Voilà bien des jours, des semaines que je traînais dans le lit, incapable de me décider à faire quoi que ce soit. Le seul regard que j'arrivais aujourd'hui à supporter est celui de Caleb, parfois celui de Nolan lorsqu'il me rend visite pour mon suivi médical. Entre les nombreux hématomes encore colorés et les cicatrices qui recouvrent mon corps et mon visage, il y en avait du boulot. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne quittais plus le loft. Devoir déambuler dans l'enceinte du fort et supporter tout ces regards tantôt avec de la pitié, tantôt avec une curiosité malsaine. Je me sentais bien plus en sécurité à la maison, dans la chaleur réconfortante de nos couvertures et à occuper mon esprit en nettoyant de fond en comble le loft, ou à préparer de bons petits plats. Et plus les jours passaient, plus je redoutais le moment où l'imposant canadien allait me demander de prendre l'air. Pour la santé de notre.. enfant. Mon dieu, j'avais encore du mal à l'imaginer. Je suis enceinte.

Armée de ma besace où je rangeais tout mon attirail à dessin, j'ai quitté la maison en milieu de matinée, frappée violemment par le froid. Emmitouflée dans un gros bonnet et une imposante écharpe du bûcheron, je mettais toutes les chances de mon côté pour laisser le moins de peau à la vue des regards trop curieux, avançant d'un pas rapide jusqu'à l'emplacement des caravanes et des mobil-home. Je m'arrête de temps en temps, envahie parfois par l'angoisse de me retrouver seule dehors - même à l'intérieur du camp - mais aussi par des nausées matinales qui ne semblent pas s'atténuer avec le temps.

J'arrive rapidement devant le mobil-home qui appartient à Joey. J'avais demandé à Caleb qu'il se renseigne sur son emplacement, pour ne pas me tromper lorsque je viendrais sonner chez lui. Je me souviens de lui avoir proposée un concours de dessin avant que.. enfin, avant que toute la poisse d'une année entière me tombe dessus. Je reste figée devant sa porte durant cinq bonnes minutes, durant lesquelles j'hésite longuement. Je n'avais vraiment pas envie de m'imposer, et encore moins d'être jugée. Oui, et si il me juge ?! Je sais pas si j'arrivais a supporter son regard, si il fixe sans ciller une de mes nombreuses blessures.

Mais je finis par taper à la porte.

J'avale difficilement ma salive lorsque je me heurte à un Joey plus que surpris par ma présence, comme s'il paniquait d'être avec moi ou qu'il attendait peut-être quelqu'un d'autre. J'affiche donc un doux sourire pour illuminer mon visage et espérer que ça puisse déteindre sur lui, qu'il se calme, qu'il n'y avait aucune raison d'être affolé. Je n'étais pas faite de sucre et même si ce n'est pas désagréable que l'on soit au petit soin pour moi, je préfère largement passer du temps avec un Joey calme, un ami, qu'avec un animal apeuré. Réajustant la lanière de ma besace, j'hoche doucement la tête pour le remercier de m'inviter et n'attends une seconde avant de pénétrer dans son nouveau chez lui, touchée par la maladresse de ses paroles qui le rendaient plus que touchant.

En le voyant prendre le pas vers son canapé je fais donc de même, par mimétisme, déposant mon sac aux pieds du sofa lorsque le jeune homme se relève presque immédiatement, proposant du thé. Les yeux ronds par son comportement, je souris à nouveau, acquiescant de la tête pour accepter son offre. Je profite de son absence pour me pencher vers le dessin qu'il était sûrement entrain de commencer lorsque je suis arrivée. J'espère vraiment ne pas l'avoir dérangé.

Prête à m'installer, Joey s'adresse alors à moi en jouant la carte de la sincérité. Bien, de cette manière, peut-être que j'arriverai un peu à le calmer. Je le rejoins pour attraper sa main libre, d'abord avec hésitation puis avec douceur pour l'enfermer entre les miennes, mes yeux caramels glissants jusqu'aux siens. Écoute, reste juste comme tu es, c'est tout. Ma voix est faible, presque fragile, comme si j'essayais d'apprivoiser l'animal inquiet en lui. Je baisse mon regard pour observer sa main, passant un pouce sur le dos de celle-ci, puis je reprend après un léger soupire de courage. Si tu veux.. Me poser des questions vas y, je préfère qu'on crève l' abcès maintenant plutôt que tu sois mal à l'aise. Un sourire encourageant accompagne mes paroles, ainsi qu'un regard confiant.

Je cesse finalement le contact chaud pour retourner auprès du canapé comme si de rien n'était, très à l'aise chez Joey, comme au loft. Comme si ici, je ne risquais rien du monde extérieur. Confortablement installée j'observe Joey avec un petit sourire en coin, prête à répondre à ses questions ou écouter ce qu'il souhaite me raconter.

En réponse à ma proposition de me poser les questions qu'il souhaitait, et ainsi éviter toutes gènes futures, le voilà qui se penche pour sûrement m'enlacer. Ma réaction première reste un léger sursaut à peine visible vers l'arrière, toujours angoissée d'être approchée de la sorte. Mais ensuite, je ne bouge pas. C'est Joey, avec lui, je ne risque rien, son étreinte chaleureuse va même jusqu'à me soulager davantage de certains maux, même si le contact reste un peu douloureux avec mes nombreuses cicatrices encore fraîches. Les bras le long du corps, je fais grimper mes mains jusqu'à ses omoplates pour lui rendre son étreinte, un fin sourire aux lèvres. C'était léger, agréable.. étrange. J'avais l'impression d'être sur un nuage de coton, si confortable que je ne l'ai pas entendu murmurer à mon oreille.

Le câlin terminé, je me surprend à regretter sa fin et me contente de hochet la tête pour le thé. Même si il commence à faire chaud chez Joey, une boisson chaude n'est pas de refus. Tasse en main, humant son parfum délicieux, je le rejoins sur son canapé pour m'asseoir face à lui, accompagnée d'un léger rire. Excuses moi.. Dès que j'ai pu sortir de l'infirmerie, je suis restée au loft... Je repense à ce jour où j'ai pu rentrer chez Caleb, chez nous, et où je n'ai plus quittée le lit plusieurs jours.

Le regard perdu dans mon reflet troublé dans le thé, je reprend. Je ne voulais pas.. Enfin.. Qu'on puisse me voir.. Le regard posé ensuite sur Joey, je lui montre mon visage, un sourire amusé sur les lèvres. Surtout avec ce déguisement. L'humour, le seul moyen pour moi de ne pas sombrer. Et c'était trop frais pour que je puisse parler de ce que j'ai pu subir.

Je suis touchée lorsqu'il commence à me parler de son plus récent travail, et un large sourire vient illuminer mon visage, prenant ma tasse en main pour apprécier le thé en même temps que je l'écoute. Tu me montre ? Que je lui propose, déposant en même temps ma boisson pour faire glisser ma besace jusqu'à moi. Je sort quelques dessins mélangés que j'étale sur la table, certains normaux, et d'autres qui illustraient le masque de mon agresseur ainsi que des détails de la pièce. J'ignore ces derniers pour lui montrer quelques croquis.. de l'atelier. Je suis plus sortie moi, du coup... J'ai pas grand chose à te montrer.. Ma voix est un peu timide, déçue de ne pas pouvoir lui montrer autre chose.