Le bruit de l'acier crissait sous la pierre à aiguiser alors qu'elle observait Frances du coin de l'oeil. Le vieux tomahawk qu'elle avait débusqué sur la tombe d'Issaquah Ranch avait pris du temps avant de ressembler à quelque chose, mais désormais, son acier était impeccable. Il suffisait qu'elle glisse la pulpe de son pouce contre l'affût de ce dernier pour sentir la peau se couper, témoignant d'un affutage concret. Satisfaite, alors qu'elle venait tresser les perles qui pendraient désormais du manche aux couleurs de son peuple, avant de relever la tête vers Frances. Occupée à parfaire les crânes d'ours qui désormais leur servait de coiffe à Andrea et elle, venant prendre la parole en première.

Et à l'est de la forêt ? proposa la native en s'accordant un court répit dans son travail quand la plume d'aigle qu'elle avait terminer d'attacher ne risquait pas de disparaître. Rien non plus. Se contenta de répondre laconiquement Frances, visiblement trop aspirée dans son travail pour vouloir se prêter à la discussion. La brune pinça les lèvres, peu satisfaite de la réponse. Si le gibier commençait à disparaître de leurs lieux de chasses de prédilection, c'était désormais un problème. Mais les animaux avaient depuis longtemps compris que ces nouveaux morts ne seraient pas aussi aisés à fuir que les anciens. Ils ne faisaient que s'adapter. Mieux qu'eux visiblement. Venant caresser le chien-loup à ses côtés qui terminait sa nuit, alors que l'ex Marine se relevait en lui tendant sa coiffe. Je vais tenter le nord. Les marécages qui s'y créent ont peut-être attiré des troupeaux. Sunka se relevant instantanément en comprenant qu'une éventuelle balade se profilait à l'horizon, venant caresser une dernière fois le chien loup qui semblait déjà prêt pour l'extérieur. Wowasi wiya wakuwa pi souffla t-elle à Frances pour lui souhaiter bonne chasse alors qu'elle emmenait Sunka dans son sillage. Le chien-loup serait définitivement plus à même qu'elle pour flairer le gibier, il allait sans dire.

C'était donc seule désormais qu'elle terminait sa routine d'arme, rajoutant quelques plumes à la coiffe d'Andrea avant de relever lentement les yeux, piquée par la sensation d'être observée. Et visiblement, elle ne s'était pas trompée.

La rebelle du camp, qu'on l'avait appelé un temps. Ryan l'observait sans mot dire, alors que les yeux noirs de la Lakota s'ancrèrent sur sa silhouette fine, sourcils légèrement froncés.

Ryan. Je peux t'aider ? demanda la brune avec son éternel air neutre, quoi qu'un peu surprise de la voir venir à sa rencontre. Si elles se connaissaient de vue, elles n'avaient jamais échangés plus de quelques mots. Les longues sorties en extérieures qu'elle s'octroyait pour chasser ou repérer les allées et venues des morts n'aidait pas vraiment à lui donner une image de sociabilité. Moins encore, depuis qu'elle avait scalpé Dread et que Marlon l'avait fait passer pour le monstre qu'elle n'était pas.

Stoppant ses activités pour permettre à la cadette de prendre la parole, la native se redressa de son assise pour venir lui faire face.

Fort Nisqually était devenu un refuge pour Ryan, et ce en dépit de toute la mauvaise foi qu’elle avait pu opposer à son entrée à la colonie. A l’époque, elle disait sans détour qu’elle ne croyait pas à la pérennité de leur situation. Aux côtés de Milow, elle se tenait à l’écart de la société naissante, observant d’un air dubitatif les colons construire ce nouveau monde. Puis… Puis, Milow était parti et elle avait réalisé qu’elle était incapable de quitter Le Havre. Physiquement. Psychologiquement. En dépit de son pragmatisme, son esprit s’était attaché à l’endroit. Elle y avait associé un sentiment de sécurité, de survie même. Et sans le soutien moral de son frère, elle avait été obligée d’accélérer son processus d’intégration. Parce que malgré tout, l’être humain n’était pas fait pour vivre en solitaire. Et même les carapaces les plus dures finissaient par se ramollir dans un environnement comme celui-ci. Les habitants du coin n’étaient pas parfaits, mais ils veillaient les uns sur les autres. Une attitude qui détonnait totalement avec ce que les Lewis avaient pu subir durant leurs années à l’Extérieur.  

