Assise à l’une des tables du bar, je remercie Jolene lorsqu’elle m’apporte une tasse de thé. Cela fait un moment que Casey ne travaille plus à cause de sa grossesse. J’accorde un sourire reconnaissant à la jeune femme, nous échangeons quelques mots avant qu’elle ne retourne au comptoir pour s’occuper des autres clients. Quant à moi, mon attention se redirige vers le livre entre mes mains. Un peu de temps pour souffler, m’évader, j’en ai bien besoin. D’ici quelques jours, j’entrerai dans mon huitième mois de grossesse. J’ai du mal à réaliser que d’ici quelques semaines, le bébé sera déjà là. D’ici trois semaines, l’arrivée du bébé pourra se faire normalement à tout moment, sans que sa naissance soit considérée comme prématurée. Cela m’angoisse un peu, je dois l’avouer, de savoir qu’il peut maintenant arriver à tout moment. Avec Nathan, nous avons pris le temps de préparer sa chambre, ou du moins, ses deux chambres ; puisque le pâtisser compte bien m’épauler dans cette nouvelle vie. Si tout s’est bien passé jusque-là, je commence à montrer quelques signes de fatigue. J’ai adapté mon emploi du temps, pour ne pas avoir à me rendre tous les jours à mon bureau, chez Madame Phelbs. Marcher longtemps commence à être pénible et j’ai besoin de rester allonger plusieurs heures par jour. Malgré ça, je fais de mon mieux pour poursuivre mon travail. Je travaille sur de nombreux dossiers, je rencontre June régulièrement pour faire le point sur tout ça.

Toujours occupée à lire, je jette finalement un œil autour de moi avant de boire quelques gorgées de thé. Il n’y a pas foule en ce début d’après-midi, c’est bien pour ça que j’ai donné rendez-vous à Monsieur Kaines à cette heure. Le professeur a fini par devenir un ami très proche et je me voyais mal le rencontrer dans mon bureau ou à l’école. Autant dire que cette entrevue n’aura rien d’un rendez-vous professionnel, mais d’un simple échange cordial et amical, je crois que cela va me faire du bien de pouvoir discuter tranquillement, même si les thèmes que je compte aborder relèvent évidemment des dossiers que je suis actuellement.

Reprenant ma lecture, je finis par venir poser ma main sur mon ventre alors que le bébé s’agite brusquement. C’est plutôt fréquent ces derniers temps, mais cela veut sûrement dire qu’il est en forme. Je commence à être un peu impatiente, j’ai hâte que le bébé soit là, surtout depuis que je le sens bouger de plus en plus. Caressant doucement mon ventre, j’entends finalement la porte du bar s’ouvrir, j’accueille finalement le nouveau venu avec un grand sourire. Bonjour Aodhan ! Merci d’être venu » Je lui laisse le temps de s’installer et de commander quelque chose, avant de lui demander   Comment vas-tu ? »

Les journées s'enchainaient sans doute de manière bien trop rapides, combien de temps cela faisait-il qu'il était revenu de sa pêche à Zelda et Kassidy ? Plusieurs semaines maintenant, il avait l'impression que c'était hier. Tout comme les journées d'ailleurs, les rendez-vous s'enchainaient aussi à son plus grand malheur, les parents, ou du moins les responsables pour majorité, des élèves, les discussions avec les dits élèves tous les deux jours pour les mêmes conneries, les rendez-vous entre professeurs avec Ela et ses collègues.. autant dire que le professeur avait fort à faire d'autant que l'été faisait peu à peu son apparition sur l'état de Washington excitant d'autant plus les gamins qui de toute évidence avaient mieux à penser que de suivre le cours d'un professeur aussi captivant qu'une tuile sur un toit pouvait être intéressante.

