Debout face au miroir sur pied de ma chambre au motel, cet endroit où je vis depuis presqu’un mois et demi maintenant, je finis de tresser mes cheveux, où sont glissées ici ou là quelques mèches roses, qui se fondent dans la tignasse blonde dans un joli mélange. Je ne peux pas retenir quelques fredonnements légers, trahissant que je suis de bonne humeur, alors que j’agite doucement la tête, de droite à gauche. Un dernier coup d’œil au miroir m’informe que la tenue sera adéquate pour cette sortie, malgré les températures proches de zéro qui couvent sur Seattle. Je finis par enfiler mon manteau, une écharpe, et même un bonnet avec un petit pompon, avant de vérifier le contenu de mon sac à dos, et mon armement. Okay…tout est fin prêt. Je glisse mon petit couteau dans ma botte, là où personne ne peut le deviner, et je quitte la chambre après un dernier regard, pour aller toquer avec énergie quelques portes plus loin, tout en interpellant la survivante qui vit derrière. « -Jingle Bells, MA, c’est l’heure de partir ! T’es prête ? » J’évite de parler trop fort, il est encore tôt, la plupart des filles dorment, et je préfère leur éviter un réveil qui rimerait avec mauvaise humeur.

Je me recule un peu, et avise rapidement la petite tête rousse qui émerge de l’entrebâillement de la porte, mon regard clair se posant l’adolescente. « -Ho ho ho, petite lutine ! Le traîneau nous attend dehors ! » Je ponctue mes propos d’un large sourire enjoué, peut-être d’ailleurs un peu trop au vu de cette heure matinale, si bien que je me crispe un peu, mon sourire se figeant dans une semi-grimace. « -Trop d’enthousiasme dès le matin ? Tu veux que je redescende d’un cran ? » Oui, je crois que je vais faire ça, calmer un peu mes ardeurs. Je n’ai pas eu l’occasion de fêter Noël depuis un moment, et cette année à un goût de nouveauté à bien des égards, si bien que l’excitation me gagne un peu, il est facile de le deviner. Je finis par lancer un nouveau regard à la rouquine, avant de hausser les sourcils. « -Je vais te laisser finir de te préparer tranquillement, et aller faire du thé…tu me rejoins en bas quand t’es prête ! » Et avant que l’adolescente ne puisse répondre, je descends dans ce qui nous fait office de salle commune, et me prépare une boisson chaude, tout en consultant le plan de Seattle que je possède depuis que j’ai commencé à faire du troc, plus d’un an et demi plus tôt.

J’suis bien là. Cachée entre tous les coussins que j’ai réussi à trouver et ces énormes couvertures. J’ai l’impression d’être dans une espèce de nuage géant tout moelleux. En tout cas, dans ma tête, c’est exactement à ça que ça doit ressembler un nuage. Alors ouais, forcément, j’ai grave la flemme de me lever. Et quand on cogne à la porte, je grogne toute seule, me cachant de plus belle sous les couvertures avant d’entendre la voix de Théa.

… oh c’est vrai. On doit sortir !

D’un coup, je me rappelle ce qu’on a de prévu et je bondis du lit, trébuchant et manquant de me casser la figure. Je me rattrape tout juste mais ça fait un boucan du diable. Déjà que j’avais pas besoin de ça pour avoir l’air totalement décoiffée et à l’ouest. J’ouvre la porte et je baille à m’en décrocher la mâchoire, incapable de me retenir. « Le traineau ? Où ça un traineau ? » Ouais ptet que je suis paaas hyper bien réveillée. Je souffle sur une mèche folle, alors que Théa peut avoir une vue parfaite sur mon pyjama batman et mes pantoufles lapin. « Comment tu fais pour être aussi bien réveillée sérieux ? » Je tends l’index et j’appuie sur son bras. « T’as l’air humaine pourtant, c’est un truc de dingue ! » Bon en vrai, sa bonne humeur est contagieuse et je commence à me sentir alerte.

De toute façon, c’est devenu la base ça. Savoir se réveiller vite, être réactive et prête à m’échapper si besoin. Et surtout, ne pas crier. Jamais. Ca attire les mordeurs. Et les humains. Mais là, ça va, je crains rien. Donc je dois juste me concentrer sur le fait de me réveiller rapidement. J’ai pas vraiment le temps de réagir qu’elle disparait tel un lutin de Noël et je secoue la tête avant de retourner vers mon lit. Je récupère un super pull de Noël avec des lumières qui clignotent, j’enfile un jeans, des converses roses et j’attrape ma grosse veste avant de sautiller en direction de la salle commune. Une fois sur place, je m’attache les cheveux avant d’enfouir le tout sous un bonnet rose. Et ouais, je suis assortie à mes chaussures. Si c’est pas le top de la mode, je veux bien qu’on m’explique ce que c’est !

