Ce jour était un grand jour ! J’allais enfin faire partie d’une vraie colocation ! J’allais enfin avoir ma propre chambre, une maisonnée, et le confort qui allait avec. Ça ne faisait que deux mois que j’étais arrivée au sein de Fort Ward, dans ce camp qui abritait le fameux groupe des Remnants, et pourtant, je m’étais déjà adaptée au confort de l’endroit. J’aimais tout particulièrement le bar, où je prenais des cafés et des chocolats, et aussi, l’eau chaude. Oh oui, l’eau chaude ! Et je pouvais enfin reprendre mon travail de médecin, avec des outils presque aussi variés qu’avant cette apocalypse. Bon, je ne disposais pas de tout le matériel de jadis, mais je n’avais pas à me plaindre. Il y avait ce qu’il fallait pour pouvoir prendre en charge des patients légèrement et lourdement blessés, les anesthésier localement ou généralement, et réaliser des prises en charge correctes. C’était gratifiant, vraiment !

Et puis, il y avait le laboratoire. C’était un vrai bijou, compte tenu de l’époque actuelle ! J’y avais fait mon entrée, mais on m’a fait comprendre qu’en tant que médecin, je n’étais pas une vraie chercheuse, et mes tâches ne sont pas les plus gratifiantes… Mais bon, je crois comprendre que c’est comme cela que l’on se fait un nom, et une place. Et s’il faut passer par une période d’ingratitude pour prouver aux autres que je suis capable, motivée, et que j’ai les capacités de les aider, alors soit ! De toute manière, j’ai vécu pire, et je ferais ce qu’il faut pour gravir les échelons – si l’on peut parler d’échelons.

Mais donc, aujourd’hui, l’heure est au déménagement. Ou à l’emménagement. A vrai dire, je n’ai jamais réellement su utiliser ces deux mots. Mais généralement, un déménagement est suivi d’un emménagement, alors, j’ai tout bon. Je pense.

Equipée d’un sac-à-dos et d’une valise, j’avais eu de quoi ranger le peu que je possédais : des vêtements, des chaussures, un plaid, des produits d’hygiène, des restes de maquillage, et quelques objets personnels que j’ai réussi à sauver jusqu’ici. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient, ça non. C’était important d’avoir des photos, des petits mots, de petits artefacts et autres reliques d’une vie passée.

Ainsi équipée, je m’avance en direction du perron où m’attend celui qui devait être un de mes nouveaux colocataires. Je n’avais pas eu d’information le concernant, donc, il fallait que je me montre amicale, souriante, et surtout, simple ! Inutile de l’impressionner tout de suite ! Il aurait le temps de voir mes défauts, de toute manière. Je souris alors, plissant légèrement les yeux dans une mimique parfaitement contrôlée feintant le plaisir d’une nouvelle rencontre, lorsque soudain, mon interlocuteur se lève et manque de tomber devant moi. Sa peau blêmit légèrement, et son regard est un peu vague au moment de la presque chute, mais il se ressaisit bien vite, et tente de reprendre constance, quand bien même il semble légèrement perturbé, déstabilisé, en témoigne ses hésitations et silences.

Plantée devant lui, je joins mes deux mains à hauteur de ma taille, sur l’anse de ma valise mise debout devant moi. Dans une telle posture attentiste, droite, je me veux moins imposante, moins présente aussi, légèrement effacée, avec un grand sourire comme pour lui signifier « t’inquiète pas, tout va bien ! ». Finalement, toujours souriante, je penche légèrement la tête, et lui réponds :

- Hum.. Hello ! Tu t’es pas fait mal ? Tu t’es levé trop vite hein ? Je fais une moue compatissante, un peu mignonne. Moi, c’est Evelyn ! Je suis ici que depuis deux mois… Et toi, parles moi un peu de toi ? Oh, ne te fais pas de soucis. J’alterne mimiques surprise, bouche en « o » et mimiques compatissantes et douce. Je peux porter tout ça ! Heum… Que dirais-tu de me faire visiter ton palace ?

Il a l’air si gêné, le pauvre. On a l’air d’être de la même génération, et pourtant, on dirait que je suis la grande sœur, et lui, le petit pot-de-colle d’à peine neuf ans. Il est chou, malgré son air effrayé et pataud. Je ne devrais peut-être pas me la jouer séductrice, ça à l’air de le déstabiliser… Mais en même temps, s’il est déstabilisé, il réagit avec son véritable visage, et… Je me garanti une certaine position avantageuse, supérieure, disons. Je prends l’ascendant. C’est donc avec un sourire doux et de petits yeux plissés et pétillants, que je réponds à sa première question.

- Oh, ça va ! J’ai déjà ma place au dispensaire, et peu à peu, je fais ma place ! Merci beaucoup de m’accueillir chez toi ! Il ne me manquait plus que cela pour me sentir… Chez moi. Il réponds ensuite à mon autre question, parlant un petit peu de lui. Je prends une posture d’adolescente, sac devant tenu à deux bras se rejoignant devant ma taille, appui sur le côté gauche, visage légèrement déporté à gauche et mimique concentrée, mêlant sourires et acquiescements. Oh ! Un geek donc ! Trop cool ! J’ai jamais rien compris aux ordinateurs… Mais les gens comme toi m’ont toujours impressionnés ! Moi ? Heum… Eh bien, j’ai fait beaucoup de sport pendant ma jeunesse, de la gymnastique et de la course principalement, et j’ai été à l’école médicale de Harvard. Et j’en suis sortie médecin anesthésiste réanimateur, quelques mois avant que tout parte en… Enfin, tu vois quoi. Je lui offre mon plus beau sourire. A présent, nous ne sommes plus des inconnus ! Second grand sourire, suivi d’une petite frimousse joueuse.