Et, au-delà de leur chaleur, les colons s’entraidaient. Se formaient mutuellement pour une meilleure survie de l’espèce. Nolan lui avait inculqué des débuts en secourisme, Saseum semblait enclin à lui apprendre ce qu’il savait (un apprentissage qui se révélerait long et sommaire, surtout au vu de son emploi du temps surchargé) et elle-même consacrait un peu de son temps à Soo, dans l’optique de fournir à l’enfant suffisamment de connaissances pour qu’elle puisse s’épanouir dans le nouvel univers dystopique. Néanmoins, dans la globalité, Ryan n’osait généralement pas demander de l’aide. Elle observait, énormément, et cela lui suffisait. Sauf dans certains cas… l’équitation, notamment, lui avait posé de nombreux problèmes. Elle ne remercierait jamais assez Juliet pour avoir passé du temps à lui enseigner comment monter. Parce que la théorie, c’est bien, mais ça ne vaut pas la pratique. Tout comme le fait d’apprendre à se battre. On pouvait savoir comment fermer son poing pour porter un coup sans se briser le pouce, mais la douleur engendrée par le geste ne pouvait pas être comprise avant de l’avoir ressentie. On pouvait apprendre à viser, à tirer avec des armes d’airsoft, mais cela n’avait rien à voir avec le bruit assourdissant ou le contrechoc d’un simple tir. La première fois qu’elle avait dû utiliser son revolver, elle avait eu les oreilles sifflantes les trois heures qui avaient suivi… et une douleur sourde à son poignet droit.

Quant aux fois où elle avait dû user de ses poings ou de son couteau, cela n’avait été ni facile, ni propre. Une fois, elle avait récupéré Milow recouvert du sang de quelqu’un qu’il avait été obligé de tuer et même s’il n’avait pas eu de blessure physique, le coup sur le moral avait été assez impressionnant.

Toutefois, à The Haven, ils avaient un avantage non-négligeable. Ils avaient du temps. Puisqu’ils ne luttaient pas tous les jours activement pour leur survie, ils avaient l’opportunité de se perfectionner et d’obtenir de nouvelles connaissances. Et Ryan n’était pas assez bête pour ne pas voir ça. Ou saisir l’occasion, à sa manière – ce qu’elle avait fait lorsqu’elle avait croisé Saseum et qu’il lui avait appris à affûter sa lame sans l’abîmer. Il y avait bien quelqu’un qui pourrait l’aider à s’améliorer en combat au corps-à-corps, mais elle n’avait jamais osé l’approcher.

Nihima avait une réputation assez partagée au sein du camp : tantôt vue comme une sauvageonne féroce, tantôt comme une protectrice loyale, elle marquait les esprits par des actes assumés et une volonté de fer. C’était cependant suite à l’attaque menée contre les bikers qu’elle avait le plus entendu parler d’elle. Bien qu’aux yeux de Ryan le fait de scalper ces derniers avait été barbaresque, elle ne pouvait nier que le fait de s’en prendre à eux avait été bénéfique. Nihima ne s’était pas conduite en héros, elle avait été violente, brutale même, mais elle l’avait fait pour venger toutes ces victimes et remettre un peu d’ordre dans leur chaos. Un acte que finalement, l’artiste pouvait respecter à défaut de célébrer. Nihima savait donc se battre. Plus que ça : elle était capable de l’enseigner à d’autres.

Mais à l’origine, ce n’était pas elle qu’elle comptait aborder. C’était Frances, celle qui dirigeait le groupe des Valkyries. Elle savait qu’actuellement, elle était à des années-lumière de pouvoir rejoindre ces guerrières, cependant cela ne l’empêchait pas de vouloir sincèrement essayer. Parce que si un jour l’enclave devait tomber (le putsch de Marlon avait d’ailleurs ravivé cette crainte) elle voulait en ressortir plus apte à survivre à l’Extérieur. Dans l’optique où elle parvenait un jour à dépasser sa peur.

