Je secoue la tête, un peu sonné, avant de me concentrer de nouveau sur le combat. J’ai pris une jolie mandale, mais je vais pas m’arrêter à ce genre de détails. Surtout que là, me manque pas grand-chose pour le mettre par terre. J’esquive tout juste un autre coup et je finis par l’aligner. Comme à chaque fois que je suis dans la piscine, au moment où le type tombe, j’ai l’impression que quelqu’un remet le son en marche et que j’entends le bordel aux alentours. Ca fait quoi ? Trois fois que je me bats ici ? Je crois ouais. Ca m’a fait la même chose à chaque fois.

En vrai, le combat avec Liam m’a permis d’en avoir d’autres gagnés d’avances. Des trucs faciles, où, si je fais pas de conneries, je peux tomber l’adversaire et ramener de quoi bouffer à mon groupe. Faut dire que ça devient nécessaire vu comment on en a chié ces dernières semaines. Et que ça me permet d’évacuer ce qui me bouffe. Tout bénéf quoi. En attendant que nos projets se lancent, c’est le minimum que je pouvais faire pour aider comme je le pouvais.

J’ai un mince sourire en direction des gens qui me tapent dans le dos, visiblement contents d’avoir parié sur moi et je regarde dans la foule, cherchant une tête connue. Y a Radcliff dans les hauteurs des gradins, ça ira bien. J’attrape une serviette et je m’essuie rapidement, avant de choper deux bières et de grimper les marches, pour me laisser tomber à côté de lui. « T’es pas venu pour le spectacle M. Right j’imagine. » Je le connais pas encore vraiment, mais je sais que c’est pas son délire. En tout cas, si j’ai un peu tiqué quand Ruby nous l’a présenté, il a l’air de savoir ce qu’il fait. Et j’ai un bon feeling avec lui. Il a l’air assez retors pour que ça nous soit profitable et y a pas besoin de faire croire qu’on veut en faire notre nouveau meilleur ami. Moi, ça me va. J’ai pas la foi de me faire de nouveaux potes en ce moment, surtout après tout ce qu’on a pu vivre. Mais des alliés, des gens avec qui bosser, c’est ce dont on a besoin. Et, si Ruby lui fait assez confiance pour lui mettre en les mains la négociation des contrats, alors moi aussi.

Je bois quelques gorgées avant d’enfiler de nouveau mon t-shirt. J’ai un peu l’air d’un pouilleux à côté de lui, mais ça me dérange pas. « T’as trouvé des trucs intéressants ? » C’est pour ça qu’il est là non ? Des clients, des pistes, ou des informateurs. Tout est bon à prendre maintenant. J’ai pas vraiment le temps d’en rajouter que deux silhouettes familières se rapprochent de nous. Bill et Thaïs. Le maitre de la Cage et son bras-droit. J’ai un sourire et un hochement de tête à leur attention. « J’espère que le spectacle vous a plu. » On est là pour ça de toute façon. Gagner c’est une chose, mais ils aiment aussi quand le combat dure, qu’il y a du suspens. Et même si c’est pas mon délire, j’essaie de m’y coller, histoire de me faire une place dans le coin. Ca peut toujours servir. Surtout que ça peut permettre de faire parler un peu de nous et, si on veut se faire un nom ici, se rapprocher des personnes parmi les plus influentes du NML et de ses alentours, c’est utile. « J’sais pas si vous connaissez mon camarade. Il travaille avec nous. Sur nos nouveaux projets. » Par réflexe, je touche ma mâchoire et j’ai une grimace de douleur. Il m’a pas raté ce con en fait.

La Cage, encore et toujours la Cage. Sa crasse, son odeur et son brouhaha incessant commençaient à lui donner la nausée, à la longue. Il tira de son sac un vieux pot de vicks pour s'en tartiner un peu sous les narines dans l'espoir de masquer ainsi les odeurs rances d'alcool et de transpiration, puis lâcha un soupir. Aussi désagréable que ce soit, c'était clairement l'endroit où il fallait être quand on voulait être au cœur du flux d'informations qui circulaient au No Man's Land, donc il se trouvait là. Perché comme un aigle tout en haut des gradins, il scrutait le chaos du regard, des soûlards attablés aux combattants de la piscine, en passant par ceux qui préféraient se regrouper pour troquer leurs babioles. Il se concentrait pour graver leurs visages sur sa rétine, retenir leurs interactions, leurs habitudes, leurs relations. C'était un travail d'Hercule mais Radcliff ne s'en lassait jamais. Observer l'humanité était son pécher mignon.

