Julian Meyers
Sam 24 Avr 2021 - 12:27
Consciencieux Attentif Ingénieux Optimiste Diplomate Immature Superstitieux Bordélique Volage Obstiné | Julian a réussi à conserver, malgré les années et les déplacements, sa ceinture d'ouvrier. Elle est surtout sentimentale, offerte par son père il y a bien longtemps. Si elle est bien moins garnie qu'au départ, il y a toujours le minimum vital. Marteau, tournevis, mètre, niveau, crayon, bloc-notes et cutter. Certains objets sont devenus moins utiles que d'autres mais il a du mal à s'en séparer totalement. Après leur fuite de la ferme, il a aussi pris l'habitude d'avoir toujours un sac à dos plein, pour être prêt à partir dans la seconde si besoin. Quelques vêtements de rechange, l'album photo qu'il a récupéré chez Hannah et Luke, des dessins d'Amy et Sara, la plus kitch des paires de lunettes offertes par l'ainée et une vieille photo de mariage de ses parents. Il a aussi un petit kit de soins, rien de bien folichon, une corde, un briquet-tempête et son téléphone déchargé depuis des années. Il a aussi gardé le fusil de chasse qu'Amy a utilisé pour achever son père. S'il n'aime pas l'utiliser et n'a appris à s'en servir que contraint et forcé, il sait que ça peut toujours être utile malheureusement. Plutôt grand du haut de son mètre 86, Julian est aussi bien bâti et a une carrure sommes toutes imposante, que ce soit les années de football américain ou son travail qui lui a valu d'être sur les chantiers dès son plus jeune âge. Agile, il a toujours grimpé sur les ossatures des maisons en construction - au grand dam de son père - et n'a jamais souffert de vertige. S'il a eu une épaule déboitée en jouant au foot au lycée, il a eu de la chance, même après le début de l'apocalypse. Jamais rien de cassé, aucune blessure grave ou qui aurait laissé une cicatrice. Et, si les années passent, elles ne semblent pas peser sur lui plus que la moyenne, c’est même le contraire. S’il commence à avoir des pattes d’oie au coin des yeux, il porte particulièrement bien sa petite quarantaine, gardant un charme plus que certain. Souvent mal rasé, il ne prête pas la plus grande attention à sa façon de s'habiller, se focalisant sur des tenues pratiques qui n'entravent pas ses mouvements. Même s'il semble fasciné par les lunettes de soleil qu'il possède en grande quantité et qu'il adore récupérer çà et là. Si Julian n'est pas difficile pour ce qui est de la nourriture - les dernières années ne permettant pas vraiment d'avoir des goûts de luxe - vous pouvez toujours rêver pour lui faire avaler des épinards. Et, si vous voulez le voir gonfler et avoir du mal à respirer, faites-lui manger des fraises, c'est l'allergie assurée. |
Et pourtant, s'il vient à être méticuleux quand il travaille, il peut aussi être particulièrement bordélique. Oh, il vous dira qu'il s'y retrouve parfaitement bien, que tout est à sa place, même si c'est un foutoir sans nom et que personne d'autre ne pourrait trouver ses affaires au milieu de ce tsunami. Mais, il évolue joyeusement dans tout ça, alors difficile de lui en tenir rigueur.
Parce que c'est un incurable optimiste malgré tout ce qui a pu se passer, surtout ces dernières années, Julian espère encore et toujours que les choses pourront s'arranger. Il s'y accroche de toute son âme, persuadé que, s'ils essaient, ça pourra marcher. Au point d'en être agaçant.
Diplomate, Julian a dû l'apprendre à l'être, surtout depuis la mort d'Hannah et de Luke. Pour faire le tampon entre Amy et Sara, les deux filles devenant des adolescentes avec un caractère des plus affirmés. Et s'il n'est pas toujours sûr d'avoir été efficace avec les principales concernées, il se débrouille plutôt bien avec les gens en général. Dans les différents groupes qu'il a pu fréquenter, il sait calmer le jeu et cherche toujours au mieux pour arrondir les angles. C'est nécessaire, si on veut vivre sereinement.
Pour autant, s'il sait arrondir les angles, il sait aussi se faire charmeur. Un peu trop même. Incapable de s'attacher réellement à qui que ce soit, il a cumulé les conquêtes depuis sa sortie du lycée et n'a jamais pu se poser, malgré ses quelques tentatives peu fructueuses.
Ce comportement va probablement de pair avec son immaturité. Julian n'a jamais aimé les responsabilités, tout du moins dans sa vie personnelle. Rester libre, n'avoir que les bons moments et laisser les autres gérer les problèmes à sa place, c'était encore ce qu'il y avait de plus simple. Et de plus agréable. De loin. Il était plus du genre à faire des avions en papier avec ses factures qu'à les payer et à éclater de rire quand on lui fera la remarque. Pour autant, il n'a pas hésité à rester avec les filles à la mort de leurs parents, parce que c'était sa famille et qu'il n'aurait jamais pu se résoudre à les laisser. Ou à rester seul.
Et, en plus du reste, Julian est incroyablement superstitieux, depuis qu'il est tout petit. Ne jamais passer sous une échelle, faire attention aux chats noirs, ne jamais être 13 à table. Impossible de savoir d'où ça lui vient, mais ça a développé quelques tocs qui amusent les gens qui l'entourent. Il n'essaie même pas de s'en cacher et en rajoute souvent des caisses lorsqu'il s'amuse à raconter des histoires qui font peur. C'est sa grande spécialité. Les histoires de vampires, de loups-garous et de bateaux fantômes. Après tout, si les morts se sont relevés, ça aussi c'est possible non ?