Or, lorsque Ryan parvint à retrouver la Valkyrie après avoir demandé à tous ceux qu’elle rencontrait s’ils l’avaient vue, elle se retrouva à observer une silhouette qui n’était pas celle de Frances. Cela faisait plusieurs minutes qu’elle dansait d’un pied sur l’autre, hésitant à s’approcher de Nihima, jusqu’à ce que ce soit la native qui relève la tête en la remarquant. Avait-elle senti le poids de son regard ? Deux ou trois secondes s’envolèrent pendant que leurs yeux s’accrochaient. “Ryan. Je peux t'aider ?” La jeune femme cilla, prise de court. Elle secoua instantanément la tête, levant les mains paumes en avant en signe d’apaisement. Elle connaissait son nom ? “Oh ! Euh, non ! Enfin, si !” T’es ridicule putain, reprends-toi ! Ryan ferma les poings, soufflant son stress en vidant d’un coup ses poumons. Subitement plus calme, elle reprit : “Désolée, c’est juste que je cherchais Frances. Je voulais lui poser quelques questions au sujet des Valkyries.” Voyant la guerrière se relever pour lui faire face, l’artiste s’avança également de quelques pas afin de pouvoir discuter avec elle sans lever la voix. Ainsi proche de la Native, elle réalisa qu’elles étaient presque de la même taille… quelque chose difficile à réaliser au vu de l’aura impressionnante de Nihima la plupart du temps. Et vue de près, elle avait l’air nettement plus humaine que le portrait que Marlon avait pu faire d’elle durant son coup d’Etat. “Je sais qu’elle n’accepte que des gens déjà formés, mais je voulais savoir si…”

Oh, que c’était difficile de formuler ça sans avoir le sentiment d’être une d’enfant. Soo n’aurait pas hésité, donc peut-être que ce n’était pas la meilleure comparaison. “Enfin, j’sais pas, je me disais que si elles proposaient des formations à tout le monde, ça permettrait de grossir leurs rangs et de manière globale, de permettre à tout le monde de se battre.” Au fur et à mesure, sa voix devint plus assurée, trahissant ses longues réflexions sur le sujet. Elle fronça des sourcils en s’exprimant, son regard ne parvenant tout d’abord pas à se décrocher du sien, puis bifurquant sur le reste de son corps et sur leur environnement.  Elle remarqua les crânes d’ours, les perles sur l’arme, mais resta quelques secondes à détailler le collier qu’elle portait. La pierre bleue, les plumes, la tête de bison… un cadeau, peut-être, qui convenait parfaitement à la guerrière. Tant par ses origines ethniques que par le rôle de chasseuse et de protectrice qu’elle remplissait au sein du havre. “Je pense que c’est devenu vraiment nécessaire, surtout avec les nouveaux rôdeurs. Si on ne se bat plus contre des cadavres ambulants,” sous-entendu des ennemis lents et maladroits. “Alors savoir se battre va vraiment devenir vital. Et je me suis dit que les Valkyries seraient les plus à même de nous aider sur ce point.”

Ryan. A dire vrai, elle n'écoutait jamais les bruits de couloirs, mais elle en connaissait néanmoins quelques uns. Soeur aîné de l'excité du coin qui avait fini par disparaître du campement, peu connue pour sa politesse mais d'avantage pour sa langue acerbe. Pas le genre à rester sans mot dire, moins encore si ça la concernait. Dans un sens, cela semblait logique. Désormais seule dans ce campement qui l'avait receuillie, elle avait dû se faire sa place en employant certainement les grands moyens.

Ses yeux noirs se posèrent sur la nouvelle venue qui sembla prise de court quand elle prit la parole la première. Fronçant les sourcils devant ce manque d'assurance soudain, sans pour autant en rajouter une couche. Il ne servait à rien d'insister, si elle même ne parvenait pas à mettre d'ordre dans ses propres idées après tout. L'écoutant calmement chercher ses mots alors qu'elle terminait de s'assurer du tranchant de la lame du tomahawk, bras croisés contre sa poitrine alors que la cadette annonçait chercher Frances.

Tu l'as raté de peu, elle vient de partir chasser, et je doute qu'elle revienne rapidement. Les Valkyries, donc.