Une fois sur place, j’attrape une barre de céréales et je croque dedans avant de souffler, en direction de Théa. « Tu sais quoi ? Ca fait genre… super longtemps que j’ai pas fêté Noël. » Je fronce les sourcils alors que je cherche la dernière fois où c’est arrivé. L’an dernier j’crois que j’étais malade. Faut dire que ça arrive souvent que j’sois malade en vrai. J’ai un peu chopé tout ce qui traine et à la longue, je vais me dire que c’est un miracle que je sois en vie. Ou une malédiction. Tout dépend du point de vue.

Je mâchouille ma barre de céréales avant de me pencher sur la carte ouverte par Théa. Et je pointe un centre commercial du doigt. « J’ai trouvé des pulls là-bas mais y avait trop de mordeurs, ils ont tout envahi. On peut pas y retourner. » Je fronce le nez, pensive, avant de reprendre. « Y a le supermarché sinon. Le gros wallmart. J’sais qu’il y a plus de bouffe ni rien depuis longtemps, mais dans les réserves, doit y avoir des trucs non ? Ou alors, chez les gens. Papa gardait les décos de Noël dans le garage quand on était petits. » Je me demande ce que tout ça est devenu d’ailleurs. Et je me perds un peu dans mes souvenirs ou en tout cas, dans ce que je crois être mes souvenirs de Noël. Avant de souffler, à mi-voix. « Tu sais ptet déjà où aller en fait ? » Si ça se trouve, elle a trop un super plan en vrai.

Mon index fin tapote un quartier, glisse sur un autre, longe une rue, alors que j’hume la bonne odeur de fruits rouges qui s’échappe de la tasse. Mary-Abigail arrive sur ces faits, et je lui adresse un large sourire, glissant le regard sur sa silhouette, et les vêtements qu’elle porte. “-Classe, le bonnet. Je serai presque jalouse !” Et il serait assorti à ces mèches que Dany m’a faites dans les cheveux quelques semaines plus tôt. Mon regard s’attarde sur la jolie rouquine, alors que je soupire doucement, venant me poser un peu plus dans la banquette, en faisant une légère moue quand elle confie que ça fait longtemps qu’elle n’a pas eu l’occasion de fêter Noël. “-2018 pour moi. On venait juste de rejoindre un groupe avec Jasper, alors qu’on survivait rien que tous les deux depuis un moment. C’était...bizarre et agréable en même temps.” Et c’est étrange, parce que j’ai l’impression que c’était hier, et en même temps, le siècle dernier, comme si le temps connaissait une distorsion qui faussait les repères chronologiques. “-Du coup...raison de plus pour se faire un super Noël cette année, et rattraper ceux qu’on a loupé !” que j’ajoute en retrouvant le sourire, lui adressant un clin d'œil complice.

MA finit par se rapprocher pour regarder le plan à son tour, alors que j’attrape le breuvage chaud pour y poser mes lèvres. “-Où ça tu dis ? Attends…” Je sors de mon sac un stylo, il se trouve toujours dedans, et note un R majuscule à l’endroit qu’elle me désigne, en faisant une petite moue. Dommage...on aurait sûrement trouver plein de trucs chouette dans un centre commercial, mais...ouais...on va éviter de se faire croquer un bout pour quelques décorations et des pulls de saison. Je relève le nez quand l’adolescente reprend la parole, tapotant ma bouche du stylo, pensive. Le coin ne me dit rien, je ne crois pas avoir eu l’occasion d’y aller récemment. “-Le gros Walmart, tu dis ? Et...tu penses pas que ça grouille de charognes aussi là-bas ?” Parce qu’en général, plus c’est grand, plus on risque de tomber sur des visiteurs indésirables...mais sa nouvelle remarque n'est pas si bête, et me fait réagir presque aussitôt. “-Les maisons du coin, c’est pas une si mauvaise idée. La plupart ont déjà dû être visitées par d’autres survivants pour les denrées utiles, la bouffe et tout ça, donc elles devraient déjà être nettoyées. Et comme tu dis, on trouvera sûrement dans les garages ou les greniers de quoi décorer le motel.” Je bois une nouvelle gorgée chaude, ramenant ma jambe contre ma poitrine, avant de reprendre : “-Et au pire, si vraiment on trouve rien dans les maisons, on tentera le Walmart. Mais si ça grouille trop, on prend aucun risque, et on rentre. Ça te va ?” Je la regarde avec un air sérieux, sur lequel vient finalement se poser un léger sourire. Fêter Noël, c’est bien...mais tous ensemble, sans pleurer personne, ce serait encore mieux.