Je me souviens que je me suis mis sur la pointe des pieds, arrivant à peine à dépasser le lit d’hôpital. Il était vachement haut, en tout cas, dans mes souvenirs, il était tellement haut que j’arrivais pas à voir ma mère. Un bon psy parlerait de la symbolique de perdre sa mère d’un cancer du sein à l’âge de 6 ans. Moi je dirais juste que ce putain de lit était beaucoup trop haut pour que je puisse lui dire au-revoir correctement. Je laisse le reste aux autres.
Je me souviens aussi regard perdu de mon père, les mois qui ont suivi. Si les premières années de mon enfance ont été bercées par l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre, la suite a été bien plus difficile. Pour lui en tout cas. Il a toujours tout fait pour que je ne ressente pas trop l’absence de ma mère, même s’il passait beaucoup de temps à bosser. Avec le recul, je dirais que j’aurais pas pu avoir de meilleur père, de meilleure vie. Grâce à lui.
Je compte plus le nombre d’heures passées dans son atelier, alors qu’il coupait du bois, qu’il sciait des planches. Moi je récupérais les copeaux et je jouais avec, avant qu’il m’explique comment on faisait pour monter un toit, comment la charpente, c’était le cœur d’une maison, d’un foyer. Que sans ça, tout pouvait s’effondrer. En fait, je saurais pas dire si c’est de le voir, de l’entendre ou tout simplement, parce que je me suis toujours senti à ma place ici, mais en tout cas, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire comme papa. Etre charpentier, travailler avec lui et reprendre l’affaire familiale. C’était plutôt un chouette projet de vie non ?
Mon père ne s’est jamais remarié. Il a eu quelques petites amies ici et là, mais jamais rien d’assez sérieux pour qu’il ait envie que l’une d’elle s’installe à la maison. On a réussi à se créer un cocon lui et moi. Et j’ai jamais manqué de rien.
Et les années ont filé. A une vitesse folle. Entre les copains de l’école, les goûters d’anniversaire, les matchs de foot américain… j’étais toujours occupé. Toujours entouré. Avec le recul, on peut dire que j’étais du genre populaire. Pas trop con mais pas trop intello non plus. Sportif, mais pas la super star non plus. Le mec qui s’en sort pas trop mal quoi.
Les cours me passionnaient pas plus que ça, jusqu’à ce que j’arrive au lycée. Et que je puisse prendre des options en lien avec le métier que je voudrais faire plus tard. Là, clairement, j’ai fait un bond dans les notes et c’était carrément cool d’aller en cours. Et puis, j’avais rencontré ma petite boule d’énergie, celle qui allait illuminer ma vie à sa façon pendant les années qui suivraient. Hannah.
***
Mai 2000.
Je toussote, un sourire espiègle au coin des lèvres, alors que je tire sur mon nœud papillon. « Je sais pas vous, mais j’ai l’impression d’être un pingouin… » Quelques rires autour de moi alors que mon regard s’attarde sur Hannah et son… mari. Ils sont beaux tous les deux et je suis heureux d’être le témoin de celle qui, l’année de mes 15 ans, est devenue la meilleure amie que j’aurais jamais. « Je connais Hannah depuis quelques années maintenant. Et je me rappellerais toujours du jour où Luke lui a demandé d’aller au bal. Elle était en train de se foutre de moi, planquée sous sa tonne de bouquins, parce que j’arrivais pas à piger que Jen’ était en train de tenter de m’inviter de son côté. » Je lève un verre en direction de ladite Jen’. Trois ans qu’on est ensemble, comme quoi, elle a bien fait de tenter sa chance. « J’ai eu le plaisir de voir Hannah se mettre à bafouiller et à rougir. Autant dire que l’image de l’ado rebelle et contre toute idée de romantisme en a pris un coup. » Elle a un sourire, alors qu’elle serre la main de Luke. « Depuis ? Ils ne sont pas quittés. Certains pourraient dire que 21 ans, c’est jeune pour se marier. Mais, ils vont parfaitement bien ensemble. Ils sont heureux ensemble. Alors pourquoi attendre ? Pourquoi douter ? » Mon regard accroche celui d’Hannah, alors que, sans le vouloir, je repense à ce qui s’est passé il y a une semaine.
Elle a débarqué chez moi en larmes, persuadée que c’était une erreur d’épouser Luke aussi vite, aussi tôt. Ils avaient la vie devant eux pour faire ça, elle voulait devenir avocate, voyager, parcourir le monde. En vrai, c’est comme ça que je voyais sa vie à elle aussi. On avait beau avoir été colocataire pendant nos deux ans de College, je savais qu’on allait prendre des chemins différents. Moi j’allais commencer mon apprentissage pour devenir charpentier, elle avait été acceptée à Harvard quoi. Dans le genre prestige, ça se pose là. La vie de rêve. Si Luke ne lui avait pas demandé de l’épouser. Peut-être qu’il avait peur de la voir partir sans qu’elle revienne, ce que je peux comprendre. Parce que c’est probablement ce qui serait arrivé, malgré tout l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre, leurs chemins de vie n’étant pas vraiment… compatibles.
Pourtant, même si j’étais persuadé que c’était une connerie, j’ai passé des heures à lui parler. A la rassurer. Et on a vidé un paquet de bouteilles. Au point de déconner comme on aurait jamais dû le faire. Peut-être qu’une part de moi attendait ce moment, je saurais pas dire. Peut-être que je suis un peu amoureux d’elle depuis qu’on se connait, sans vouloir l’admettre. Mais je suis sûr que ça n’aurait jamais dû se passer. Alors le lendemain, on a décidé de faire comme si de rien était, de gommer cette gêne avec une obstination qui relevait, avec toujours ce foutu recul, de la stupidité. Même si ça a super bien marché.