Ses yeux s'ancrèrent à ceux de Ryan sans mot dire, laissant la jeune femme exposer un peu plus précisément ses idées sur la question. Elle voulait donc rejoindre les rangs et espérer une formation. La native ne put s'empêcher de sourire à cette idée, sans pensées moqueuses pour autant. Soit tu n'as peur de rien, soit tu ne ignore tout de ses entraînements. Qu'elle souffle avec un soupçon de malice dans le regard, quoi qu'intéressée par cet accent assuré qui désormais se devine dans la voix de Ryan. Mais elle marque des points, en évoquant les nouveaux coyotes. Ceux qu'elle se surprend parfois à surnommer Wendigo, à force d'avoir cauchemardé de ces légendes dont lui parlait son grand père. Ces créatures condamné pour l'éternité pour avoir mangé de la chaire humaine, rapide et si difficiles à tuer. Bien plus que les premiers infectés, cela allait sans dire.

Les Wendigos. Je dois bien admettre qu'ils nous posent problèmes oui. concède t-elle en soupirant, alors que la brune continue sur sa lancée. Insistant sur l'importance de se battre, d'être apte à s'en sortir en vie. Nihima l'observa à nouveau sans mot dire, avisant sa silhouette. Bien que fine, elle semblait assez musclée de prime abord, sous ce tissu. Venant se rapprocher de la potentielle recrue pour la détailler d'avantage avant de reprendre à son attention.

Tu m'as l'air sûre de toi. Rares sont les personnes qui viennent la voir avec un tel aplomb, et elle doit bien admettre que ça lui plaît. Il est vrai que Frances n'entraîne que les formés. Mais je peux commencer à t'en montrer un avant goût. propose t-elle sans détour, reprenant avec le plus grand sérieux.

Être Valkyrie, ce n'est pas qu'une histoire d'entraînement. C'est être assurée de survivre aux pires circonstances. Ne pas avoir peur de se jeter dans la mêlée si ça doit arriver. Être capable à protéger les tiens au péril de ta propre vie. rappelle t-elle pour la forme, reprenant néanmoins sur un ton plus doux.

Si tu es sûre de toi, je veux bien te prendre à l'essai. Et rare étaient pourtant ceux qui l'acceptaient. Marlon avait su faire en sorte que sa réputation la précède. Cette immonde langue de vipère, qu'elle avait pourtant refuser d'agresser physiquement ou verbalement malgré son coup d'état. Ca faisait bien longtemps qu'elle concentrait sa colère dans le combat pour perdre son sang froide face à ce genre de personnages. Si elle avait subi l'humiliation de se faire cracher dessus à son passage, sans doute n'était-ce pas pire que le sort qui désormais concernait Marlon.

Avisant Ryan d'un signe de tête, elle reprit à l'attention de sa cadette.

As tu des armes de prédilection ? Des capacités utiles pour le combat ? Mieux valait commencer par les bases après tout. Ta silhouette est sportive, et tes pas sont légers sur le sol. Indique t-elle en venant désigner les empreintes récentes de la brune, bien moins enfoncées que la plupart des habitants. Ca n'était pas une question de poids. Plutôt de démarche. [color] Ca me laisse entendre que tu es rapide au déplacement. Peut-être même dans un sport précis. Tu t'entraîne à quelque chose de particulier ? [/color]

Nihima parlait des nouveaux morts en termes de « wendigos », ce qui n’était pas forcément faux lorsque l’on connaissait les légendes qui y étaient associées. Ils ne savaient absolument rien à l’heure actuelle de tout ce qu’ils représentaient, ils n’avaient eu qu’un échantillon de ce qu’ils pouvaient faire… et c’était déjà suffisamment inquiétant comme ça. La Native la taquina très brièvement sur le fait qu’elle s’exposait à un véritable tyran de l’entraînement, mais Ryan lui répondit simplement en haussant une épaule, la joue creusée d’un léger sourire. Qu’est-ce qui pouvait être pire que de finir en repas pour rôdeur ? Au moins elle était en vie, elle avait tous ses membres et elle mangeait à sa faim. C’était la moindre des choses que de supporter sans broncher l’éventuelle brusquerie d’une formation à la Frances. Et puis… et puis, c’était aussi égoïstement qu’elle cherchait à apprendre tout ça. Lorsqu’elle se sentirait prête à sortir de nouveau, et si elle ne tuait pas Milow de ses propres mains en le retrouvant, elle voulait être capable de le protéger mieux qu’auparavant. Elle voulait tenter, une dernière fois, d’être ce que Jesse aurait voulu qu’ils soient… une famille. Un frère et une sœur soudés dans l’adversité. Eux contre le monde entier, qu’elle se disait au début de leur tentative de survie. Elle aurait aimé que Milow puisse s’intégrer à The Haven, toutefois, c’était bien plus facile de le protéger entre ces murs. Mais elle le suivrait, si c’était ce qu’il voulait. C’était ce qu’elle devait faire, non ? Son frère, sa responsabilité.

