C’est soulagée que je sors de la maison de Madame Phelbs. Après des semaines de convalescence, l’avocate m’a annoncée que les médecins lui avaient donné le feu vert pour reprendre son poste d’ici une semaine. Elle m’a remerciée pour le travail effectué avec Layla durant toute cette période avant de m’autoriser à rentrer bien plus tôt que d’habitude. Une très bonne nouvelle qui va me permettre de tirer un peu le frein, faut dire que je n’ai pas arrêtée depuis son hospitalisation forcée. Je me suis impliquée à cent pour cent pour ce travail et je suis touchée qu’elle l’air remarquée.

Après quelques minutes de marche, j’arrive finalement devant la porte de la colocation. Cela ne fait que quelques jours que je suis revenue m’installer là. Suite à ma rupture avec Nathan, il devenait difficile pour moi de cohabiter avec le pâtissier, me sentant coupable de l’avoir quitté car il semblait vraiment être attachée à moi. Mais je sais que ma décision n’a pas été prise sur un coup de tête. Cela aurait certainement été beaucoup plus difficile si je n’avais pas eu le courage de le faire tout de suite. Alors je suis passée voir Casey il y a quelques jours pour lui en parler. Et j’ai finalement réintégré la maison… Nous ne sommes pas encore totalement réconciliées avec ma sœur, mais c’est sur la bonne voie, je pense…

Tout semble donc s’arranger pour moi. J’espère que d’ici quelques jours je reprendrai un rythme plus tranquille et que j’aurais le temps de me reposer un peu. C’est ce que je compte faire ce soir d’ailleurs, en profiter. Depuis combien de temps n’ai-je pas pris le temps d’ouvrir un livre ? Juste prendre le temps de lire ? Trop longtemps selon moi. Cela se voit d’ailleurs, que je suis éreintée. J’ai d’énormes cernes sous les yeux, les traits tirés, le teint pâle. Mais qu’importe, je suis heureuse d’avoir pu m’occuper des affaires importantes pour le compte de l’avocate, le temps qu’elle se remette sur pied. Tout s’est plutôt bien passé et je pense que j’ai gagné des points niveau crédibilité. Ceux qui ne m’écoutaient pas vraiment avant, n’ont pas eu d’autres choix que de le faire et j’ai réussi à m’imposer un peu plus.

Lorsque je rentre dans la maison, j’accroche mes affaires au porte-manteau dans l’entrée avant de rejoindre le salon. Je jette rapidement un œil dans la pièce, vérifiant que Bella n’a pas fait trop de bêtise. La petite chienne dort paisiblement dans son panier. Bien, elle n’a pas l’air d’avoir fait de bêtises aujourd’hui. Je souffle doucement soulagée. Puis sans faire vraiment attention, je me rends jusqu’à la cuisine avec l’idée de me préparer un thé. Quand une voix m’interpelle, je sursaute, relevant finalement les yeux. « Salut Eddie ! Qu’est-ce que tu… » Il ne tarde pas à me répondre. Mon s’arrête sur la bouteille qu’il a dans les mains. « Non ça ira. Merci. Je vais me faire du thé. Ce… Ce n’est pas vraiment l’heure pour ça. » Je fronce légèrement les sourcils, hier aussi j’ai l’impression de l’avoir vu se servir quelques verres. Alors peut-être que je ne me gêne pas pour lui faire une petite remarque, l’air de rien… Inquiète de le voir boire – sûrement un peu trop – depuis quelques temps. Mais je ne dis rien de plus, ne voulant pas le contrarier…

« Attends, donne-moi ça avant de tomber. » Dis-je finalement en m’avançant vers lui pour récupérer la bouteille et l’aider à descendre de son perchoir. Il ne faudrait pas qu’il se blesse davantage. D’autant plus que ma chienne ne tarde pas à venir dans nos pieds, sautillant jusqu’à mettre ses pattes sur le bord de la chaise. « Bella, panier ! » Je m’exclame fermement, suffisamment pour qu’elle écoute et s’exécute. Elle commence à se calmer un peu, et heureusement. Affichant finalement un léger sourire, je me retourne vers mon colocataire avant de lui demander « Tu ne veux pas un thé plutôt ? »

Je vois bien que cela ne lui fait pas forcément plaisir quand je lui fais remarquer que ce n’est pas vraiment l’heure pour un verre. En même temps… Je ne peux pas faire comme si de rien n’était. Dans son état, je ne pense pas que ce soit recommandé ; ça n’a pas l’air de le tracasser plus que ça pourtant. C’est surtout ça qui m’inquiète… Quant à sa remarque sur le fait que ça serait du gâchis de ne pas y toucher, je prends sur moi pour ne rien dire de plus mais il doit bien voir, dans mon regard désapprobateur, que cela ne me plaît pas…

J’affiche finalement un léger sourire quand il accepte que je lui prépare un thé, m’activant déjà pour mettre de l’eau à chauffer. Puis quand il me demande si mon visage va mieux, je me retourne vers lui quelque peu étonnée. « Mon visage ? » Ce n’est qu’après quelques secondes de réflexion que je réalise « Ah oui…Oh mon nez a été douloureux longtemps mais ça va maintenant. Je crois que la marque sur ma joue ne partira pas par contre… » Elle ne se voit pas plus que ça et de toute façon, maintenant qu’elle est là, je ne peux pas y faire grand-chose. L’important c’est que je sois en vie, que ce banquet ne soit plus qu’un mauvais souvenir. Comparé à ce que Clyde a fait subir à Madame Phelbs, je n’ai pas à me plaindre.