Et j’ai réussi à la convaincre de ne rien annuler. De l’épouser. Parce que c’était ce qu’elle voulait, même si c’était pas forcément le mieux pour elle. J’ai même été témoin de ça et, le pire, c’est que j’étais vraiment heureux pour eux.
***
12 janvier 2001
« Alors, tu prends ta filleule dans tes bras ? » J’écarquille les yeux alors que je regarde ce machin beaucoup trop petit gigoter dans les bras de son père. « Ma quoi ? » Je regarde Luke, puis Hannah qui a un sourire fatigué. « Espèce d’idiot. Tu voulais que ce soit qui d’autre le parrain ? » Okay, j’ai peut-être un peu, mais alors un peu, les larmes aux yeux. Et je finis par prendre la petite Amy dans mes bras avec précaution. « Salut toi. C’est tonton Julian. Je te promets que je serais toujours là pour toi et pour tous les mauvais coups possibles. » Et j’effleure sa joue avec douceur, alors que Luke pose une main sur mon épaule. « Je reviens tout de suite. J’ai besoin d’un café. » J’entends la porte se refermer derrière lui et, alors que je regarde Amy, je souffle, dans un murmure, comme si l’évidence venait de me sauter aux yeux. « … c’est ma fille. » Je lève les yeux vers Hannah qui se contente de hocher doucement la tête. « Okay. » Autant dire que je ne sais pas du tout quoi faire de cette information. Alors, quand Hannah reprend de cette voix douce qui arrive à calmer n’importe qui, je l’écoute presque religieusement. « Mais c’est Luke son père. D’accord ? » Je hoche la tête à mon tour. « Il est au courant ? » Un bref haussement d’épaules de sa part. « Je pense que oui. Mais ça n’a pas d’importance. Il a choisi d’être son père. » Et moi non. Pas comme si c’était dans mes projets d’avoir un enfant ou que je n’étais pas conscient que, malgré toute l’affection que j’ai pour Hannah, jamais on aurait pu être ensemble. Ca aurait été un vrai cauchemar, alors qu’elle est heureuse avec Luke. Et que c’est un mec bien.
Je finis par m’assoir sur le fauteuil à côté du lit, berçant maladroitement Amy dans mes bras. « Elle est jolie. Comme sa mère. » Heureusement qu’elle me ressemble pas du tout. « Jen’ n’est pas avec toi ? » Je lève les yeux en direction d’Hannah et j’ai un rire sans joie. « Non. On attendait pas les mêmes choses de la vie, alors on a décidé d’en rester là. J’suis trop jeune et trop sexy pour me caser. » Elle souffle un rire avant d’ajouter, parlant beaucoup trop vite pour pas me faire tiquer. « Je ne retournerais pas à Harvard. On va s’installer dans la ferme des parents de Luke. Tu sais, à côté d’Olympia. Ils commencent à se faire vieux et… vu qu’il prendra la relève, autant que je m’y mette tout de suite non ? » Son enthousiasme est factice, mais je pense que je serais bien le seul au monde à m’en rendre compte. Je finis par me relever et par poser Amy dans ses bras. « C’est ce que tu voulais… non ? » Son visage s’illumine quand elle récupère sa fille et je me rends compte que oui, c’est ce qu’elle voulait vraiment. Ou en tout cas, elle a réussi à s’en persuader. Et elle hoche la tête avant que je ne finisse par me pencher et par effleurer ses lèvres des miennes avec douceur. « Tant que t’es heureuse, je le suis aussi. Et félicitations … maman. » J’ai retrouvé mon sourire espiègle alors qu’elle m’assène une tape sur le bras. Et Luke revient. Je le prends dans mes bras, le félicitant de nouveau. Je me demande s’il réalise à quel point il a de la chance et tout ce qu’elle sacrifie pour lui. Je crois bien que non. Et qu’il le saura jamais.
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Juin 2004
« Il y a 4 ans, Julian était à ma place, affirmant haut et fort que jamais il ne se marierait, qu’il ne trouverait jamais quelqu’un s’assez patient pour le supporter. » Hannah a sa coupe de champagne dans les mains et le regard pétillant alors qu’elle nous fixe, Gwen et moi. « Et franchement, jamais j’aurais cru qu’un jour, il tomberait sur une perle comme Gwen. » Je me penche vers ma femme et je l’embrasse dans le cou alors qu’elle a un sourire ému. Elle a eu du mal à se faire accepter par Hannah mais, dès qu’elle a passé la validation, je l’ai demandée en mariage. On s’est rencontrés pendant mon apprentissage à Seattle. Elle est douce, rit à mes blagues pourries et partage la même passion que moi pour les histoires de fantômes et autres trucs surnaturels improbables. Alors ouais, je me vois bien faire ma vie avec. Surtout qu’elle adore mon père et s’occupe super bien de lui. J’ai fini par terminer ma formation après quatre ans et par commencer à travailler officiellement pour lui.
Avant qu’il ne me demande, un an plus tard, de travailler avec lui. Meyers & son, ça rend bien sur l’enseigne. Et puis, il aime bien mes idées pour donner une nouvelle impulsion à l’entreprise. D’après lui, on peut aller très loin.
« Alors, je voudrais que tout le monde lève son verre. Aux mariés. Puisse leur union être longue et féconde ! » Féconde hein… j’avoue, venant d’elle, ça me fait bizarre d’entendre ce terme. Je lève un sourcil et je trinque avec Gwen, prêt à partager les prochaines années de ma vie avec elle.