Je louche sur mon bonnet, sans trop savoir si elle se moque ou pas, avant de me rendre compte qu’elle a des mèches roses dans les cheveux. J’me demande si ça m’irait tiens. En tout cas, je me tapote le nez, songeuse et je souffle, un rien malicieuse. « Tu sais qu’Oxana a dit que cette couleur me donnait l’air malade ? Comme le rose peut donner l’air malade ! Et je dois avec un autre bonnet de cette couleur si tu veux ! » Je veux bien lui donner si elle ça lui plait. Pas comme si j’en avais pas de partout et de toutes les couleurs du monde. Sans exagération. Mais je perds souvent mes bonnets… avant de les retrouver à des endroits improbables.

Je lui lance un regard alors qu’elle me dit qu’elle, ça date de 2018 la dernière fois où elle a fêté Noël. Et je souffle, d’une voix songeuse. « Tu te rappelles bien de tes noëls d’avant ? J’veux dire… j’aimerais bien demander à Johanna comment c’était vu que pour moi, ça devient super flou et je suis même plus sûre si j’ai pas inventé des trucs… sauf que je sais pas comment elle s’en rappelle. Et que… ça te ferait plaisir ou pas de parler de ça toi ? » Ptet que selon ce qu’elle dit, je pourrais aller en parler avec ma sœur. Ou le garder sous silence pour pas lui faire de peine. « … et donc, on va se faire un chouette Noël ici ouais ! » Ce serait cool, je crois que tout le monde en a besoin en plus. Faudrait que je trouve des vrais cadeaux pour tout le monde.

Et je m’assois pour regarder la carte avec elle, lui désignant les coins qui me reviennent à l’esprit. Je secoue la tête quand elle me questionne sur le Wallmart. « Normalement non. Enfin, la dernière fois que je suis passée par là, il était vide. Faut dire qu’il y a plus rien de vraiment intéressant. Du coup, s’il y a plus d’humains, y a pu vraiment de mordeurs. » Je me lève pour aller chercher un verre d’eau que je mélange à un sachet de jus d’orange en poudre. C’est pas super bon mais il parait que j’ai besoin de vitamines. Alors je le bois à petites gorgées pour éviter de m’étouffer avec ma barre de céréales avant de sourire fièrement quand elle trouve que mon idée est pas mauvaise. Ca fait toujours plaisir de voir qu’un adulte approuve ce que vous proposez. « Pis en plus, les décorations seront assorties. Donc ce serait encore plus simple de récupérer des trucs cools. On peut aller faire les maisons des beaux quartiers ! … enfin on évite le coin de la panthère quoi. » J’ai une grimace à ce souvenir et je me frotte le nez, pensive avant de pointer un quartier du doigt. « C’est un coin à maisons ça non ? » Pas loin du Wallmart donc, comme elle a dit. Et j’aimerais bien voir des jolies maisons. « On pourrait aussi trouver des petits cadeaux pour tout le monde. Même si c’est pas des gros trucs, qu’on ait toutes un truc sous le sapin. » Ce serait chouette donc. J’hésite un instant avant de reprendre, un peu plus hésitante. « T’sais, même si je m’entraine avec Amalia, j’suis pas vraiment… forte … pour tuer des mordeurs. Je suis plus douée pour me cacher et tout. » Je préfère la prévenir, même si, vu mon gabarit, elle doit pas trop se faire d’illusions à ce sujet.