Sortant deux tasses du placard, je déchire l’emballage de deux sachets de thé que je place dans chacune d’elle. Je tourne à nouveau la tête vers Eddie lorsqu’il me dit être heureux de me voir. « Moi aussi. » Je lui accorde un sourire plus franc. Il est vrai que nous ne nous sommes pas croisés souvent durant les mois précédents ; depuis mon départ de la colocation à vrai dire. La plupart du temps c’était dans le cadre du « travail » jamais pour discuter simplement. « On a été pas mal occupé tous les deux ces derniers temps… Mais… Je suis contente d’être de retour ici, de vous revoir tous… » Avec Casey, les choses s’arrangent doucement. Je ne regrette pas d’avoir pris sur moi pour venir jusqu’ici pour lui parler… Même si je dois avoir eu l’air d’une pauvre fille désespérée en lui annonçant que j’avais quitté Nathan et que je ne pouvais pas continuer à vivre avec lui… Ma sœur aurait très bien pu refuser que je revienne. Je suis pourtant soulagée qu’elle ait acceptée.

« Va t’installer dans le salon. Je t’apporte ton thé si tu veux. » Dis-je au militaire tout en servant l’eau bouillante. Une fois que c’est fait, je le rejoins dans la pièce d’à côté, m’installant sur le canapé à ses côtés après avoir posé les boissons fumantes sur la table basse. Je me relève brièvement en remarquant que je me suis installée sur quelque chose, l’un des jouets d’Esther. Je souris avant de le poser à côté de moi puis je relève les yeux vers le brun pour lui demander « Et toi ? Comment ça va ? Les journées ne sont pas trop longues ? Tu arrives à récupérer physiquement ? »

Lorsqu’il dédramatise la situation, je ne peux m’empêcher de sourire. Il a certainement raison. Le monde dans lequel nous vivons est impitoyable et il est évident que nous devrons faire face à de nouvelles menaces tôt ou tard. Mais je me considère tout de même chanceuse comparé à lui ou même à Nathan qui devra vivre avec le souvenir de cette affreuse nuit, toute sa vie. Pourtant sans eux, sans ces hommes et ces femmes qui se dévouent pour assurer notre sécurité, qui se battent pour nous… Sûrement que nous serions tombés depuis longtemps.

Alors quand il me fait part de son impatience, de son envie de reprendre le travail, je lui accorde une légère moue désolée. « Oui, je sais ce que c’est… Je ne suis pas restée longtemps au dispensaire après mes blessures mais c’était déjà trop long pour moi. Surtout avec tout ce que j’ai à faire… » Et heureusement d’ailleurs car peu de temps après, je me suis retrouvée à gérer l’intendance avec Layla, le temps que June se remette de ses blessures. Mais peut-on comparer mon travail et celui du militaire ? J’affiche un léger sourire, presque tendre avant de lui conseiller « Mais tu devrais faire attention quand même, d’accord ? Moi je passe la plupart du temps à remplir des dossiers, à rencontrer du monde… Ça n’a rien à voir avec ce que tu fais, toi. Tu as besoin d’avoir un corps correctement remis si tu ne veux pas te retrouver encore blessé. » Ma main s’est posée sur son avant-bras pendant que je parlais pour lui montrer que je tiens à lui et qu’il ne doit pas faire de bêtises. Je repense alors au début de notre discussion alors qu’il était perché sur sa chaise, à la recherche d’alcool. Le fait de devoir rester au repos ne semble pas lui faire du bien. J’ai m’impression qu’il se terre peu à peu dans la boisson et le fait d’avoir été absente durant un long moment me fait sûrement prendre conscience de tout ça. Alors je finis par lui proposer « Si tu as besoin d’un peu de compagnie, si tu as besoin de discuter de temps en temps pour que le temps paraisse moins long pour toi… Je devrais pouvoir être plus présente maintenant que… Que je me suis réinstallée ici. » C’est bien comme ça que cela fonctionne entre amis non ? S’entraider, être présent les un pour les autres ?

Puis quand il parle de mon évolution au sein du camp, j’arque un sourcil alors qu’il évoque maladroitement mon âge. Et s’il tente de se rattraper, je ne peux m’empêcher de lui demander « A mon âge ?! Tu veux dire quoi là ? » Je lève légèrement le menton, prenant une mine boudeuse durant un instant. « Je te rappelle quand même que j’ai vingt-deux ans maintenant. » Je ne lui en veux pas mais mon âge est pour beaucoup un problème ici. Pour de nombreuses personnes cela me rend peu crédible aux fonctions que j’exerce. Mais June m’a fait entendre que je ne devais pas les écouter, en aucun cas. « Mais le plus important c’est que Mme Phelbs me fasse confiance, non ? Elle m’a proposé d’être la référente à la population de Ford Ward dernièrement. » Cela va représenter beaucoup de travail encore mais je ne peux qu’être fière de moi, de tout ce chemin parcouru depuis mon arrivée ici.