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Août 2007
« Amy, laisse tonton Julian tranquille. Il est avec Sara. » Ma filleule me regarde la mine boudeuse. Elle n’apprécie clairement pas que je m’occupe de sa petite sœur, même deux minutes. Et elle le fait bien savoir qu’elle n’aime pas me partager. « Va fouiller dans mon sac à dos minipouce, y a ptet un truc pour toi. » Elle m’obéit, pas vraiment convaincue, avant de pousser des cris de joie devant la pile de livres de coloriages, de crayons et j’en passe. Tout est pour elle à l’intérieur et je vois déjà Hannah lever les yeux au ciel. « Hey ! J’ai que ces deux-là à gâter ! C’est pas ma faute ! » Elle croise les bras et plisse des yeux dans ma direction. « Tu veux en parler ? » Je secoue la tête, préférant me focaliser sur Sara qui, du haut de sa petite année de vie, éclate de rire quand je la chatouille. C’est un divorce, pas la fin du monde. Gwen voulait des enfants, moi pas. Autant s’arrêter là avant qu’on se fasse vraiment du mal tous les deux.
Et puis, je suis vachement occupé. L’entreprise a pris de l’ampleur et on a de gros chantiers. Chantiers que je commence à diriger petit à petit. Je trouve ça passionnant et je me sens vraiment à ma place, toujours prêt à grimper sur le toit d’une maison pour montrer comment on fait.
Finalement, la vie de célibataire me va plutôt bien. J’ai quelques histoires, rien de bien sérieux. Pas le temps pour ça de toute façon. Et, quand j’ai envie de voir un vrai foyer, je pousse jusqu’à Olympia et je passe quelques jours à la ferme. Bon, je finis par faire une overdose de guimauve et Luke se fout bien de moi quand je dis que je dois fuir de là avant d’être contaminé. Mais j’aime bien ma vie comme ça. Sans compter que j’ai le beau rôle avec les petites, je suis toujours celui qui vient pour faire les trucs cools. Comme tenter de leur apprendre à jouer au foot sans succès, les emmener à la fête foraine, faire des roulades dans le jardin… Même si ça ne finit pas par vraiment me donner envie d’en avoir un à moi de gosse, malgré les années qui filent et qui me permettent de voir grandir Amy et Sara.
Mon père m’annonce qu’il veut prendre sa retraite et je finis dans le siège du patron à l’été 2014. Ca fait bizarre de ne plus travailler au quotidien avec lui, mais je continue de le voir souvent, de lui demander des conseils. Et de passer des heures dans son établi, chez lui, juste pour discuter. Visiblement, il a rencontré une charmante veuve au club de bridge. Et ils ont pour projet de voyager ensemble. En amis, évidemment. Ca m’arrache un sourire alors que, de mon côté, j’ai fini par me marier avec Deborah deux ans plus tôt. Pourquoi elle et pas une autre ? J’en ai pas la moindre idée. J’ai envie d’avoir une présence à la maison, c’est une ancienne mannequin qui n’essaie pas de m’assommer de longues discussions après les journées que je me tape. Mais Hannah comme Sara ne l’aiment pas. Trop cruche à leur goût visiblement. Et me le font bien comprendre. Du coup, je passe un peu moins de temps avec elles, histoire de pas foutre en l’air un deuxième mariage.
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Septembre 2015
« Donc… deux divorces hein. » Luke me fixe, alors que je suis en train de finir les plans pour la nouvelle grange qu’ils veulent faire construire. J’ai un soupir et je hausse une épaule. « Tu veux en parler ? » J’ai un rire, songeant vaguement que ses propos font écho à ceux de sa femme quelques années plus tôt, avant de secouer la tête. En vrai, je saurais même pas quoi dire. Visiblement, s’envoyer en l’air n’est pas suffisant pour faire tenir un mariage quand on a vraiment rien à se dire. Sans compter qu’ils me manquaient. Alors j’ai fait un choix. Ou plutôt, Deborah l’a fait pour moi. Est-ce que ça me déprime ? Un peu, même si j’ai du mal à l’admettre. Je suis pas fait pour m’engager, ça fait juste que le confirmer un peu plus. Et j’ouvre la bouche avant de m’arrêter net quand Amy, du haut de ses 14 printemps se pose à côté de moi, bras croisés. « Alors, la cruche est partie ? Première bonne nouvelle de la semaine. » Visiblement, le regard noir de son père n’a aucun effet sur elle. « La cruche m’a quitté oui. Merci pour ta compassion. » Luke lève les yeux au ciel et me tend une bière, avant de rappeler à Amy qu’elle est privée de téléphone pour je ne sais quelle raison. Je l’entends tempêter avant d’être envoyée dans sa chambre. Et je souffle, malicieux. « Alors, avoir une ado à la maison, c’est aussi horrible que ça en l’air ? » Il se marre et fait trinquer sa bouteille contre la mienne. « T’es con. Alors, je t’embauche pour ma grange et tu restes souffler un peu ici. Si je te laisse partir avec la tronche que tu as, Hannah va me tuer. Deal ? »
J’ai un sourire amusé alors que je finis par tourner le plan vers lui. « Tu sais que je coûte cher. » Il se penche vers la feuille et la fixe avec attention. « Je comptais te payer en ragoût et en câlins des filles. C’est pas suffisant ? Avec un peu de bol, tu devrais pouvoir approcher Amy sans qu’elle tente de te mordre. » Je bois quelques gorgées de bière et je m’étouffe alors qu’il me fait rire en continuant de parler de ses filles. Et avant d’accepter son offre. Ca prendra plusieurs semaines mais j’ai besoin de vacances, de souffler un peu loin de tout ça. Je peux gérer mes chantiers à distance et n’y aller que de temps à autre, ça me tuera pas. Parce que même si je fais mine de ne pas être touché par ce nouvel échec, je me rends compte que ma vie n’est peut-être pas aussi rose que je le voulais. « Vous pensez vraiment pouvoir me supporter aussi longtemps ? » Il me tend la main et je la serre en silence, non sans un sourire reconnaissant. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. Ou sans Hannah. Ils sont devenus un pilier dans mon existence, sans même que j’en ai réellement conscience. Et je finis par aller voir Amy dans sa chambre. Je m’installe à même le sol alors qu’elle est allongée sur son lit et fixe le plafond. « Parait que je vais rester un peu dans le coin. » Elle tourne la tête vers moi et esquisse un sourire. « Cool. »
Automne 2015
A quel moment exactement tout a commencé à déraper ? Difficile de donner une date exacte. On a commencé à voir des images étranges à la télévision. Des agressions au début. Et puis, Amy est venue nous voir avec des vidéos sur Internet autrement plus inquiétantes. Des morts qui se relevaient ? Franchement, j’ai cru que c’était une mauvaise blague. Comme Hannah et Luke. Mais l’information a été relayée par la presse et, petit à petit, ça a empiré. On nous a recommandé de ne pas sortir de chez nous et je n’arrivais plus à joindre mon père tellement les lignes étaient saturées.