Pendant qu’elle réfléchissait, Nihima parlait. Et s’approchait, ses orbes sombres la détaillant des pieds à la tête. Une autre que Ryan aurait sûrement rougi jusqu’aux racines de cet examen, mais elle le lui rendait bien. L’éclaireuse était probablement l’une de celles qui semblait le mieux s’en sortir dans ce nouveau monde – et son corps en était la raison. Elle donnait le sentiment à la jeune artiste de voir une panthère en mouvement, toute en puissance et en grâce, meurtrière jusque dans son regard et pourtant pacifiste auprès de ceux qu’elle protégeait. De ce qu’elle avait entendu au sujet de l’attaque sur les bikers, c’était pourtant Nihima qui avait récupéré les scalps… Mais, c’était Selene qui avait tenu à mettre leurs têtes décapitées sur des piques. Au final, laquelle s’était montrée la plus monstrueuse des deux ? La Native mentionna le rôle des Valkyries, et à la mention de protéger les siens au péril de sa vie, Ryan se surprit à hocher doucement la tête. Les siens… pendant longtemps, ça n’avait été que Milow. Ce qui était déjà une tâche suffisamment difficile en soit. Mais lorsque les barricades avaient été attaquées, qu’elle avait vu Nolan au cœur de la mêlé et tous les autres, elle s’était rendue compte d’une chose difficile à admettre. Elle ne voulait pas voir les gens de cette enclave mourir. D’une manière générale, elle n’appréciait pas voir mourir d’autres survivants évidemment (sauf s’ils l’avaient mérité), mais ceux-là, elle les côtoyait depuis des mois. Elle mangeait parfois avec eux, elle échangeait avec eux, elle en avait dessiné plusieurs au sein des pages de son carnet – lequel devrait bientôt se trouver un remplaçant.

Elle ne voulait pas qu’ils meurent devant elle. Et encore moins cette petite Soo, probablement la plus fragile du lot actuellement. Alors si devoir subir une formation infernale lui permettrait de réduire les chances de voir ce cauchemar se produire, pourquoi reculerait-elle maintenant ? Lorsque Nihima lui proposa, d’un ton toujours calme, de la prendre à l’essai, Ryan releva le menton pour croiser son regard. “Je suis sûre de moi,” répliqua-t-elle simplement, serrant inconsciemment les poings dans son affirmation. Apparemment satisfaite, l’éclaireuse reprit, quelque chose dans son regard lui donnait subitement un air plus calculateur. Ryan avait l’impression d’être scannée aux rayons X, décortiquée dans tous les sens et examinée au microscope. Ce n’était pas le sentiment le plus agréable, mais il lui semblait en comprendre la nécessité. Chaque Valkyrie avait ses forces et ses faiblesses, elles n’étaient pas des copies conformes les unes des autres. Et si Nihima lui proposait de commencer à l’entraîner, il lui fallait justement pouvoir déterminer les siennes. Ce qu’elle commença à faire sans plus tarder. La jeune femme acquiesça doucement à sa question, puis prit une brève inspiration, s’attelant à un exercice qu’elle maîtrisait mal : se vendre pour ses qualités tout en admettant ses défauts.

