Ma conscience émerge des limbes, petit à petit, et mon esprit m'envoie aussitôt une foule d'informations en même temps, difficiles à trier. Les yeux fermés, sans bouger, j'essaie de me reconnecter à mon corps, de percevoir ce qui m'entoure. De savoir si je suis en danger ou pas.
La douleur m'envahit, sans que j'arrive à déterminer clairement d'où elle vient. Mon corps entier m'est douloureux, mais mes pensées restent floues. Je perçois la texture de draps et j'arrive à comprendre que je suis dans un lit. Ca fait tellement longtemps, que je n'ai pas dormi dans un vrai lit. Je ne perçois d'abord aucun bruit autour de moi, mais la douleur est telle qu'elle capte toute mon attention. Il me faut un long moment et un énorme effort pour la reléguer au second plan. Je sens quelqu'un approcher et instinctivement, je garde les yeux fermés. Je ne saurais pas trop expliquer pourquoi, mais je sens que c'est plus sûr si on me pense encore endormie. Ou évanouie, peut-être que ce terme est plus juste.

La personne semble aller et venir dans la pièce, sans réelle animosité. Mais je sens qu'elle est encore là, qu'elle n'est pas repartie. Est-ce bon signe ? J'ai tellement mal que je n'arrive pas à réfléchir clairement. Je ne comprends pas où je suis, ce que je fais là, ni où est Chris.
La pensée de mon frère me fait ouvrir les yeux, pour fixer un plafond. Pas celui de l'abri que nous avions trouvé, en ville. Quelque chose m'interpelle, c'est étrange. Je mets plusieurs longues secondes à comprendre que quelqu'un chante. Une voix enfantine. Je referme brièvement les yeux, luttant contre la douleur pour me concentrer. Mon cerveau doit me jouer des tours, impossible qu'un enfant chante ici.
Je tourne lentement la tête en rouvrant les yeux, et la douleur qui me vrille les tempes fait apparaître une nausée. Les dents serrées, je lutte un bref instant pour la maîtriser, tout en détaillant la fillette qui se tient près de moi. Ca ne semble pas être une hallucination, même si ma base de référence dans ce domaine est quasi nulle.

J'observe les lieux autour de nous, essayant d'intégrer des informations concrètes. J'aperçois plusieurs lits, et les murs sont différents. J'ignore dans quel abri nous sommes, mais prête ou pas, je dois me confronter à la réalité.
La petite fille a capté que j'étais éveillée et s'est arrêtée de chanter. Elle prend la parole sans crainte, avec une sorte de confiance qui me surprend.
J'ignore comment un enfant si jeune a pu survivre ici. Elle n'est certainement pas seule, mais j'ignore encore si c'est positif pour moi ou pas.
Je n'ai vraiment le temps d'y songer davantage, la petite se présente et vient s'agenouiller près de moi, sans aucune crainte.

Je fronce les sourcils, concentrée, et humidifie mes lèvres avant de parler.
Quel...fort ? Chris... Où est... Chris ?
Ma gorge est sèche et prononcer ces quelques mots me donne la sensation d'avoir coassé plus que parlé. Douloureusement, je déglutis et essaie de reporter mon attention sur les autres lits, autour de nous. Chris doit être dans l'un d'eux. Forcément, il est forcément là. Je sens une panique sourde me serrer le ventre, et soudain, je ne veux pas entendre sa réponse. Je sais, je sens inconsciemment que cette réponse ne me plaira pas. Accablée par la douleur, je referme les yeux, espérant replonger dans le noir, à l'abri.

Le front de Soo se plissa brièvement. Tandis que la douleur se lisait sur le visage de son interlocutrice, qu'elle demandait où était "Chris", la petite fille prit le verre d'eau qu'elle avait déposé sur la chaise qui lui permettait de veiller les malades, et déposa sa petite main fraiche sur le front de l'inconnue.

Avec douceur, pour l'apaiser, elle tenta quelques caresses amicales sur les cheveux, approchant ensuite l'eau de sa bouche, alors qu'elle essayait de maintenir la tête de la malade de l'autre main.

Son petit cœur encore tendre se serra. Si ce Chris n'était pas à l'infirmerie, était-il mort ? Avait-il disparu ? S'il avait survécu jusque là, alors il pouvait très bien être en vie. Tout était possible, non ?

- "Je.. je sais pas qui est Chris, mais votre ami n'est pas avec vous, madame."

Cela faisait bizarre à l'enfant d'appeler quelqu'un de manière aussi formelle. Au fort, tout le monde se connaissait, même de loin, et voir des nouvelles têtes n'était pas très courant. N'empêche, elle avait mal au cœur pour cette jeune femme qui avait dû être agressée dehors. Heureusement que ses deux papa l'avait sauvé !

Avec douceur, la jeune asiatique glissa le verre dans la main de l'inconnue, mais continua de soutenir le récipient au cas où.

- "On a de l'eau fraiche... Vous devez avoir soif. Vous savez, même si Chris est pas avec nous, je suis sûre qu'il va bien. Les environs du fort ont été nettoyés en grande partie et puis il y a des endroits où se réfugier. Je suis sûre qu'on ira le chercher, si vous le demandez gentiment. Enfin... ici, on est à Fort Nisqually. Et c'est moi qui veille sur les malades !"

Elle lui offrit un doux sourire, emplit de gentillesse.

- "Il ne faut pas que vous fassiez trop d'efforts. Ici, je vous promets, tout va bien. Y'a pas de rôdeurs ici. Euh.. et moi, je suis Soo. Euh.. je suis un peu bavarde... désolée."

Est-ce que l'inconnue dormait ? Est-ce qu'elle ne voulait plus l'entendre ? L'enfant se sentit un peu coupable de trop parler, comme d'habitude. Et si elle avait mal, que pouvait-on faire ?
Elle regarda alternativement l'armoire à pharmacie, puis la pauvre patiente, sans trop savoir quoi faire ; puis, enfin, elle eut une idée. Ce qu'elle pouvait être sotte !

- "J'ai apporté de la soupe, si vous en voulez. Elle est encore à peu près chaude, je crois."