Me revoilà dans ce foutu No Man’s Land. A peine quelques jours après être sorti d’ce foutu dispensaire, et être passé dans l’bureau d’la cheffe Arizona, me r’voilà sur le terrain. J’dois dire que ça m’avait bien manqué quand même, même si j’me sens différent. J’sais pas, c’était comme-ci on m’avait suffisamment frappé sur la tête pour que j’prenne le pli qu’quelqu’un avait choisit pour moi. Genre… J’me sens moins fou. Voyez ? J’me sens moins impulsif, j’ai l’impression d’avoir un peu changé quand même. J’sais pas, j’ai peut-être retrouvé une raison d’vivre, quelle qu’elle soit !

Du coup, en c’moment, j’enchaîne les sorties au No Man’s Land. Dans des groupes plus ou moins épais, on sillonne les quartiers de Seattle. Souvent pour occuper l’terrain, pour escorter des responsables du troc ou des échanges, parce qu’on va pas s’mentir, y’a plus grand-chose à piller ici…

Moi j’profite des instants d’quartiers libres, surtout en fin d’missions, pour aller du côté des primes. J’ai dépose un dessin, avec une date d’rendez-vous. Ce dessin, c’était un qu’avait faite Mallowe, qui nous avait quitté. J’en étais encore tout retourné putain… Pauvre Mallowe, crevée dans mes bras. Dans son calepin, elle avait écrit des trucs sur une famille, avec plusieurs noms qu’j’avais jamais entendu. J’ai donc décidé de déposer ça sur le tableau des primes… J’me suis dis que c’était le plus simple pour qu’ça soit le plus vu.

Mais j’attends, encore et encore, que les choses se fassent. Et c’est plus long que c’que j’croyais en vrai. Alors du coup, quand c’est trop long, j’m’éloigne et j’me pose dans c’te bar de survivants là, où mes verres sont pas trop chers. Mais j’me souviens des mots d’Oswald, et ceux d’Ivy aussi, qui m’disaient d’freiner sur la boisson. C’était le cas il y a plusieurs semaines, alors aujourd’hui, j’crois que j’serais encore plus à même de trop picoler pour oublier mes soucis… Vaut mieux éviter de faire ça au beau milieu d’une sortie de groupe au No Man’s Land. Soyons pro.

Du coup, je m’installe à une table, gardant mon barda et mes armes. Une serveuse vient m’voir, et demande ma commande.

- Ce s’rait possible d’avoir un p’tit verre d’whisky ? Bien servi ? Mais juste un ? Merci, c’est sympa !

Aller, un p’tit temps en hommage à Mallowe. C’verre, c’est pour toi p’tiote.

Une p’tite pensée pour Mallowe. C’te gamine aux dents d’requins et aux yeux aussi foudroyant qu’mon putain d’flingue. Sans dec, quand j’l’entraînais, j’savais pas si c’était l’flingue qu’avait poutré la cible, ou si c’était le regard de la p’tiote. Elle était féroce, mais j’l’adorais bien quoi. On était fait dans l’même moule, ça f’sais du bien qu’ce soit si fusionnel… Mais elle était morte maintenant. Dans mes bras. J’l’ai sentie s’éteindre. Le plus choquant je crois, ça a été le dernier spasme. Quand ses poumons ont lâchés, que toute sa poitrine s’est affaissée, qu’elle est d’venue plus lourde qu’avant – elle qui était pourtant une brindille – que tout son corps s’est spasmé pour ne plus jamais s’bouger… Ouais, ça, c’était déchirant.

Et puis le coup d’grâce. Elle voulait pas s’relever et être une charogne. Et elle voulait qu’ce soit moi qui m’en occupe. C’était une certaine forme d’honneur j’dois dire, et j’dois dire aussi que j’aurais pas apprécié qu’ce soit un type lambda qui s’en occupe. Fallait qu’ce soit quelqu’un qui l’aime. J’m’en suis occupé. Mais j’crois que d’ma vie entière, ça a été le coup d’feu le plus difficile…

Aller, une bonne gorgée. Pas un cul sec. Si j’me bourre la gueule ici, j’vais m’faire dérouiller en rentrant, et d’toute manière, j’ai pas assez d’trucs à troquer pour pouvoir me payer une murge. Et puis ce s’rait refaire certaines erreurs, et j’ai plus l’droit… A l’erreur.

