— C'est une petite fille en pleine forme !

Je fixais ma fille, notre fille a travers la machine qui nous permettait de le faire, serrant davantage la main de mon compagnon lorsque Nolan nous annonce la nouvelle. Je sais que je ne faisais aucunement mal à Caleb, un grand gaillard comme lui, il devait lui en falloir beaucoup pour ressentir quelque chose, et pourtant j'y met du mien. Une fille. On va avoir une fille. Et apparemment, pour l'instant, en pleine santé. Je ne peux m'empêcher de pleurer, encore et encore sous le coup de l'émotion, incapable de m'arrêter. Je sentais enfin le poids qui me pesait sur la poitrine s'envoler, loin, d'apprendre que tout ce passait bien là-dedans malgré les derniers événements. Je m'en sortais bien, comparée à certaine.. Je pensais surtout à la copine de Joey, qui avait perdu le sien.

Je remercie chaleureusement le médecin pendant que je m'aide de Caleb pour me redresser, sans cesser de dire merci à Nolan, comme si c'était grâce à lui que notre fille est pour l'instant en bonne santé. Ça dure de longues minutes, jusqu'à ce qu'on quitte l'infirmerie pour rejoindre notre futur mobil-home, comme c'était prévu. Bras gauche qui enlace le droit du bûcheron, main droite sur le ventre que je n'arrête pas de caresser, j'essaye de me remettre de mes émotions.

— Je n'arrive pas.. à.. à m'en rendre compte. Mes yeux glissent jusqu'au visage de Caleb, que je vois ému lui aussi. Je l'arrête un instant pour lui caresser le visage et me saisir de ses lèvres, toujours plus heureuse de l'avoir à mes côtés. Tu imagines ?... Une petite emmerdeuse ! Que je lâche avec amusement.

Il nous faut quelques minutes de marche pour rejoindre le Mobil-home dont on a hérité et honnêtement, je ne m'attendais pas à une telle merveille. Certes j'aimais beaucoup le loft, j'avais fini par m'y habituer à vivre proche de la scierie et à organiser des ateliers pour les tout petits. Mais là, face à la bâtisse, notre famille prenait enfin forme. Bon, il y avait un peu de ménage à faire, faire le plein de mobilier pour nous et notre future capricieuse, mais tout ça se concrétise enfin. Je me détache sans attendre du corps massif de l'ébéniste pour grimper les quelques marches du porche, pour lui faire face, les bras écartés.

— On est chez nous !

Une fille ! Une petite fille ! Une magnifique petite fille, dans ce ventre qui s’arrondit à mesure que passent les jours et les nuits. Une petite fille issue d’une nuit de passion, qui naîtra dans une demeure aimante, au sein d’une famille unie et bienveillante. Une petite fille, qui aura pour mère une jeune femme magnifique au caractère affirmé, et pour père, un homme aussi fort qu’un bœuf et à la bienveillance touchante.

Nolan est remercié comme il ne l’a sans doute jamais été de toute sa vie. Lily, après avoir vécue d’horribles choses dans les derniers jours, après avoir été torturé par un individu malsain qui trouvera la mort, un jour, Caleb se l’était juré, portait en son ventre une vie en pleine forme. A quel point était-elle forte elle-même, pour pouvoir protéger l’embryon d’un nouveau-né après toutes ces mauvaises choses vécues ? Forte, très forte ! Lily était bien plus forte et bien plus impressionnante maintenant, bien que son visage angélique pût prêter à confusion. Elle était un ange, dans la vie du bûcheron Canadien. Un ange venu pile au bon moment ! Un ange qui avait béni le Grizzli Canadien au cœur tendre, et qui avait permis à cet homme de vivre un peu plus longtemps.

Les remerciements fusent, de la part des deux futurs parents. Caleb, bien plus grand, ne peut s’empêcher de garder une main dans celle, très fine, de sa douce Lily, et une autre sur l’épaule de Nolan, tapotant avec vigueur le jeune médecin, manquant presque de lui disloquer l’articulation. Ils sont heureux ! Ils sont beaux !

