J’ai encore du mal à y croire, à me dire que j’ai réussi à me tirer du camp. Personne a réagit quand je suis sortie de sa caravane en tapant mon meilleur sprint, personne a réagit en voyant le sang que j’avais sur les mains, sur mes fringues. J’étais déjà à des centaines de mètres quand je les ai entendus crier, quand je les ai entendus hurler. C’était l’une des pires journées de ma vie. La première fois que je faisais du mal à un homme, mais aussi la première fois que je me retrouvais officiellement seule. Pas d’Edgar pour me protéger, pas d’Hughie pour me dire quoi faire et comment.

J’ai réussi à m’en remettre, à garder la tête hors de l’eau. J’ai trouvé des paquets de gâteaux qui me donnent un mal de bide pas possible... je crois qu’ils sont périmés, mais ils restent mangeables... avec de l’eau de pluie, on sent presque pas le goût bizarre qu’ils ont. Je me suis débarrassé de mes fringues qui puaient la sueur, qui étaient colorés de sang contre un pyjama... le plus beau pyjama que j’ai jamais vu, une combinaison licorne. Elle est un peu trop grande, je sens que je flotte un peu dedans... mais c’est confortable, et ‘faut dire que ça tient bien chaud aussi, surtout lors de ces nuits bien trop froides, bien trop sombres que je passe seule.

Hier, j’ai trouvé une licorne. Enfin, pas une vraie, mais une peluche. Juste à côté du rayon des pyjamas bien poussiéreux mais qui semblait pourtant intact, comme si avant d’se tirer, les gens doutaient de la nécessité d’un pyjama... J’m’en fous, ça m’en laisse plein pour moi. Elle était sous plastique, toute belle, toute rose avec des genres de paillettes sur sa corne toute brillante.

J’ai pas hésité à la prendre quand je l’ai trouvé... J’étais sur le point de rentrer, près du port de Seattle. J’étais en train de fouiller quelques voitures... L’un des trucs les plus simples à faire (suffit de péter une vitre) mais aussi l’un des plus dangereux (leurs alarmes chiantes), mais j’ai pas trouvé grand-chose. Fallait que je me magne parce que la nuit allait tomber, mais aussi parce que j’ai vu quelques rôdeurs traîner pas loin. Sauf qu’à un moment, bah... ils étaient pas que « quelques », ils étaient beaucoup trop. J’ai laissé la licorne sur la banquette arrière de la berline, et je me suis tirée... hors de question que je la perde, que je la fasse tomber et que je remette plus la main d’ssus... elle est neuve !

Comme prévu, j’y suis retournée aujourd’hui. En plein début d’après-midi, j’ai pas vu énormément de rôdeurs... c’était le moment parfait pour ça. Mais qu’est-ce que j’ai pas vu traîner dans la voiture ? Un homme ! Pas un rôdeur, nan, un vrai homme, genre un humain. J’étais encore à une dizaine de mètres quand j’ai vu la voiture bouger dans tous les sens, il s’en extirpait.

J’ai avancé sur la pointe des pieds pour le surprendre, mon p’tit pistolet à billes (en plombs, hein !) en l’air... Il lève les mains, le grand monsieur. Il a l’air de vouloir coopérer... il veut discuter, ça m’intéresse pas. « Nan nan, on discute pas, tu m’donnes la licorne ! »

Les sourcils froncés, le viseur en direction de sa belle gueule... ce serait dommage de l’abimer, hein ! Surtout pour une peluche. « C’est la mienne... tu voles pas un truc qui t’appartient pas. » C’est la vérité, en plus, la vérité vraie... pour la partie sur le vol, par contre, j’vais pas revenir dessus... voler, c’est un peu devenue ma spécialité, mais aussi celle d’à peu près tout le monde. « J’vois même pas ce qu’un grand garçon comme toi peut faire avec une licorne, en plus... » Et qu’il me dise pas qu’il regardait My Little Pony... je saurais lui poser les bonnes questions pour savoir s’il ment ou non. Rainbow Dash, je vais te sauver du vilain monsieur, je t'le promets...