Enfin une bonne nouvelle. Non pas qu’il n’y en avait pas eu ces derniers mois, ils avaient même eu quelques victoires, mais June avait l’impression que tout était toujours en demi-teinte. Les semaines continuaient de défiler à une vitesse folle et leurs assauts minimalistes sur New Eden n’avaient pas encore fait une nette différence. Ils venaient toujours, sur Seattle, comme des cafards dont l’extermination s’éternisait. Mais ce matin, Madisson était venue chercher l’avocate pour lui signaler que les travaux sur la production d’éthanol étaient enfin terminés.

Pendant des mois, ils avaient trouvé le local, ramené les cuves, installé la tuyauterie, préparé les composants, fait modifier certains véhicules. Un chantier coordonné par Jason et supervisé par la jeune Summers. Le premier que la rouquine lui avait confié à « temps plein », et elle n’était pas mécontente de voir l’ardeur que son assistante mettait à la tâche. Elle était loin l’époque où la blondinette n’était qu’un lapin pris dans les phares d’un trente-six tonnes, forcée d’œuvrer comme secrétaire pour s’épargner des ennuis. Il n’y avait bien que sa grossesse pour noircir le tableau mais à part ça, sa cadette était véritablement irréprochable.

Quand elles pénétrèrent dans leur distillerie, l’odeur était bien évidemment particulièrement forte. C’était le premier test qui était en route, pour voir s’ils arrivaient bien au résultat escompté et – surtout – si ça fonctionnait ensuite comme carburant. Puisqu’on ne changeait pas les habitudes, June portait une tenue simple – jean/pull – et ses cheveux de feu avaient été tirés en arrière. Sur son cou, la cicatrice de la tentative de meurtre était désormais rosâtre, pratiquement invisible si on y arrêtait pas le regard.

- Si tout fonctionne correctement, combien de litres à la journée on devrait être capable de produire ? Demanda-t-elle aux deux responsables du projet.

C’était une donnée importante, celle sur laquelle se baserait notamment tous les prochains calculent de Layla pour ses projections. Ça aiderait également à gérer la suite des modifications des véhicules, pour que d’ici la moitié de l’année, l’ensemble de leur parc ait basculé sur le bio-éthanol. Et en complément, il faudrait qu’ils règlent ce casse-tête des voitures électriques… mais c’était une autre histoire.

Spoiler:

Le grand jour est enfin arrivé ; des mois de travail, de recherches, de nuits blanches aussi… Quoi qu’il en soit je suis soulagée ; toucher au but représente l’aboutissement d’un projet qui me tenait vraiment à cœur, une avancée immense pour notre communauté. Avec Monsieur Lawson, nous avons travaillé d’arrache-pied pour que nous puissions enfin produire notre propre carburant. Autant dire que cela n’a pas été simple pour moi au départ. Malgré mes bases solides dans les matières scientifiques, il a fallu que j’étudie avec sérieux les notions nécessaires à la bonne compréhension du projet. Heureusement pour moi, Jason a fait preuve de beaucoup de bienveillance. Il m’a constamment épaulé et je me suis contentée de suivre ses conseils et ses recommandations. Une confiance commune et une bonne entente qui nous ont permis d’être très efficace.

Malgré tout, je reste un peu tendue alors que nous avançons vers la distillerie avec Madame Phelbs. Elle nous a laissé gérer ce projet de A à Z avec l’ingénieur et elle s’apprête à découvrir ce que nous avons mis des mois à élaborer.

Une fois à l’intérieur, June ne tarde pas à nous questionner sur les capacités de production actuelles. Je me tourne alors vers Jason, le laissant répondre en premier. Une fois ses explications terminées, il me laisse prendre la parole. Je fais signe à ma supérieure de nous suivre, lui présentant les installations, le schéma du circuit sous les yeux. « Ici, nous avons les cuves de fermentation. Et là, la colonne de distillation où l’alcool brut est ensuite déshydrater pour donner l’éthanol. Enfin, nous avons les cuves de stockage. Comme l’a précisé Jason, nous devrons certainement en ajouter d’autres pour pouvoir contenir à terme, notre production. » Une fois les installations présentées, je poursuis « Les premiers essais ont été vraiment concluants. Pour l’instant nous avons un seul circuit de production en état de marche, l’idée étant d’en développer d’autres dans les mois à venir afin d’augmenter notre production. J’ai déjà fixé les prochaines expéditions pour tenter de trouver le matériel nécessaire. Le bâtiment est suffisamment grand pour que nous en développions un maximum. » Il nous faudra encore quelques semaines pour les développer mais c’est en de bonnes voies. « Néanmoins, pour que nous puissions faire tourner la distillerie quotidiennement, il va nous falloir de la main d’œuvre. J’ai déjà contacté les personnes susceptibles de pouvoir nous aider, Jason s’occupera de former les volontaires. Il ne peut pas être le seul à gérer tout ça. »

