certaines choses. La Taverne en fait parti. J'ai du mal, mais Curtis et Vaughn sont toujours là pour m'aider.

Je finis par me redresser totalement et venir poser mes fesses à côté de Nina. Je ramène mes jambes en tailleur – exercice compliqué avec le peu d'espace sur les gradins – et je me ferme un peu. De toute évidence, mon amie n'a pas envie de s'ouvrir. Pire : je commence à avoir l'impression que chacun de ses phrases sonnent comme un reproche, et je ne comprends pas.

- Hm... Oui, j'ai eu de la chance. C'est Vaughn qui a été recruté. Je faisais parti de ses bagages, donc ils m'ont accepté aussi. J'ai pas encore trouvé ma place ou mon utilité, mais … ça va venir. Il le faut.

Sinon, ce sera retour à la rue pour moi.

J'ai un sourire un peu terne, un peu amer à sa dernière remarque, et je baisse une seconde le nez vers mes converses.

- On fait avec, que je souffle dans un haussement d'épaules. Y'a pas le choix, de toute manière, pas vrai ? De faire avec. C'est ça ou on meurt.

Mon visage se penche un peu vers elle et son joli profil. Voyant qu'elle ne se déride pas, je balance un peu mon corps de son côté pour la pousser doucement de mon épaule. Un petit soupir m'échappe et je me mordille une seconde la lèvre inférieure, sans pouvoir m'empêcher de culpabiliser de la voir comme ça.

- Hey … je sais que c'est difficile, tout ça, tout ce qu'il se passe, et tout et tout … Mais moi je t'oublie pas. Même si on se voit pas beaucoup. C'est... trouver sa place. Reprendre une vie … « normale ». C'est tout nouveau pour moi, tu sais. Mais j'oublie pas tout ce que t'as fais pour moi. Et si t'as besoin …

Je prends une grande inspiration et mon regard se perd dans la contemplation de la Cage. Si t'as besoin, quoi ?

- Je suis pas un grand survivant, mais je peux être une oreille attentive.

Et je lui offre un petit sourire.

Ça me fait de la peine d'entendre ça sur Mallowe. Elle avait tenté de m'aider, fut un temps. J'avais admiré sa force et sa détermination. D'après les dires de Nina, personne n'échappait aux tourments de la survie. Ça ne m'aide pas vraiment à relativiser, d'entendre ça, quand on constate que même ceux que l'on considère comme les 'forts' peuvent baisser les bras, d'une certaine manière. Comme si ça consolide la partie de mon cerveau, la partie sournoise qui me susurre chaque jour 'à quoi bon'.

Je mentionne Vaughn. À sa question, je fais une moue un peu mutine et je hausse une épaule.

- Vaughn va bien, de ce que je vois et de ce qu'il me dit. Mais … tu le connais un peu. Tu sais qu'il est du genre à rien dire. Enfin … moi, en tout cas, il me dit rien. Rien de ce qu'il pense réellement.

Ça me fait toujours un peu de peine de constater que Vaughn ne me confie rien à son sujet alors qu'en retour, il connaît sans doute toute ma vie en long et en travers. J'sais pas si c'est parce qu'il ne me fait pas confiance ou juste parce qu'il est pudique. Mais j'suis sûr qu'au fond, il va moins bien que ce qu'il montre. Malheureusement … j'crois que je suis pas assez crédible dans le rôle d'oreille attentive pour qu'il ose s'ouvrir à moi.

Finalement, j'm'installe à côté de Nina et la bouscule doucement pour la faire réagir.

- « Huum ? », je la copie, moqueur, exagérant ma mimique dans une bouche en cul de poule avant de m'hasarder sur un terrain plus glissant.

Elle se confie, brièvement. Mon visage se tourne vers la Cage, mais j'écoute chacun de ses mots avec attention.

- Oui … je vois.

Je pince les lèvres et baisse les yeux vers mes doigts. Je gratte le vernis noir que je me suis risqué à appliquer sur mes ongles il y a deux jours et qui fait déjà bien la gueule.
Mon visage oscille de bas en haut.

- C'est qu'une question de jours avant que la Cage ne puisse rouvrir, je souffle, même si je suis rarement emballé à l'idée de la voir aller se battre. Et j'suis sûr que ça finira par s'arranger. Que tu finiras par te relever. T'es forte, guapa. J'admire ta force, tu sais ?

Ma main se lève vers son visage. Je lui caresse la joue du dos de mon indexe et lui offre un sourire. Si j'avais ne serait-ce qu'un tiers de sa force …

- Je sais que Curtis vient régulièrement te voir. Il me parle beaucoup de toi. Lui aussi, t'admire. On est là pour toi. On te laissera pas tomber. Et c'est pas parce qu'on se voit pas tous les jours qu'on t'oublie.

Je suis vaguement au courant du lien solide qui unit mon compagnon à mon amie. Loin de m'en agacer, ça me rassure. Parce que les deux ne peuvent que s'apporter de bonnes choses. Se soutenir.