Joey dormait paisiblement à côté. Pour l'occasion, Khan avait été chassé de son lit de fortune le temps de la convalescence de son maitre, mais ça n'était pas pour le déranger puisqu'il laissait sa place à la compagne de Connor, et donc à une personne qui saurait prendre soin de lui. Pour l'instant, ses douleurs l'empêchaient de dormir, aussi se redressa-t-il et sortit-il de ses draps pour se remettre sur ses jambes très lentement. Ses blessures étaient dérangeantes, il allait mieux certes, mais ne pouvait toujours pas refaire comme avant. L'impatience le gagnait progressivement : il était frustré d'être diminué de cette manière.

Connor ? fit Joséphine derrière lui, d'une voix endormie. Lui passait un vêtement plus chaud pour pouvoir sortir, et esquissa un sourire. Khan se mit dans ses jambes immédiatement, prêt à l'accompagner.
Je vais juste prendre l'air, assura-t-il à sa compagne pour ne pas qu'elle s'inquiète pour lui : Repose-toi...

De toute façon, Connor ne pouvait pas aller bien loin dans son état. Le maximum qu'il ferait, ça serait sur la chaise pliante qui était disposée devant son camping-car et sur laquelle il comptait bien s'affaler quelques heures au moins. Peut-être qu'avec un peu de chance, il arriverait à gagner un peu de sommeil. Ce qui n'était pas dit : la douleur le gardait conscient.

Se posant au bon endroit, il vit Khan l'accompagner et poser doucement sa tête contre sa cuisse pour prendre appui. Quelques caresses derrière les oreilles de l'animal lui permirent de se sentir plus à l'aise au passage, mais également de fermer doucement les yeux pour se rassurer. Le chien secoua la queue avant de se raidir soudainement et détourner le regard devant lui. Il ne se montra pas agressif car il reconnut presque immédiatement la petite silhouette d'Alessia.

La jeune fille était partie après la dispute voilà déjà plusieurs semaines, pour revenir aujourd'hui au sein du campement. Et Connor avait eu vent de ses actions sur place. Autant dire qu'en l'apprenant, le sportif avait été sincèrement furieux, et les cloisons du camping-car avaient tremblé. Joséphine avait fait tous les efforts du monde pour le calmer et lui permettre d'être plus pragmatique et rationnel à ce sujet. Mais très honnêtement ? Connor avait beaucoup de mal à décolérer :

Tu as pas quelque chose à me dire ? Lui demanda-t-il d'une voix froide en rivant son regard sur l'adolescente. Elle voulait être traité comme une adulte ? Elle allait devoir lui prouver qu'elle en était une désormais.

En grandissant, depuis l’apocalypse, j'avais toujours eu des difficultés à m'endormir. Je réfléchissais, peut-être, souvent trop. Je tournais en rond dans un lit qui était rarement chaud, à repenser au passé, au futur, parfois au présent. Beaucoup de choses s'étaient passées ses deux derniers mois, beaucoup trop de choses pour moi, mon cœur, la stabilité de mes émotions. Je m'étais sentie trahie de tous, alors que dans le fond je ne faisais qu'imiter vaguement Alex par mon comportement. Je resterais sur mes positions, je pensais qu'elle était folle, plus que beaucoup d'entre nous car nous sommes tous un peu tarés désormais. J'étais en colère contre le monde, mais surtout, en colère contre moi-même, malgré que je ne m'en rende pas compte. Dans ma tête, j'avais blâmé Alex, puis Connor, puis tous les autres pour des raisons plus stupides les unes que les autres que de ne pas avoir ma part de responsabilité.