Je me rappelle de l’allocution du Président et de Luke, absolument pas convaincu que tout était sous contrôle. C’est lui qui a commencé à barricader la maison, lui qui a sorti les fusils de chasse de son père et qui m’a appris comment m’en servir. Il fallait protéger le bétail, les réserves et j’en passe. La tension était palpable à la ferme et, plus les jours passaient, plus j’avais l’impression de sombrer dans un cauchemar.
On a mis plusieurs semaines avant de réussir à le convaincre d’aller en ville, pour comprendre vraiment ce qui se passait. Quand on s’est rendus compte que c’était toujours les mêmes messages qui étaient diffusés en boucle. On est partis tous les deux, avec Luke.
Et c’est là qu’on en a vu. Pour la première fois. Au milieu des rues d’Olympia, pas loin de la pharmacie où on voulait aller au départ.
J’y ai pas cru. Tellement pas que, sans l’intervention de Luke, je serais probablement mort à l’heure qu’il est. C’est lui qui m’a tiré en arrière quand l’une de ces… choses a essayé de me mordre le bras. Lui qui a tiré plusieurs fois dessus avant de finir par lui exploser la tête. Lui qui m’a trainé avec lui alors que j’étais sous le choc, recouvert de sang. Il a fait preuve d’un sang-froid dont j’aurais été totalement incapable à l’époque.
Il m’a entrainé avec lui, alors que, comme d’autres habitants de la ville, on a fini par se servir dans les magasins, emportant avec nous tout ce qui pourrait nous être utile avant de nous terrer de nouveau dans sa ferme. Avec un générateur et des réserves de vivres, on a pu passer l’hiver, le plus froid depuis bien longtemps, sans trop de souci.
***
Juin 2016
J’essuie les larmes qui ont roulé du revers de la manche, alors que j’essaie tant bien que mal de finir de creuser ce putain de trou. Le deuxième. En un mois à peine. J’ai du mal à me dire qu’on est pas en train de vivre un cauchemar, que tout ça, c’est bien réel. On a tenu bon cet hiver mais, au printemps, les premiers pourris ont commencé à approcher la ferme. A coup de deux ou trois au début, c’était gérable. Mais je crois que c’était le bétail qui les intéressait.
Et une nuit, je sais pas comment, ils ont passé les barricades de fortune qu’on avait dressés. Ils étaient nombreux, une dizaine au moins, si c’est pas plus. Je m’en rappelle pas vraiment. Mais on a tenu bon avec Luke, on les a abattus un par un. Je me suis raccroché à son sang-froid, à sa capacité à tout garder sous contrôle. Et, au petit matin, même si tout le bétail avait été massacré, on était toujours en vie. Et il ne restait que deux pourris debout. C’est peut-être pour ça qu’il a baissé sa garde. Qu’il a été mordu. J’ai hurlé en voyant son avant-bras déchiqueté. Et j’ai tenté de faire comme il disait, de lui couper le bras. Sait-on jamais qu’il disait, ça pourrait éviter de le contaminer, comme la gangrène.
Il s’est vidé de son sang et il est mort quelques heures plus tard.
Je crois qu’Hannah n’a jamais vraiment accepté la situation. La femme pleine de vie et pétillante que je connaissais s’est éteinte à ce moment-là. Elle faisait tout par automatisme, sans réfléchir. Et quelques semaines après, elle a voulu aller en ville. Voir comment ça se passait. On a eu beau lui dire que non, que c’était une mauvaise idée. Elle l’a fait quand même.
Est-ce qu’elle s’est suicidée à sa façon ? J’en sais rien. Je veux pas savoir.
Je sais juste qu’elle est revenue avec plusieurs morsures. Et que j’ai dû la … tuer. Au petit matin. Avant qu’elle essaie de s’attaquer à ses propres filles.
Je finis par laisser tomber la pelle sur le côté alors que le trou est assez profond pour que je l’enterre. Et mon regard croise celui d’Amy qui souffle, dans un murmure. « On fait quoi maintenant ? » J’en sais foutrement rien en réalité. Mais je peux pas les laisser là. Elles survivraient pas. Et on peut pas partir, le monde dehors et bien trop dangereux. J’essuie mes mains sur mon jeans alors que Sara se précipite contre moi. « On reste ici. Et on … continue. »
***
Automne 2016
« Il n’y a vraiment plus personne de vivants dans ce coin-là ? » Elle secoue la tête, la mine navrée. Un groupe de survivants – si on peut appeler ça comme ça – est arrivé il y a quelques jours à la ferme. Deux femmes, un homme et deux gamins de l’âge de Sara. D’Eugene. Ils m’ont dit que là-bas, tout le monde était mort ou parti. Difficile de les croire sur parole, mais je me vois pas trop tenter le diable et aller jusque-là bas. Ca fait presque un an que j’ai pas eu de nouvelles de mon père et, ce qui était une balade de santé juste avant tout ça est devenu la pire expédition de la terre.
