Février 2021.

Il repousse la porte d’un geste las, se dirigeant vers sa chambre pour retirer les fringues trempées qui lui collent à la peau. Ses yeux se portent sur les tâches de sang qui maculent le tissu et ses mains. Celui de Jill. La pensée lui fait serrer les mâchoires et se serrer le cœur. Il aurait dû lui coller au train, ne pas la laisser s’éloigner de son champ de vision, quitte à se faire défoncer la gueule à la place. Les regrets, la culpabilité, et avec eux la frustration. Celle de n’avoir pu rester à ses côtés au dispensaire froid et aseptisé dans lequel il l’avait laissé. Celle de ne pas connaître l’étendue des dégâts ni les séquelles que la jeune femme pourrait en tirer. Frustration qui le ramène un peu trop brutalement cinq ans en arrière, quand il l’avait découverte la gueule en sang au pied d’une montagne, un piolet dans la cuisse et la clavicule éclatée. Les souvenirs lointains et qu’il avait fini par oublier avec le temps lui revenaient un peu trop précisément. Les soins, la fièvre, les risques, la convalescence, sa compagnie, là-bas, perdus dans les bois de Whiskey bend. Ils s’étaient retrouvés il y a six semaines et peut-être que…. non, il ne voulait pas penser à ça. Elle s’en tirerait. Elle s’en tirait toujours. Jill avait connu pire pour des soins bien plus médiocres. Ici il y avait un dispensaire, des toubibs, des putains de chirurgiens même!

D’un geste rageur il envoie valser ses fringues et en enfile des propres et sèches avant de se diriger vers l’évier de la cuisine pour retirer le sang sur ses mains. Il frotte, frotte encore, les dents serrées, regarde l’eau se rougir et disparaître dans le syphon. Il tente d’effacer certaines visions qui le hantent encore. De cette nuit, et surtout d’autres. Finalement, au bout de longues minutes de ce traitement un peu trop radical, il coupe l’eau et regarde ses doigts rougis d’avoir trop été frottés.
Les yeux fermés, le garde forestier tente de faire le tri dans la tempête qui sévit là-haut, les mains solidement accrochées à l’évier à s’en faire blanchir les jointures. Il aurait dû rester. Lui coller au cul. Aurait dû être celui allongé sur une saloperie de lit d’hôpital. Pas elle. Lui.

Il finit par passer ses mains encore humides sur son visage, appréciant la fraîcheur qui s’en dégage avant de se détacher du meuble pour se traîner jusqu’au canapé. Le soleil est levé mais le sommeil est encore loin. Trop d’adrénaline, trop de questions, trop d’inquiétude. Il sait que s’il va se coucher maintenant seuls les cauchemars le trouveront. Il imagine son amie en train de se faire charcuter et ça lui soulève l’estomac. Jeremiah ne s’est pas attaché à beaucoup de gens durant sa vie, encore moins ces cinq dernières années. À bien y réfléchir, Jill est la seule à s’être imposée dans sa solitude et à l’avoir atteint dans sa forteresse.

Le regard dans le vide, il n’entend que vaguement la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer, ne prenant pas la peine de se retourner pour y découvrir la Russe. Il a envie d’alcool. C’est con, puéril, mais c’est un oubli facile. Un somnifère efficace. Un anesthésiant comme un autre. Tout plutôt que de voir les images qui défilent devant ses yeux.

Quand le véhicule s'arrête à l'entrée du camp, le soleil commence à se lever et à rougeoyer de l'autre côté de Bainbridge, sainement, sans l'énorme nuage de pollution. Cinq années entières sans usines, sans l'incessant convoi de bagnoles, camionnettes et camions qui enfument les routes. Une belle vue dont la slave ne profite même pas, pas d'humeur pour ça. Évitant soigneusement ses collègues de missions, elle laisse le sang frais de l'île s'occuper de rapatrier les futurs cobayes et fonce chez le maître de chien de l'île pour y récupérer Vodka. Sa tête d'enterrement suffit à son interlocuteur qui évite toute question concernant leur mission et lui rend simplement sa bête, l'informant au passage que la chienne maîtrise enfin le tour du "pan t'es mort". Ça arrache un petit sourire sans joie à l'encrée qui après une brève salutation et remerciement pour la garde de son animal s'en retourne à son chez-elle pour retrouver son colocataire qu'elle sait en mauvais état. Pour sa part, c'est un peu la même histoire, l'état de Jill l'inquiète, la culpabilité qui va avec également, de même que pour cette mission dont l'absence d'éthique ne la laisse pas indifférente... Ça n'a d'ailleurs pas l'air d'avoir traumatisé grand monde de kidnapper d'autres humains pour les envoyer à une mort certaine, lente et douloureuse au profit de la science. Ils sont tous sociopathes ici ou quoi ? C'est hallucinant.