Nous entrons bien vite, mes bagages à la main. Il a l’air… Pressé soudainement. J’entre donc, repose mes affaires, me retourne, et regarde Cole s’activer avec un regard à la fois curieux et à la fois perdu, jusqu’à-ce qu’il se stoppe enfin, et débute une présentation.

Il commence la présentation des lieux. La cuisine, le salon qui fait aussi bibliothèque… Je jette un coup d’œil, et voit les quelques armoires emplies de livres. Ça me plait beaucoup, j’adore lire ! Ensuite, la salle de bain avec de l’eau chaud… ça, c’est un luxe ! Oh ça oui ! Et la chambre, au fond à droite, face à celle de Cole. Hum… Il faudra que je pense à éviter de sortir en culotte. Il a l’air déjà déstabilisée alors que je suis habillée, alors qu’est-ce ça serait, s’il me voyait en string ficelle ? Ou nue ?! J’avoue que l’idée me fait rire, intérieurement. Extérieurement, mon sourire se fait plus grand, alors que je m’imagine la scène, mais je redeviens sérieuse alors qu’il me demande quelle salle je veux visiter. Bouche en « o », regard allant de droite à gauche…

- Oh eh bien… Je veux bien que tu me présentes ma chambre ? Comme ça, je m’y installe, et dès que je suis prête, je te rejoins au salon autour d’un thé ou d’un café ? Qu’en penses-tu ? Enième sourire, évidemment.

L’apparente faiblesse du jeune homme, m’arrache quelques sourires et quelques moues résolument séductrices, ainsi qu’une attitude résolument manipulatrice. Oui, je sais, c’est un de mes défauts… On m’a souvent reprochée, par le passé, d’utiliser n’importe quel moyen pour arriver à mes fins – souvent pour gravir les échelons. Séduire pour faire baisser la garde, plaire pour émousser les sens, devenir amie par intérêt… Je ne pense pas être fière de cet aspect de ma personnalité, mais parfois, il faut faire ce qu’on peut pour sortir du lot.

Car cela a souvent été le problème des femmes. Une femme est vue comme fragile, un petit être à protéger, une âme sensible qu’il faut préserver de la violence du monde. Un corps qui se voûte rapidement sous la pression que l’on peut lui mettre. Si vous saviez combien d’hommes et de femmes m’ont dévisagé lorsque j’ai souhaité devenir médecin ! Rien que d’y penser, je ressens à nouveau cette colère que j’avais ressentie jadis. Alors, parfois, il faut que nous utilisions nos petits avantages pour pouvoir obtenir ce que nous voulons, ce que nous méritons. Après tout, les hommes utilisent leurs engins pour procréer et asseoir, parfois, leur autorité, et ils utilisent leur force pour obtenir ce qu’ils veulent. Moi, je pense que je peux utiliser mon minois pour avoir ce que je veux aussi.

Toutefois, j’avoue que mon faciès enjôleur et mon attitude résolument ouverte, s’estompent tous deux lorsqu’il me parle de ce vaccin anti-zombi, qui lui a fait faire une crise une fois. Quand je suis arrivée ici, j’avais effectivement entendu des rumeurs et quelques paroles de ci de là, mais rien de très concret. Alors, ce groupe a effectivement tenté de trouver un vaccin. Quelque peu renfermée devant cette information, cogitant intérieurement, je lui offre une moue dubitative mais manifestant une compréhension et un accord, alors qu’il me propose de m’installer et revenir ensuite.

Nous nous séparons donc, et, après quelques mètres dans le couloir, j’entre dans ce qui allait être ma chambre, dorénavant. Tout était plutôt propre. Les draps, le lit, le matelas, les meubles. C’était comme revivre dans cette petite chambre pendant mes études. Bon, à 35 ans, il y aurait eu de quoi avoir un peu honte, mais étant donné le monde dans lequel nous vivons, je crois que je peux m’estimer heureuse. Et heureuse, je le suis, de toute manière. Du coup, c’est parti ! Posant ma valise sur le lit, je l’ouvre, et sort un à un mes vêtements : chemisiers, blousons, vestes, pantalons divers, sous-vêtements, chaussettes, chaussures, et je place le tout correctement dans mon armoire, qui est très vite classée selon le type de vêtements. Mes sous-vêtements, évidemment, vont dans un petit tiroir, ce qui est nettement plus discret. Il faudrait vraiment que je m’en retrouve d’autres, ceux-là sont vraiment basiques. Enfin bref ! Quelques bouquins, quelques petits trucs persos, et voilà ! Et au bout d’une dizaine de minutes, je suis installée. C’est cosy, finalement !

Je ressors, referme la porte, et me présente de nouveau face à Cole. Mains dans les poches, un peu gênée maintenant que je suis officiellement sa colocataire, je m’installe, et, dans un sourire, tente de le remercier.

- La chambre est vraiment cool ! Merci beaucoup ! Il y a des choses que je dois savoir sur l’organisation de la maison ? Les tours de ménages, de lessives, ou quoi que ce soit d’autre ? Oh ! C’est mon café ? Merci !

Offrant mon plus beau sourire, j’agrippe la tasse et, de mes deux mains, profite de la chaleur pour me réchauffer, et du goût pour me réveiller. Heureusement que cette boisson existe ! Que ferais-je sans !