“Je n’avais pas l’impression que ça se voyait autant… mon frère m’a appris à faire du parkour, quelques années avant que le monde ne devienne complètement cinglé. Il a plus d’expérience que moi, mais d’après lui, j’y étais naturellement plus douée. J’ai toujours aimé les cours de sport,” ajouta-t-elle, se mordant les lèvres pour ne pas ajouter « contrairement aux pimbêches » qui jugeaient que transpirer ne faisait pas assez féminin. Elle devrait mettre un peu de son venin de côté auprès de Nihima, car ce n’était clairement pas ce qui l’intéressait chez Ryan. “Je pense que sans ça, on n’aurait jamais survécu aussi longtemps. J’ai appris à tirer au revolver, à m’habituer au recul, mais je ne suis pas une experte, loin de là. J’ai très peu de force comparé à certains, mais j’ai l’habitude de compenser avec mon agilité… Enfin, ce que je veux dire, c’est que j’ai rarement eu à affronter d’autres humains, et quand on était en danger, on prenait plutôt la fuite.” Certaines fois, ils n’avaient pas eu le choix. Ils avaient du sang sur les mains… mais qui n’en avait pas, actuellement ? “Je suis plutôt rapide, j’essaie de continuer à m’entraîner depuis qu’on est arrivé ici aussi. L’endurance, c’est sûrement le seul truc qui peut permettre de distancer un groupe de morts, alors j’tente de garder ça.” Elle glissa les mains dans ses poches, légèrement mal à l’aise de parler autant d’elle. “Je n’aime pas spécialement me battre, mais c’est juste parce que je ne sais pas… J’sais pas comment m’en sortir quand l’autre en face a un couteau, ou une arme à feu, ou même s’il fait deux têtes de plus que moi. Je faisais des études d’art, j’apprenais pas à mettre k.o. des gens.” Cette fois, Ryan revint chercher le regard de la Native. Derrière son esquisse de sourire, ses prunelles étaient devenues plus dures. “Alors pour combler ça, on a appris à manipuler les autres avec mon frère. Ce n’est pas vraiment une arme de prédilection ou une capacité utile pour le combat, mais je suis une putain de bonne comédienne. Et le reste du temps, j’ai ça,” fit-elle après un bref silence en portant la main à sa taille où son couteau de chasse demeurait dans son étui.

Elle était sûre d'elle. C'était déjà un bon point de départ, estima t-elle en continuant de la jauger, alors qu'elle s'étonnait qu'elle puisse deviner qu'elle avait des antécédents de sport. Esquissant un sourire léger, reprenant à sa remarque.

Toi et moi voyons les choses de manière bien différentes. Ce n'était en rien un reproche. Mais là ou les Occidentaux avaient appris à voir certaines choses, son peuple lui, avait appris à voir le monde d'une manière différente. La ou Ryan aurait pu voir une simple femme, elle devinait les passifs. Les traces de pas lui indiquaient déjà de bonnes choses, sans compter sur la manière de se mouvoir, de se comporter. La gestuelle avait toujours eu une impacte profonde chez les siens. Un simple geste pouvait faire office de respect, comme de déclaration de guerre. Et Ryan ne faisait que confirmer ce qu'elle avait supposé. Parfois, la fuite jouait d'avantage sur l'agilité que le maniement des armes. La légèreté de ses empreintes confirmaient une facilité à la course, un éventuel bon cardio, et une endurance de qualité.

Si tu rejoins les Valkyries, tu devras oublier l'idée de fuite. La prévint-elle pour la forme, alors qu'elle embrayait sur le fait qu'elle n'avait jamais appris à mettre quelqu'un en défaite. La remarque lui arracha un rire avec son propre métier d'antan, secouant doucement la tête.

On ne naît pas guerrier. On le devient. Et le temps ou elle faisait le ménage dans des hôtels était désormais bien loin. Si à l'époque elle avait songé un jour marcher dans les pas de ses ancêtres, sans doute ne l'aurait elle pas perçu de la manière dont elle le faisait désormais. Moins encore, que sa fille suive ses pas. Posant le regard sur le couteau de chasse que lui indiquait Ryan en vantant ses mérites de comédienne, venant le saisir dans son étui pour le jauger. Faisant glisser la lame entre ses doigts pour en soupeser le poids et la rapidité d'utilisation, alors que l'acier reflétait la lumière du soleil entre deux manipulations.

La comédie peut aider. Souligne t-elle après un silence, faisant sauter l'arme entre ses doigts pour la rendre par le manche à sa propriétaire. Si tu sais le manier à la perfection, alors garde le. Sinon, tu devras travailler sur quelque chose de plus... Utile. Un couteau de ce genre ne serait pas suffisant face à des guerriers sur entraînés. Le corps à corps, trop proche. En comparaison d'une lance ou d'un tomahawk qui permettait de conserver une certaine distance vitale en tout cas.

Elle ne s'était penchée que quelques secondes pour récupérer le simulis de lance qu'elle utilisait de temps à autre en compagnie de Soo, la jetant sans prévenir en direction de Ryan qui parvint à la rattraper.

