Si les tensions étaient encore à l’ordre du jour à The Haven et toujours aussi bien présentes dans le cœur de Raina ; la vie continuait. Et puisqu’elle avait décidé de rester à Nisqually – malgré certaines aigreurs et la peine qu’elle ressentait à l’idée de perdre ce refuge qui avait été sa première maison - Raina se réfugiait aux écuries et dans les projets de développements qu’ils envisageaient avec Isaac. La reproduction était à présent leur prochain objectif pour développer leur cavalerie qui commençait doucement à grossir et leurs recherches de troupeaux portaient leurs fruits également. Suffisamment pour qu’ils puissent sérieusement envisager une nouvelle génération, mettant quelques-unes de leurs juments au repos, le temps de leur gestation.

A l’honneur aujourd’hui ; Snowflake, Fury, Hurricane et Dune. Les quatre juments de leur écurie. Le projet n’était pas nouveau, mais ils manquaient alors de moyens. Et avec l’incendie qui avait ravagé les écuries à l’automne dernier, ils avaient été bien avisés de reporter ces projets. L’amazone n’avait pas connu l’ancienne vétérinaire du Fort, mais qu’importe ; ils en avaient une nouvelle depuis peu. Un peu jeune peut-être, pas tout à fait sortie de ses études, mais son avis sur la question intéressait le couple. Isaac lui avait donné les anciennes notes de Caroline, sur l’état de santé des juments et celui des deux étalons ciblés pour la saison ; Hyperion et Amarok. Tous deux choisis en fonction de leur santé, et surtout de leur caractère vis-à-vis des juments.

A Nisqually, ils avaient pu aménager les écuries pour créer des paddocks sur les petites surfaces qu’ils avaient. Les étalons vivaient ensemble – autant que les affinités le leur permettaient – et les juments se tenaient quelques peu éloignées, aux côtés des hongres. Puisqu’il s’agissait en priorité de ces dames dont il était question, l’amazone et son compagnon attendaient la jeune vétérinaire à la barrière du paddock de celles-ci. Le couple avait ses désaccords en ce moment, l’amertume que portait Raina était sans doute un peu trop lourde à porter pour Isaac, qui se retrouvait tiraillé entre deux familles, et deux amour. La cavalière ne lui demandait pourtant pas de choisir, mais de comprendre. Il ne revenait pas à Isaac de régler les problèmes entre elle et Selene, mais elle savait que son compagnon essayait de réconcilier les deux. Mais il était trop tôt, bien trop tôt. Raina n’avait plus aucune confiance en la jeune femme, et doutait également de celle qu’elle pouvait placer en cette famille qu’elle avait pourtant choisie, mais qui ne s’était pas montré à la hauteur pour protéger ceux qu’elle avait laissé derrière elle. Comme toujours, Isaac voulait concilier les deux mondes, mais l’amazone n’était pas prête à changer d’avis pour le moment.

Ils observaient en silence les juments paitre, sans même s’effleurer, sans échanger un mot. Certains les diraient en froids, d’autres savent également que c’était une de leur façon de communiquer. Parce que Raina n’était pas en colère contre lui, jamais. Elle l’aimait. Et leurs silences pouvaient également revêtir quelques sentiments forts qui n’avaient pas besoin d’être dits. Oui, les tensions étaient toujours présentes, l’amour aussi. Mais ils n’étaient pas présents ici pour eux, mais bien pour un autre projet. Du genre qui faisait briller leurs regards de connivence et d’impatience à la fois. Quand enfin, Nephtys les rejoignit, l’amazone s’appuya sur la barrière derrière elle, pour la dévisager. Qu’elle ne s’attende pas à un sourire, la neutralité de Raina était bien son maximum en terme de sympathie. Ce n’était pas contre elle, elle était juste… toujours ainsi. « Alors, tu as lu les notes de Caroline ? » Demanda-t-elle, sans prendre le temps des salutations d’usages et autres politesses – oui, niveau sociabilité, Raina n’excellait pas vraiment avec le genre humain.

