Bad trip

J'avais carrément posée le mauvais pied ce matin. Moi qui était de nature joviale, enfantine parfois, sans parler de mon ventre qui s'arrondissait de jour en jour et qui devait me rendre joyeuse. Non, aujourd'hui c'est vraiment pas le cas. Comme les jours précédents depuis cette mésaventure avec Marlon. A table, face à Caleb, nous étions silencieux. Que ce soit lui ou moi pourtant, on était en temps normal de vraies pipettes. Mais plus là. La tête posée sur une main et le coude sur la table, les yeux dans mon assiette, mon corps se secouait encore maintenant de spasmes sous l'effet de la peur profonde. Lorsque face à moi, Emma a tirée une balle sur Abigail. Lorsque Marlon nous a obligé à nous agenouiller et a tapasser sans retenu Duncan. Lorsque Vivian a tirée dans le tas dans la salle commune. J'entendais encore les détonations et les poings, et à chaque coups mon corps, par réflexe, sursautait.

Je vais prendre l'air. C'était pas une question. Caleb le savait, il comprenait, et ne chercha pas à me retenir malgré l'inquiétude qui ne le quittait plus. Mais me retenir ici était bien pire que tout. Sans finir mon assiette j'ai donc enfilée une paire, mon blouson, et rejoint les barricades après avoir vérifiée mes armes blanches. Pas de crochet par l'armurie puisque j'étais persuadée que c'était inutile. Avec le soulèvement ça devait être encore plus surveillé ; pourquoi donner une arme à feu à une femme enceinte ?

Je marchais le long de la route sans savoir où je voulais partir, ce que je voulais faire. Je sentais et pensais uniquement à la colère qui me pesait sur le cœur, faisant naître aux bords de mes yeux quelques larmes de douleur physique et mentale. Assez loin du fort à mon goût, je me suis arrêtée, la main sur la poitrine.. Avant de pousser un énorme cri qui, je l'espère, pourra me soulager un peu.

Mais je n'ai pas le temos d'en profiter que j'entends un grognement léger venir de mon dos. Un regard par-dessus mon épaule est suffisant pour y apercevoir la présence d'un rôdeur traîner lentement des pieds jusqu'à moi, très certainement attiré par le bruit. Mes poings se serrent ; j'y vois là l'opportunité de me soulager. Extirpant ma machette de la ceinture, je rejoins donc le vidé sans attendre pour lui éclater le crâne à plusieurs reprises avec mon arme. Putain, premier coup, de, deuxième, merde, troisième. Et j'ai continuée comme ça en gueulant des noms d'oiseaux différents, jusqu'à ce qu'il ne reste de sa tête qu'une vulgaire purée.

Le visage en larme et possédée par la douleur, la rage, j'allais m'attaquer au corps lorsqu'une présence dans mon dos m'oblige à me retourner aussitôt, brandissant mon arme face à l'intrus qui osait venir me déranger, prête à le fendre le crâne. Je me suis évidemment mise sur pause en voyant l'uns des nôtres.

Depuis... Ce coup d'état orchestré par Marlon, Janek avait réalisé plusieurs choses. L'une d'elle était que les rôdeurs ne faisaient pas si peur que ça au final. Les vivants étaient bien plus imprévisibles, effrayants et destructeurs. Une autre était que le Fort n'était pas un endroit aussi sécurisé finalement. Lui qui se pensait à l'abri à l'intérieur de ces murs s'était royalement trompé. Comme beaucoup d'entre eux, il se remettait lentement voir pas vraiment de cet épisode violent. Il ne dormait plus vraiment, les yeux noirci tout comme ses mains salis par du charbon et des traces rouges. Il avait essayé d'extérioriser ce qu'ils avaient vécu pour aller mieux. En vain, il n'avait que d'avantage réalisé l'horreur de la réalité.

