La route n’a pas été de tout repos depuis Olympia. Après avoir passé la nuit au motel de la Hacienda, ses pas l’amènent au petit matin vers l’entrepôt qu’elle connaît désormais par cœur avec toutes ses années à l’occuper, à y monter son business puis l’organisation du troc dans son ensemble.

Chargée d’un énorme sac de sport et d’une grosse malette à couteaux, elle arrive enfin aux portes du fameux entrepôt et se libère une main pour essuyer rapidement la sueur qui perlent à grosses goûtes sur son visage d’un revers de manche. D’une grande inspiration, elle s’efforce ensuite de récupérer toute sa prestance qui l’illustre si bien avant de s’y engouffrer. Les lourdes portes passées, le constat est toujours le même, le No Man's Land reste fidèle à lui-même, les nomades sont toujours discrets et parlent toujours entre eux à voix basse, comme au chevet d'un mourant. Habillée comme à l'accoutumé, deux gros brassards de protections en cuir, jambières de cuir et de métal par-dessus son pantalon en toile, machette en acier de damas à la ceinture.

Sans un mot et sans dévisager la moindre personne, elle se rend à son stand et libère la sentinelle occupée à garder les fondations et le placement celui-ci. Se délestant enfin de son chargement, elle vient enlever les draps qui recouvraient ses trois vitrines. Celles-ci reposent sur deux grandes tables en bois couvertes de peaux de vaches. Derrière elle, une grande tente privée dont l'intimité est préservée par une énorme bâche. Son placement, non loin de l'entrée, lui assure un œil constant sur les allées et venues du No Man's Land. Rapidement, elle est rejointe par deux jeunes adolescents du coin qui viennent lui faire quelques confidences, lui remontant ce qu’elle a loupé en deux semaines au No Man’s Land. Elle les libère après leur avoir confié un petit sac plastique où se trouvent quelques légumes, paiement largement mérité.

C’est parti pour une nouvelle semaine ici. Sans perdre de temps, elle entame son habituel rituel et vient remplir petit à petit ses vitrines avec le matériel qui se trouve dans son grand sac et dans sa mallette. Couteaux de tout type, dagues, une machette, matériel chirurgical, il y a de tout. Elle est saluée de temps à autre par quelques habitués du coin à qui elle rend un simple de tête avant de s’engouffrer quelques minutes dans sa tente pour y brancher une bouilloire à son générateur portable et préparer sa grande tasse de café soluble. Son essence à elle, son talon d’Achille, il lui arrive de baisser ses tarifs si l’on lui propose quelques grains de café.

L’ensemble de ses rituels passés, elle s’installe sur son tabouret derrière ses vitrines et ouvre un gros cahier de compte face à elle. C’est sa bible, où tous ses deals et rendez-vous y sont inscrits. Sirotant son café tout en parcourant ses lignes en guise de rappel de la semaine, la blonde relève finalement ses yeux clairs quand des pas se font entendre à proximité de son stand, quelqu’un vient.

Soufflant rapidement sur la fumée qui s'échappe de sa tasse, elle ne perd pas une seconde de plus pour s'abreuver de son contenu. Gorgée salvatrice qui lui arrache un léger sourire en coin de lèvres à peine visible, ce n'est pas son genre de sourire à tout va, même pour du café. Ça laisse le temps à l'inconnu d'approcher son stand pour aviser ses vitrines. Sans le couper, elle le laisse se présenter, oreille bien tendue. Le nom français ne lui échappe pas et elle est aidée pour se faire, ses racines et ses nombreuses années passées au pays des mangeurs de grenouilles sont sans nul doute responsables.

"Kara. Kara Moreau. Enchantée." Ajoute-t-elle dans un français parfait, même l'accent américain s'est éteint et ne laisse aucun doute sur son excellente maîtrise de la langue de Molière. Quant à son nom de famille, il est lui aussi très répandu sur le sol français, sacré hasard que voilà, cela fait longtemps qu'elle n'a pas mis la main sur un Français.

Observer les lieux étant tout à son honneur, elle opine doucement du chef à la fin de sa phrase et marmonne : "La prudence est en effet d'or de nos jours..." en anglais, délaissant son français pour le moment.  "Ce lieu est neutre et ouvert à tous les vagabonds. Il n'y a pas vraiment de chef." Se sent-elle obligée de souligner, sait-on jamais, qu'il ne se méprenne pas, la forgeronne est simplement la responsable de la mise en place et de l'encadrement du troc. Désormais, chaque groupe bien installé dans cet engrenage est désormais indépendant. "Et forgeronne, je cumule." Au prix du sacrifice de bien d'autres loisirs, d'une vie sociale pleine et d'une vie de couple, tel fut son choix et elle est toujours sans regret à ce sujet. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas par passion !

Reposant sa tasse devant elle, elle croise ses bras sous sa poitrine et vient désigner les vitrines du geste du menton à son interlocuteur : "Quelque chose vous intéresse Bhaal ?" Elle a bien vu le regard intéressé de l'homme vers ses armes en vitrine, peut-être souhaite t-il s'en procurer un ? "Ou... des questions sur le No Man's Land peut-être ?" Si c'est le cas, il frappe à la bonne porte, la coutelière a passé des années ici à se faire un nom et une clientèle, elle n'a rien contre guider un peu son prochain, surtout quand il s'agit d'un nouveau dans le secteur.