Tu as de bons réflexes. constate t-elle en penchant un bref instant la tête sur le côté, avisant le jeu de jambes de sa cadette avant de se saisir du bâton d'entraînement qui l'avait tant malmené à ses prémices aux côtés de Frances.

Maintenant, attaque moi. Ce n'est pas vraiment une proposition. Plutôt un ordre direct, alors qu'elle relève les yeux sur elle, l'air de dire que l'essaie démarre ici et maintenant sans introduction sur la question.

Je veux voir tes gestes. Comment tu bouges, comment tu te défends. Tu peux lancer le combat quand tu veux, je m'adapterais. prévint-elle en restant parfaitement immobile, bâton en main. Et sans doute que l'information peinait à passer, alors qu'elle prévint dans une ultime semonce.

Si tu n'as pas attaqué dans cinq secondes, je lance les hostilités. prévint-elle par pure politesse la brune, alors que ses yeux se posaient déjà naturellement sur le buste de Ryan. Histoire d'aviser de quel côté elle comptait attaquer.

Parler avec Nihima, elle ne l’avait jamais vraiment fait jusqu’à présent. La présence de la Native l’impressionnait, l’effrayait sûrement un peu. Sans doute qu’elle avait l’habitude de provoquer ce genre de réaction chez les autres, surtout depuis qu’elle avait récolté les scalps de ces psychopathes bikers. Mais Ryan s’en voulait un peu, de ressentir ces émotions, parce qu’après tout… Nihima était de leur côté, non ? Et au-delà de ça, la guerrière n’était pas foncièrement mauvaise ou violente. Elle faisait simplement ce qu’elle estimait nécessaire pour protéger les siens – et cela englobait toutes les personnes de l’enclave, qu’elles le veuillent ou non. Qu’elles la remercient ou qu’elles la craignent n’était probablement que secondaire pour elle, même si la seconde option devait sûrement lui faire mal. Nihima et les Valkyries s’élevaient en protectrices de The Haven, avec tout ce que cela apportait comme responsabilités. Et même si Ryan ne se voyait pas encore dans ce rôle, même si elle ne cautionnait pas tous les actes de la mère de Kaya, elle ne pouvait nier qu’elle éprouvait aussi beaucoup de respect pour elle. Alors lorsqu’elle la prévint que la fuite ne serait plus une option, et tenta par la suite de la rassurer sur le fait qu’elle n’avait pas besoin de naître en guerrière pour en devenir une, Ryan se sentit étrangement honorée qu’elle puisse voir en elle le potentiel d’une Valkyrie. Elle hocha la tête, appuyant son geste de quelques mots : « Je suis prête à faire ce qu’il faut. J’en ai marre de fuir. » C’était vrai. Elle en avait assez d’avoir peur de l’Extérieur, peur que Milow ne revienne pas, peur de retrouver son cadavre si d’aventure elle finissait par ressortir. Elle était épuisée d’être terrifiée à l’idée de s’attacher aux autres et de devoir les perdre, sans pouvoir jamais rien y faire. D’être impuissante. Putain, ce qu’elle en avait marre d’être impuissante.

Lorsque Nihima lui conseilla d’apprendre à mieux tenir son arme si elle comptait continuer à s’en servir, la jeune femme considéra la lame pendant quelques secondes. Ce n’était sûrement pas parfait, trop court pour lui permettre d’être en sécurité, mais elle s’était habituée au poids du couteau de chasse dans le creux de sa main. « Je préfère garder ça. Je m’améliorerai », promit-elle aussi bien à la traqueuse qu’à elle-même. Pendant qu’elle y réfléchissait, cependant, son « mentor » avait une autre idée en tête. Celle de la tester immédiatement. Ryan n’évita de se manger la lance en pleine poitrine que parce qu’elle avait quelques réflexes. Bien que surprise, elle la rattrapa et rangea l’arme blanche pour essayer de mieux prendre en main celle donnée par la Native. C’était long, encombrant. Lourd, aussi. Mais plutôt bien équilibré. « Quoi, maintenant ? » Ce n’était pas vraiment une proposition de la part de Nihima, mais Ryan ne put s’empêcher de manifester sa surprise par une exclamation. Elle croisa son regard déterminé et serra les dents.

