C’est vrai que j’y pense pas souvent, mais mes p’tits tracas quotidiens ont bien changé de nature depuis que Bruce m’a prise sous son aile. Il y a encore quelques semaines, j’paniquais à l’idée de pas pouvoir me trouver à manger, de pas pouvoir me trouver des fringues plus propres. Et maintenant, je m’inquiète surtout pour des histoires de taille-crayons et d’oreiller inconfortable. Les Expandables, ça m’est arrivé par hasard... mais maintenant que j’suis avec eux, j’partirais pour rien au monde. Quand on s’habitue à l’inconfort de la survie à l’extérieur, à la saleté et aux mauvaises odeurs, la découverte d’un nouveau confort et d’une vie en sécurité a le même effet que la de récupérer un peu d’réseau dans une forêt au milieu d’nulle part... on y croit pas au début, mais qu’est-ce que ça rend heureux !

« C’est pas qu’j’en ai envie... mais c’est vrai qu’ça pourrait être bien, un vélo. »

Celui de Chester est bien trop grand pour moi. Quand j’ai essayé d’monter dessus, j’ai failli me vautrer alors j’ai tout simplement abandonné. Avoir un vélo rien qu’à moi, ça pourrait être génial, c’est vrai qu’ça m’éviterait de me fatiguer quand j’me balade dehors. La marche à pied, ça détruit des vies ! « On pourrait même mettre des stickers dessus, de la peinture rose et tout plein d’paillettes même, j’suis sûre. T’imagines ? Ce serait trop cool. Un vrai vélo d’princesse. » Nan, sérieux, ça vend du rêve ! J’passe de « ouais, pourquoi pas » à « il m’en faut obligatoirement un ! ». Et c’est d’ce genre de trucs que j’parle en disant qu’avec eux, j’me sens bien. J’ai pas l’impression d’être juste « une petite nouvelle »... j’suis une membre de leur groupe, une vraie. Pas qu’une gamine, une personne qui a de l’importance, et pas simplement une gamine qu’on laisse s’ennuyer dans son coin et qu’on calcule qu’au repas.

Je le connais pas, Kaz. Mais il a l’air gentil. C’est lui qui m’a offert le beau collier que je porte autour du cou et que j’ai pas enlevé depuis mon arrivée. Il me suit un peu partout et il est censé me protéger, même si je crois pas trop en ces choses-là. Mais la simple idée d’avoir un objet magique rien qu’à moi m’intéresse, attise ma curiosité et fait aller ma créativité à ce sujet...

Et à ma grande déception, c’est pas un objet « très magique ». Kaz m’explique que c’est censé porter chance et que, si j’y crois assez fort, y a p’têtre moyen que ça m’aide et qu’ça me change la vie. Mes doigts se perdent sur l’objet, jouent avec. J’aime la matière en laquelle il est fait, puis c’est qu’il est sacrément beau aussi... J’ai hâte de voir si c’est vrai, s’il porte vraiment chance. Et au pire, ça s’ra juste un beau collier pas magique. « J’espère quand même qu’il me portera chance et qu’c’est pas de l’arnaque, comme les tours de magie. » Parce que je sais qu’eux, c’est pas de la magie qu’ils font... c’est juste des trucs préparés avec des objets truqués. « Mais il est trop beau, sinon. C’est un super cadeau, merci Kaz ! » J’lui fais mon plus grand sourire, parce que j’ai toujours adoré les cadeaux et que celui-ci, c’est l’un des plus beaux auxquels j’ai eu le droit depuis plusieurs années !

Je finis quand même par m’intéresser à l’animal qu’il a ramené... un lapin, un vrai. J’ai jamais eu la chance d’en avoir un. C’est vrai qu’à la maison, on préférait les manger. Y en a beaucoup dans la nature, j’en croise beaucoup quand je sors, surtout en forêt. Mais jamais, Ô grand jamais, j’ai décidé de m’attaquer à une bête aussi mignonne. J’veux dire, si elle est déjà morte et qu’on me propose d’en manger, j’accepte. Mais tuer un lapin, le dépecer, le manger... ça m’dégoûte !

Je sais à peu près pourquoi il est là. Le tatoué me le confirme... Roh. Je craque. Il a les p’tites oreilles qui pendouillent, et j’suis même pas sûre qu’il comprenne lui-même le sort abominable qui l’attend.

« Un rituel ? Genre... comme dans les sectes ? En faisant des dessins sur ses poils avec son sang et en priant en mettant ta capuche et tout ? » Cette simple pensée me faisait plisser le nez. J’ai jamais été trop secte et religion, mais j’sais que Tata était très catholique. J’étais pas obligée de faire la prière quand on mangeait chez elle, mais Maman préférait que j’la fasse parce que « c’est une question de respect ». S’il fait vraiment ça, j’veux bien essayer aussi... ça pourrait être marrant, en vrai. Mais bon, j’préférerais qu’il reste envie moi, l’petit lapinou.

Je glisse un doigt à travers les petites barres de la cage. Il vient frotter son p’tit nez contre le bout de mon doigt, comme pour le renifler. « Il a une tête à s’appeler... Napoléon. Tu trouves pas ? » J’lève un peu la tête pour le regarder, Kaz. Ou peut-être que c’est juste moi qui ai une grande imagination... c’est sûrement ça.

« Il est trop mignon pour s’faire manger, même si j’suis pas sûre que c’est une raison valable pour pas être cuit. » Parce que j’en ai mangé beaucoup des animaux mignons, moi... Avec Edgar, ils chassaient tout l’temps ! Mais l’truc bien, c’est que je voyais jamais les animaux avant de les avoir dans mon assiette, c’était peut-être plus facile comme ça vu que j’y pensais pas... « M’en occuper ? J’ai jamais eu de lapin, mais ça serait marrant... et peut-être même qu’il pourrait bien s’entendre avec les chiens et les poules. » Je propose comme ça, juste comme ça ! Nan, j’saurais parfaitement m’en occuper ! Après, c’est ce que disent tous les enfants quand ils veulent un animal de compagnie et en général, on voit vite le résultat. Mais bon, j’suis pas une enfant comme les autres, moi.

« Ce serait trop bien, ‘faut que j’termine mon dessin... Alan m’en a prêté un la dernière fois, mais j’crois qu’il dort, ou qu’il est occupé. » Il répond pas quand j’tape à la porte de sa caravane. C’est peut-être juste qu’il est pas là, j’sais pas...

En tout cas, je le suis jusqu’à chez lui, veillant à bien rester tout près de lui et de la cage qu’il transporte comme un chewing-gum collé sous une chaussure

« Tu t'appelles vraiment Kaz, d'ailleurs ? Ou c'est qu'un surnom ? Parce que c'est un peu bizarre comme prénom, t'sais ? On dirait un prénom d'personnage de dessin-animé. »