Il semblait serein en apparence. Il n’avait rien à se reprocher. Pour quelle raison serait-il stressé ? Cela devait concerner ses postes de surveillance journaliers ou bien les rations disponibles pour la maison qu’il avait intégré récemment.
Pour autant, on ne l’avait jamais convoqué pour ce genre de choses. D’ailleurs, on ne l’avait jamais convoqué du tout.

La jolie maison familiale envahit par la neige se dessina dans son champ de vision. Un peu à l’écart, la maison gardait tout de même une bonne vue sur l’ensemble de Fort Ward. Il trouvait la bâtisse plutôt bien située. Elle était proche de tous les points stratégiques du camp, mais elle restait aussi discrètement éloignée des autres habitations. Le brun n’enviait pas particulièrement l’avantage de cette maison. Tant qu’il avait sa chambre personnelle, et qu’aucun conflit n’avait lieu sous son toit, il ne se plaignait pas. Qui plus est, June devait être régulièrement dérangée dans la journée vu son statut. Ce lieu était à la fois sa maison et un lieu d’échange sur des sujets sérieux. Les pièces personnelles et professionnelles étaient peut-être bien séparées, mais il n’avait jamais eu l’occasion en un an de fouler ce sol. Donc, l’appréhension quant à l’origine de cette convocation était à son apogée.
Encore heureux, il arrivait à maîtriser sa nervosité puisqu’il n’était pas en danger de mort. Son sourire était plus crispé par exemple, ses épaules plus en avant et son dos légèrement plus voûté. De légers détails à peine perceptibles quand on ne le connaissait pas assez.

Il s’avança donc sur le chemin en serpentin qui avait été créé par une pelle à neige. Laissant apparaître le ciment dessous et quelques touffes d’herbes sur le côté. La maison de la quadragénaire avait été relativement bien dégagée.

Son esprit tournait à pleins régimes quand il toquait à cette porte. En premier, il toqua timidement. Aucune réponse ne lui parvint alors il toqua un peu plus fort. Avait il fait quelques choses de travers ? Ou avait ton des grands projets pour lui ? Les deux raisons ne lui plaisaient pas. Le premier supposait un passage difficile sur le court terme le deuxième supposait de la responsabilité sur le long terme… en bref il préférait largement qu’elle lui dise qu’ils avaient abusé sur leurs réserves et qu’ils allaient être rationner dans leur maison.
Mais c’était peu probable. Il rit intérieurement et se redressa sans s’en rendre compte quand la porte s’ouvrît enfin.

« Bonjour Madame .Phelbs J’ai cru comprendre de la bouche de Madisson que vous me demandez pour une affaire importante… je vais pas le cacher ça m’a travaillé toute la journée d’hier alors… si vous pouvez me rassurer à ce sujet ? » Avec son ton avenant et son sourire, il espérait que sa sympathie ferait pencher la balance en sa faveur. Surtout s’il avait fait quelque chose de compromettant. Avec ce visage il montrait qu’il était tout disposer à parler et à coopérer. Ça l’adoucirais peut être ?
Dans tous les cas, il contrôlait ses gestes. Il essayait de ne pas trop en faire comme avec certaines autres femmes. Le statut de June était radicalement différent. S’il commençait à faire son rigolo, il risquait de pas aimer le retour.
Aux yeux de Mirco la rousse faisait partie des femmes de caractères du camp. Ce genre de tempérament lui faisait toujours un peu peur. Ses proches savaient bien que les caractères imprévisibles comme elle, m’était le brun dans tous ses états.

S’ils pouvaient se féliciter d’avoir instauré le rationnement six semaines auparavant, l’exceptionnelle chute de neige n’était pas une excellente nouvelle pour autant. Une partie des activités du camp était à l’arrêt, les cas de grippes étaient suffisamment préoccupants pour mettre le dispensaire en alerte et bon nombre de missions avaient été repoussées. Ils perdaient du temps. Un temps précieux qu’ils ne pourraient rattraper plus tard.

L’avocate fut tirée de ses pensées par des coups à la porte. Effectivement, son rendez-vous. Elle quitta son siège et fila au rez-de-chaussée pour ouvrir à l’homme qu’elle avait invité. Comme très souvent, elle portait un chemise simple, rentrée dans un jean taille haute, et une paire de tennis. Le chignon impeccable qui retenait ses cheveux de feu, dégageait son cou et la cicatrice rosâtre qui barrait encore son cou ivoirin. Un vieux souvenir, déjà. June leva ses yeux d’émeraude sur Mirco et lui adressa l’esquisse d’un sourire poli.