Sans manteau, évidemment il l'avait oublié à l'école comme l'imbécile qu'il était, le professeur avait chemin jusqu'au bar des sœurs Summer, un nom soulignant bien la météo de la journée, ce qui arracha bêtement un sourire au professeur, sans doute que pas grand chose ne suffisait dans une période comme ça de l'année. Le rendez-vous n'était pas prévu pour durer, du moins l'espérait-il aux premiers abords, il avait beaucoup de choses à régler, Zelda, Kassidy et leur fugue représentant à elles seules environ la moitié du travail qu'il avait encore à accomplir pour faire de la prévention aux autres élèves et leur expliquer que s'il n'avait pas été là avec feu Alice pour aider les deux petites pestes sans doute seraient-elles mortes.. chose qui lui paraissait ultra-nécessaire dans la mesure où les deux demoiselles racontaient sans doute leur merveilleuse aventure dehors pour faire saliver les plus audacieux de ses étudiants à son plus grand damne.

Pour être franc, s'il pouvait éviter de courir après ses élèves à cause des deux blondinettes, ça l'arrangerait relativement.

Poussant la porte du bar, cherchant du regard Madisson, celle-ci était assise à une des tables, le ventre toujours bien arrondis par le temps, qui passait définitivement trop vite il ne s'était pas rendu compte de la vitesse à laquelle la petite chose qui était au sein d'elle grandissait. "Bonjour Madisson." le professeur vint la rejoindre rapidement, récupérant de la voix la petite Jolene qui passait par-là. "Je pourrais avoir un café, s'il te plait Jolene ?" Il ne mettait pas véritablement les formes pour la rouquine parce qu'elle était déjà venue travailler avec lui et qu'elle le connaissait un minimum et dans ce cas-là, il ne prenait pas véritablement la peine. Retrouvant le fil de sa conversation avec la blondinette, il prit une pause avant de souffler et de lui adresser un sourire : "Je vais bien, je suis sûrement en hypertension avec l'été qui arrive pour les enfants mais je vais bien." Il aiguisa d'autant plus son sourire, oui, on va dire qu'il allait bien. "Et toi ? Le bébé ne te fatigue pas trop ?" Pour être franc, il trouvait les femmes enceintes terriblement courageuses, se balader avec quatre kilos dans le ventre en plus, lui, il ne pourrait définitivement pas le faire.. ça tombait bien mère nature ne lui demandait pas.

"En tout cas, ça te fait rayonner d'être enceinte." Pour être franc, le professeur savait pas vraiment ce que ça voulait dire cette expression mais comme tout le monde l'utilisait plus ou moins, soit, il en ferait de même.

Aodhan s’installe face à moi, il demande un café à Jolene avant de me répondre. Je l’écoute d’une mine amusée lorsqu’il m’explique que les congés d’été vont bientôt commencer. J’imagine que les dernières semaines doivent être plus compliquées, plus intenses et fatigantes aussi. Quand je repense à mes dernières semaines de cours, je me souviens que l’ambiance était toujours assez agréable. Sans compter l’impatience des bals de fin d’année et les remises de diplômes. Bien sûr, aujourd’hui, nous sommes loin de tout ça, loin de cette vie qui était finalement très paisible à celle que nous connaissons à présent. Néanmoins, à Ford Ward, il reste des personnes comme le professeur Kaines pour rendre les quotidiens des plus jeunes aussi normal que possible et je ne peux qu’être admirative. Je crois que l’enseignement aurait pu être un domaine épanouissant pour moi. Les quelques cours que j’ai donné avant d’obtenir le poste d’assistante de June ont été très formateurs et agréables pour moi. J’en garde de bons souvenirs. « J’imagine que cela fera du bien à tout le monde de profiter un peu des beaux jours. » Dis-je simplement en guise de réponse. Ne pouvant retenir un nouveau sourire lorsqu’Aodhan me complimente finalement. « Oh vraiment ? Je commence à ne plus pouvoir lacer mes chaussures alors bon… Je ne suis pas sûre que « rayonnante » convienne, mais merci ! » Je ne peux pas m’empêcher de rire. Faut dire que j’ai de plus en plus de difficulté à faire certaines choses, heureusement que nous nous soutenons avec Casey.