Nisqually avait retrouvé son calme, la vie reprenait doucement son cours. Pourtant les pensées du vieux Greene n’étaient plus aussi heureuses et paisibles, son esprit était embrumé. Les récents événements avaient chamboulé beaucoup de choses, tout cela le tracassait. Il ne savait pas vraiment comment affronter ce mur qui lui faisait face. Autour de lui les responsabilités s’accumulaient, il se sentait noyé, tiraillé. Le sort de Marlon était sûrement la priorité, en tant que membre du conseil, le cavalier ne pouvait pas l’ignorer. The Haven avait une décision importante à prendre, Isaac en était conscient ; pourtant, il redoutait le choix qui serait pris. A côté de ça, le père de famille qu’il était ne pouvait pas ignorer les maux de ses enfants. Joachim se remettait doucement de ses blessures, l’ancien éleveur était optimiste, son fils pourrait bientôt reprendre un rythme de vie normal. En revanche, l’état de Juliet le préoccupait bien plus. Parler des traumatismes qu’elle avait subis étaient encore trop compliqué pour elle, l’homme avait déjà tenté quelques approches mais il n’avait pas insisté. La jeune femme semblait brisée de l’intérieur, rendant son père adoptif complètement impuissant.

Et comme si cela ne suffisait pas, le vieil homme devait également supporter le conflit qui s’était installé entre Raina et Selene. Cette rivalité était tout aussi insoutenable pour le cavalier, il tentait de temporiser. Bien qu’il ait bon espoir de les réconcilier, il était conscient que cela prendrait du temps. Un poids de plus sur ses épaules fragilisées. Lui aussi devait gérer sa convalescence, malgré les prouesses des médecins pour sauver sa jambe, il se fatiguait rapidement.

Comme à chaque coup dur, l’homme trouvait en la présence des chevaux un moyen de s’évader un peu. A défaut de pouvoir remonter en selle – pour l’instant – il avait décidé que c’était peut-être le bon moment de lancer le projet qu’ils envisageaient depuis quelques temps avec Raina. Trouver des chevaux s’était révélés plus compliqué que prévu, et s’ils ne comptaient pas abandonner cette voie, développer leur propre élevage était sûrement plus judicieux. Rééduquer des chevaux semi-sauvages allait demander beaucoup de temps et d’énergie, sans compter qu’ils n’étaient pas nombreux à pouvoir le faire pour l’instant. Même si Isaac enseignait sa passion à beaucoup de monde maintenant, ils n’étaient qu’une poignée de cavaliers très expérimentés. Développer un projet de reproduction de leurs chevaux devait devenir leur priorité dans les années à venir. L’idée avait émergé, quelques années plus tôt, lorsque Caroline était toujours là. La jeune femme et l’ancien éleveur avaient d’ailleurs beaucoup échangé à ce sujet. C’était un projet qui leur tenait à cœur. Il était temps de mettre la machine en route, de réfléchir sérieusement à tout ça.

Le couple attentait Nephtys, la jeune femme n’avait pas terminé sa formation de vétérinaire mais Isaac et Raina lui avaient confiée les notes laissées par Caroline sur le sujet. Le cavalier avait des connaissances solides sur le sujet, lui-même ayant géré son propre élevage pendant des années. Mais l’expérience de l’ancienne vétérinaire, aujourd’hui disparue, serait une aide précieuse. L’homme espérait que l’apprentie parviendrait à terminer sa formation grâce aux notes qu’on lui avait confiées. Lorsque la jeune femme arriva enfin, le vieux Green l’accueillit avec un sourire chaleureux. Sourire qui contrastait évidemment avec le visage fermé de sa compagne, mais l’homme connaissait bien Raina pour savoir que ce n’était pas dans sa nature d’être aussi accueillante que lui. « Bonjour ! » Dit-il alors, enchaînant ensuite pour préciser certaines choses. « Comme tu le sais, nous avons pour projet de développer un programme de reproduction de nos chevaux. Dans l’idéal, il s’agirait de laisser faire la nature, d’intervenir le moins possible dans le processus. » C’était sûrement le plus simple, néanmoins, Isaac était conscient que qu’ils devraient peut-être passer par l’insémination artificielle en cas de relations conflictuelles entre leurs juments et leurs étalons. D’ailleurs, il reprit « J’imagine que pour faciliter les choses, il serait judicieux de prendre en compte les caractères de chacun de nos chevaux. » Un léger sourire étira ses lèvres, ce n’était peut-être pas une bonne idée d’essayer de mettre Hypérion et Fury ensemble, par exemple…