Parcourant à nouveau mes notes, je reprends finalement, voulant revenir sur un point important du processus. « Et quant aux ressources nécessaires pour assurer la production sur le long terme, nous avons estimé la quantité de céréales et de betteraves qui nous seront nécessaires avec Valentine. Certainement qu’à terme nous serons capables de dire combien de litres de carburant nous pourrons produire par hectare de culture… Mais pour l’instant nous naviguons encore à vue. Il faudra étendre certainement nos cultures pour avoir suffisamment de ressources destinées à la production de carburant… J’ai déjà commencé à réfléchir aux parcelles que nous pourrons utiliser sans que cela ne se répercute sur les cultures destinées à la population… »

Spoiler:

- Très bien, commenta-t-elle.

Ses prunelles d’émeraude s’attardèrent un instant sur son assistante, suite à son laïus qui avait pris le relais sur la réponse de Jason. Chaque fois qu’elle la voyait ainsi maitriser son sujet, June se rappelait qu’elle ne regrettait en rien de lui avoir donné sa chance. Ensuite, elle s’en retourne à l’observation de l’impressionnante installation. Le fruit du travail de plusieurs mois, mais ça en valait bien évidemment le coup. Elle avait des questions, évidemment.

- Pour stocker le surplus, est-ce possible de remplir des jerrycans ? Je veux dire : pourquoi ne pas vider la cuve dans des bidons qu’on stockerait ensuite à l’intendance ?

Ça permettrait de se passer de l’acquisition d’une cuve supplémentaire, mais il y avait peut-être des facteurs que l’avocate ne prenait pas en compte, comme la conservation du bio-carburant. Dans tous les cas, ils allaient effectivement devoir se dégager la possibilité de faire des réserves : les cent litres par jour étaient à la fois énorme, et en même tant à peine suffisant, quand on regardait la consommation de leurs véhicules. Mais June n’avait pas trop de crainte : Layla gérait l’intendance à merveille.

- Valentine fait beaucoup en ce moment pour accroître la production. Les résultats vont forcément mettre du temps à se faire, mais on devrait pouvoir pérenniser le rendement de la distillerie d’ici la fin de l’année.

Elle voyait large, mais comme ne cessait de le rabâcher Valentine, on pouvait faire autant d’effort qu’on le voulait, mais on ne forcera jamais les plantes à pousser deux fois plus vite. Ainsi donc, leur rythme était conditionné à la croissance des cultures, en espérant qu’il n’y ait pas de souci et sans oublier que la priorité restait de nourrir la population.

- Est-ce que les missions ici pourraient être assurées par des adolescents ?

L’idée était de piocher le moins possible dans les recrues pouvant servir de « force vive » et, dans le même temps, de responsabiliser les jeunes. Beaucoup cherchaient encore leur place et, comme les adultes, ils avaient envie de faire leur part. Dans tous les cas, après la visite, June était prête pour faire un test dans l’un des véhicules qui portait leur dispositif d’assimilation du bio-éthanol.

Madame Phelbs semble satisfaite par ce qu’elle découvre. Cela me rassure grandement, évidemment. Après tout ce travail, j’aurais forcément été déçue si cela n’avait pas été à la hauteur de ses attentes. Heureusement, l’expertise de Jason nous a permis de développer ce projet bien plus rapidement que je ne l’aurais pensé. Bien sûr, nous sommes toujours dans une phase expérimentale mais les résultats obtenus sont prometteurs. Bientôt, nous pourrons développer notre production à plus grande échelle, le but étant de devenir complètement autonome dans notre gestion du carburant.