Seul, isolé, bien qu'il continuait d'aider, dès qu'il le pouvait, Janek sortait du Fort et découvrait doucement le monde extérieur pour s'y réhabituer et y survivre de nouveau, comme avant d'arriver dans ce camp, mais en mieux préparé cette fois. Il avait peur de rester dans l'enceinte du Fort, et il s'inquiétait sans arrêt pour les autres, alors sortir l'occupait bien mieux que ses toiles finalement.

Alors qu'il se déplaçait en silence, un cri le fit sursauter et figer sur place, essayant de repérer le danger. Ses réflexes étaient de plus en plus rapides et spontanés, trottant vers la source du bruit dans le cas où quelqu'un serait en danger. Danger il y avait, sous la forme d'un rôdeur. Est-ce qu'il y avait à intervenir ? Au vu de ce qu'il voyait, pas vraiment. Devant lui, Lily se défoulait sur le mort, la tête de ce dernier ne ressemblant plus à rien après ça. Le peintre dans son dos regarda si d'autres avaient été attirés par le bruit. Rien. Elle ne craignait donc rien et savait parfaitement se défendre malgré qu'elle était enceinte. Il aurait put lui faire la remarque que c'était dangereux pour elle et son bébé de se promener, mais il savait qu'elle était forte et n'avait pas trop envie qu'elle se défoule sur lui parce qu'il l'aurait contrarié.

Les survivants étaient effrayants.

Après avoir vérifié qu'elle ne craignait rien, il fit un pas en arrière dans l'idée de passer son chemin sans se faire voir et la laisser à ses affaires. Malheureusement, il marcha sur une branche dont le craquement la fit se retourner brusquement vers lui, son regard encore remplit de cette folie colérique et désespérée qui l'avait amené à transformer ce rôdeur en purée. Par réflexe, il leva les mains en signe de paix, espèrant qu'elle remarque tout de suite qu'elle n'avait pas à le tuer. Janek bafouille, ne sachant pas trop quoi dire.

"Ne me tue pas s'il te plaît. Je ne voulais pas te surprendre ni te déranger. J'ai juste entendu un cri, je voulais m'assurer que tout allait bien. Si tu veux je repars et te laisse dans tes occupations. On a chacun notre façon de décompresser après tout."

Il voulut faire un autre pas en arrière, mais tandis qu'il lui faisait toujours face, un frisson glacial parcourra sa colonne, son cerveau cherchant à lui signaler que quelque chose n'allait pas, jusqu'à entendre un bruissement à quelques pas dans son dos se rapprocher rapidement, des râles se faisant de plus en plus entendre. Apparemment, un autre rôdeur avait tout entendu mais avait juste mit un peu plus de temps à arriver. Janek se retourna, sa main sur le manche de sa lame pour dégainer, avant de la lâcher précipitamment pour réceptionner à temps le mort qui cherchait à le mordre, le repoussant comme il put avant de trébucher sous son poids et sa vitesse, son dos claquant contre un arbre dans un "outch" tandis qu'il continuait de le repousser, évitant sa mâchoire à moitié édentée, son visage déformé par l'horreur et l'effort, l'adrénaline l'aidant à tenir bon pour le moment, cherchant un moyen pour se sortir de cette situation.

Tenant fermement ma machette en direction de Janek, le regard brillant d'un incendie de colère dévastateur, et le souffle rapide et bruyant, je finis par doucement descendre mon arme au fur et à mesure que mon cerveau comprenait qu'il n'était pas un danger. Il a les mains en l'air et semble ne pas vouloir m'emmerder, c'est un bon point pour lui. Et puis, je me voyais mal lui faire du mal alors que lui, n'avait rien fait ! Strictement rien. Un long soupire las s'échappe de ma bouche en même temps que mes yeux se baissent et qu'il me parle, aussi soulagée de ne pas l'avoir involontairement blessé. Ce n'était pas le moment. Je pose une main sur mon ventre, le visage maintenant tiré par la gêne.

