Son quotidien bien rythmé aidait Rafaël à ne pas devenir fou – fou d’inquiétude, fou de solitude (quoi que, les gens de The Haven aidaient à ce qu’il n’en souffre pas trop), fou de ne pas bouger assez. Il avait besoin de se dépenser continuellement – partiellement parce qu’il ne faisait pas d’escalade, et partiellement parce qu’il n’avait aucune nouvelle de son frère. C’était ce qui lui pesait le plus, d’autant qu’il l’imaginait mort, même s’il refusait de se résoudre à y croire. Mais être en compagnie des chevaux l’apaisait plus qu’il n’était prêt à le reconnaître. Principalement parce qu’il savait que c’était des animaux très empathiques, qui ressentaient voire absorbaient les émotions des personnes qui les fréquentaient. Rafaël s’enjoignait donc à vider ses pensées, à évacuer son stress et à se présenter le plus calme possible auprès d’eux.

Le gitan était à leurs côtés depuis un certain temps déjà, nettoyant leur box, les nourrissant et les abreuvent, les brossant aussi. Il regarda leurs sabots, puisant un certain réconfort dans ces gestes mécaniques et qui lui rappelaient son ancienne vie. Une pointe de nostalgie l’assaillit, sans pour autant diminuer son humeur – il s’était fait une raison à ce sujet. Son ancienne vie était finie, et même s’il avait tendrement aimé sa famille, il ne la reverrait jamais. Mais il ne devait pas sombrer dans la tristesse en pensant à eux – les bons souvenirs primaient. Ce n’était pas le cas pour Tiago… Parce qu’il le retrouverait. Il ne pouvait pas en être autrement.

Occupé à brosser une des juments, il souriait et chantonnait malgré lui. Il aurait dû amener sa guitare : il n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, et du moment auquel sa future élève viendrait. Ca aurait été un bon moyen de passer le temps. Il aimait bien jouer auprès des chevaux, aussi étrange que cela puisse paraître. Il n’en aurait, au final, pas eu le temps, comme le démontra le bruit qui se fit entendre : il était lui-même plutôt silencieux, donc il n’était pas si difficile de percevoir que quelqu’un s’approchait. Tournant la tête, il lui adressa un sourire chaleureux – même au plus bas, il était encore capable de ça. « Rafaël. » Lui serrant la main à son tour, il montra du bras les lieux. « On peut peut-être se tutoyer ? Vous n’avez pas l’air d’être plus âgée que moi. » Souriant à nouveau, s’éloignant légèrement, il embrassa les lieux du regard. « Tu veux jeter un œil aux chevaux d’abord ? Je pense que tu pourras monter une des juments assez docile – tu n’as jamais monté, je suppose ? Il faudra, bien sûr, la brosser avant, puis la sceller. Mais je te montrerai. » S’adossant à la porte du box, il attendit un instant, avant de reprendre la parole. « T’as l’air d’avoir très envie de commencer. Tu t’y connais un peu ? Tu as un peu peur ? Ce serait normal, si tu n’es pas habituée aux chevaux et ne sais pas grand-chose sur eux. »

Il sourit malgré lui, d’un air un peu taquin. « J’ai le tutoiement facile, et ça m’a possiblement valu quelques ennuis. Je dois avouer ne pas forcément comprendre : j’ai tendance à respecter mille fois plus les personnes que je tutoie que celles que je suis forcé de vouvoyer ! » De là à dire qu’il prenait, parfois, un malin plaisir à ne pas vouvoyer les gens qui le lui demandaient, pour les faire tourner en bourrique, il n’y avait qu’un pas. Mais il se garderait bien de le dire à la jeune femme qui lui faisait face. « Du coup, de toi à moi, si je vouvoie les gens, ce n’est pas bon signe. Mais je compte sur toi pour garder le secret. » Lui adressant un clin d’oeil, il se retourna vers un des box, tapotant l’encolure du cheval avant de le refermer.

Il l’écouta attentivement, hochant la tête. « C’est déjà un bon point. Ca prouve que tu es plutôt à l’aise avec eux. Si je ne me trompe pas ? » Il sourit doucement, à l’entendre. « Je ne suis pas arrivé ici depuis très longtemps, donc j’apprends encore à les connaître. Mais les chevaux peuvent être de belles têtes de mules – il faut leur faire comprendre qu’ils ne sont pas les chefs. Je ne dis pas qu’il faut les malmener, évidemment, mais qu’il ne faut pas les laisser en faire qu’à leur tête. Ils vont te tester, et voir jusqu’où ils peuvent aller. Si tu te laisses faire… ce sera foutu. » Il était assez sérieux, sans pourtant cesser de sourire – quiconque était encore vivant devait être assez fort pour ne pas se laisser faire par un cheval, non ? « Et sache aussi qu’ils ressentent toutes tes émotions – il ne s’agit pas de les laisser au placard, évidemment, mais de ne pas les laisser parasiter ton esprit en tout cas. »

S’éloignant un peu, il lui fit signe de le suivre, lui disant qu’ils allaient voir les différents box – il y avait onze chevaux en tout, ou plutôt dix et un poulain. Rafaël ne savait pas vraiment si certains étaient les cheveux de prédilection de quelques habitants du camp, mais ils mettaient un point d’honneur à s’occuper de chacun d’entre eux et de tous leur permettre de se dépenser. Il les présenta un par un à Aurora, lui donnant leurs noms. « Je ne doute pas du fait que tu les retiendras. Mais je peux te les répéter. On pourra aller voir les autres enclos et animaux après la leçon, si tu veux ! » Car il y avait plusieurs animaux qui avaient besoin que l’on s’occupe d’eux, ici.

Il lui adressa un sourire rassurant : « A moins que tu ne les malmènes, ça ne devrait pas arriver ! Et je serai là, au moins la première fois, pour veiller que ça n’arrive pas. Je te montrerai. J’étais en train de m’occuper de Snowflake, si tu veux voir. » Retournant dans le box où il était à son arrivé, il brossa à nouveau le cheval en le flattant verbalement, avant de saisir un cure pied pour ses sabots, et de l’obliger à lever une patte. Y allant tout doucement, il entreprit de nettoyer le sabot, laissa Aurora voir. « Tu veux essayer toi-même ? Il y a d’autre matérial là-bas, désignant de son bras libre une étagère un peu plus loin. Tu n’as qu’à prendre les mêmes objets qu’ici. Et commencer par brosser la crinière et la queue du cheval du box à côté. Et surtout, surtout, ne reste pas derrière lui. Pour ne pas prendre un coup. Et le reste du corps avec une brosse comme ça - dit-il en pointant du doigt la brosse plus massive. Je te montrerai comment t’occuper de leurs sabots après. »

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