Oui, ça me terrifiait, sauf que... lors de l'attaque des Divas, je n'avais personne d'autre à blâmer que moi. Il était clairement ressorti que j'avais abandonnée mes coéquipières sans raison valables. Ma seule raison était mon inconscience, la peur qui se tapissait au fond de mon ventre, une peur que j'avais refoulé pendant plusieurs années en vivant absolument seule. Celle de perdre les autres. J'avais déjà perdu Ava... Je... Je crois que mes pensées s'étaient égarées pendant un moment. Il m'était toujours impossible de trouver le sommeil. Je squattais de nouveau mon ancien refuge avec Mihai, j'avais pas vraiment d'autres endroits où aller. Je me sentais seule, stupide et j'avais peur. Pas pour moi, mais pour les autres. J'avais vu combien Connor s'était fait blesser et dans le fond, je ne pouvais m'empêcher de me torturer. Oui, je le pensais trop autoritaire, je trouvais que les gens lui obéissait trop bêtement, mais si on avait fait ça un peu plus, on en serait pas arrivé là non ? Et puis, il m'avait accepté parmi eux. Sans me connaître, juste parce que j'avais parlé d'Ava.

Est-ce qu'elle était avec eux ? Je l'avais perdu au camp et j'ai entendu parlé du fait que mon ancienne amie soit partie avec Alex. Juste cette idée me prenait au ventre, me serrant de colère, de peur, de tellement de sentiments que je ne pouvais pas exprimer. À la base, je crois que je m'étais habillée pour sortir prendre l'air, puis je me suis retrouvée à marcher instinctivement vers mon groupe, les Expendables. Mes pensées m'avaient noyées, agissant mécaniquement jusqu'à n'être qu'à quelques centaines de mètres de l'endroit. Je vivais pas très loin, mais ça faisait quand même un bon moment que je marchais sous la lumière de la lune, dans l'inconscience du monde qui m'entourait. Est-ce que j'y allais ? Je sais que certaines choses n'allaient pas, mais je n'arrivais pas à déterminer quoi. J'avais beau retourner tout ça dans ma tête, j'étais bloquée, des larmes montant à mes yeux ou la colère rongeant mon cœur dès que je m'approchais de la réponse.

Ce qui me poussa à continuer, c'était savoir comment les autres allaient. Parce que, même si les mots de cette vipère me hantait l'esprit, je leur avais laissé une chance et ils étaient presque comme une famille, malgré les différences et les incompréhensions. J'avais serré mon poing le reste du chemin, arrivant là, dans le camp comme un cheveux dans la soupe en pleine nuit. J'avançais de quelques pas, vers la caravane de Connor à la recherche de quelqu'un que je connaitrais. Une voix s'élevait de la pénombre, celle du leader. Est-ce que je n'avais pas quelque chose à dire ? Si tellement, mais comment ? J'avais l'impression de me noyer. J'ouvrais la bouche en m'approchant un peu plus. "Tellement de choses... Mais je ne sais pas comment. Je..." Ma gorge se serrait. "Je suis désolée Connor, j'ai..."

Il m'avait reproché d'être une bombe émotionnelle, moi et d'autres, Emilie m'avait dit que désormais j'étais une adulte et je devais agir comme tel. Toutes ses informations, ses réprimandes se bousculaient dans ma tête. J'articulais péniblement. "Je crois... Je sais... J'ai merdé." Je restais assez loin pour étouffer les larmes qui roulaient sur mes joues. Je n'arrivais pas à dire que c'était ma faute, je n'arriverais jamais à prononcer ces mots précis, mais je savais au fond de moi ce qu'il en était. Ma voix tremblait sous les coups de mon chagrin : "On peut parler ? Tu vas... Comment tu vas ?" J'étais restée à une distance mesurée, assez loin pour qu'il ne voit pas mon visage qui se muait de plus en plus en l'enfant détruite que j'étais.

Connor scruta longuement la jeune fille qui semblait confuse. C'était dans ce genre de moment qu'il savait qu'il n'avait à faire qu'à une enfant qui voulait se croire plus grande que prévu. Joey le lui avait rappelé, et c'était justement ce qui agaçait le sportif. Le manque de recul qu'avait Alessia sur elle même quand il lui semblait évident qu'elle n'était pas aussi "intelligente" qu'elle le prétendait. Tout du moins, pas aussi intelligente émotionnellement.