Dans la fosse, un combat faisait rage. Et il reconnaissait sans mal l'un des combattants. Il s'agissait ni plus ni moins de Joaquin, avec qui il était sensé s'associer pour négocier avec les Gentle Bastards.  Il ne savait pas encore trop quoi en penser, si ce n'est qu'il avait l'air d'être quelqu'un de réglo, mais les apparences étaient souvent trompeuses. Autant garder ses réserves et sa prudence, le temps de faire plus ample connaissance. Dans tous les cas, le bougre bougeait bien et se battait encore mieux. Et avec le sens du spectacle je vous prie ! La foule était aux anges mais l'ancien espion, lui, n'était pas aussi emballé que les autres par cette activité. Qu'on se le dise, c'était hautement risqué. Il suffisait d'un coup un peu traître ou mal placé pour que l'un des combattants s'écroule raide mort. Et on savait bien ce qui se passait ensuite... Avec une meute de spectateur amassée au bord de la piscine, il y avait fort à parier qu'il y aurait plus d'une ou deux morsures, et une chose en entraînant une autre... Enfin bon, on allait encore lui dire qu'il était parano, aussi était-il bien décidé à garder ses sombres pronostics pour lui.

Bientôt le combat prit fin et Joaquin entreprit de le rejoindre. Radcliff, en vieux rocher émoussé qu'il était, attendit sagement que Mahomet vienne à la montagne. Il se saisit ensuite de la bière qu'on lui tendit et bu poliment une gorgée pendant que son collègue se rhabillait. ce dernier souhaitait savoir s'il avait déniché  quelque chose d'intéressant, ce à quoi il répondit d'un haussement d'épaules évasif.

- "J'observe juste mes petites souris en t'attendant."

Ses souris, ou plutôt ses enfants, s'étaient éparpillées discrètement dans la foule à la recherche de nouvelles croustillantes. Au milieu des adultes, on ne les remarquaient qu'à peine, noyés dans cette mer de jambes et de tables de bistro. Radcliff n'avait pas encore abordé le sujet de ses ouailles avec ses camarades, cela viendrait sûrement, mais pour l'instant ils avaient d'autres chats à fouetter. Deux hommes venaient de les rejoindre, et pas des moindres : le roi et son ministre. Il les accueillit d'un moulinet de la main et d'un geste de la tête, simulacre de révérence, sans pour autant décoller ses fesses de son banc. Avec un sourire, il les invita à venir s'asseoir à leurs côtés plutôt que de rester debout. Après tout, s'ils étaient sensés discuter, autant se mettre à l'aise.

- "Nous avons déjà eu l'occasion de nous croiser mais jamais de nous parler. Enchanté, vous pouvez m'appeller Mr Right."

Je pensais pas autant apprécier l’ambiance de la Cage. Je sais, c’est juste une pauvre piscine à moitié délabrée où des mecs se mettent sur la gueule pour deux bottes de carottes. Ou quelque chose dans le genre. Mais, perso, ça fait partie des éléments qui m’aident à pas perdre pied ces derniers temps. Parce que j’ai l’impression de faire un truc concret en me battant, que je peux ramener des trucs au groupe et que… ouais ça me défoule à mort. Je sais bien que c’est pas du goût de tout le monde et j’attends pas qu’ils viennent me voir à chaque fois. Même si c’est cool quand l’un d’eux se motive et que je le retrouve dans la foule.

Je suis quand même étonné que ce soit Radcliff aujourd’hui. Enfin, vu le profil, il est clairement pas là pour m’encourage ou une connerie du genre. Et ça me dérange pas. Je bois quelques gorgées de bière avant de le fixer, sans trop piger ce qu’il raconte. « Tes petites souris ? » Je regarde la foule, cherchant à comprends, avant que mon attention soit rapidement captée par le maitre des lieux. Toujours fringué de façon totalement improbable, mais fondamentalement, tant qu’il essaie pas de me relooker, je m’en fous totalement. Je lui rends un sourire quand il me répond, tiquant quand même quand il m’appelle par mon nom de famille. J’ai beaucoup de mal avec ça, même si le monsieur au début fait paradoxalement un peu passer la pilule. Ca reste pourtant totalement improbable, mais c’est comme le reste du personnage.

Va quand même pas falloir que l’appelle M. Roth quand même non ? Je lève un sourcil alors qu’il papote avec Radcliff, saluant Thaïs d’un hochement de tête alors que je bois quelques gorgées de bière supplémentaires. Quand il s’adresse de nouveau à moi, j’ai un bref hochement de tête. « J’confirme, vous vous trompez pas. » Enfin, j’ai comme un doute sur le fait que j’peux encore qualifier Isha d’ami vu ce qui a pu se passer, mais on va pas s’arrêter à ce genre de détails là, de suite. « Si vous me parlez du travail qu’il fait ici, j’imagine que c’est pas juste par politesse… » Evidemment, si c’est bien ça, je vais y trouver un intérêt. Tout comme lui. Perso, gagner ou perdre, je m’en fous, surtout si je gagne quelque chose à chaque fois. Alors, si je dois m’écraser de temps à autre pour que ça affole les parieurs, ma foi, pourquoi pas. Sans compter que ça pourrait nous permettre de tisser des liens par nous-mêmes avec la Cage, en dehors de ceux qu’on avait pu commencer à avoir du temps de notre ancien groupe. C’est aussi pour ça qu’on traine dans le coin non ?