Concernant la fatigue, c’est un autre sujet. « Pour l’instant, je tiens le choc ! J’ai prévu de travailler jusqu’au terme si tout va bien. Les médecins me surveillent de près et j’ai ordre de lever le pied au moindre problème. » Je m’estime chanceuse d’être aussi bien suivie et conseillée. Entre Casey à la maison, les conseils de Quinn et l’équipe de médecins que je vois régulièrement au dispensaire, je suis très bien entourée. Même Nathan est très présent et nous nous entendons à merveille. Je crois qu’il est plus impatient que moi, c’est pour dire. Donc normalement, tout devrait bien se passer. « L’arrivée du bébé risque de chambouler mon organisation mais ça sera un autre rythme à prendre. C’est pour ça que je voulais te voir maintenant, avant l’arrivée du bébé. A la rentrée, je risque d’être très occupée. Tu voulais me faire part de certaines choses ? » Nous avons l’ambition de former les futurs citoyens de demain et le point de départ reste évidement l’éducation et l’instruction. Si nous voulons que notre communauté perdure, il est indispensable de penser au mieux notre système éducatif… Pour préparer nos jeunes au monde de demain mais aussi à vivre dans le monde d’aujourd’hui et de s’y préparer correctement.

Les banalités habituelles étaient évidemment au rendez-vous, le professeur s'en accommodait bien après tout il y avait pire que de les échanger avec Madisson. Quand elle lui fit part que cela ferait du bien à tout le monde d'avoir du repos, Aodhan hocha la tête naturellement, ça ferait du bien à tout le monde et particulièrement à lui, pour être honnête. L'année était passée difficilement, il avait songé à partir plusieurs fois, Zack avait tiré sa révérence, Roza avait été difficile à subir mais aussi terriblement dur à perdre, May et lui ne s'entendait plus du tout, Alice était apparue et avait disparue aussi vite, bref, le simple fait de s'asseoir sur le bord de son lit, d'observer par la fenêtre le temps passer, de feuilleter les pages d'un livre.. tout ça, ça lui ferait du bien. En fait, avoir du temps pour soi, c'était ça qui comptait pour lui maintenant.

Les quelques paroles suivantes de Madisson le firent sourire tandis que Jolene revenait déposer un café devant lui et qu'il lui offrait un : "Merci." du bout des lèvres avant de se reconcentrer sur son interlocutrice et ses problèmes de grossesse qu'il imaginait bien être handicapant au possible. Tout ça, ça semblait être un sacré chantier, la main se saisissant de sa tasse, il l'apporta à ses lèvres tandis qu'elle lui étendait le plan des médecins vis à vis de tout ça. Sans doute que les bébés étaient un grand chamboulement dans la vie, elle avait sans doute raison, pour être tout à fait honnête, le professeur ne s'était jamais posé la question, à aucun moment le fait de se reproduire n'avait été quelque chose qui lui avait traversé l'esprit.. et encore moins à une époque comme celle-ci où le chaos dominait le monde et où les hommes subissaient celui-ci, se contentaient, à vrai dire, d'essayer de lui survivre.

Mais il admirait Madisson et Nathan pour avoir tenter ce pari, ça, il ne pouvait pas les traiter de fou ou de quoique ce soit d'autre pour essayer cette belle aventure. Dans l'omniprésence de la mort, donner la vie était toujours quelque chose de beau. Ceci dit ce n'était pas quelque chose que le professeur se serait vu traverser à leur place. "Je suis content pour toi, c'est une sacrée aventure qui se profile.." C'était tout ce qu'il pouvait y redire pour être honnête. Puis concernant le reste, il réfléchit un instant avant de continuer.  "En ce qui concerne pourquoi j'ai demandé à te voir.." Il y avait toutes les nécessités du monde à cette discussion mais l'hésitation sur les mots étaient forcément de mise, Aodhan n'avait pas l'objectif de mettre à charge des problèmes sur le dos de Madisson ou de Stanley, loin de là.

