A leur retour de la distillerie, Nihima et Raina étaient à des lieues encore, de se douter du chaos dans lequel The Haven avait sombré en leur absence. Elles étaient rentrées pour découvrir la tentative de rébellion de Marlon, mais aussi apprendre la tentative d’assassinat envers une partie des siens – dont Isaac. Dans un état second, elle avait débarqué à l’infirmerie pour découvrir son compagnon alité, aux côtés de son fils, tous les deux dans un sale état. La colère s’était mêlée à l’inquiétude, n’arrivant pas à cacher ce regard noir posé sur Isaac en apprenant qu’il s’était fait ça en tentant de la retrouver, en lui demandant comment il se sentait. Elle était désarmée, en vérité. Ce qu’elle avait craint, tout le long de sa séquestration, était arrivé : il était venu la chercher. Et il s’était retrouvé enterré vivant dans un tunnel, avant de se faire attaquer par un ours, à peine sorti de là. Un ours, bordel. Joachim n’était pas mieux arrangé, à cause de Marlon et de ses hommes. Sur le moment, la rancœur qu’elle nourrissait à l’égard de Selene avait été rangée dans un coin, loin, enfermée dans cette pièce où la jeune femme était – isolée des autres – pour laisser place à une impuissante colère et inquiétude à leur égard. « Tu aurais pu te faire tuer. » Avait-elle grondé, avant de prendre sa main et de s’installer sur un siège entre les deux hommes.

Quelques jours avaient passés depuis. Les médecins laissèrent Isaac rentrer à la caravane sous la surveillance de Raina. L’homme n’avait pas que souffert de sa jambes, mais également des conséquences de leur errance de plus de dix jours, et restait malgré tout très affaibli.  L’amazone s’occupait désormais seule des chevaux – ou presque – puisque les plus qualifiés étaient tous encore alité – ou réellement pas en état de l’aider. Et le premier qui oserait faire venir Selene aux écuries pour une thérapie alternative en sa présence, risquait de bien regretter l’idée. Elle n’avait pas encore discuté avec Nihima, parce qu’elle l’évitait et préférait passer tout son temps avec Isaac qui n’avait pas encore osé poser la question. Comme d’habitude, lui cacher quelque chose était difficile, et la colère persistante de Raina ne résidait plus dans cette tentative de sauvetage à laquelle il avait participé, il y a quelques jours.

L’amazone passa la porte de la caravane, après avoir passé la matinée à nourrir les chevaux, et les sortir pour faire leur box. Vu les températures assez douces de ce début de printemps, elle les avait laissé aux paddocks pour la journée. En rentrant, elle était sale et transpirante. « Bonjour… » Lança-t-elle, en retrouvant son compagnon assis dans le canapé, la jambe surélevée sur la banquette d’en face. « Tu n’es pas censé te lever tout seul. » Railla-t-elle, en haussant un sourcil. Elle s’approche de lui néanmoins, pour l’embrasser. Quand elle était partie ce matin, il dormait encore. Puis elle se redressa pour enlever son pull et son t-shirt, découvrant son bandage à l’épaule. Sa blessure la lançait encore, mais elle se remettait. Elle avait connu pire après tout. « Je vais aller prendre une douche, tu m’aideras à refaire le bandage ? » Elle passait son temps à faire ça : le distraire en s’exposant ainsi à lui pour lui éviter de penser à ce nuage noir au-dessus de la tête de Raina. Celui-là même qui la faisait fuir amèrement les visites du chilien, venant leur donner des nouvelles de Selene. Elle ne parlait plus à grand-monde depuis son retour, et refusait l’aide qu’on lui donnait aux écuries. Pour autant, Raina jugeait encore Isaac trop affaibli par sa maladie et sa blessure que pour discuter de tout ça, avec lui.

Elle lui offrit un sourire et une œillade complice, avant de se lever pour rejoindre la douche, jusqu’à ce que la main d’Isaac ne se tende vers elle, pour attraper son poignet.

Le retour à la « maison » avait été un soulagement pour Isaac. Son séjour à l’infirmerie lui avait paru interminable, bien qu’il ait passé la majorité du temps à dormir. Le piège dans lequel ils étaient tombés avec les autres l’avait profondément marqué, tant physiquement que moralement. La douleur de ses blessures était encore présente, tout comme cette sensation désagréable de fatigue permanente. Il lui faudrait encore plusieurs semaines pour se remettre complètement, ainsi, les médecins lui avaient demandé de rester au calme pendant encore un moment. Ce fut donc avec dépit qu’il avait rejoint le mobil-home qu’il partageait avec Raina, comment allait-il supporter ce repos forcé ? Mal, pour le moment. Heureusement la présence de Joachim, blessé lui aussi, lui donnait de quoi s’occuper. Mais son fils, ce matin-là, avait décidé de rejoindre ses amis. Il en avait sûrement besoin.