J’ai un soupir, avant de souffler, désignant ce qui m’entoure. « Vous nous avez bien aidé contre ces pourris. Vous pouvez rester ici. » J’entends Amy qui marmonne quelque chose entre ses dents. Je me doutais bien qu’elle serait pas d’accord. Mais j’aurais dit l’inverse, elle n’aurait pas été d’accord non plus, pour le principe. Sauf qu’on peut pas tenir la ferme tous les trois, même si on a presque plus de bétail. Il y a trop de trucs à faire et j’y connais que dalle. Alors que Dennis est un fermier lui aussi. Comme sa femme et sa sœur. C’est pourquoi je leur propose de rester, avec leurs deux enfants.
Et au final, ça se passe bien. Très bien même. Sara est heureuse d’avoir des amis de son âge, Amy semble se dérider un peu. Et Diana, la sœur de Dennis, finit dans mon lit. Je ne suis pas sûr qu’en temps normal, il se serait passé quelque chose entre nous, mais là, ça relève plus du besoin de ne pas être seul qu’autre chose. D’oublier un peu les trous béants laissés par la mort de nos proches. Elle était mariée de son côté et a vu son mari se faire dévorer sous ses yeux. Alors oui, c’est peut-être pas la façon la plus intelligente de se consoler et je vois bien qu’Amy désapprouve, mais j’en ai besoin. Et elle aussi.
Les mois passent et on survit à un nouvel hiver, même si ça commence à devenir difficile. Dennis m’explique comment mettre un potager en place alors que les filles elles, savaient déjà quoi faire sans être capables de le formuler correctement, on a poussé jusqu’aux fermes abandonnées des alentours pour trouver des graines et de quoi planter pour le printemps suivant. Les quelques poules et lapins qui ont survécu aux pourris tiennent bien le choc. Et on a encore une vache qui donne du lait. On s’en sort bien je crois. Même si cette sensation d’être coupés du monde a quelque chose de pesant.
J’essaie, à plusieurs reprises, d’aller jusqu’à Eugene. Mais les routes sont bloquées et, lors d’une de mes tentatives, j’ai un accident et je finis par emboutir un de nos rares véhicules en état de marche. Alors, j’abandonne l’idée. Pour le moment.
***
Automne 2017
« Oyster bay farm. Ca claque comme nom hein ? » Sara tente un vague sourire alors qu’Amy reste aussi neutre qu’une porte de prison. Mais je me démonte pas et je continue, toujours plein d’un entrain factice. « En plus, ils m’ont dit qu’ils avaient un élevage de chiots. On sera bien là, je vous l’assure. » Tu parles. J’en ai pas la moindre idée. Sauf que tout s’est écroulé en quelques mois à peine, l’été dernier.
Il y a eu une horde de plus. Une horde de trop. La ferme de Luke et Hannah est tombée alors qu’on a été encerclés. La dernière image que j’ai eue de ce qui a été notre refuge pendant deux ans, c’est Dennis qui se faisait submerger par un groupe de morts et Diana qui gisait au sol. J’avoue, j’ai pas cherché à comprendre. J’ai embarqué les filles et j’ai filé sans me retourner. Elles étaient plus importantes que le reste, même si j’en suis désolé. Et je crois qu’Amy m’en a voulu. Un peu. Pas plus que d’habitude. C’est devenu compliqué avec elle, surtout ces derniers mois, alors qu’elle grandit de plus en plus.
Et, comme je ne savais pas où aller, j’ai tenté ma chance à Eugene, chez mon père. C’était idiot, je sais bien. J’aurais dû savoir comment ça finirait. Même si je ne pouvais pas m’attendre à voir la maison où j’ai grandi brûlée. Ou à voir mon père errer, le regard mort, prêt à mordre le premier qui passerait. Je suis resté figé quand je l’ai vu, incapable de savoir quoi faire. Incapable de respirer même. Et c’est le coup de feu qui a retenti juste derrière moi qui m’a fait sursauter. Mon père s’est écroulé alors qu’Amy avait un fusil braqué dans sa direction. Un des rares trucs qu’on avait réussi à embarquer. Avec les sacs à dos que la gamine avait préparés depuis des mois. Juste au cas où. Ouais, je sais, elle est plus adulte et responsable que moi depuis longtemps.
Depuis ? J’ai un peu de mal à tout remettre dans l’ordre. On est allés à son atelier, on a récupéré ce qu’on a pu et on est repartis en direction de la ferme. Parce que j’avais pas la moindre idée d’où aller et que je refusais d’approcher une grande ville. Et c’est un peu par hasard qu’on est tombés sur ce groupe, sur le chemin d’Olympia. Un pneu crevé sur la route. Comme quoi, tout peut arriver. Ils nous ont proposé de les rejoindre, moi et mes filles, interrompus par un retentissant « c’est pas mon père » d’Amy. Je ne sais pas trop à quel moment elle a commencé à me détester. Mais je crois que la liste des griefs qu’elle a contre moi est un peu trop longue à son goût. Et, même si elle n’est pas convaincue par l’idée de vivre avec ce groupe, vu qu’elle n’a pas d’autre plan, elle décide de me suivre.