"Disons que nous avons eu un petit problème avec deux jeunes." Si ses lèvres ne laissaient pas échapper de noms, ses yeux voulaient tout dire quand ils se posèrent sur ceux de Madisson. "Certain..es de nos étudiants se sont faits la malle récemment, pour éviter que ça se reproduise, on aimerait voir avec vous comment s'occuper de la gestion des élèves pour éviter qu'ils fuguent.. ou pour au moins mettre en place une prévention." Pour être franc, Aodhan savait pas vraiment comment lutter contre ça mais il était déterminé à ne pas passer ses week-ends à courir aux fesses de ses élèves pour les ramener rapidement à Fort-Ward. "C'est un peu complexe à régler mais c'est quelque chose d'important."

Tournant la tête vers le bar un court instant, une nouvelle gorgée de café vint en même temps réchauffer sa gorge tandis qu'il reportait son intérêt sur Madisson : "Enfin, évidemment, maintenant que c'est les vacances et que t'as l'air occupée, on peut attendre que ton petit soit là pour en reparler, c'est pas la chose la plus urgente au monde." Loin de là, sans doute quand on savait tout ce que la gestion du camp devait gérer : "Je viens rarement te voir et quand je viens te voir pour une discussion, ça concerne le bureau des plaintes.." Un léger sourire lui revint sur le bord des lèvres : "Je suis ce qu'on appelle un goujat, là, non ?"  

« Oh m’en parle pas… Je sens que je ne vais pas m’ennuyer ! » Devenir maman est un sacré défi pour moi. Il est vrai que j’appréhende un peu, surtout les premiers mois. Casey ne cesse de me répéter que je serai une mère merveilleuse et qu’il n’y a pas de raison que je n’y arrive pas. Entre ça et le travail, autant dire que mes journées – et mes nuits – seront bien remplies.

Quand Aodhan évoque quelques incidents, je ne peux m’empêcher de lui adresser un sourire amusé. « Oui, bien sûr… Je crois savoir de quoi tu parles… » Dis-je simplement, lui faisant comprendre que je suis au courant de cet événements. Je ne prends cependant pas la peine d’ajouter quoi que ce soit d’autre, préférant me concentrer sur la demande du professeur. En l’écoutant parler d’un moyen de prévenir ce genre de « problèmes », je prends brièvement une mine perplexe, commençant à réfléchir à la façon dont je pourrais l’aider.

Enfin, suite à sa dernière remarque, je ne peux pas m’empêcher de rire avant de lui répondre « Ne dis pas de bêtise ! Cela fait partie de mon travail, recevoir les plaintes de la population, trouver des solutions. Je suis certaine que nous pouvons trouver un moyen d’alerter les jeunes sur les dangers de l’extérieur. » Je prends le temps de marquer une légère pause pour réorganiser mes idées, puis je lui propose finalement « Pour l’instant, je ne vois pas comment nous pourrions organiser ça, mais je vais y réfléchir. Peut-être que je pourrais trouver quelques volontaires parmi les militaires pour évoquer ça avec tes élèves. » Nos hommes ont l’habitude du terrain, en terme de confrontation aux rôdeurs mais aussi aux autres êtres humains. J’imagine qu’ils auraient de quoi en dissuader plus d’un. Malheureusement, il y aura toujours quelques brebis galeuses dans un troupeau… » Une fois encore, je lui adresse un regard malicieux ; pas besoin de préciser de qui je parler, évidemment…