Malgré moi, mes yeux s’écarquillent un peu, alors que je lance un “-C’est vrai ?” presque rêveur quand la jolie rouquine me dit avoir un autre bonnet rose, qu’elle serait prête à me laisser emprunter. Est-ce qu’elle les voit, les étoiles que sa proposition a allumé dans mon regard ? Je lui fais donc un petit hochement de tête, qui gagne vite en amplitude, avant de lui lancer un large sourire. “-Je trouve que le monde est déjà méga triste par moment, alors...autant y mettre autant de couleurs que possible, non ?” Et le sourire s’étire encore un peu sur mon visage. A la question de MA, je reste songeuse un instant, tapotant doucement la tasse de thé du bout des doigts, un petit bruit cristallin se faisant entendre à chaque fois que mon ongle cogne sur la porcelaine. Je suis projetée des années en arrière, à Salvador da Bahia, haute comme trois pommes, engoncée dans ma petite robe BCBG au col blanc impeccable, sans le moindre faux pli, dans mes petites chaussures vernies.

Je finis par m’installer en tailleur sur la banquette, avant de froncer le bout du nez. “-Je me rappelle de presque tous mes Noël oui, mais...c’était pas forcément des bons souvenirs. Mon père était très...comment dire…” Je plisse le nez une nouvelle fois, ayant toujours du mal à parler de Leandro de manière négative, quand bien même il m’en a fait baver dans ma vie, étant gosse, ou même ado. “-En fait, mon père adorait que tout soit parfait chez lui, il aimait se faire bien voir, et toutes les grandes fêtes étaient l’occasion de montrer qu’il avait de l’argent, qu’il voulait le pouvoir. Alors, avec mon frère, on était obligés de suivre tout un tas de règles pour donner une bonne impression aux invités, et...ça gâchait un peu nos Noël, parce qu’on était que des enfants…” Je me perds quelques instants dans ces souvenirs, flous par moments, avant d’avaler une gorgée de thé, et de laisser un sourire glisser sur mes lèvres malgré tout. “-Mais si je le pouvais, je discuterais quand même avec Sandro des petites bêtises qu’on pouvait faire. De quand il venait dans ma chambre avec les gâteaux qu’on avait pas le droit de manger à table, quand on allait dans un coin de la pièce pour rire des invités, de cette fois où on a changé de place tous les cartons avec le nom des convives…” Je rigole un peu, parce que ça, à défaut de tout le reste, ça reste de merveilleux souvenirs que je chérirais longuement. “-Ca me fait plaisir de me souvenir des bons moments, ça c’est sûr ! Et puis...tu peux toujours demander à Johanna de te raconter son Noël préféré, ou son plus beau souvenir, le cadeau qui lui a fait le plus plaisir…comme ça, ce sera pas un moment triste.” que j’ajoute, en la gratifiant d’un petit sourire encourageant.

On profite de ce semblant de petit-déjeuner qu’on prend ensemble pour planifier notre sortie, alors que j’hoche la tête d’un air satisfait quand elle m’explique que le grand magasin sera vraisemblablement vide de toute présence. Tant mieux pour nous, même si le danger sera toujours présent, on en est sans doute conscientes toutes les deux. Je relève les yeux du plan à son enthousiasme, ne pouvant retenir un petit sourire face à ses paroles, en me faisant la remarque que j’aurai adoré avoir une petite sœur. Je me plains pas, j’avais le grand frère le plus génial de la Terre, mais Sandro est parti trop tôt, laissant un vide sans fin dans ma poitrine. “-C’est pas bête ! On aura plus qu’à choisir les couleurs et les décos qu’on préfère ! T’es une petite futée !” que je lui dis dans un sourire en coin, avant de froncer le nez à la mention de cette panthère, une vision qui me fait frissonner. “-Oui...je préférerai aussi qu’on évite les gros chats aujourd’hui…” Je secoue un peu la tête de droite à gauche, avant de terminer mon thé de quelques gorgées, mais hochant malgré tout la tête pour confirmer qu’elle désigne bien un quartier résidentiel.

Son idée de cadeaux pour les filles qui vivent avec nous, ou plutôt avec lesquelles je vis, me fait hausser les sourcils, puis étire presque aussitôt un sourire sur mes traits. “-C’est une super idée ! Bon...on trouvera peut-être pas des trucs super utiles, mais tu connais mieux les filles que moi, on pourra trouver des petits cadeaux qui rappellent chacune, ce qu’elles aiment, leur personnalité...par exemple, de la peinture ou des toiles pour Alba ! Je suis sûre que ce sera super !” Est-ce que je suis en train de m’enthousiasmer à mon tour ? Oui, ça ne fait aucun doute. Mais comme je le disais tout à l’heure à propos des couleurs, le monde est déjà bien assez nul pour qu’on se prive de la moindre occasion de passer de bons moments, ou de faire plaisir autour de soi.