Le vieux Greene s’était donc réveillé seul, Raina ayant surement quitté leur lit à l’aube. Après avoir passé quelques heures à somnoler, l’homme s’était finalement décidé à se lever. Il n’en avait pas vraiment le droit, pas seul en tout cas, mais l’idée de rester coucher toute la journée lui filait le cafard. Il avait besoin de bouger un peu, de voir autre chose que le plafond de cette chambre. Il serra les dents pour venir s’asseoir sur le bord du lit, attrapant un pull qu’il passa par-dessus son haut de pyjama, tout aussi difficilement. Se sentir aussi amoindri lui était insupportable… Alors malgré la douleur, il finit par mettre pieds à terre, appuyé sur sa canne. Après tout, cela serait toujours plus supportable que de se morfondre seul pendant des heures.

Avec difficulté, il fit quelques pas jusqu’à la porte qui menait à la pièce principale du mobil-home. De l’autre côté du battant, il fut accueilli par Nyx qui prit le temps de s’étirer avant de venir réclamer quelques caresses. Le cavalier sourit, soupçonnant Raina de l’avoir laissée là pour qu’il ait un peu de compagnie. Il flatta l’animal de quelques gratouilles avant de se diriger jusqu’à la petite cuisine pour se faire du café. Il patienta debout, n’osant pas aller s’installer sur le canapé par peur de ne pas pouvoir se relever. Une fois sa boisson prête, il s’installa sur la banquette, profitant de la chaleur réconfortante de sa tasse. Il redressa sa jambe pour la placer sur un coussin en face de lui, prenant le temps de boire sa boisson, Nyx à ses pieds.

La matinée lui parut interminable. Après avoir passé un peu de temps à lire, il s’était contenté d’attendre le retour de Raina, sans rien faire. Il aurait aimé préparer quelque chose à manger mais il en était incapable. Rester debout pour une simple tasse de café avait été un vrai calvaire. Heureusement, des bruits de pas résonnèrent bientôt sur la terrasse extérieure. La chienne se redressa, n’aboyant pas. L’éleveur n’eut pas de doute sur l’identité de la personne qui allait franchir la porte. « Bonjour ! » Répondit-il avec un sourire, remarquant l’étonnement de sa compagne en le voyant là. L’animal alla à la rencontre de sa maîtresse, ravie de la revoir également. « Je voulais simplement me faire un café. » Se contenta-t-il d’expliquer, s’amusant du ton pris par Raina. Elle savait pertinemment qu’il était compliqué pour lui de rester tranquille. Là-dessus, ils étaient pareils…

Il ferma les yeux pour profiter de son baiser. Puis lorsqu’elle ôta son pull et son t-shirt, le regard clair du vieux Greene s’attarda sur le bandage qui ornait son épaule. Il ne dit rien cependant, acquiesçant simplement d’un signe de tête quand elle lui annonça qu’il devrait l’aider pour refaire son bandage. Il n’était pas dupe. Il savait qu’elle n’avait pas fait ça par hasard. Il hésita quelques secondes, avec l’idée de la laisser partir de rafraîchir. Néanmoins, lorsqu’elle commença à s’éloigner, pour prendre la direction de la douche, Isaac attrapa doucement son poignet. « Attends… » Souffla-t-il d’une voix calme. « Assis-toi. » Il ne l’obligeait à rien, son ton étant resté doux. C’était une simple demande, pas une obligation… Un sourire doux étira ses lèvres, il attendit que la métisse soit assise pour finalement lui demander « Que s’est-il passé là-bas ? » Inutile de tourner autour du pot pendant des heures, Raina savait de quoi il voulait parler…

Nyx s’était rapidement avancé contre les jambes de l’amazone quand elle avait franchi le seuil de la porte, la frôlant à peine, le museau pointé vers elle en attendant qu’elle la salue à son tour. La chienne n’avait pas un caractère très affirmé ; sage et discrète, elle était plus observatrice qu’active. Et depuis le tout début, elle semblait inquiète des réactions de Raina qui devait se forcer à descendre la pression pour ne pas brusquer l’animal ni sa sensibilité. Néanmoins, cela rendait Nyx docile, à défaut de téméraire. Soit, la chienne n’était de toute façon pas destinée au combat – il en était hors de question. La surveillance, le pistage, mais en aucun cas l’attaque. Elle se souvenait encore fraichement de ce qui était arrivé aux derniers chiens mordeurs qu’elle avait rencontré à George. Nyx n’aurait pas ce destin tragique.