Vodka suit et adapte sa marche à celle de sa maîtresse comme il lui a été appris. Un chat file à toutes pattes devant eux et l'animal prend sur lui pour ne pas lui courir après comme à son habitude. Une autre bonne nouvelle que la tatouée salue d'un hochement de tête et d'une caresse de félicitation avant de franchir le seuil de la porte. Jeremiah est là, changé et propre et vraisemblablement dans sa bulle. Tout comme lui, la slave n'a pas vraiment sommeil, elle se rend néanmoins au niveau des escaliers qu'elle hésite soudainement à grimper. Courte réflexion et elle fait volte-face pour se rendre dans la cuisine pour y attraper une bouteille de vodka et deux verres. La chienne quant à elle se rend sur le canapé et vient du bout du museau titiller l'avant-bras du garde forestier.

Elle s'installe sur le fauteuil du salon et vient servir généreusement les deux verres, remerciant silencieusement Adrienne pour la bouteille qui va être de bienvenue. "M'tiens." et elle fait glisser le verre à sa hauteur avant de lever le sien à ses lèvres. "T'sais, c'est une femme forte... " Pas besoin d'une boule de cristal pour savoir que Jeremiah n'a qu'une personne en tête en ce moment même. "... et elle est entrrre de trrès bonnes mains." Malheureusement, elle ne sait que trop bien de quoi elle parle sur ce sujet là. "Elle va surrrvivrre, inutile de s'inquiéter." Mouais, faites ce que je dis, pas ce que je fais, elle n'est clairement pas sereine non plus pour ce coup-là et elle cause autant à Jeremiah qu'à elle-même....

La truffe humide du chiot le fait sortir de sa torpeur et il consent à briser sa carapace pour la gratifier de quelques caresses derrière les oreilles. Ralph lui manque putain. Bien plus dans ce genre de moment. Une simple présence rassurante à qui il n’avait pas à parler, qui ne cherchait pas de réponses et qui ne le jugeait pas. Juste là, présent, avant qu’une connard lui fiche une lame en pleine gorge. Le connard en question avait payé, lui et tous ceux l’accompagnant mais le résultat restait le même. Le bouvier bernois était enterré au milieu de Whiskey bend et lui avait plus de sang sur les mains.
Prenant finalement la boule de poids sur ses cuisses - qui commence à peser son poids - il tente de la calmer par des caresses, trouvant le geste plus apaisant qu’il ne l’aurait pensé. Relevant ses yeux sur la slave, il la regarde remplir le contenu de deux verres comme si elle avait lu dans ses pensées et se contente de lever son verre en guise de remerciement.

Aux mots de la Russe, le garde forestier vient planter ses yeux bleus dans ceux, vairons, de la jeune femme. “Je sais. Crois-moi. Je sais.” Elle avait survécu à une chute depuis le haut d’une montagne, aux soins précaires apportés par le quarantenaire, à une putain de fièvre du diable. Par deux fois, il y a cinq ans, il l’avait pensé morte et par deux fois elle avait bravé la grande faucheuse. Elle avait retrouvé celui qu’elle cherchait, pour finalement se faire dérouiller une seconde fois. Jill était comme ça et il savait que tôt ou tard, elle en crèverait.