— Je suis désolé, je ne voulais pas.. que je commence à lui dire.

Mais je suis coupée dans mon élan par l'arrivée d'un autre rôdeur qu'on n'avait pas capté, moi ayant précédemment le regard baissé. Mais je n'ai pas le temps de réagir correctement qu'il s'élance sur le plus proche de nous pour lui croquer u' bout, c'est à dire Janek, qui n'a pas le temps de dégainer puisqu'il est tout aussi surpris que moi. L'avantage de ne pas avoir été prise pour cible, j'ai le temps de lever ma machette pour l'abaisser violemment contre le crâne de l'assaillant mort. Au moins, il est véritablement mort. Je récupère immédiatement mon arme, ainsi que celle de Janek au sol pour lui rendre avec un sourire en coin.

— Ça va ?

Ma question était sincère, voir inquiète ; j'aimerais éviter qu'il se soit fait mordre par ma faute, pour avoir voulu décompresser. Mais pas le temps de blablater qu'un petit groupe se déplace dans notre direction, toujours avec cette irrésistible envie de croquer dans de la chair fraîche. Ils ne sont pas nombreux, juste quatre ça devrait le faire, mais je n'ai plus envie de me défouler et de mettre en danger mon futur enfant. Je viens saisir une main de Janek pour l'entraîner avec moi, lui indiquant un chemin à prendre, même si je ne savais pas où on allait pouvoir aller. Parce que je ne voulais clairement pas rentrer.

Lorsque la machette s’écrasa sur le crâne du mordeur qui essayait de le croquer, le peintre fit une grimace, usant de ses dernières forces pour faire basculer le corps sur le côté. Il était soulagé d’être encore en vie, de ne pas avoir été mordu et que Lily l’ai aidé, mais c’était toujours aussi écœurant lorsqu’ils déglinguaient un cerveau. Il se releva et de frotta les vêtements, plus pour se débarrasser de son frisson et de cette présence morbide définitivement morte que pour enlever la terre de ses vêtements. Puis il releva son regard vers son couteau, pour regarder ensuite Lily qui le lui tendait en lui demandant comment il allait. Elle qui le menaçait une seconde avant, il suffisait d’un rôdeur pour changer la situation. Il attrapa son couteau avec délicatesse, le rangeant dans son fourreau, souffla un bon coup puis lui accorda un sourire.

- Oui ça va, merci. Et toi, tout va bien ?

Mais pas le temps d’obtenir un réponse que la future maman remarque un nouveau groupe arriver vers eux, Janek suivant son regard avant de sentir sa main être saisi et tirée. Lily en avait assez de se battre, lui aussi pour dire la vérité, pourtant ce n’était pas vers la camp qu’elle l’emmenait, et ça aussi ça lui allait. Le contact de sa main lui fit bizarre, il n’était plus habitué à ça, mais sa poigne était assez ferme pour qu’il ne tente pas de la retirer tout de suite. Dans sa précipitation de les emmener loin de cet endroit, elle semblait avoir besoin de se rassurer qu’il la suivait. Allez savoir pourquoi. Il ne savait plus trop ce qu’elle avait en tête. Voulait-elle être tranquille ou voulait-elle de la compagnie ?

Il ne sait pas combien de temps ils coururent, mais elle était enceinte et Janek ne voulait pas qu’elle se fatigue d’avantage. Il resserra la pression de sa main sur la sienne pour la tirer doucement et l’amener à s’arrêter, regardant autour d’eux. Pas de morts déambulant en vue, il semblerait qu’ils n’ont pas été suivi. Ce fut à son tour de la tirer pour l’emmener un peu plus loin en marchant, jusqu’à un tronc qui s’était écrasé au sol, l’invitant à s’asseoir dessus. L’endroit était assez dégagé pour qu’il puisse surveiller si quelque chose arrivait.