Le couturier, tout à fait avenant, lui demanda d’être [i]rassuré[i] sur la raison de sa présence ici, et confia avoir été tracassé toute la nuit. Préférant ne pas accéder directement à cette requête – le « rassurer » confirmerait cette impression erronée qui faisait d’elle une sorte de proviseur qui convoquait les mauvais élèves – elle s’écarta pour qu’il puisse entrer.

- Suivez-moi, l’invita-t-elle.

Comme toujours, elle était neutre, impersonnelle. Après avoir refermé le battant, elle fit une escale dans la cuisine à l’américaine pour récupérer deux mugs et précéda Mirco à l’étage pour lui montrer le chemin. Une fois dans son bureau, elle lui désigne l’une des chaises pour qu’il prenne place et lui proposa :

- Je vous sers un thé ? Oui ou non, ça ne lui coûterait pas beaucoup, alors qu’elle poursuivit dans la foulée, je vous ai fait venir parce que vos compétences, celles acquises avec votre ancien métier, pourraient nous être très utiles, elle posa le thermos, le reboucha, et joignit les mains devant elle, orbes perçantes rivés sur le quarantenaire, quelqu’un vous a déjà parlé de ce que faisait Raphaël Dorme, l’une de nos anciens co-survivants ?

Le jeune garçon était malheureusement décédé à l’extérieur, l’un de ces regrettés dommages collatéraux des missions régulières. Son chantier avaient donc à peine été entamé, tout restait à faire…

Il l’avait suivi en veillant à garder un sourire agréable sur le visage.
« Je prendrais bien un thé. Ça ne se refuse pas. »
Ça lui donnerait des raisons de prendre le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire tout au long de cette conversation. Il suivit les pas de la gouvernante, observant l’ambiance général des lieux. Après tout, sa curiosité ne pouvait qu’être piqué. Il n’avait jamais mis un pied ici après plus d’un an au cœur de Fort Ward, il était naturel que la nouveauté attire son attention. Les pièces étaient étonnamment spacieuses et les fenêtres apportaient une vraie lumière.

La décoration par contre, était plutôt sobre, sans excessivité. La décoration n’avait pas vraiment grande importance aujourd’hui et la sobriété était de mise. Lui n’était pas forcément de cet avis. Mirco n’était peut-être pas décorateur d’intérieur, mais il trouvait que l’endroit manquait de vie et de couleur. Il garda son observation pour lui, esquissant un sourire plus large lorsqu’il prit enfin place. Il avait peut-être mis quelques secondes avant de s’asseoir en face de la femme, le temps de considérer le lieu où June recevait.

Il sentit tout de suite le poids s’alléger lorsqu’elle parla de ses capacités. Il pouvait se considérer comme un hôte de qualité sans en faire des tonnes.
« On m’a bien parlé de cet homme et de ses projets. Mais que brièvement. De ce que j’en sais, il avait pour projet de créer un équipement sur mesure pour prévenir des morsures et des balles. Ainsi, sont les mots qu’on m’avait apportés. Mais peut être pourriez-vous m’en dire davantage ? »
Les paroles qui lui étaient venues avaient été imprécises. Mirco se pencha en avant, cherchant à montrer son intérêt malgré sa crainte des responsabilités. Il ne savait pas grand-chose au final, June allait devoir nourrir sa curiosité. Un équipement renforcé impliquait beaucoup de choses. Il fallait garder une certaine mobilité. Choisir un bon tissu pour l’allier avec un bon cuir. La main d’œuvre était à ne pas omettre. Parce que vu la quantité d’expéditions prévues chaque semaine, il ne faudrait pas équiper la moitié d’un groupe.  
« Vous ne voulez pas partir à la guerre tout de suite rassurez moi ? » Dit-il en plaisantant, son ton était amusé. Mais il craignait que les projets souterrains soient de mauvaises augures. Il pensait toujours au pire catastrophe malgré lui. Contrôlant sa respiration, il baissa les yeux vers la tasse d’où une fumée chaleureuse sortait. Il tendit la main vers la tasse qui venait d’être servi, la remercia d’un hochement de tête. La peau épaisse de sa main sentit tout de suite la chaleur du contenant à travers la porcelaine. « Très franchement, si je n’en ai entendu que des brides de ce projet, ça ne se construit pas avec une seule personne. J’aurais sûrement besoin de main d’œuvre en plus du matériel. Ce Raphaël avait commencé à rassembler des choses ? » Paix à son âme. Il espérait qu’il ne finirait pas aussi mort que lui. D’ailleurs, il se demandait bien comment il était mort. Tellement de gens avaient dû mourir au fil des années. Fort Ward avait beau avoir été épargné car bien protégé, certains événements avaient emporté des malheureux.

