Les directives ont toujours été assez claires : au sein du camp, les femmes sont les précieux réceptacles de la vie, et tout le corps médical doit leur permettre un bon déroulement de leurs grossesses. Il en va des conseils nutritionnels jusqu'aux traitement hormonaux pour les plus récalcitrantes - un acharnement qui me semble complètement démesuré - et l'on m'a rapidement inclus dans ce process, dans un rôle que j'espère un peu plus doux que les autres.

Avec ces femmes, le plus gros du travail de kiné se déroule pendant la grossesse et juste après l'accouchement. Mais quelques unes sont amenées à devoir optimiser leurs chances avant même de procréer.

D'un geste à peine appuyé sur son dos, je redresse le bassin de Phoebe pour qu'elle l'aligne correctement avec le reste de son corps, en demi-pont. "Comme ça, super. Serre bien le ventre, le périnée, et redescends tout doucement..." Guider ce genre d'exercices, ça donne l'impression d'être à la frontière entre la médecine et le coach sportif. Mais c'est important que Phoebe ressente tout ce qui travaille dans ces positions, qu'elle conscientise chacun de ses muscles. Les prochaines grossesses se passeront d'autant plus facilement que son corps y sera préparé. Et puisque son dossier médial fait mention d'une fausse-couche relativement récente, ça n'est pas si accessoire.

Je lui avise un sourire quand elle relâche le mouvement. Ce n'est pas la première fois qu'elle me rend visite, mais je me demande toujours si elle fait partie de celles qui se sentent obligées d'enfanter. La question serait sans doute trop personnelle pour être posée directement, alors je la transforme légèrement. "Ton fiancé et toi, vous êtes pressés d'être parents ?" Je lui tends une main, qu'elle la prenne ou non, pour l'inviter à se relever, et l'entraîne vers la table qui sert aussi bien à effectuer les massages que les exercices allongés que je peux ainsi plus facilement assister. Je la laisse alors s'y installer, étendue sur le dos, et place ses mains sur le bas de son ventre pour nos derniers exercices de respiration. Après, si elle en a envie, j'aurai encore le temps de lui faire un massage de type 'réconfort après l'effort'.

Tasya ayant accepté de s'occuper de Norman le temps qu'elle ne puisse voir Ray, la petite blonde se sentait enfin sereine, en pleine séance de respiration. Si elle savait pertinemment que le médecin se contentait seulement de faire son travail, Ray avait toujours eu quelque chose d'apaisant dans les séances qu'il lui administrait et qui à son sens, relevait d'avantage du bien être que d'un réel effort d'exercice. Concentrée dans ce qu'il lui demandait alors qu'il la félicitait, souriant à ce compliment avant de prendre bien volontiers sa main tendue pour se relever.

Resserrant l'elastique qui maintenant ses cheveux en hauteur, étirant quelque peu son dos pour le soulager des efforts, quand Ray avait posé la question qui l'angoissait tant. Etait-elle impatiente d'avoir des enfants avec Noah ? L'espace d'une seconde, elle resta silencieuse, lèvres pincées avant de relever les yeux vers Ray.

Je ne sais pas ... On pourrait peut-être attendre le mariage ? Tenta t-elle dans une vaine tentative d'humour, craignant que la remarque ne soit mal interprétée avant de se reprendre précipitament.

Enfin... Je ne dis pas qu'on en à pas envie hein ! Parce que tout de même. Si la simple idée de se retrouver forcée à enfanter l'effrayait au plus haut point pour l'avoir vécu avec Norman, il n'empêchait. Ce genre de choses ne pouvait être dite à haute voix ici. Cherchant ses mots, avant de reprendre sur un ton plus bas à l'attention de son kiné.

C'est juste que ... La fausse couche de cet hiver à été douloureuse. Ce n'était qu'à demi-vrai, pourtant. Si la douleur avait été horrible, le soulagement de se dire qu'elle avait peut-être évité une petite fille qui risquerait de vivre la même chose qu'elle, avait été grand. Elle n'avait pourtant rien fait pour empêcher cette grossesse. Prête à la subir, avant que son corps ne le lui interdise. Profitant de sa position allongée pour enfoncer un instant son visage entre ses bras, gênée de la tournure que prenait la discussion avant de soupirer brièvement.