Assis-toi, Alessia, lui fit-il en lui désignant une caisse à côté qui pouvait lui servir de siège. Au moins seraient-ils au même niveau pour discuter, malgré l'ascendant de taille qu'il y avait entre eux. Connor avait plus de deux fois son âge, deux fois sa taille aussi, et c'était elle qui avait l'attention quelques semaines en arrière de lui conter la vie ? Pourquoi tu veux faire partie de ce groupe ? Lui demanda-t-il de but en blanc en la fixant, mains jointes devant lui : Et qu'est-ce que tu veux pour toi même ?

Les questions pouvaient paraitre simple d'un prime abord mais avant qu'elle entame un monologue qu'il avait déjà entendu et qui lui semblait transpirant d'un optimisme mal placé et d'une naïveté crasse, il l'interrompit d'un signe de la paume :

Je t'annonce de suite : ne me sors pas tes grands discours de faire un monde meilleur pour les autres, je veux savoir ce qu'il y a au fond de toi, pas une phrase toute faite d'une gamine qui a encore de la morve sur le nez et qui veut se faire passer pour une grande personne, fit-il. Sans mépris, c'était ce qu'Alessia était. Et il fallait qu'elle s'en rende compte. Parce que tu n'es pas une grande personne, précisa t-il.

Il n'allait pas tourner autour du pot avec elle. Alessia avait besoin d'un cadre ferme et constant pour s'améliorer en tant que personne et grandir, il n'allait pas la prendre en pitié sous prétexte qu'elle était jeune. Ce monde était dur, les gens qui l'habitaient aussi, et les coeurs trop tendres se faisaient piétiner.

Sur bien des aspects, tu es intelligente, mais tu sens les choses comme une enfant qui n'a jamais eu de socle, analysa le sportif : Je n'ai pas l'intention de me faire marcher sur les pieds par une gamine qui ne sait pas gérer ses émotions. Ce que tu as fait en partant la dernière fois, tu me le feras qu'une fois, pas deux, avertit-il. Et ce que tu as fait aux membres de ton équipe... C'est grave, Alessia, car oui, il en avait eu vent. Très grave...

Je m'étais arrêtée là, dans mon silence, dans mon malaise, dans mes erreurs. Je baignais dedans alors que Connor m'offrait de me rapprocher pour m'asseoir à ses côtés. Un peu comme une passage des ténèbres de ma pensée à la lumière de la discussion. Qu'est-ce qu'il me dirait, qu'est ce que je lui dirais ? Je tentais de renifler en silence et de passer discrètement une main sur mon visage pour cacher mes faiblesses avant de venir prendre place sur la petite caisse, passant mon regard entre lui et Khan. Après un petit silence où l'homme me jugeait du bout des yeux, il ouvrit la bouche. Je restais là silencieuse, dépourvue de mots, ce qui ne m'arrivait que rarement. J'étais toujours sûre d'avoir raison, de mieux savoir, mais là, il fallait que je me résigne, je ne savais pas mieux gérer mes émotions. Je peinais parfois à savoir ce que je ressentais, encore plus à mettre des mots dessus. J'étais à la fois intelligente et parfaitement bête.

Il me demanda pourquoi je voulais faire parti de ce groupe, ce que je voulais pour moi. Il y a quelques temps j'aurais répondu avec détermination, ce que je voulais pour les autres, mais je m'étais tellement sentie délaissée que je ne pensais qu'à moi et je ne savais pas. Comme si le leader lisait dans mes pensées, il m'avertissait de ne pas parler de grand discours ou de monde meilleur, je laissais échapper quelques mots de mes lèvres avant de me taire pour le laisser continuer. "J'allais pas..." Mes yeux se rivaient sur le sol, comme une gamine qu'on engueule. Dans le fond, c'était un peu ça non ? Il n'hésitait pas à le souligner d'ailleurs, je n'étais pas une grande personne selon ses termes. Oui, je le savais, je l'ai toujours su, j'avais juste l'espoir d'être meilleure que je ne suis.

