Chaudement enveloppée dans un épais manteau sombre, le visage à moitié dissimulé sous une large écharpe bicolore en laine, la grecque s’affairait à nettoyer les armes à feu du groupe, le froid piquant l’épiderme fin de ses mains découvertes pour l’occasion. On le lui avait souvent répété : une arme non entretenue pouvait s’avérer dangereuse pour celui qui la maniait. Elle l’avait appris durant les premières semaines succédant à la fin du monde tel qu’ils l’avaient connu, et s’était depuis assidûment appliquée à la tâche. Elle avait commencé par l’entretien de son fusil, de son beretta, puis s’était chargée mécaniquement des armes de ses compagnons. Installée dehors, légèrement à l’écart du bus par sécurité, les diverses armes de poing et fusils disposés sur une planche hissée sur deux tréteaux de fortune.

S’occuper les mains avait aussi l’avantage de chasser les mauvaises pensées qui obstruaient son esprit depuis sa dernière rencontre avec Connor à la Cage. Le blond allait être papa… La nouvelle était toujours difficile à avaler, comme une coulée de lave brûlante qui lui incendiait la trachée. D’ailleurs, c’était bien la gorge nouée qu’elle s’activait, le regard suivant des gestes instinctifs, méthodiques. Assise sur une chaise de camping, un fusil dans une main, une tige métallique pour assainir le canon dans l’autre, ses longs cheveux sombres virevoltant orgueilleusement au gré de la brise fraîche, la jeune femme n’avait même pas entendu la petite Clara s’approcher. Elle retourna un visage surprise vers elle.

“Clara ? Tu… Tu vas bien ? Il fait froid, tu risques de tomber malade.” s’inquiéta la méditerranéenne, jetant un coup d’oeil par-dessus la silhouette frêle de la fillette.

“Tu fais quoi ? C’est pour nous protéger ? ” La petite s’avança prudemment vers la table improvisée, observa avec curiosité les armes ainsi exposées, son regard ténébreux s’attardant sur le drôle de manège qu’effectuait son aînée. “Je peux t’aider ?” La trentenaire la fixa sans trop savoir comment lui répondre. Connor l’avait bien fait remarquer la veille ; ce n’était pas son truc les enfants. Elle ne leur voulait aucun mal, bien au contraire même, mais elle ne savait pas comment les appréhender, ni comment réagir. Elena oubliait souvent toutefois que ceux-là, ceux qui avaient grandi avec l’épidémie étaient bien différents de ceux qu’elle avait pu vaguement côtoyer à l’époque. “C’est gentil ma puce mais je ne suis pas sûre que… C’est dangereux, tu sais ? Il vaut mieux rester aussi éloignée que possible de tout ça.” lui répondit-elle en tâchant de se montrer aussi douce que possible. Elle posa prudemment le fusil dont elle s’occupait au sol, déposa la tige à côté, et sa main vint se saisir avec délicatesse du petit bras fluet de la fillette. “Tu pourrais peut-être aller aider Tori avec le linge ? ça lui ferait plaisir d’avoir de l’aide” sourit-elle avant que l’ombre de Jeff ne l’interpelle derrière elle.

Elle se retourna vers le troqueur, sa paume levée devant son visage pour masquer les rayons du soleil déclinant qui lui heurtaient les iris. “Elle est prévenante.” commenta-t-elle en suivant du regard Clara qui rejoignait le bus. “Ces petits sont vraiment impressionnants…” Ils avaient une capacité d’adaptation incroyable.