Trempant ses lèvres dans son verre, il grimace légèrement, peu habitué à ce genre de breuvage à présent mais apprécie l’alcool qui lui brûle agréablement la gorge et l'œsophage. Un léger rire nerveux et sans joie passe ses lèvres et il se cale un peu plus dans le canapé, continuant à caresser la chienne. “Ça fait longtemps que j’suis incapable de ne pas m’inquiéter pour elle.” Trop casse-cou, trop têtue, trop entière. Elle finirait par lui claquer dans les mains, à court ou moyen terme. Mais c’est Jill. Après tout ce qu’il a fait pour elle, après tout ce qu’ils ont vécus, après tout ce qu’ils ont partagé, il ne peut pas juste arrêter de tenir à elle d’un claquement de doigts. “J’aurais dû lui coller au cul putain…” Il n’aurait probablement pas eu la force de rétamer le connard qui l’avait mise dans cet état mais il aurait pu encaisser les coups. Ça lui aurait laissé une porte de sortie ou l’occasion de lui coller une balle en pleine tête. N’importe quoi plutôt que la savoir entre les mains de foutus toubibs qui n’en avaient rien à cirer d’elle. “Tout ça pour quoi…” Dépité, un peu à bout certainement, et s’il sait que le sommeil ne le trouvera pas avant de longues heures ça n’empêche pas la fatigue de lui tomber sur le coin de la gueule après cette nuit. À nouveau il s’accorde quelques gorgées de vodka, avant de gratouiller la seconde sur le poitrail. Une dans chaque main, il ne sait guère laquelle le réconforte le plus présentement mais le mélange des deux n’est pas si mal pour apaiser son humeur.

Il sait comme il dit si bien mais c’est plus fort que lui, l’inquiétude le domine. Ce n’est pas pour autant qu’elle va juger, bien au contraire, y a rien de plus humain là dedans, la seule chose qui la dépasse, c’est le stade de relation entre ces deux là, vraisemblablement plus gros que ce qu’elle a pu comprendre. Les deux vodka s’occupant de le réconforter, elle s’enfonce dans son fauteuil non sans un léger soupir, les évènements sont encore trop récents pour qu’elle puisse jouer la carte de l'indifférence et de la distance.

Une gorgée salvatrice et un râle de plaisir quitte ses lèvres, la boisson est d’un réconfort certain à cet instant précis. L’oreille tendue, elle serre les mâchoires quand les remords du garde forestier prennent le dessus, elle crève pourtant d’envie de lui expliquer que sa présence n’aurait possiblement rien changé, que Jill se serait quand même mangé une belle dérouillée et que lui même aurait pu y passer en jouant les héros, ce qu’il aurait certainement fait en bon gaillard qu’il est. Aucune de ses pensées ne vient cependant la trahir, elle garde ça pour elle, c’est trop tôt pour lui balancer cette possible vérité, ce serait trop prématuré et il a le droit d’avoir son moment à seum-land.

Tout ça pour quoi ? Ouais ça c’est une putain de question ou encore une fois elle préfère clairement passer son tour. ”J’vais pas rebondirrr, m’sache juste que j’suis pas la plus enchantée parrr le fond de cette mission. Je prréfèrre même pas en parrrler.” Les kidnapper pour en faire des rats de laboratoire, bof quoi, les tuer serait bien plus humain à ses yeux mais elle n’est clairement pas en position pour remettre en cause ce genre de choix. Pas en position de s’en vanter non plus d’ailleurs, aussi, elle va faire ce qu’elle fait de mieux : ranger tout ça dans une petite case au loin dans les tréfonds de son âme et ne plus jamais y repenser. ”Y a pas d’morrrts de notrrre côté, on vient d’fairre tomber un de leurrr avant-poste, de leurrr prrendrre pas mal d’ressourrrces... Ils vont le sentir passer. j’rrretiens que ça.” Y a que ça à retenir pour elle et il ferait bien d’en faire autant s'il veut garder la tête hors de l’eau. ”M’pense pas au rrreste.” Et au cas où ce serait pas clair, elle se permet tout de même d’ajouter après une nouvelle gorgée : ”Et t’inquiéter va pas la rramener plus vite.” Parenthèse un peu con, c’est sûr qu’il le sait déjà, c’est tout simplement plus fort que lui. ”M’jsais que c’est pas facile, mais faut que tu essaies.” Qu’il fasse un effort, qu’il réalise un peu la putain de chance qu’il a de l’avoir retrouvé saine et sauve, de pouvoir la croiser quotidiennement et quand il le souhaite, le genre de scénario dont rêve la russe coincée sur cette île à s’inquiéter jour et nuit pour les siens… encore une vérité qui lui brûle les lèvres et qu’elle vient étouffer avec une nouvelle gorgée de vodka, faut surtout pas que ça sorte, elle risquerait de s'emporter…