Je serrais mes poings pour retenir les larmes qui me montaient, toujours silencieuse, la gorge serrée pour tenter de contrôler un flot d'émotion auquel je n'étais pas prête. Je m'étais jamais rendue compte que j'étais comme ça, émotionnelle. Oui dans l'ancien monde, je faisais des caprices et tout ça. Mais depuis que je côtoyais des gens, je me rendais compte à quel point j'étais ingérable quand ça me tenait trop à cœur. Je relevais les yeux vers Connor quand celui-ci me disait la pure vérité, ce que je pensais au fond de moi. J'étais intelligente, mais j'avais les capacités émotionnelles d'une gamine. "Pardon." dis-je doucement.

Je sentais sa voix se creuser alors qu'il soulignait la gravité de mes actions lors de la mission, le fait qu'il ne supportait plus un comportement comme celui que j'ai eu en partant. Je posais mes mains à plat sur mes cuisses en prenant une grande respiration. Je savais ce qui allait se passer. "Je.. je vais surement pleurer, que tu le saches." Ça ne renforçait pas du tout ma personne, ça m'écrasait un peu plus dans l'enfance, mais il fallait que je sois honnête, je sentais déjà les larmes aux bords de mes yeux et de ma gorge. "J'ai pas d'excuses... Je suis partie parce que c'était trop pour moi et... et la mission... je... j'ai jamais vraiment eu d'amis tu sais." Ma voix se tordait brusquement sur ma phrase. "Même avant." Je déglutissais pour essayer de faire passer ce moment atrocement difficile. "J'ai paniqué, j'ai eu peur de perdre Milow pour toujours. C'est pas une excuse, je sais." dis-je en rabaissant les yeux, comme prise sur le fait.

"Pour le groupe... Je sais pas pourquoi je veux être avec vous... Je, je crois que je me suis habituée à vous et vous êtes un peu comme ma famille, même si on est pas toujours d'accord et..." C'était stupide, aucune raison concrète, rien à dire, je ne voulais pas les protéger, je n'avais pas vraiment peur seule dehors, j'étais juste... "C'est égoïste. De vouloir être avec vous." Je m'étais surprise à ne pas encore avoir pleuré, pourtant, les larmes se mettaient à couler lorsque je cherchais un réponse à ce que je voulais pour moi. Parce que oui, j'en savais plus rien. "Je comptais pas te dire que je veux un monde meilleur pour tout le monde, je... je suis pas capable de protéger les gens autour de moi. Je suis juste cassée, comme un livre ou t'as arraché des pages." Ouais, cette image me revenait en boucle dans la tête, une livre de connaissance mais qui ne sert à rien quand il manque des pages, donc des éléments, mes sentiments en fait. Je reniflais bruyamment pour reprendre sans pleurnicher. "Je sais pas ce que je veux pour moi Connor, je sais plus rien, je sais rien."

Non, c'est pas une excuse, constata Connor en hochant la tête, appuyant sur ce que l'enfant disait. Il n'allait pas lui apprendre ça, de toute façon. C'était admis de toute façon qu'elle avait merdé, et lui ne cherchait pas à la faire changer d'opinion parce que ça n'était que la vérité : Quand le maillon d'une chaine casse, c'est toute la chaine qui est brisée, tu te rends bien compte ?

Ce qu'avait fait Alessia aurait pu mettre en péril absolument toute l'opération. S'il avait fait la même chose qu'elle au moment le plus critique, ça aurait été terrible, c'était ce qui le distinguait évidemment d'une enfant, mais aussi ce qui devrait faire entendre à celle qu'il avait en face de lui qu'elle devait retrouver sa place d'enfant.

Les gens comptaient sur toi Alessia, et tu as tout abandonné pour rien ; tu n'as pas été en mesure d'aider, Lexie et Hope auraient pu risquer très gros, si les renforts avaient été contacté au passage, on était foutus, rappela-t-il, sans volonté d'enfoncer et retourner le couteau dans la plaie mais pour qu'elle réalise pleinement les conséquences de ses actes. On attendait de toi que tu restes à ta place, celle qu'on t'avait désigné, pour le bon fonctionnement de la mission. Et ici dans ce camp, j'attends de ta part que tu trouves où est ta place, fit-il en la désignant de son index.