Finissant par lui gratouiller l’arrière de la tête, elle s’était avancée vers Isaac qui justifiait sa présence dans la cuisine par une soudaine envie de café. Soupir. Il fallait dire que si ça avait été elle, tout Nisqually se serait battu pour lui faire passer sa convalescence ailleurs qu’aux écuries. Un baiser, un sourire, et elle pense pouvoir s’en tirer à bon compte encore pour cette fois mais les doigts du cavalier viennent saisir son poignet pour la ramener près de lui, l’invitant à s’assoir. Elle se fige malgré elle, avant de baisser le regard vers lui. Si l’idée est de le toiser au début, c’est finalement un regard fuyant auquel il a droit alors qu’il aborde un de ses fameux sourires. Raina n’était pas facile à vivre – pour quiconque – mais Isaac avait les armes suffisantes pour lui faire baisser ses défenses.

Elle ne prit pas place sur la banquette en face – de peur de faire bouger la jambe de son compagnon et de lui faire mal – elle tira plutôt un tabouret, pour venir s’accouder sur la largeur de la table. Une main retenant sa tête, l’autre sur sa cuisse, un peu trop fixe pour avoir l’air détendue. Le regard qu’elle pose sur lui se veut neutre, mais est plutôt fatigué et distant. Que s’est-il passé là-bas ?. Elle fronce un peu les sourcils. « Tu sais ce qu’il s’est passé. » Répondit-elle, un peu brusquement. Il n’a pas besoin de rajouter quoi que ce soit, son regard azur, patient, parlait pour lui. Le silence plana quelques instants, sa jambe battant la mesure nerveusement, sur le plancher. Il lui faut un moment pour se décider, où elle le regarde et maudit le jour où elle est tombée amoureuse de ce regard, de ce visage et plus encore, de cet homme qui n’avait pas besoin de souffler plus de trois mots pour obtenir tout ce qu’il voulait d’elle. Elle aimait ça, elle le détestait aussi parfois.

« Nous avons été attaqués, faits prisonniers et pour la plupart… torturés pour obtenir des réponses concernant l’attaque de George. » Il le savait, évidemment. Mais il fallait bien commencer quelque part. Elle, elle s’en était sortie indemne, avec seulement une balle dans l’épaule. Elle apprendra plus tard par Juliet ce qu’elle avait entendu au détour d’un couloir. « Ils ne se sont pas souciés d’moi parce que j’étais censé servir de boniche à leur gourou, j’n’sais pas quoi. » Culpabilisait-elle de s’en être sortie sans une seule égratignure ? Sans doute. Aucune cicatrice, excepté cette colère noire et ce profond sentiment de trahison dont elle ne parvenait pas à se débarrasser. Sa jambe continue de battre la mesure, et son regard dévie ailleurs. « J’ai essayé… De sortir. » De les aider. Elle avait entendu les cris de Corray, du fond de sa cellule. « Mais c’était déjà trop tard. » Gronde-t-elle, sur elle-même. « Juliet était déjà… elle était déjà partie. Et Selene avait déjà vendu ma famille pour protéger la sienne. » Dit-elle, amère. Finalement c’était ça, le plus dur pour elle. Passé le soulagement d’avoir retrouvé tout le monde en vie, quand ils avaient pu tous se rassembler – ou presque – pour sortir de ce trou à rat. Quand Selene avait annoncé qui elle avait vendu pour protéger les siens. Ce gouffre qu’elle avait créé en vendant les Exilés, c’était une chose qu’elle n’était pas prête à pardonner. « … J’ai été soulagée en revenant ici, en découvrant qu’en fait, Juliet s’en était sortie. » Ajoute-t-elle, quand même. Parce qu’à cause de ce regard qu’il posait sur elle, Raina avait besoin de s’assurer qu’elle n’était pas qu’un monstre égoïste qui ne pensait qu’à elle et aux siens. Elle se souciait de toutes ces personnes, elle se souciait de Juliet. Mais en retour, Selene n’avait pas hésité une minute à offrir la Distillerie en pâture à New Eden ; parce qu’il n’y avait que sa famille qui comptait réellement pour elle.