Buvant une gorgée de thé, je croise à nouveau le regard de Kaines avant de lui offrir un léger sourire. Puis je continue, lui exposant ce qui me vient en tête « En parallèle, j’ai quelques idées de formation que nous pourrions développer pour que les jeunes s’investissent plus au sein de Fort Ward. Coupler l’instruction dispensée par nos professeurs avec des filières plus pratiques pourraient permettre à certains de trouver leur voie et travailler dans divers domaines. Cela les responsabiliserait également. Il faut que je prenne le temps de voir ce qui est possible. Mais tu as raison, nous pouvons nous laisser l’été et en reparler à la rentrée ? »

Il se fendit d'un léger sourire à la phrase de Madisson, ah non, ça, il se doutait bien qu'elle n'allait pas s'ennuyer dans les mois qui allaient venir, les enfants avaient cette douce tendance à accaparer votre temps et à vous obliger à éviter qu'ils meurent toutes les deux secondes jusqu'à un certain âge.. du moins c'était ce que sa sœur avait vaguement tenté de lui apprendre quand elle avait essayée, fut un temps, de le sensibiliser à son rôle de futur oncle, qu'il n'avait finalement jamais endossé. Alors, au milieu de l'apocalypse, il ne doutait pas que Nathan et elle allaient avoir un sacré boulot à faire dans les prochains temps, peut-être même qu'il en profiterait pour se moquer d'eux à la première occasion, par sympathie évidemment pas parce que ça l'amusait de voir les gens faire des enfants et galérer avant qu'ils ne deviennent assez grands pour que ce soit lui qui ait à s'en occuper et à galérer à son tour.

Non, il n'était tout de même pas aussi mesquin, il était prévoyant.

L'entendre rire aux conneries qu'il peut dire, ça lui réchaufferait presque un peu le cœur et pourtant la chose n'est pas simple, c'est comme essayer de faire une peinture rupestre la tête à l'envers.. faut-il croire que Madisson était une artiste ? Hochant la tête, le professeur ne pouvait qu'être d'accord avec elle, malgré tout ce que l'on pouvait mettre en place, il y aurait toujours une Zelda ou deux et mise à part en utilisant une solution expéditive, très tentante mais malheureusement à l'encontre des règles de la vie en communauté, Aodhan se doutait bien qu'il serait impossible de garder tout le monde dans l'enclos. "Parfois le minimum suffit largement.." C'était la seule chose qui s'échappa de ses lèvres dans un léger murmure sans doute assez fort pour qu'elle en prenne connaissance. Il ne pouvait pas refuser l'aide du camp, la prévention c'était au moins un début, il s'occuperait sans doute du reste.

Puis elle lui fit part de sa nécessité de réfléchir aux choses et d'attendre la fin de l'été pour en discuter, pour être honnête, il aurait voulu régler quelques importantes choses d'entrée mais il comprenait qu'au vu de sa situation et de la situation globale du camp ce n'était pas nécessairement le sujet principal du camp. "Pas de problème, merci beaucoup Madisson, n'hésite pas à me demander si t'as besoin de quelque chose." Lui offrant un léger dernier sourire, le professeur avait pris la poudre d'escampette.

***

Octobre

Quelle journée de merde, il avait fuit l'école en retard, loin derrière ses élèves qui évidemment, tout comme lui, ne s'étaient pas fais prier pour fuir dès que le sablier s'était écoulé. Un manteau dans une main, son sac dans l'autre, le professeur avait rendez-vous avec Madisson pour discuter au sujet de la prévention envers les jeunes vis à vis de l'extérieur et des dangers que cela pouvait représenter que de fuguer du camp. Pendant un instant, il hésita même à s'arrêter chez Clayton pour tirer par l'oreille Zelda jusqu'au Summer's histoire qu'elle participe à toute cette prévention mais rapidement, il eut fallu se faire à l'idée que : premièrement, elle aurait été capable de ruiner la prévention, secondement, elle aurait été incapable de se taire plus de cinq minutes.