Le résumé de la réussite de leur mission - si tenté qu’on puisse la qualifier ainsi - de Roza ne l’aide en rien à relativiser le risque encouru par son amie. Pas juste son amie d’ailleurs. L’une des plus précieuses de ces cinq putain d’années. Ce n’est même pas sa conscience qui le travaille présentement. Peut-être plus tard, quand le garde forestier sera parvenu à prendre suffisamment de recul. S’il avait eu ce type dans sa ligne de mire, il le sait, il n’aurait pas hésité à tirer. Après tout il avait déjà fait pire. Même entre de bonnes mains, le doute qui persistait concernant Jill était pire que tout. “J’suis là depuis tellement peu que j’sais même pas pourquoi j’fais ça putain.” Il se passe une main lasse sur le visage avant de continuer à gratouiller le chiot. “Ok, ce sont des fanatiques religieux à la con type replantons la graine de la nouvelle société et agenouillez-vous devant notre politique de merde mais j’ai jamais connu ça, la guerre, toutes ces conneries…” Une guerre qui deviendrait fatalement la sienne. Il pourrait juste prendre la tangente, comme à son habitude. Il aurait pu. S’il n’avait pas déjà trouvé quelques racines auxquelles se raccrocher. “C’était plus simple seul…” Plus dangereux, pour sa sécurité, pour son esprit qui avait entrouvert les portes d’une douce folie portée par une solitude trop longue, mais plus simple. Pas d'attaches, pas d’investissement, juste la survie.

Acquiesçant sobrement aux propos de la Russe, il finit par se murer dans un silence apaisant, laissant retomber la pression et aidé par quelques verres supplémentaires que sa colocataire lui offre de bon cœur ou non. Il n’en a plutôt rien à foutre vu les circonstances et le contexte général.

La chienne finalement endormie contre lui et qui commence à ronfler joyeusement parvient tout de même à lui soutirer un sourire alors qu’il ignore combien de temps s’est écoulé et que l’alcool commence à faire son office. Jeremiah n’a plus l’habitude de boire et avec la nuit dernière et le manque de sommeil, le combo est assez radical.

Relevant ses prunelles claires dans celles de sa vis-à-vis, aidé par la vodka qui le désinhibe un peu, il se cale un peu plus dans le canapé. “C’est juste une pote?” Pas besoin de préciser qu’il parle de Jill. Il croit. Non pas qu’il soit jaloux. Il n’est vraiment ce genre d’hommes à étaler sa prétention au trône ni à se la jouer possessive. C’est juste de la curiosité, qui ne lui ressemble pas tant que ça quand il est dans un état plus normal. “J’sais comment elle est et combien il est difficile de lui dire non.” Pas vraiment son genre de se trahir si aisément non plus. Il se contente donc de hausser les épaules, expirant longuement.

Les verres s'enchaînent, triste à dire mais ça lui rend progressivement le sourire à l’encrée cette ivresse passagère. “Ahah, ouais, rrre-bienvenue chez les Humains Jerrremiah.” Ouais, y a-t-il vraiment autre chose à lui dire ? Pas vraiment, il vient de le reconnaître : il était mieux seul dans sa forêt, le retour à la civilisation et à la guerre, c'est la débandade classique d’une nouvelle vie auprès des siens, c’est la merde. “On baigne d’dans d’puis cinq ans nous, ça rrrend l’exerrcice vachement plus facile à encaisser.” Une autre vérité accablante mais qui ne lui enlève pas son petit sourire en coin, ainsi va la vie après une apocalypse, faut faire avec ou s’isoler bien loin. La concernant depuis la chute du lycée, elle n’a en effet vécu que cela, la guerre et elle ne sait malheureusement que trop bien de quoi elle parle. À son stade, avouons-le, c’est sur un champ de bataille qu’elle se complaît le plus. “Tu t’y ferrras, vois-ça comme un prix à payer.” C’est le propre de l’humain, il est câblé pour s’adapter à tout changement et s'efforcer de survivre qu’importe la difficulté, ce ne sera pas facile mais ça il s’en rend déjà compte, il baigne dedans le garde forestier, le tout maintenant c'est de pas s'y noyer.