A sa remarque concernant le stockage du surplus, j’acquiesce à sa proposition, laissant ensuite Jason reprendre ses explications. L’idée de faire travailler la distillerie 24h sur 24h est évidemment l’objectif à atteindre. Mais cela implique forcément de la main d’œuvre. Alors quand June nous demande s’il serait possible de confier cette tâche à des adolescents, je reste dubitative quelques instants. Je ne peux m’empêcher de penser à certains d’entres eux, me disant que pour certains, cela ne serait vraiment pas une bonne chose. Néanmoins, l’ingénieur se montre moins réticent, affirmant qu’avec une bonne formation cela serait tout à fait possible. J’interviens alors, me permettant de préciser « J’échangerai avec les responsables de l’éducation des jeunes à ce sujet, ils devraient pouvoir me donner les noms de ceux qui seront assez sérieux pour ce travail. J’ai moi-même quelques noms en tête, je leur demanderai des entretiens prochainement. Néanmoins, il faudra aussi engager des adultes pour superviser les opérations. » Non pas que je n’ai pas confiance en ces adolescents, mais il me semble imporant qu’ils puissent être épaulés et guidés correctement. J’attrape mon agenda dans mon sac avant de l’ouvrir et d’y annoter quelques remarques. J’inscris également les noms qui me viennent en tête.

Une fois cela fait, un autre sujet me vient en tête, tout aussi important pour la réussite de notre projet et le développement de notre communauté. « Concernant l’utilisation de ce carburant, les mécaniciens de Ford Ward ont également travaillé sur la modification de nos véhicules. D’après eux cela n’est pas si complexe que ça, mais cela prendra du temps… Je pense qu’il faudra également du monde pour les épauler, là encore, certains jeunes devraient pouvoir prêter mains fortes. »

La démonstration de Jason la convainquit, elle n’avait pas grand-chose d’autre à ajouter. Tant que les réservoirs contenaient le carburant et permettaient facilement de l’utiliser, elle n’avait aucune raison d’aller à l’encontre des recommandations de l’ingénieur. Par ailleurs, alors que ce dernier suggéra de faire fonctionner leur fabrication nuit et jour, June émit un rappel – qui le soulagerait ou le frustrerait, selon ses ambitions :

- Est-ce que l’installation est faite pour tourner en continue ? Ce serait dommage de complètement l’user en la surexploitant. Dans ce genre de cas, la patience est plus rentable sur le long temps.

Certes, elle imaginait bien que Jason avait les connaissances nécessaires du projet pour savoir quelles étaient les limites de cette distillerie, mais elle préférait le souligner. Il n’était pas question de faire exploser les locaux pour quelques centilitres de bioéthanol en plus. Entendre d’un autre côté que les « jeunes » pouvaient travailler ici, sous supervision, était une bonne nouvelle.

- C’est évident, répondit-elle à Madisson : elle ne comptait pas permettre à des adolescents d’être en autonomie totale ici, elle n’était pas folle, ils n’en ont pas déjà posé quelques-uns, pour pouvoir faire un test ? S’étonna-t-elle au sujet des dispositif à installer sur les voitures, il semblait pourtant à l’avocate que c’était le cas – depuis le temps qu’ils en parlaient, avez-vous abordé Lance Walker ? Il serait temps qu’il sorte de sa bulle.

Le pilote de rallye, ancien fidèle de Zack, avait du mal à se tirer d’une espèce de dépression qui date maintenant de plus d’un an. Il se rendait utile sur des tâches courante et faisait sa part, mais ses talents de mécaniciens sauraient être bien mieux employés. Pour June qui aimait l’optimisation, cet homme était un pur gâchis. Adrienne avait bien tenté de le réveiller, sans succès ; les avions n’avaient pas remplacer les bolides dans sa tête.

- Il devient urgent de renouveler tout notre parc de véhicule, rappela-t-elle à la blondinette, on pourra pas tous les faire en même temps et plus le temps passe, plus le sujet de l’essence devient critique, au bas mot, à ce rythme, ils seraient à court d’ici un an, malgré les économies ; le bioéthanol leur donnera un rab non négligeable, mais ce n’était qu’une étape, est-ce que ce carburant pourra remplacer le kérozène pour les hélico et les avions ? Cette fois, son regard d’émeraude passa de l’un à l’autre de ses interlocuteurs.