De toute façon, elle n’avait pas le choix, pas vrai ? C’était elle qui avait demandé à apprendre, après tout. L’éclaireuse la prévint une dernière fois, la menaçant même de porter la première attaque si l’artiste ne le faisait pas dans les cinq secondes qui suivaient. « Ok, ok ! » protesta rapidement la jeune femme en resserrant sa prise sur sa lance improvisée. Puisqu’il fallait y aller… elle préférait être celle qui portait le coup plutôt que d’essayer de bloquer quoi que ce soit. Et puis comme lui avait dit Nihima un peu plus tôt, il fallait qu’elle renonce à tout instinct de fuite.

Le premier coup fut un échec retentissant. L’arme lui vola même d’entre les mains, et elle ne comprit pas du tout comme l’amazone l’avait désarmée. Mais une vive douleur lui brûlait les doigts. Etouffant un juron, Ryan avisa du regard la lance à quelques mètres d’elles, et plongea pour la récupérer en une roulade agile et rapide – au moins, elle n’était plus désarmée. Elle n’était pas certaine que Nihima l’aurait attaquée sans arme, néanmoins elle pourrait au moins voir qu’elle ne se laissait pas faire. Même si visiblement, la seconde attaque qu’elle lui porta ne fut pas plus concluante que la première. Crispant les mâchoires et les doigts, Ryan se força à prendre un peu de recul pour essayer de voir les mouvements que lui opposait la Native. Après une poignée de secondes, elle réitéra son offensive, cherchant semblait-il à viser son torse… et bifurqua à la dernière seconde vers sa cuisse gauche.

Elle ne pourrait que s'améliorer, il était vrai. Mais déjà la native avait tranché dans le vif, exigeant de la voir à l'oeuvre. Un discours ne valait jamais mieux qu'une réelle démonstration, et si Ryan sembla prise de court de prime abord quand la lance s'échappa de ses mains. Lui laissant néanmoins la possibilité de récupérer son arme avant de se relever, évitant son coup d'estoc d'une simple passade sur la droite avant de venir aposer sa propre arme contre sa gorge.

Echec, de nouveau.

Tu réfléchis trop Ryan. elle pouvait deviner sans difficulté les rouages qui s'agitaient dans sa tête en observant chacun de ses faits et gestes qu'elle gardait volontairement infimes pour ne pas lui montrer toute les capacités que Frances lui avait enseigné. Pas tout de suite, du moins. A nouveau, elle avait relevé son arme pour éviter un nouveau coup vers le torse qui bifurqua vers sa cuisse, la faisant claquer de la langue. Et si elle se plia d'un côté pour simuler une blessure réelle, ça n'empêcha pas son arme de venir se poser presque en douceur entre les deux yeux de Ryan.

C'est mieux. lui concède t-elle néanmoins, ses yeux noirs venant s'ancrer dans les siens en lui offrant une ébauche de sourire. Tu es rapide, souple, et tu sais feinter. Maintenant, il faut juste t'apprendre à vivre l'instant présent. Tu n'as pas le temps de réfléchir autant dans un combat. Tu te dois d'aller à l'essentiel, et économiser tes forces. Et comme tu peux le constater, te battre avec un couteau t'amène bien plus près de ton adversaire que cette lance. lui rappelles t-elle avec l'ombre d'un sourire moqueur.

Montre moi ce que tu veux, avec un poignard maintenant. exige t-elle en lui collant son arme en fourreau pour éviter toute blessure stupide dans les mains avant de la repousser sans ménagement.

Autant tester toute ses aptitudes après tout. Le travail n'en serait que plus simple dans la foulée. Reculant de quelques pas pour venir se séparer d'une épaisseur de vêtements et attacher ses nattes à larrière de son crâne, reprenant à l'attention de Ryan.

Je veux que tu prennes conscience qu'un corps à corps te mettra bien plus en difficulté. Il te fatiguera d'avantage, et les risques de te blesser dans le combat augmentent rapidement. Même si Frances est plus douée que moi, pour ce genre d'explication. s'excuse t-elle, bien consciente de ne pas toujours avoir la fibre éducative en attendant patiemment que Ryan revienne à la charge.

Allez. N'ai pas peur de me faire du mal, j'en ai vu d'autres. Qu'elle la provoque en douceur, venant même prendre le temps de s'étirer pour espérer la piquer un peu au vif.