***
Eté 2018
« Et là, alors que le jour se levait enfin, ils voyaient le bateau fantôme s’éloigner du rivage. Il reviendrait. Dans 10 ans. Jour pour jour. Et ils devraient se tenir prêts. » J’éteins la lampe brusquement, alors que Sara laisse échapper un gloussement de plaisir et de frayeur mêlés. Il ne reste que la lueur du feu de camp, l’ambiance parfaite pour raconter une nouvelle histoire qui fait peur. Si Amy a fait mine de ne pas s’y intéresser, elle a fini par se rapprocher et par écouter avec les autres. Et elle arrive à sourire. Un peu. C’est déjà un sacré progrès.
On finit par se faire une place au sein du petit groupe hétéroclite de la ferme. On sait tous se rendre utiles et je crois que Sara adore jouer avec les chiens. Et, les mois passant, on commence à rencontrer d’autres communautés planquées dans les environs. Un peu de troc, d’échanges de compétences. Ca se passe plutôt bien je crois. Si on omet les tensions grandissantes entre Amy et moi. Elle a besoin de déverser sa colère sur quelqu’un j’imagine. Alors j’en fais souvent les frais. Mais je fais avec et j’essaie de voir le côté positif des choses. Déjà, elle est toujours en vie pour m’en vouloir et elle a assez d’énergie pour ça.
Avec Merle, le chef du groupe, on commence à avoir des projets. Il fait fermenter les fruits pour en faire de l’alcool et il a tout le matos pour ça. Je construis une grange pour tout entreposer et tout ce qui peut être utile, alors que les filles aident à cultiver les terres. Sara et Shelby sont inséparables, elles ont le même âge après tout.
Le temps continue de filer. Les filles de grandir beaucoup trop vite. Amy ressemble de plus à sa mère, même si j’ai le sentiment de me voir aussi dans certaines de ses expressions. Mais c’est surtout parce qu’on passe du temps ensemble. J’ai l’impression – trompeuse – qu’elle s’apaise un peu au fil des jours.
***
Printemps 2019
Je soupire longuement, alors qu’elles me regardent toutes les deux avec cette mine boudeuse identique à celle de leur mère. « Vous vous êtes toutes les deux liguées contre moi on dirait. J’ai aucune chance. » C’est dangereux et probablement stupide. Mais je finis par accéder à leur demande. Et on se retrouve en route pour la ferme de leurs parents. Pour récupérer des souvenirs, des photos et j’en passe. Rien d’essentiel à la survie, même si j’essaie de me convaincre que je peux récupérer quelques outils histoire de pas y aller pour rien.
On met quelques heures à y arriver et autant dire que ça fait vraiment bizarre. La maison a pris cher avec les différentes intempéries. Et la cour si bien entretenue n’est plus qu’un amas de boue, de déchets et j’en passe. Ca me fait mal au cœur, surtout quand on voit à quel point Luke et Hannah tenaient à cet endroit. Les heures suivantes sont longues, silencieuses. Et douloureuses. Même si Sara arrive à me faire sourire quand elle retrouve un album du lycée. Avant de récupérer leur album de famille. J’attrape la veste préférée de Luke et, sans réfléchir, je décide de la prendre, attendant tout de même un assentiment d’Amy qui se contente de hocher la tête à mon attention.
Je ne fais pas vraiment attention à ce qu’elles récupèrent, me contentant d’attraper quelques objets sans la moindre valeur. Juste pour garder quelques souvenirs. Mais je vais aussi dans la cave, ramenant des bocaux vides et une batterie de cuisine. Ca, au moins, ça servira à notre groupe.
Je finis par les laisser errer dans la maison après m’être assuré qu’il n’y avait rien de dangereux. Et je m’assois sur le pas de la porte, fixant le vide, un fusil sur les genoux. Amy finit par venir s’assoir à côté de moi et je passe un bras autour d’elle, en silence. Parce qu’aucun mot ne sera suffisant fort pour retranscrire tout ce qu’on peut ressentir en cet instant. Sara nous rejoint et se roule en boule contre moi, pleurant doucement. Il nous aura fallu près de deux ans pour revenir. Et pour accepter de faire notre deuil. Mais putain, qu’est-ce qu’ils me manquent.
***
Automne 2020
Depuis combien de temps je suis là ? A tenir sa main sans bouger ? Aucune idée. J’ai perdu le compte depuis qu’elle a arrêté de respirer, incapable de la lâcher. Merle est venu avec un couteau et l’a déposé en silence à côté de moi. Je sais ce que j’ai à faire, mais j’en suis incapable. Comme je suis incapable de pleurer. Je continue de serrer ses doigts, levant les yeux alors qu’Amy bouge un peu sur son siège. Et, l’espace d’un instant, je me rends compte à quel point je lui en veux. De ne pas m’avoir écouté, d’être partie et d’avoir emmenée Sara avec elle. Sauf que je ne peux pas lui dire. Elle s’en veut assez comme ça.
Je serais bien incapable de dire comment tout ça a commencé. A quel moment Amy a commencé à ne plus supporter d’être ici. Elle ne faisait que répéter qu’elle voulait quitter cet endroit et partir à Seattle, que ce n’était pas une vie pour elle et sa sœur. Et moi, je me contentais de lui dire que c’était une mauvaise idée. J’étais allé à Seattle une fois, en début d’année et ça n’avait fait que me conforter dans le fait que c’était pas un endroit pour deux enfants. Sauf qu’elle m’a rappelé qu’elle n’était plus une enfant et que je n’avais aucune légitimité pour les retenir ici. Le fameux « t’es pas mon père » est ressorti avec une rare violence. Encore plus après avoir passé tout ce temps à tenter de veiller sur elles.