Filant donc comme une étoile, le professeur avait fait irruption, au sens littéral, dans le Summer's, traversant la pièce pour déposer son sac au comptoir sans réelle délicatesse, son manteau sur une chaise assez vulgairement et tenter de retrouver le souffle de ses vingt ans avant de relever le museau en l'air pour voir la pauvre Madisson, il était pas vraiment présentable, se le cacher n'aurait pas vraiment eu de sens, alors soufflant un dernier grand coup, il offrit le plus beau sourire dont il était capable à cet instant avant de la saluer : "Bonjour, Madisson, désolé pour le retard, les enfants m'ont pris plus de temps que prévu." Respirant un instant de plus avant de regarder la jeune femme, il fit la discussion ; "Diable, tu es toujours sublime !" Ouais, bon, c'était un peu merdique mais fallait bien se faire pardonner d'avoir été en retard : "Est-ce que je peux juste.. te demander un verre d'eau ? Ou n'importe quoi ?" Du moins quelque chose qui désaltérait assez pour ne pas claquer au milieu du Summer's.

Il s’en est passé des choses depuis notre dernier rendez-vous. Je ne peux pas m’empêcher de le constater alors que je fixe l’une des fenêtres du bar, perdue dans mes pensées. Dehors le temps maussade vient tremper les vitres d’une infinité de petites gouttelettes qui ruissellent le long des carreaux. Je jette un coup d’œil à ma montre. Monsieur Kaines a sûrement eu un contre-temps à l’école. Je décide donc d’aller nous préparer un thé bien chaud, j’imagine qu’il l’appréciera le geste vu la pluie battante. Je dispose deux jolies tasses sur un plateau, une théière puis je mets de l’eau à chauffer. J’ai le temps d’y verser l’eau bouillante avant que le professeur fasse irruption dans l’établissement. Je relève les yeux, découvrant Aodhan, trempé de la tête au pied.  « Oh bonjour ! Quel temps… Attends… » Je m’empresse d’aller récupérer un plaid posé sur l’une des banquettes  « Tiens, tu vas attraper froid. » Je tends le bout de tissu à Aodhan, c’est tout ce que je peux faire pour lui.

Comme à son habitude, il me complimente et je sens mes joues rougir légèrement.  « Oh… Tu… C’est gentil. » Il exagère très certainement… J’ai des cernes énormes sous les yeux, une mine fatiguée, je ne suis pas forcément aussi bien apprêtée qu’à l’accoutumée, faut dire qu’avec les quelques kilos restant de la grossesse, je vais au plus confortable. Mais je le remercie d’un sourire sincère avant de l’inviter à s’asseoir au comptoir  « J’ai préparé du thé. Je me suis dit que tu apprécierais une boisson chaude. Mais… Je peux te servir autre chose si tu veux ? » Un léger sourire étire mes lèvres alors que je m’assieds à ses côtés. Je lui sers du thé avant de lui expliquer « Je viens aider au bar dès que j’ai un peu de temps… Casey ne va pas très bien en ce moment. Pas bien du tout même… » Je détourne brièvement les yeux, sentant mon cœur se serrer dans la poitrine. J’hésite un instant, ne voulant pas l’embêter avec ça mais… J’en ai besoin, c’est plus fort que moi. « Avec la disparition de Stan et les deux petits à gérer… C’est compliqué. J’essaye de l’aider au maximum mais c’est pas facile, entre Rafael à gérer et mon travail pour Madame Phelbs, je ne dors pas beaucoup. » Mes lèvres se pincent et je referme mes mains sur ma tasse fumante jusqu’à me brûler les doigts. Puis, j’accorde un regard gêné au professeur, lui avouant finalement  « Pour être honnête, je n’ai pas vraiment eu le temps de me pencher sur ton idée de formation pour les jeunes… Je… Avec l’attaque du mois d’août, et tout le reste… Je… J’ai complètement oublié de m’occuper de tout ça… » Ne pas craquer… Je prends sur moi pour contenir ces larmes que je retiens depuis sûrement trop longtemps. Je me contente de fixer ma tasse, me sentant terriblement honteuse de ne pas avoir tenu ma promesse.