Le sujet dérive et revient finalement vers la belle gueule de Jill. La russe ne répond pas tout de suite à la question de son colocataire, elle prend le temps de terminer son verre d’une bonne levée de coude. “J’sais pas vrrraiment...” Levant son museau en l’air elle esquisse un nouveau sourire presque carnassier tout en cherchant ses mots. “M’disons qu’on a déjà… hum… m’plusieurrrs fois.. m’prrris un peu d’bon temps, ici et là.” Purement physique, ça matchait plutôt bien entre elles, ça a même brisé une histoire, histoire qui n’aurait de toute façon pas durer sur le long terme, la russe voit clair à ce sujet désormais, elle s’est vraiment égarée au sujet de l’anglaise et de sa vraie personnalité. Résultat, un ennemi de plus dans ce camp, un ennemi qui en sait long sur elle, le plus dangereux de tous sans doute. “J’lui dois beaucoup, elle a toujourrs été top avec moi.” Pas de jugements, pas de coup de pute, beaucoup d’écoute et une efficacité conséquente sur le terrain, le bon mix quoi, peu d’habitants de Fort Ward peuvent cocher autant de cases.

“Et toi ?” Elle se doute déjà de la réponse, y a clairement un truc entre eux, ça se voit, de là à mettre exactement le doigt dessus, c’est une autre histoire.  “S’tu m’dis qu’on a parrrtagé l’même entrejambes… j’me tirre une balle.” Le menace t-elle de l’index sans se défaire de son petit sourire en coin, ce serait drôle quand même, un peu.

Un prix à payer
Les mots résonnent dans son esprit sans y trouver un sens précis. Un prix à payer pour quoi? La sécurité? La guerre n’offrait pas ce genre d’avantages. Certains lieux résistaient juste plus longtemps. La bouffe? Il ne pouvait nier avoir repris un peu du poil de la bête depuis son arrivée ici et ne plus passer ses journées à chercher de quoi se sustenter. Retrouver Jill? Alors qu’elle passait la majeure partie de son temps à risquer sa vie? Difficile de se sentir concerné quand on n’avait jamais fait partie d’un tout, d’une communauté. Solitaire dans l’âme, ce sentiment d’unité ne le touchait pas, du moins pas encore. Pas assez con pour le dire à haute voix, il se contente d’un long silence, se demandant si tout ça en vaut la peine, avant de se rappeler que c’est cette situation ou repartir en solo et risquer la folie. Et puis comme le disait la Russe, la plupart baignait dedans depuis cinq ans. Il avait au moins eu la chance de s’offrir un sursis.

Quand le sujet dérive sur leur amie commune, il plante ses yeux sur la jeune femme, arquant un sourcil quand cette dernière tente d’y mettre les formes, tout ça pour finalement avouer qu’elles s’étaient envoyées en l’air. Il l’aurait pensé plus direct. Ou bien elle respecte vraiment la flic et ne veut pas être grossière. La question retournée, il lève une main en toute innocence comme pour signifier qu’il n’avait même pas pensé à ce genre de remarques. Mais son sourire niais de parfait connard parle pour lui et il est difficile de ne pas deviner qu’il a lui aussi goûté à quelques plaisirs avec la brune. “On a partagé…” commence-t-il juste pour la faire chier…. “Quelques mois de survie.” Son sourire s’élargit avant de reprendre un minimum de sérieux.

Il évite de parler des circonstances de leur rencontre, ce pan de l’histoire appartenant davantage à son amie et il ne veut pas trahir ses secrets. “On a été plus ou moins forcé de cohabiter pendant plusieurs mois peu après le début de toute cette merde. Je suppose que ça facilite certains…. rapprochements.” Son regard se fixe un instant dans le vague, presque nostalgique de cette période. À bien des égards, ça avait été facile, juste elle et lui perdus au milieu des bois. Et parce qu’il n’aime pas s’appesantir sur un passé lointain, il se redresse un peu, désireux de l’emmerder un peu plus. Si ça pouvait en plus l’empêcher de penser à Jill étendue sur un putain de lit d’hôpital…. “Et avec Miss Jones? C’est quoi la p’tite histoire? T’as essayé de lui mettre la main dans la culotte et tu t’es aperçue que ça mordait aussi en bas?”

Ok, il devrait vraiment arrêter de boire.