« Une petite fille… Je vais être papa d’une petite fille… Mon dieu, moi qui pensais ne plus connaître ce bonheur ! Une petite emmerdeuse oui, comme tu dis ! Mais elle sera notre emmerdeuse à nous ! J’ai hâte qu’elle arrive ! »

Ce baiser, que Lily vient récupérer en posant ses deux petites mains aux doigts graciles, Caleb le lui rend, posant délicatement sa grande pogne caleuse contre la joue droite de Lily, et son autre pogne sur son ventre, en signe de protection. Puis, ils reprennent la direction de leur nouvelle demeure.

Un mobile home. Un mobile home que Caleb n’appréciait pas au début. Enfin, il n’appréciait pas l’idée. Son petit loft, dans l’ébénisterie, il l’avait construit lui-même, à force de travail et de patience, dormant dans le dortoir commun des mois durant avant de pouvoir emménager, et aménageant l’intérieur à force d’expéditions et de trocs. Quitter cet endroit, pour un mobile home, c’était à la fois magnifique – car ils allaient avoir besoin d’une chambre supplémentaire pour le petit bout qui grandissait bien au chaud dans le ventre de Lily – et à la fois un crève-cœur. Mais en voyant l’endroit, Caleb s’était rapidement fait à cette idée.

L’espace était là ! Une hauteur sous plafond correcte pour le géant Canadien, des pièces grandes, laissant place de à l’adaptation mobilière que Caleb allait bien vite saisir, et surtout, un petit confort, plus proche des autres – car l’atelier était éloigné – et parfait pour accueillir un enfant.

Lily, sur les quelques marches, levait les bras comme pour crier au ciel et accueillir le Canadien. L’espace d’un instant, Caleb se sentir vraiment grand : même réhaussée de trois ou quatre marches, Lily ne faisait pas plus que sa taille à lui. S’emmitouflant dans ses bras – sans appuyer sur son ventre – le bûcheron souffla un grand coup.

« On est chez nous ! En famille. »

C'est pendant ce court laps de temps, à admirer avec des yeux brillants le grand bûcheron se rapprocher de moi et se lover contre ma poitrine, que je ressent de la paix, de la sérénité. J'avais la sensation de ne plus ressentir d'angoisse, qu'il ne me quittera plus malgré tout les récents événements. Je l'enlace avec tendresse sans attendre une seconde de plus, laissant même une main se balader dans ses cheveux fournis. Je ne sais pas si j'arriverais a décrire correctement le flot d'émotions que je ressentais a ce moment, de l'avoir aussi proche de moi.

— On fait un tour du propriétaire ?

Que je lui propose, penchant ma tête sur le côté pour essayer de capter son regard. On avait tout notre temps pour se câliner, mais le plus urgent maintenant c'était de tout préparer pour l'arrivée de notre petite princesse ; même si là, dans l'immédiat, je l'aurais bien dirigé dans la chambre parental pour lui prouver à quel point je pouvais l'aimer. Mais je préfère rien dire à ce sujet, rien proposer, pour ne pas me heurter à un refus. J'avais l'impression de ne plus être si attirante à ses yeux, avec toutes ces plaies qui peinent à se refermer correctement. Il n'y avait que les marques de cigarette qui disparaissaient.

— Ça serait bien qu'on.. Fasse un tour au No Man's Land pour trouver des affaires.

Que je lui propose, d'une voix légère, alors qu'on était enfin dans la pièce principale de notre maison. Je me doutais bien de sa réponse, puisque ma dernière sortie ne s'est pas très bien terminée. Mais cette fois-ci je ne serais pas avec quelqu'un autre que lui, peut être qu'il acceptera plus facilement ? Et de toute façon, il ne pourra pas me garder éternellement enfermée chez nous. Et même si nous avons déjà de nombreux meubles recyclés, je ne serais pas contre une petite balade en 'boutique' avec le futur papa. Je laisse glisser ma main sur une table tout en rejoignant la position de Caleb, passant la libre le long de son torse.

— Et ça nous permettra, peut-être, de nous retrouver que tout les deux.

Que je minaude en levant doucement mes yeux vers les siens. J'étais prête à user de tout les stratagèmes pour obtenir une réponse positive.