- Je sais que c’est frustrant et qu’on doit souvent te le dire, mais reposes toi deux minutes. J’ai bien compris que tu ne voulais pas rentrer, on ira se promener où tu voudras après.

Après avoir confirmé qu’ils étaient en sécurité, Janek, le regard fermé, tira son paquet de tabac avant de se raviser. Ce n’était peut-être pas le bon moment pour ça. Il prit le temps de respirer pour se détendre avant de faire face à Lily, son léger sourire habituel de retour.

-Tu vas bien ?

Janek n’allait pas lui demander ce qu’elle faisait dehors, seule, alors qu’elle était enceinte. Ce n’était peut-être pas très prudent, mais il se voyait mal la réprimander. C’était une adulte, qui savait se défendre. Qui était-il pour lui dire ce qu’elle devait faire ou non ? Pas sûr qu’elle apprécie s’il se permettait de lui faire la remarque. Par chance, il avait croisé son chemin. Il n’était peut-être pas le meilleur combattant du coin, mais il pouvait veiller à ce qu’elle ne court aucun danger tant qu’elle acceptera sa présence. Puis Janek avait une petite idée du pourquoi elle était là. Sûrement la même raison que la sienne. Le camp était assez grand pour se promener, mais quand on avait besoin de souffler, d’oublier un instant, c’était bien à l’extérieur que l’on trouvait un échappatoire.

Je continue à m'aventurer entre les vieux bâtiments d'un coin de la ville, la main de Janek toujours dans la mienne pour ne pas le perdre de vue. Je pouvais très bien m'arrêter pour souffler un peu, les rues étaient dangereuses, certes, mais les morts assez lents. Mais je redoutais le moment où mon coéquipier finirait pas me dire que c'est bon, on est hors de danger, on peut rentrer. Moi, je veux pas. Je veux rester loin de ce monde, loin de tous et de leurs problèmes à la con. Puis finalement je sent une tension sur mon bras pour me forcer à ralentir, voir même m'arrêter. Sur le coup je l'ignore parce que je sais ce que ça signifie, mais il ne lâche pas le morceau et insiste. Je décide à contre coeur de l'écouter et l'observe un instant avec un regard sévère, pas vraiment contente de la suite du plan qu'il va surement m'exposer. Contre toute attente, il m'entraine à son tour vers une autre rue qui débouche sur une ancienne petite place, assez dégagée pour nous permettre de surveiller les alentours. Janek me lâche la main pour s'asseoir sur un tronc qui jonche le sol, m'invitant par la même occasion à prendre place à côté de lui, sous mon regard intrigué. Mais il me rassure très vite avec ses paroles, ce qui a pour effet de rapidement faire baisser ma garde.
— J'espère que ce n'est pas un piège pour ensuite me ramener.
Que je lui fais remarquer avec un sourire, venant prendre place à côté de lui sur notre banc de fortune, lâchant un profond soupire de plaisir, de me poser quelques minutes, mes mains tendrement posées sur mon ventre où mes yeux s'arrêtent quelques secondes, puis sur que le paquet de cigarette que Janek extirpa de sa poche avant de se raviser.
— Je sais pas si c'est à cause de moi ou non, mais tu peux fumer.
On est en extérieur et puis il n'allait sûrement pas me souffler sa fumée en pleine tête. Ma petite princesse ne risquait rien. Ceci précisé, je tourne ma tête pour fixer un point invisible droit devant nous, haussant machinalement les épaules.
— Honnêtement ? Je sais pas. Qui pourrait se sentir bien avec ce qu'on a vécu ? Personne.
Avec ce qu'on a vécu mais aussi ce qu'on va vivre dans les prochains jours, ou les prochaines semaines qui sait. Mon quotidien à la ferme me manque, j'ai l'impression d'étouffer de plus en plus. Vivre dans des conditions pareilles... Ça ne me conviens plus. Je tourne finalement la tête vers Janek, avec néanmoins un frêle sourire.
— Excuses moi, je dois te paraître pessimiste.

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