Je suis pas vraiment surprise que les choses se soient bien passées. On avait bien pris le temps de réfléchir à notre plan d'action et le fait que les gens installées dans cette église à la noix n'aient aucune espèce d'organisation ni de système de défense efficace était vraiment du pain béni. Ils n'étaient que cinq, dont un vieillard et deux enfants. Autant dire que déplacer le groupe entier n'aurait servi à rien.

Alors par principe, et surtout pour qu'il soit content, j'ai pris le vieux pasteur avec moi. Cet illuminé a évidemment presque sauté de joie en apprenant qu'il allait pouvoir chasser des impurs de la maison de Dieu. Quelle grenouille de bénitier ce vieux, j'hallucine presque à chaque fois.

Comme à mon habitude, je suis plus concentrée sur la route qu'autre chose pendant que je conduis vers notre planque réservée aux retours de pillages. Éloignée de la gare et avec l'obligation de passer par un ancien parc ayant repris son côté sauvage pour potentiellement éviter d'être suivis. C'était le meilleur endroit qu'on pouvait trouver. Mais du coup, je n'écoute que d'une oreille ce que peut bien dire le vieux fou à côté de moi.

Ce n'est que quand j'entends mon prénom que je redresse légèrement la tête, pestant intérieurement en me demandant ce qu'il a bien pu me dire juste avant parce que je n'y ai pas fait attention. Mais à connaître la bête, il devait simplement revenir sur le fait qu'il était content d'avoir « purifié » cette église. Ils le méritaient, que je me contente de répondre d'une voix neutre et détachée. J'imagine que ça répondra à sa question. Du moins je l'espère. Sinon il se rendra compte que je ne l'écoute pas vraiment.

Par contre, je lève les yeux au ciel et laisse un soupir discret m'échapper lorsqu'il revient sur le sujet de cette croix énorme qu'il voulait récupérer. Ce type doit bientôt être centenaire et j'ai l'impression de devoir gérer le caprice d'un enfant de huit ans. C'est déprimant.

Je prends une grande inspiration, rentrant à la perfection dans mon rôle tel que je le joue chaque fois que je dois manipuler ce vieillard et sourit malgré mon masque, uniquement pour que cela s'entende dans ma voix. Voyons, mon Père, allions-nous réellement nous approprier une telle chose ? Ces païens ne méritaient en rien de se trouver là, mais que faites-vous des brebis égarées qui pourraient trouver en ce lieu un sanctuaire de leur foi ? Dieu est omniprésent, nous le savons bien, mais les pécheurs sont nombreux et doivent pouvoir se rattacher à un si bel objet ne pensez-vous pas ? Qui sommes-nous pour retirer de sa propre maison une œuvre appartenant à Dieu?

Je me dégoûte quand je parle comme ça, simplement parce que ça me fait penser à mes parents. Berk. Mais il faut ce qu'il faut, j'en ai bien conscience.

Nous ne devrions pas tarder à arriver à notre planque, nous ne sommes toujours pas suivis ? Qu'il se rende utile un peu au lieu de jacasser.

Évidemment que mon petit laïus avait fonctionné sur la grenouille de bénitier assise à côté de moi. C'est dingue quand même, cette manière qu'ont les gens de développer un fanatisme absolu envers quelque chose qui n'existe pas, au point d'en faire une secte à l'échelle mondiale. Non mais vraiment, il suffit de regarder le déroulé d'une messe pour se rendre compte que ce n'est qu'une cérémonie sectaire à grande échelle et tolérée par le monde entier. L'hypocrisie humaine, c'est vraiment fascinant parfois.

Pourtant, je continue de jouer le jeu et dépose chastement ma main sur l'avant-bras du pasteur tout en conduisant, le regard rivé sur la route tortueuse devant moi. On est presque arrivés. Et vos prières seront entendues par le Très Haut, mon Père, soyez-en certain. Il nous accompagne au quotidien, dans cette quête de purification que nous menons. Quête de purification mon cul. Je me demande vraiment s'il est aveugle au point de pas se rendre compte qu'on fait tout ça simplement pour nous et personne d'autre. Enfin, tant que ça convient à tout le monde, on va pas se plaindre. Chacun ses motivations, comme on dit.

Un rapide hochement de tête me permet de transmettre au vieillard que j'ai bien reçu l'information concernant le fait que nous étions toujours seuls et je bifurque donc rapidement entre les arbres pour me rendre à notre planque. Deux petites minutes de route boueuse plus tard, je coupe le moteur alors que nous sommes entrés dans cette ancienne grange. Je peux enfin retirer mon masque. C'est pas trop tôt, je commençais à étouffer là-dessous.

Prenant le temps de m'étirer, j'observe ce que tient Bartholomew en affichant un petit sourire satisfait. Voilà une initiative plus que brillante, mon Père. Vous êtes un homme de Dieu, et nul doute que celui-ci a tracé ce chemin de débauche pour vous par le passé pour que vous puissiez aujourd'hui assouvir sa répression des impies. Oh la la, quel discours pompeux. Et le pire, c'est que c'est exactement ce qui fonctionne avec lui.

Je quitte enfin mon siège, me relevant et laissant un bâillement m'échapper alors que je saisis une cigarette pour la coincer entre mes lèvres et l'allumer. Me dirigeant vers les grandes portes de la grange, je les referme avant d'aller allumer les lampes à huile qui se trouvent là et qu'on avait récupérées pendant un ancien pillage. De quoi palier à la faible lumière qui parvient à s'infiltrer dans le bâtiment par les interstices entre les planches et la tôle du toit.

Nous avons pu tout de même réaliser une bonne prise aujourd'hui. Voilà qui devrait bien nous aider pour les semaines à venir. Il faut croire que vos anciens réflexes n'ont pas été perdus en tout cas. C'est une très bonne chose. Un pasteur tueur. Digne d'un mauvais bouquin policier, mais sacrément efficace en définitive.