C'est toujours un peu douloureux d'en parler. Et... C'est allé vite avec Noah, mais oui, je suppose qu'il voudra des enfants rapidement.

Serait-ce différent cette fois ci ? Noah semblait pour l'instant, tout ce qui été recherché chez un homme. Doux, patient. Attentionné et même compréhensif sur bien des points. Elle n'aurait su dire s'il s'agissait d'amour, mais en sa présence, elle se sentait d'avantage apaisée qu'avec n'importe quel autre homme venu lui faire la cour..

Vous voulez me proposer des ... "trucs" pour que ça fonctionne mieux ? s'était-elle enquise avec une curiosité sincère, bien que craintive de ce qu'il risquait de lui proposer, l'empêchant de se concentrer sur la respiration comme elle aurait dû.

Ils pourraient attendre le mariage. Et si je n'avais pas peur que mes paroles soient rapportées, je lui dirais bien que ses envies à elle sont au moins aussi importantes que celles de son futur époux, et que la politique de ce groupe sur les naissances et une belle aberration morale. Mais je me dois de nuancer... de me lisser, comme d'habitude.

"Pour la conception en elle-même, je pense qu'il faut vous laisser du temps. Je sais que la pression est forte, mais le stress serait un facteur aggravant pour les fausses-couches. De toutes façons, vous savez..." Je soupire, mais tâche de garder un semblant de sourire. "Si d'ici un an il n'y a rien, on pourra chercher à améliorer vos chances, mais en attendant, contentez-vous de trouver du bonheur dans ce couple." C'est en créant des attaches qu'ils se mettront à copuler comme des lapins, pas avec le couteau sous la gorge. Le reste, c'est la nature qui s'en chargera.

"Pour ce qui est d'éviter les fausses couches, outre réduire le stress, je ne peux que vous conseiller de garder une activité physique régulière et un mode de vie sain. Vous aurez un bon suivi médical pendant votre grossesse, pour éviter que ça ne se reproduise." Ce genre de problématique est malheureusement assez courant et leur étude bien loin de mon champs d'action. Ce sont les gynécologues qui les prennent en charge, et leur approche est souvent loin d'être empathique. Je ne peux que récupérer les corps et âmes meurtries pour tenter de les faire se relever pour un autre round. C'est comme faire la rééducation d'un soldat pour le renvoyer au front. J'essaie de me dire que je rends ce retour moins... pire.

Je tire un tabouret derrière moi pour m'assoir près de Phoebe et descendre un peu plus à sa hauteur. Ce sera compliqué de faire ces exercices en discutant, mais je pense qu'elle a davantage besoin de parler que de renforcer ses muscles profonds.

"Est-ce que vous vous aimez, avec Noah ?" La question aurait été absurde il y a encore quelques années. Car personne ne se serait fiancé à quelqu'un sans amour. Mais aujourd'hui... à Walla-Walla, il y a les chanceux qui ont trouvé chaussure à leur pied, et les autres que l'on case de manière plus ou moins forcée.

Bien sûr, qu'ils chercheraient à ce qu'elle tombe enceinte à tout prix. Bien sûr, elle ne doutait pas un instant qu'elle subirait à nouveau un interrogatoire infernal pour savoir si la fausse couche était avérée, ou si elle ne l'avait pas un peu cherché. Hochant la tête sans mot dire, déjà terrifiée à cette éventualité, écoutant néanmoins les conseils du médecins, avant de reprendre.

Je ne l'ai pas voulu. Cette fausse couche. murmura t-elle avec douleur, fermant un instant les yeux avant de reprendre. Et... J'ai peur que si ça arrive de nouveau, on m'accuse de quelque chose que je n'ai pas fait.

Bien sûr qu'elle avait été soulagé. Mais une perte, restait une perte. Un deuil qu'elle s'était refusé à avoir; qu'elle refusait d'accepter, malgré la douleur et le temps que son corps avait mis à s'en remettre. Ca ne l'empêcha pas de sentir ses yeux briller à cette évocation, alors que Ray venait s'installer à sa portée. Séchant rapidement ses larmes en riant légèrement.