Le regard déterminé de June Phelbs en disait long. Si elle avait très envie de prendre ce projet, c’est qu’il était capital voir vitale de le remettre en route. Peut-être que c’était lié aux fanatiques. Il avait un avis assez négatif sur ce groupe invisible, qui éliminait les problèmes… Un peu comme avait pu le faire leur groupe au final. Mais il se garda bien de lui faire part de ce genre de pensées.

June avait servi le thé, puis avait écouté son invité, mains jointes sur son bureau. S’il avait visiblement l’air très amusé de sa plaisanterie sur la date de son départ en guerre, elle demeura froidement impassible. Ils étaient déjà en guerre et peut-être bien, effectivement, que leur ennemi frapperait demain, ou après-demain. Pour le peu qu’ils en savaient, ça pouvait réellement arriver n’importe quand. Néanmoins, l’avocate s’épargna une leçon de morale sur le contexte de sa requête et attendit tout simplement la suite – son expression devait avoir encouragé Mirco à continuer.

- Il avait dessiné les premiers patrons et devait nous faire la liste des différents éléments dont il avait besoin, résuma-t-elle, pragmatique, l’idée c’est plutôt d’avoir des tenues qui permettront de résister aux morsures, aux armes blanches et aux balles de petit calibre.

Ça éliminait déjà de nombreuses menaces car la plupart des survivants utilisaient des munitions de 9 mm classique. Pour tout ce qui était supérieur, il faudrait un autre genre de fabrication mais sur la question, ils Raphael n’avait pas entamé de travail. C’était délicat en réalité, puisque les porte-plaque avaient une composition différente des protections en kevlar standard. Pour l’instant, le mot d’ordre était d’économiser un maximum ceux dont ils disposaient encore.

- Le cahier des charges était de combiner la résistance avec l’aisance de mouvement, comme toujours, ils devaient faire avec des besoins paradoxaux, de combien de personnes auriez-vous besoin et quel genre de compétences devraient-elles avoir ? Demanda-t-elle enfin.

La main d’œuvre… l’éternelle ressource indispensable et si difficile à répartir. Tous les secteurs avaient besoin de main d’œuvre et bien évidemment, tous étaient importants. June ne pouvait décemment pas amputer Valentine de ses artisans, l’intensification de l’agriculteur étant leur sujet phare. Il faudrait qu’elle rogne peut-être sur les expéditeurs ou qu’elle voit avec les personnes plus fragiles, qui ne peuvent s’illustrer sur des postes à risque.

- Tous les progrès que nous pouvons faire son bon à prendre, rappela-t-elle après avoir bu une gorgée de son breuvage, si vous prenez cette responsabilité, je m’attends à pouvoir compter sur vous. Ce n’est pas à moi que vous rendez service, mais à la communauté.

L'air sérieux et figé de la femme le contraignait à stopper les plaisanteries de mauvais goût. Elle n'avait pas l'air très réceptive et cela pouvait se comprendre puisqu'elle prenait la situation avec beaucoup de sérieux. Après tout, c'était son domaine, sa vie, cet endroit. Contrairement à lui qui était arrivé il y a un an et qui affectionnait autant cet endroit que ses anciennes paires de chaussures.

Machinalement il se raclait la gorge, cherchant à se concentrer sur l'infusion chaude. La vapeur formait une très légère condensation sur son visage. Sensation qui chassa le froid ambiant d'une certaine façon. Le brun n'aimait pas particulièrement penser à la gravité de la situation. Pas qu'il minimisait les événements actuels et les morts causés par ceux qui se faisaient appeler New Eden…  Mais les petites guerres entre hommes commençaient vraiment à l'user. Concrètement il avait peur, surtout pour sa propre vie, mais il se fichait des autres conséquences. Chose qu'il n'évoquera jamais à voix haute. Les hommes se battaient tout le temps tout ça pour une idéologie stupide ou pour un morceau de terrain.

« Si vous avez ces patrons à disposition, je veux bien me pencher dessus dans la journée. » Demande-t-il en hochant la tête. Le fait que le travail ait déjà été commencé lui permettrait rapidement d'avoir une vue globale.
Il ne savait pas trop quoi penser de cette situation. Est-ce que reprendre son ancien travail allait lui vider la tête de toutes ces choses mauvaises à laquelle il pensait ? Est-ce que ça allait l'aider à reprendre sa vie en main et à reprendre un peu de couleur ? Aucune idée. Dans l'immédiat, il paraissait tout à fait attentif à la jeune femme. Il prenait un air grave, pour montrer qu'il faisait l'effort de ne plus nourrir la plaisanterie. Il ne ressentait pas grand-chose, pas d'excitation, pas de joie à l'idée de contribuer à l'expansion de cette communauté. Rien. Il donnait juste l'impression d'être calme et impliqué. Amplement suffisant pour lui.