Je fronce un peu les sourcils quand je vois que MA a l’air soudainement hésitante, et plutôt que de la presser pour qu’elle crache le morceau, je lui laisse le temps dont elle a besoin pour formuler ce qui semble la tracasser, avant de lui adresser un nouveau sourire qui se veut encourageant, et aussi apaisant. “-Tu sais...quand je survivais toute seule, je préférais aussi me faufiler partout en cachette pour éviter les rôdeurs, et les humains. C’était plus sûr que de chercher la bagarre…” que je lui raconte, avant de hausser les épaules : “-On a qu’à dire qu’on se cachera pour éviter au maximum les affrontements, et on s’occupera des charognes que si c’est vraiment nécessaire. Ça te va ? Tu t’en es très bien sortie, le jour de la panthère, mais tu as raison d’éviter ces horreurs autant que tu le peux !” que j’ajoute, en faisant référence aux macchabées qu’elle a éclaté de sa batte. "-Ça se passera bien, on prendra aucun risque, et tout ira bien !” que j’ajoute, m’extirpant de la banquette pour aller laver ma tasse. L’adolescente finit sa barre de céréales, et on peut se mettre en route, après avoir vérifié une dernière fois, juste pour être sûres, qu’on a rien oublié.

Je hoche vigoureusement la tête à sa question. « Mais ouais ! Carrément ! En plus, j’suis presque sûre qu’il sera assorti au rose de tes mèches. T’as fait ça comment ? C’est trop cool. » J’ajoute, sans trop réfléchir. « Tsais que j’aimerais TROP avoir un tatouage ? J’veux dire, je sais qu’avant on aurait dit que j’étais trop jeune et tout, mais tu crois que c’est toujours le cas ? Et tu connaitrais pas des gens qui en font ? » Quoi, on sait jamais ! Et puis, ça colle avec l’histoire de couleurs et tout non ? Bon, pas vraiment, mais c’est un détail ça. « T’as trop raison. C’est pour ça que j’aime avoir des fringues de plein de couleurs différentes. C’est pas super discret, j’sais bien, mais ça met de la gaité ! Même si Oxana me demande si je suis pas devenue daltonienne des fois. » Je roule des yeux avant de me faire plus songeuse.

Faut dire que Noël c’est l’occas’ de se poser des questions. Alors, je dis pas que c’est forcément une bonne chose hein, surtout que j’suis ptet prête à accepter que j’suis parfois trop jeune pour réfléchir à certains trucs. Sauf que bon, c’est un peu tard pour y penser. Et je l’écoute avec attention quand elle commence à me parler de ses Noëls à elle. Je penche la tête sur le côté avec une moue songeuse. « Sandro, c’était ton frère c’est ça ? » J’ai quand même un sourire à cette anecdote qu’elle me raconte et je souffle, dans un murmure. « J’me souviens, j’étais toute petite. Je pleurais parce que les garçons voulaient pas me laisser décorer le sapin. J’allais tout casser qu’ils disaient. Et papa est venu me porter pour que je puisse mettre l’étoile tout en haut du sapin. C’était chouette. Ca brillait de partout après et c’était en partie grâce à moi. » Ca, je suis sûre que c’est un souvenir à moi. « Tu… tu sais ce qu’ils sont devenus ? » Je devrais ptet pas demander ça mais vu que c’est une question qui me trotte souvent – tout le temps – dans la tête, c’est possiblement son cas à elle aussi. Je finis par hocher la tête, remettant une mèche de cheveux folle en place en soufflant dessus. « J’vais essayer. J’ai juste pas envie de lui faire de la peine. C’est difficile pour elle. Elle doit s’occuper de moi depuis qu’on a perdu papa et… » Je hausse une épaule avec une moue, avant de me focaliser sur mon petit déj.

Mon sourire réapparait dès qu’on parle de cadeaux et je hoche la tête. « Ouais ! Je voulais trouver un petit livre sur les étoiles pour Lucy ! Ptet qu’Amalia voudrait un joli bandeau pour cacher son oreille si elle a envie. » Je me tapote le nez, réfléchissant à voix haute. « Pour Johanna, j’ai trouvé déjà. J’ai récupéré un lecteur de musique avec pleeeeein de musiques différentes ! » Oxana ça va être plus compliqué quand même. « … pis on s’en fout que ce soit utile non ? J’veux dire… on passe notre temps à chercher des trucs utiles justement alors, si de temps en temps on trouve juste des trucs sympas, ce serait bien. Enfin j’crois. » J’ai quand même un doute alors que je repense à ma discussion avec Eden qui voulait surtout pas que je risque ma vie pour des trucs pas essentiels. Mais j’crois que Théa pense comme moi. J’espère, sinon ma virée sera ptet moins sympa que prévu.