Je suis beaucoup trop sensible, désolée. Au moins rentrait-elle parfaitement dans le cadre de la jeune femme douce et docile en cet instant précis, songea t-elle avec amertume alors que la nouvelle question de Ray la laissait coite un instant.

Est-ce qu'elle aimait Noah ?

Il y avait tout juste deux mois, elle ignorait son existence ! C'était insensé, d'imaginer qu'elle était amoureuse. Et dans le même temps ... Il dégageait cette humanité et cette douceur à son égard que Luke ne lui avait jamais témoigné.

Je l'apprécie beaucoup. Souffla t-elle dans un semi-murmure, hésitant sur la suite de ses paroles. L'amour... Viendra avec le temps. Ils venaient tout juste d'annoncer leur fiançaille, par tous les saints. Souriant néanmoins a Ray, reprenant.

Et vous ? Vous êtes également marié ? Enfin... si ce n'est pas indiscret !

"Ne vous en faites pas, Phoebe. Même si ça venait à se reproduire, on ne vous accusera de rien. Les fausses-couches, ça arrive. Il faudrait vraiment que ce soit lié à quelque chose de suspect pour attirer l'attention." J'essaie d'être aussi rassurant que possible. Evidemment, la politique ultra-sectaire doit être angoissante à vivre lors des grossesses. Je devine d'ailleurs l'émotion glisser au coin de ses yeux. Ca me fend toujours autant le coeur.

"C'n'est pas un problème..." Je tends le bras vers mon bureau pour attraper la boîte de mouchoirs, et l'amène à sa portée. "Vous pouvez pleurer, on est là pour évacuer les tensions de toutes sortes." Je lui adresse un sourire amical, légèrement tordu par la compassion. Je ne peux qu'imaginer à quel point ces événements sont douloureux pour les femmes. Surtout lorsque l'enfant est désiré.

Lorsque j'aborde le sujet de son fiancé, j'ai naturellement l'impression de soulever tout un tas de questions. Ils n'ont sans doute pas eu l'occasion de se fréquenter longtemps avant de s'engager. C'est un des couples auxquels on n'a pas laissé le choix. "C'est un bon début." de l'apprécier. J'acquiesce en hochant doucement la tête : l'amour peut venir, en effet. Sinon, j'espère au moins de la complicité.

Quand elle me retourne la question, je suis un peu déstabilisé. Ca me fait sourire nerveusement - je préfère poser les questions. "Je... je me suis rapproché de l'une de mes amies." Pas comme elle l'imaginera bien sûr, mais cet arrangement avec Mei-Lin m'est très pratique - pour le moment du moins, et je suppose que ça sonne mieux comme ça que de parler d'une fréquentation. "Je devrais probablement songer à la demander en fiançailles." parce que c'est la suite logique à une rencontre, et qu'il serait bien mal vu de "fricoter" sans lui passer la bague au doigt. On serait tranquilles un moment, mais... L'absence de progéniture finira forcément par attirer l'attention. Alors, pour l'instant, je fais en sorte de gagner du temps.

J'ajoute doucement, mais sans lui laisser le temps de creuser le sujet, "Si on laisse tomber les exercices pour aujourd'hui, vous voulez un massage ? On a encore du temps." Ca l'empêchera peut-être de poser trop de questions, et puis... vu ses angoisses, je vais bien trouver quelques tensions à dénouer.

Elle ne peut s'empêcher de sourire à cette remarque que lui fait Ray concernant les fameuses fausses couches. Mais elle à des difficultés à le croire sur parole...
Je ne sais pas. qu'elle souffle avec hésitation. Ma dernière fausse couche... Ils ont vraiment, vraiment insisté pour savoir si je n'avais pas fait ça volontairement et ... et la panique s'empare d'elle, à l'idée qu'on puisse aller dire qu'elle s'est plaint ouvertement. Et je comprends, c'est un acte horrible. Mais ... j'étais innocente. et presque automatiquement, les larmes lui viennent aux yeux avant de baisser le regard pour que Ray ne le remarque pas. Remerciant le mouchoir qu'il lui tend pour venir tapoter le coin de ses yeux, le remerciant d'un sourire timide, alors qu'il évoque ce bon début entre Noah et elle.