« Je n'ai nul besoin à ce que les personnes soient jeunes et vigoureuses. Alors, les seules compétences que je demande c'est : une certaine implication, une vraie rapidité, un sens du détail et une certaine envie d'apprendre. Pour le dernier, ça permettrait surtout d'aller plus vite. Puisque je vais devoir les former. Et pour finir, évidemment... Avoir deux mains fonctionnelles. » Dit-il dans un sourire retenu.
D'une certaine manière, les amputés ne pourraient pas apporter une vraie efficacité. Un sourire étira ses lèvres un peu plus avenantes, espérant que cette réponse satisferait son interlocutrice. Elle s'attendait peut-être à ce qu'il ait des exigences bien précises. Le brun lui sortait davantage de compétences de savoir-être, espérant qu'elle trouverait en quelque temps les membres qui faudrait à son équipe.

« Pour ce qui est du nombre, il faudrait que je forme ces personnes. Donc, pour le moment je dirais que trois personnes ayant beaucoup de temps libre et n'ayant pas peur de déborder sur leur nuit de sommeil me conviendraient bien. Vous avez des idées de profil en tête ? »
L'homme allait sûrement devoir oublier ses nuits de sommeil également. Avec ses tours de garde nocturnes, cela n'allait pas changer ses habitudes... D'ailleurs, c'était sûrement pour cette raison qu'il voulait des personnes qui ne s'endorment pas le soir sur les coutures. Il voulait à tout prix que cela colle à sa propre horloge biologique.

« Je l'entends bien. Si nous pouvions préserver les bons éléments ici de quelques coups de mâchoire et de quelques balles, cela permettrait de garder le plus de gens en vie. » Cette pression. Il avait du mal à prendre ça en pleine face. Il la regardait, essayant d'être sur de lui sans forcément parvenir à être le plus convaincant possible. Il détestait les responsabilités, il les avait toujours fui. D'ailleurs, il n'avait pas dit une seule seconde qu'elle pouvait compter sur lui. Il espérait sincèrement qu'elle ne lui demande pas de l'entendre de sa bouche. Mirco espérait que son sourire et cette tête qu'il penchait régulièrement pour affirmer ses propos suffiraient à la convaincre.

- Vous les aurez, assura-t-elle à propos des patrons.

Elle n’avait aucune raison de faire de la rétention d’information à ce sujet : au contraire, tout ce qui permettrait à Mirco d’accélérer dans sa tâche serait le bienvenue. L’avocate l’écouta ensuite faire la liste de ses besoins humains, somme toute parfaitement raisonnable, mais ne put s’empêcher de lui signaler, sans l’ombre d’un sourire :

- Personne n’a « beaucoup de temps libre », mais nous trouverons des volontaires.

Ce n’était jamais un problème. Si les premiers temps de Fort Ward, sous sa direction, avait eu quelques difficultés à impliquer l’intégralité de la population, ça avait bien changé depuis. La politique Chambers, qui maintenait les civils dans un cocon d’ignorance, les avait aussi habitués à se laisser porter par « les personnes compétentes ». Essentiellement la caste des militaires, qui avait fondu comme neige au soleil. Il avait bien fallu que ça change. Au fil des années, la quadragénaire avait su suscité une contribution générale, ironiquement proche d’une vision du communisme.

- Je tiens un dossier sur chacune des personnes de la communauté alors… si je n’ai pas encore de profil en tête, je devrais pouvoir rapidement faire une présélection de trois, elle but tranquillement de son thé et poursuivit son explication laconique, d’ici là, faites moi la liste de ce dont vous auriez besoin : en termes d’espace, d’outils, de matériel, de ressources. Je ferai en sorte de vous avoir ce qu’il faut.

Raphael avait bien le garage d’une maison, qu’il avait reconverti en atelier, mais à chaque artisan ses habitudes. Tant que celles que Mirco étaient raisonnables June ne voyait aucun inconvénient à lui proposer un cadre de travail qui lui permettrait de se montrer efficace. Son visage impénétrable s’éclaircit enfin d’un léger sourire poli, qui n’était rien d’autre qu’une expression de convenance.

- Je n’ai pas l’impression d’oublier quelque chose, mais si vous avez des questions… je vous en prie, je suis là pour ça, elle l’invita d’un geste de la main, puis se souvint justement de ce qu’elle avait omis, oh, nous ferons d’abord un test avec une tenue. Si jamais elle est convaincante, on verra pour augmenter la production, tout simple pour une simple question de coût, comme d’habitude ; et parce qu’elle n’avait aucune idée de la qualité qu’était capable de rendre le tailleur.