Je finis quand même par lui préciser que j’suis ptet pas la meilleure compagnon… none ? Qui soit. Mais visiblement, ça lui pose pas de problème. J’ai un soupir de soulagement. « Ouais la bagarre c’est jamais terrible. Surtout quand on a pas de muscles. » Je montre mes bras tout maigres avant de hausser une épaule au reste. « J’ai eu de la chance quand on a fait la sortie. Mais de base, j’suis vraiment pas forte. Pas comme Amalia. Elle est trooooop balèze ! » J’écarquille les yeux avant de finir mon petit déj et d’attraper mon sac à dos Hello Kitty. « BON ! Je suis parée et toi ? Oh ! Attends ! » Sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, je cours en direction de ma chambre et je fouille rapidement avant de revenir aussi vite, à moitié essoufflée en lui tendant un bonnet avec un large sourire. « Voilà ! On peut y aller maintenant ! » Elle va avoir trop la classe avec ça.

J’attrape une mèche de cheveux dont le bout est rosi, et souris en l’agitant devant le regard de MA. “-C’est mon ami Dany qui me l’a fait. Tu l’as peut-être déjà croisé, il travaille à la Cage...il faisait ça avant, et...enfin, ça faisait partie de ma liste de choses à faire avant de…couic” que je lui dis, tout en mimant un index qui glisse sous ma gorge. Oui, j’ai un petit carnet qui recense toutes les choses que j’ai jamais eu l’occasion, ou tout simplement le droit de faire, et que j’aimerai accomplir avant de passer l’arme à gauche. Et aussi puéril ou enfantin que cela puisse paraître, me colorer les cheveux en faisait partie. Désormais, la petite case est cochée, et je n’en suis pas peu fière. Je pense à son histoire de tatouage, fronçant un peu le nez, avant de hausser les épaules. “-Je pense que l’âge, c’est juste un nombre. Encore plus maintenant qu’avant...On s’en fout de savoir que t’as treize ans, ou quarante-deux, on est tous des survivants maintenant, tous logés à la même enseigne. Et...ils ont un type qui fait des tatouages à la Cage. Je l’ai entendu dire quand je fouinais dans le coin pour avoir des infos...je connais pas son nom, mais tu devrais pouvoir trouver facilement…” que j’ajoute, en plissant un peu les yeux, incapable de me souvenir du prénom du gars.


Je fais un petit signe de tête dans un sourire pour lui confirmer que Sandro est bien mon frère, alors qu’à son tour, la rouquine me fait part d’une anecdote qui élargit ledit sourire. “-L’étoile en haut du sapin, carrément ! Veinarde, c’était le meilleur moment !” La consécration même, le moment tant attendu, qui voulait dire que le reste du sapin était terminé, que Noël était là, officiellement. Je me crispe à peine quand elle me demande si je sais ce qu’est devenue ma famille, et hausse les épaules. “-Sandro et ma mère sont morts avant tout ça. Et mon père...je sais pas vraiment.” Et j’ai jamais vraiment cherché à savoir non plus. Je sais ce qui m’aurait attendu si j’avais essayé de retrouver mon père, je me serais remise de mon plein gré sous son emprise, et ça, c’était hors de question. Je reste à couver MA du regard quelques secondes, avant de soupirer doucement, glissant mes mains dans mes manches : “-Je connais pas assez Joe pour savoir comment elle pense, ou ce qu’elle peut ressentir...mais...tu peux toujours essayer de tâter délicatement le terrain ? Et puis...peut-être qu’elle aussi elle a envie de parler de cette période avec toi, mais ne sait juste pas comment, ou qu’elle a peur aussi que ça te fasse de la peine ?” que je suggère, faisant une petite moue. Je reste la nouvelle du groupe, celle qui ne connaît pas encore très bien ses acolytes, voire pas du tout, et qui ne peut donc que supposer plutôt que d’affirmer.