Elle avait besoin d'être cadré sans doute, mais elle avait surtout besoin de savoir quand être force de proposition de quand garder ça pour elle. Connor se fichait du reste, il ne comptait pas étouffer sa créativité ou l'empêchait de réaliser ses rêves. Par contre, si elle mettait en danger des gens par manque de jugeote, là, il avait un problème à régler avec elle, et un gros.

Si tu veux être traité comme une adulte, tu dois te comporter comme une adulte, souffla-t-il. Mais si tu n'es pas prête à être une adulte, tu dois l'admettre et laisser les adultes prendre les décisions importantes à ta place. Je ne sais pas mieux que toi ce que tu veux, mais c'est mon devoir de te laisser le temps de trouver cette réponse, fit l'homme. Admettre qu'on a pas la force, ce n'est pas être faible, Alessia.

J'avais laissé sortir une partie de mes pensées, un fragment de ma peine dans mes mots et pourtant, je ne me sentais pas moins légère. Enterrée sous le poids de la culpabilité et de la colère, je ne pouvais qu'admettre mes défauts incapable de les forger en quelque chose de meilleur. Tout ça n'était que renforcer par les mots de Connor qui soulignait le fait qu'une personne faiblissante rendait tous les autres faibles dans leur chemin. Je me mordais l'intérieur de la joue, je savais pertinemment que j'avais été ce maillon, à plusieurs reprises. J'aurais dû mieux savoir aussi, sa phrase me faisant penser à la tourmente dans laquelle s'était plongée Sonia, des années auparavant. Et pourtant, sachant la destruction que cela pouvait engendrer, je m'y étais engouffrée. Étais-je si fragile que je ne pouvais pas apprendre de ce que j'avais vécu ?

Alors que mes pensées dérivaient perpétuellement, le chef me rappelait, il m'indiquait à nouveau tout ce qui aurait pu être compromis, tout ce que j'avais failli détruire et surtout, tout ceux que j'avais failli tuer. Certes, je n'aurais pas eu de sang sur mes mains, mais des fantômes dans ma conscience, pour sûr. Mon cœur se resserrait un peu plus à chaque mots, le laissant exprimer ses intentions avant d'ajouter. "Je veux pas paraître ingrate en disant ça... Je sais tout ça, je sais ce que j'ai fais... je..." Je m'arrêtais un instant, relevant la tête pour fixer l'homme, droit dans les yeux. "Je regrette, et je sais que ça ne réparera rien, mais j'y ai beaucoup... trop réfléchi." Je n'avais pas encore souligner ses derniers mots, ma place ici, il me fallait le temps d'assimiler, de produire une réponse pour laquelle je n'avais pas eu le temps de penser.

L'homme reprit la parole, me soulageant du poids d'une réponse immédiate. Il était compréhensif, malgré que ces propos puissent être durs, oui si je voulais être adulte il me fallait me comporter comme tel, ce que je n'avais pas fais. Et si j'avais besoin d'être une enfant, je n'avais qu'à le demander. Mais j'étais coincée dans cette idée, je voulais devenir plus adulte, mais je me rendais fatalement compte que je ne pouvais pas encore, que je ne savais pas encore l'être. Sa dernière phrase me frappa, je ne sais pas pourquoi, mais elle avait sonné comme ce que j'attendais que l'on me dise depuis toujours. Ma mère, mon oncle, toutes les dernières paroles des personnes qui m'étaient chers, ils m'avaient tous dit que je devais être forte. Et là, cet homme qui m'avait accueilli, qui n'était pas parfait, il me disait ce qu'on ne m'avait jamais annoncé : Admettre qu'on a pas la force, ce n'est pas être faible.