Oui. Et puis, nous avons le même âge. Des points communs... le contraire total de Luke en somme. Mais ça, elle préfère ne pas s'en rappeler au risque de fondre en sanglot. Et au moins, Ray à la gentillesse de changer de sujet en évoquant cette amie qu'il songe à demander en fiançaille.

C'est une bonne nouvelle, non ? qu'elle tente, supposant du moins que ce serait sensé être le but. Du moins, dans la logique d'ici. Peut-être pas pour tout le monde... Relevant les yeux quand il propose un massage, restant un instant coite face à la proposition.

Oh je ... Vous êtes sûr ? Je ne voudrais pas abuser ... et en même temps, avec Norman qui ne cesse de demander les bras, les objets à porter, et ce repos qu'elle se promet toujours sans jamais le faire ... Elle doit bien admettre que certaines tensions vont de sa nuque à ses reins, sans jamais s'en plaindre.

Ray. rajoute t-elle néanmoins avant qu'il ne lui confirme, une fois les larmes taries. Merci, vous savez. Pour votre gentillesse... Car même s'il n'est à ce moment là que son kiné, il n'empêche. En moins de quelques heures, lui à eu plus d'égard pour elle que Luke en deux années consécutive. Et sa bieveillance amène un peu de baume à son coeur meurtri.

Je ne trouve pas que l'avortement soit un acte horrible car je ne suis pas né dans les années trente. Mais j'acquiesce poliment, dans un accord de façade. "Je n'en doute pas." De son innocence. Phoebe a l'air de vouloir être mère, et tant mieux. Si elle se plait dans ce que Walla-Walla pousse à atteindre, alors elle pourra espérer être heureuse.

Je souris doucement quand elle évoque ses points communs avec Noah. Quant à Mei, "Oui, bien sûr." C'est une bonne nouvelle, je suppose. Je tâche de paraître convaincu, en tout cas.

"C'est moi qui le propose." que je réponds à ses doutes pour le massage. J'ai le temps devant moi et l'envie de la voir ressortir d'ici plus détendue. Je n'ai pas besoin d'autres raisons. Ses remerciements me touchent, difficile de le cacher. "Je vous en prie. Je suis là pour aider." Au sens large, et pas que pour la soigner.

Je me détourne pour ouvrir le tiroir supérieur de l'un de mes meubles et y choisir l'huile de massage la plus appropriée. Celle-ci devrait bien faire l'affaire : mélange de plantes aux propriétés reconnues pour lutter contre le stress. J'active de la pression d'un bouton la chaine hi-fi qui délivre à bas volume une musique d'ambiance tout à fait banale - je n'ai pas eu beaucoup de choix dans les CDs. Pendant ce temps, je laisse Phoebe retirer son haut, défaire l'attache de son soutien-gorge qu'elle pourra garder par souci de pudeur et s'allonger sur le ventre.

"Vous êtes bien installée ?" J'attends son aval pour revenir vers elle et remonte les manches de ma blouse en deux petits ourlets. Je dépose quelques gouttes dans les paumes de mes mains et les réchauffe un instant l'une contre l'autre. "Arnica, lavande, verveine et orange. De quoi vous détendre."

Je pose les mains de part et d'autre de sa colonne vertébrale pour entamer le massage en remontant vers ses épaules. C'est bien ce qu'il y a de plus agréable dans ce métier : pétrir la chair, détendre les muscles, apaiser les tensions et sentir la personne fondre peu à peu sous mes doigts pour glisser dans un tout autre état. Alors les gestes sont lents et fermes, répondant à une chorégraphie précise et symétrique. Pour moi aussi, c'est un bon anti-stress.

Le massage dure un bon quart d'heure sans parler, aux sons de la musique, de sa respiration et du frottement de mes mains sur sa peau. A ne traiter que le dos, c'est assez vite plié. Je passe une serviette pour éponger le restant d'huile qui ne devrait lui laisser qu'une douce note parfumée. "Vous pouvez vous rhabiller." dis-je en posant les fesses sur mon petit tabouret pour rouler plus loin et pivoter en même temps que je m'essuie les mains. Sans la regarder, j'ajoute, "Comment vous sentez-vous ?"