Mais déjà, l’adolescente retrouve son sourire quand on aborde les cadeaux pour chacune, alors que je laisse un très léger rire quitter mes lèvres : “-Mais en fait t’es géniale, t’as déjà pensé à tout !” Ca fait plaisir, ça montre qu’elle a vraiment envie de s’investir pour ce moment là, pour ce Noël au motel. Et du coup...ça me motive encore plus. Et pour ce qui est des cadeaux...est-ce que ça a vraiment besoin d’être utile ? “-Tout ce qui est utile est plus vraiment disponible de toutes façons...autant partir du principe qu’aucun survivant bien intentionné ne nous a laissé un cadeau sur l’étagère d’un magasin avec un petit écriteau “pour MA et Thea, pas touche les autres.” Et puis...c’est Noël qu’une seule fois par an, et on prendra aucun risque, donc...on va juste trouver des trucs qui feront sourire les filles, et oublier que dehors c’est pas toujours très joli. On trouvera sans doute de chouette trucs dans certaines maisons !” Et ça me semble être un bon plan, un que j’ai envie de suivre, et j’espère qu’il en sera de même pour l’ado.

Au final, on tombe d’accord sur le fait qu’on laisse volontiers notre place en cas de bagarre pour se planquer, et je ne peux pas m’empêcher de sourire quand je l’entends râler sur ses petits muscles. “-Je sais pas vraiment me battre non plus...Jasper a essayé de m’apprendre deux trois trucs, mais...j’ai toujours trouvé plus efficace de me sauver, parce qu’il faut bien admettre que les survivants sont souvent mieux taillés que moi…” Je grimace, songeant au nombre d’armoires à glace que j’ai pu croiser au cours de ma survie, et que j’ai préféré fuir, plutôt que d’aller les titiller d’un peu trop près. “-Mais ouais...j’aimerai bien être un peu plus comme Amalia moi aussi des fois…” Parce que fuir c’est bien, mais des fois...des fois, j’aimerai ne pas avoir l’impression qu’un type pourrait me broyer au creux de sa paume parce que je suis taillée comme un cure-dent, même si ma façon d’agir m’a toujours bien réussi jusqu’à maintenant. “-Tu sais quoi...on devrait se forcer à faire des pompes et des abdos tous les jours...ça nous donnera des biscottos !” Même si c’est pas tant les muscles qui me manquent, merci le patinage artistique et le yoga, mais plutôt la force, et la technique.

MA finit son petit déj, et alors qu’elle se met debout, prête pour le départ, je n’ai pas le temps de lui dire que je suis prête également qu’elle s’esquive déjà, me laissant sur place, alors que je n’ai pas tout compris. Bon...j’imagine qu’elle est peut-être partie dire au-revoir à Johanna, ou partie chercher un truc oublié dans sa chambre, et j’en profite pour enfiler mon propre sac à dos, et récupérer la carte, quittant ce qui nous fait office de salle commune. Quand elle revient, mes yeux s’écarquillent face au bonnet qu’elle me tend, et que j’attrape par réflexe. “-C’est pour moi ?!” Le ton est incrédule, et puisqu’elle me confirme que oui, je l’enfile aussitôt sur la tête, avant de lui adresser un large sourire. “-Merci beaucoup ! Il est trop beau !” Et même pas besoin de mentir, il est super ce bonnet ! Et...il va être plus que nécessaire, vu le froid qui vient caresser nos joues alors qu’on quitte tout juste le motel. Je remonte la fermeture éclair de mon manteau aussi haut que je le peux, et d’un pas sûr, j’entraîne MA avec moi, vers cette adresse qu’on a ciblé sur la carte. “-Hé, je suis sûre que tout ira bien, mais...si vraiment y’a un truc qui se passe mal, tu te poses pas de question, et tu pars de ton côté te mettre en sécurité, okay ?” Je lui adresse un regard sérieux, et nous voilà parties pour jouer les lutins de Noël, nous dirigeant vers ce quartier résidentiel qu’on a ciblé tout à l’heure. Marcher ne me dérange pas, je crois que ça n’a pas l’air de déranger la rouquine non plus, et je ne sais pas trop combien de temps s’est écoulé quand les premières maisons se dessinent devant nous, certaines avec la porte entrouverte, d’autres closes, mais toutes à l’abandon, les façades et toitures ayant subi les assauts du temps et de la météo. Je jette un coup d’oeil à mon acolyte, et on se dirige d’un même pas décidé vers l’une d’entre elles.