Je ne savais pas comment formuler quoi que ce soit, mes larmes retournaient se cacher au fond de moi, et les mots s'échappaient un peu plus facilement, malgré l'inconnu qui planait au dessus de moi. "On m'a toujours dis d'être forte et je crois que... que j'ai confondu ça avec, je sais pas trop quoi pour être honnête. Je veux trouver ma place avec vous, avec toi. Et je sais que c'est pas à moi de prendre les décisions, même si je suis pas d'accord, je comprends maintenant." Je repensais à Alex, tellement de mauvaises choses auraient pu être éviter si je n'avais pas prise cette décision, je serais toujours amie avec Ava, je n'aurais pas regretté tant de choses, peut-être que Milow n'aurait jamais été enlevé. "Je pense que... je suis pas capable d'être une adulte encore, mais je ne veux pas être une enfant dans un coin, qui ne peut rien faire. Je veux être utile, je veux savoir défendre ceux que j'..." Ceux que j'aime... Je n'arrivais pas à le dire. L'amour était trop compliqué pour moi.

"Est-ce que c'est possible ? D'être un peu des deux à la fois ? De me laisser essayer ?" dis-je en baissant les yeux. "Je sais que le monde est pas fait pour ça maintenant. Mais je suis pas prête à être l'un ou l'autre." Je ne supporterais pas d'être sans responsabilité, ne servir qu'à grandir, je ne savais pas comment jouer, je ne savais même pas ce qu'étais réellement l'amusement. Mais justement, est-ce que toutes ses choses que je n'avais pas appris, est-ce que ce n'était pas elles qui me bloquaient ?

C'est possible, répondit Connor fermement en adressant un bref sourire à Alessia. Derrière, Joey devait se relever dans le camping-car pour gagner la salle de bain. Très vite, la lumière s'éteignit. Évidemment que c'est possible, ajouta-t-il.

Il aurait aimé pouvoir accorder plus à Alessia, peut-être un monde où sa prise en charge aurait pu être plus simple que celle-ci. Mais déjà avant, les cerveaux et les esprits comme le sien ne savaient pas trouver leurs places. Et aujourd'hui ? C'était encore plus compliqué de comprendre dans un monde aussi hostile. Pour autant, Connor comptait la traiter de manière égale aux autres, pour qu'elle comprenne à quel point c'était important de trouver sa place, ou à défaut de s'en faire une personnalisée :

Mais je vais attendre de toi que tu sois responsable et attentive à ce que je te dirais. Si tu me désobéis, tu devras assumer les conséquences de tes actes, et les punitions qui vont avec, mentionna-t-il rapidement. Plus question, plus jamais, de vivre ce qu'ils avaient vécu. Si tu te dresses contre moi, tu devras porter le poids de tes arguments, ajouta-t-il vite.

C'était ainsi qu'elle saurait intégrer le monde des adultes avec les meilleures armes. Il ne la prendrait pas en pitié, mais n'oublierait pas qu'elle n'avait que quatorze ans. C'était bien le mieux qu'il pouvait lui proposer en l'état.

Tu vas devoir apprendre auprès des autres comment on fonctionne ensemble, en les considérant comme tes paires. Tu es intelligente, mais sur tellement de sujet, tu es la plus idiote d'entre nous tous, lui rappela-t-il. Émotionnellement parlant notamment, Alessia était la bonne dernière de la classe. Ne laisse pas ton arrogance te faire croire que tu peux tout faire, et tout vivre, mieux que les autres, c'était un conseil qu'il lui offrait.

Car ça lui jouerait forcément des tours si elle ne faisait pas attention. Comme Milow, elle ne tomberait pas toujours sur des gens compréhensifs ou patients. Il y en aurait des durs, qui n'accepteraient pas de se faire compter la vie par des gosses avec la morve au nez.

Quand nous sommes en équipe, c'est pour couvrir nos faiblesses, par des gens qui sauront en prendre soin. Nous fonctionnons mieux ensemble pour nous protéger les uns les autres, même si nous ne sommes pas d'accords sur tout, expliqua-t-il. Le ciment de tout ça, c'est le respect, le plus important. Tu dois en avoir pour tout le monde, même ceux où tu penses être meilleure qu'eux.