… et le pire est arrivé.
Elles sont parties. Au printemps. En me laissant juste un mot m’interdisant de tenter de les retrouver. J’aurais de toute façon été bien incapable de savoir par où commencer. Je ne les ai pas écoutées pourtant. Et je suis retourné à Seattle en été, quelques semaines, sans avoir la moindre piste qui aurait pu m’aider. J’ai fini par écouter Merle, qui m’a dit qu’elles reviendraient d’elles-mêmes et que je devrais être là pour les accueillir, leur pardonner. Et avancer avec elles.
Il a eu raison. Elles sont revenues. Après des mois sans nouvelles. Des mois à fonctionner comme un automate, à participer à la vie du groupe, sans réfléchir, sans attendre quoi que ce soit d’autre qu’un retour hypothétique. Je ne savais même pas ce que je leur dirais à ce moment-là. Je voulais juste qu’elles reviennent.
Et je n’ai rien eu à dire. Mais parce que Sara était malade. La leptospirose. Je savais que d’autres communautés l’avaient eu. Que ça pouvait être grave. Sauf que je ne pensais pas que ce serait à ce point-là. Et qu’on pouvait en mourir.
J’inspire longuement alors que son corps recommence à bouger. Ca fait quelques heures qu’elle est morte. Et je sais ce que je dois faire maintenant. Alors je finis par relâcher sa main et par planter le couteau dans son crâne, soufflant un « pardon petite fleur », d’une voix désolée. Je repose le couteau sur la table de nuit et je quitte la pièce, sans un regard pour Amy. Avant de m’écrouler une fois la porte passée, incapable de retenir mes sanglots.
Désolé Luke. Désolé Hannah. Je ne suis vraiment pas à la hauteur.
***
Avril 2021
« Tu sais où est Amy ? » Un haussement d’épaules de la part du gamin et je roule des yeux. Pour un gamin qui avait l’air d’avoir un crush sur elle, autant dire qu’il ne sert à rien. Enfin, je m’éloigne rapidement, cherchant la jeune femme des yeux, avant de voir qu’elle est assise sur un petit banc que je me suis amusé à faire il y a quelques semaines, pour passer un peu le temps.
Je vais m’assoir en silence à côté d’elle, me frottant le visage des deux mains, incapable de savoir par où commencer. Continuer. Aller de l’avant. Tant qu’elle sera là, je dois continuer et croire qu’on peut s’en sortir. Je ne peux pas penser autre chose. Pour elle, pour Hannah, pour Luke, pour Sara, pour mon père… pour tous ceux qu’on a perdus ces dernières années. Chacune des secondes où on est encore en vie est précieuse, encore plus maintenant qu’avant. Mais je crois que je n’ai toujours pas réussi à lui faire comprendre tout ça. Tout comme elle n’a pas l’air de saisir à quel point elle est importante pour moi. C’est ma fille.
Je soupire doucement avant de me lancer. « Tu vois qui c’est Matias ? Ils sont passés l’autre jour, pour récupérer des chiots. Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin d’un coup de main pour retaper une autre de leurs maisons. Je me suis dit que… ce serait bien qu’on aille là-bas. Ca nous aidera à… tourner la page. » J’ignore le regard noir qu’elle me lance et je continue, d’une voix un peu plus assurée. « Et si tu ne veux pas rester ici. Ou là-bas… je te retiendrais pas. Laisse-moi… laisse-nous juste une dernière chance. S’il te plait. » Elle ne répond rien et je ferme les yeux quelques instants. « Il revient demain. Je pars avec lui. J’espère que tu viendras aussi. » C’est l’affaire de quelques semaines j’imagine. Peut-être un peu plus. Dans tous les cas, rester ici, avec l’ombre de Sara qui plane sur nous depuis des mois, ça ne va pas nous aider. Au contraire.
Mais je me demande ce qu’elle va décider de faire. Je n’insiste pas et je la laisse tranquille. Et, le lendemain, quand Matias arrive, je suis soulagé de voir qu’elle est là, son sac à dos en main. Prête à le suivre. En espérant que ça se passera bien.
La vie à Sanctuary Point ne change pas vraiment de son quotidien à la ferme. Si ce n’est qu’il y a moins d’animaux à gérer. Julian se lève tôt, souvent avec le soleil, toujours prêt à s’activer après avoir englouti son petit-déjeuner. S’il ne travaille pas à retaper la nouvelle maison, il ne rechigne pas à filer un coup de main à droite et à gauche si les membres de la communauté en ont besoin. Très porté sur le travail manuel, il n’y aura pas vraiment de tâche qu’il refusera de faire, que ce soit travailler au potager ou aider à de nouveaux aménagements.
Les journées sont longues et souvent épuisantes. Julian bénit souvent le fait d’être trop crevé le soir, quand il va se coucher, pour vraiment réfléchir à sa propre vie. Et s’il essaie de croiser Amy autant qu’il peut, elle a plutôt tendance à l’éviter. Alors il commence à nouer des liens avec les membres de ce nouveau groupe, autant pour apprendre à les connaitre que pour éviter de se sentir trop seul.
Le soir, il a repris son habitude de raconter des histoires au coin du feu. Des histoires qui font peur. De celles que Sara adorait. Il ne sait pas trop si les gens l’écoutent pour lui faire plaisir ou si ça les amuse vraiment. En tout cas, c’est une tradition qu’il a du mal à lâcher. Et l’un des seuls moments où Amy se rapproche de lui.
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Re: Julian Meyers
Sam 24 Avr 2021 - 12:29
bienvenuuuuuuue et encore merci
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Re: Julian Meyers
Sam 24 Avr 2021 - 13:04
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