Y’a quelqu’un qui s’installe à côté d’moi. J’m’en bat un peu les couilles j’dois dire, j’suis occupé. J’suis là pour un truc important pour moi, pas pour m’trouver un plan ou pour m’foutre sur la gueule. Enfin, surtout pas pour m’foutre sur la gueule, je crois que j’suis interdit de dispensaire pendant quelques temps. Ce s’rait presque drôle tiens !

Et là, v’la t’y pas qu’elle m’parle ! J’tourne ma tête… Et j’la reconnais. C’était Raven. Ah ! C’te meuf avait réussie à m’faire sortir d’mes gonds juste c’qu’il fallait pour qu’cette expédition de l’époque se transforme en film porno amateur. Faut dire qu’elle avait c’qu’il fallait, là où il fallait.

- Nan, ils sont occupés j’crois. J’sais pas. J’les r’verrais tout à l’heure quand il s’ra temps d’rentrer. Bah ouais, j’suis ici ad-vitam quoi. Disons qu’ça a été la merde, et une sacrée merde c’te fois. Et j’crois que c’est bien la première fois d’ma chienne de vie qu’c’est à c’point la merde.

Une autre gorgée, soyons fous.

Mon whisky s’termine, déjà… Et là, j’dois faire un choix : en reprendre un, ou m’arrêter là.

Si j’en reprend un, j’me connais, j’vais en prendre un autre, et peut-être encore un autre, et peut-être même encore un autre, et finir bourré comme un coin, rond comme une queue de pelle. Et j’suis en expédition, et faire ça, c’est prendre le risque de me faire jeter en prison comme une merde par June, et là… Ce s’ra pas agréable. Genre, pas du tout. J’veux dire, je risquerais même d’me prendre une balle en pleine tête j’suis sûr. Et en plus, j’suis sûr que Arizona appuierait n’importe quelle décision qui viserait à m’faire pendre au bout d’une corde…

Si j’en reprends pas… Cette rencontre risque d’être méga désagréable. J’veux dire, oui, Raven, elle est bonne. Elle est bien belle, elle est bien foutue, elle a un sourire à faire tomber un aveugle à la renverse… J’ai bien envie d’utiliser ces dents pour m’faire un collier autour d’mon colosse, mais en attendant, là, j’suis pas dans l’mood… Et rester face à elle, avec notre précédente rencontre en mémoire, et le contexte actuel, sans pouvoir picoler… C’est prendre l’risque d’péter un plomb.

- Ouais, j’sais bin’… L’gars d’la dernière fois était pas comme là… J’suis sûr qu’j’me foutrais des poings dans la gueule moi-même si j’pouvais… Pathétique… Vraiment pathétique… Rhaaaaa bordel de merde ! Yo ! J’peux ravoir un verre ? Juste un, s’teu plait ! La serveuse à l’air ok, du coup, j’continue. Bon… D’puis la dernière fois, j’me suis pris une balle, j’ai failli perdre mon bras dans un bâtiment piégé, et la p’tiote que j’considérais presque comme ma gosse, est crevée dans mes bras. J’ai dû lui coller une balle dans l’crâne… Eh ouais, pauvre Mallowe… Alors voilà…

La p’tiote est morte… Putain, j’ai encore du mal à m’en remettre. A m’en rendre compte même. J’veux dire, elle était là… On a prit une bombe… Elle a t’nu pendant des heures, et une fois arrivés sur la plage d’Fort Ward… Elle a rendu son dernier souffle. Et pourtant, Ivy a fait tout c’qu’elle pouvait. Absolument tout ! Elle a été vachement pro… Mais ça n’a pas suffis… Pauvre gosse putain…
Le verre arrive, enfin. J’remercie la serveuse, et j’prends une gorgée qui fait du bien par où qu’elle passe. Et là, elle pose sa pogne ! Elle tapote, et elle remonte ensuite sur l’bras, et jusqu’à l’épaule, tapotant encore et genre pour r’monter l’moral. J’vois bien qu’elle sait pas s’y prendre, qu’elle en chie comme un russe qu’essaie d’battre un Grizzly… Mais elle essaie. Alors c’est cool.

J’souffle un coup, genre avec un p’tit rire caché t’sais. J’pose ma pogne sur son bras aussi, et ensuite, j’prends une gorgée.

- Ouais, c’la vie quoi… Et toi, t’fais quoi ? T’as l’air d’être déjà bien déchirée.

Politiquement correct ? Mouais, on r’passera aussi hein.