Je sais pas comment je me suis retrouvé avec un gusse comme ça dans les pattes. C'était pas vraiment prévu au programme, c'est tombé tout seul. Je peux pas m'empêcher de lui jeter quelques regards sur la route, en me demandant si je devrais pas plutôt le larguer au prochain croisement et me démerder. Mais j'ai étrangement la voix d'Emma dans la tête qui me dit de pas juger trop vite les gens, que je pourrais être agréablement surpris, tout ça. Bref, j'aimerais bien la faire taire, ça me fout un peu les nerfs de me laisser convaincre comme ça, c'est normalement pas mon genre...

Alors tu sais pas chasser ? C'est la seule question que j'ai à lui poser sur le coup, contrarié d'être face à cette évidence. Je m'arrange pour conduire comme il faut en tout cas, avisant autour avant d'arriver proche de la lisière du bois où on va se mettre à chasser, comme prévu. J'ai la mâchoire qui se serre alors que j'avise derrière nous longuement. Le 4x4 sera parfait pour ramener le gibier, pas de soucis là-dessus. Mon sac est équipé pour pouvoir le transporter facilement. Mais ça peut nous prendre du temps. J'espère au moins que tu sais reconnaitre les champignons, que j'ajoute.

Quand nous sortons du véhicule, je regarde autour de nous dans l'espoir de pas trouver de trucs qui vont nous pourrir la journée. Pas de morts, parfait. Quand je tends l'oreille, y'a déjà les oiseaux qui chantent, les insectes qui volent. En bref, la nature a largement repris ses droits ces dernières années, c'est pas plus mal. Surtout quand on sait à quel point on pouvait la détruire. Baïka est à l'arrière, je la fais sortir doucement avant de me tourner vers Jesse. J'apprends doucement à l'animal à marcher à mon rythme et à m'obéir. C'est concluant pour l'instant.

Je te préviens, si tu fais de la merde, je m'occupe pas de sauver ton cul, que je l'avertis sèchement. Je fais pas garderie, il a pas intérêt à la jouer poids mort.

Tu comptes tirer avec ça ? J'avise son arme, fronce les sourcils. Je crois que je peux pas faire plus méprisant que ça en fait, même si je peux essayer pour la forme. Ce petit gars est gentil, mais c'est pas encore une lumière. J'ai une vague pensée pour Emma qui l'aurait probablement adoré. Rosie aussi, le trouverait attachant. Moi ? Pas vraiment. Et tu ferras quoi au cran d'arrêt contre un sanglier au juste ?

Un soupir m'échappe, plus jamais j'écoute la voix d'Emma dans mon crâne. La survie prime, je vais pas m'embarrasser de tous les chiots paumés du coin qui cherchent un peu de compagnie. Quand on sort, j'avise Baïka qui attend mon autorisation pour faire ce qu'elle doit faire. Elle est obéissante, encore craintive, j'ai l'impression que c'est dans son attitude de base. Ceci étant, on peut jamais baisser sa garde face à un animal qui a peur. Les réactions peuvent être violentes, mon but est évidemment de jamais l'acculer pour en venir à ces extrémités. Vu la puissance de sa mâchoire, elle pourrait me saigner sur un malentendu entre nous.

On va t'apprendre à marcher avant de ramper, que je lui souffle en lui désignant la route. Il se présente plus formellement et je hausse les épaules. Lenny, oui, et non, est-ce que je peux être plus aimable ? Sans doute.

Est-ce que j'en ai envie ? Non, pas du tout. Dans mon sac à dos, je déniche des cordes coupées, et j'en file quelques unes à Jesse, sans attendre de voir s'il est partant pour ça.

Ramène-toi, on s'engage dans le bois. Baïka prend un peu d'avance sur nous, flairant la nature avec une pointe d'appréhension dans l'attitude. Elle reste à portée de voix et de vision, comme je lui ai appris. De toute façon, c'est moi qui lui fournis la bouffe, évidemment qu'elle obéit. Première leçon : savoir poser des collets, que je souffle à Jesse finalement. On va repérer une zone où y'a de l'activité, des écureuils ou des lapins, ça pourrait te sauver la mise, que j'ajoute.

J'éprouve pas forcément de pitié pour lui, si en cinq ans il a pas appris à se démerder tout seul, ça expliquerait pourquoi il a l'air aussi maigrichon. Tout en faisant autour de mon bras ce qu'il faut pour nouer la corde, je me tourne vers le blondinet :

Le collet coince l'animal, plus il va se débattre, plus le nœud va se serrer, bref, il a l'exemple. Mon poignet se trouve serré. Je le défais ensuite et recommence. Fais comme moi, que je lui souffle.

Et toi, Jesse ? Je lui rétorque ça en fronçant les sourcils.

Déjà j'ai fait l'effort de pas lâcher le volant pour le balancer hors du véhicule vu les bêtises qu'il me balance à tour de bras, je pourrais sans doute agrémenter la conversation, mais dans ses yeux chargés de jugement, j'ai aucune envie de creuser quoi que ce soit. Je suis pas un gentil, je me formalise pas de ça. Tout comme je me cogne d'avoir des amis, je courre pas après et ça me va très bien comme ça. Dehors, la donne est à peine différente avec Jesse, je garde cependant mon calme :

Quand tu crèves la dalle, il vaut mieux avoir ça à manger, mais je dis ça à quelqu'un qui a peut-être jamais connu des périodes de vraies famines, ou qui s'en cogne peut-être. J'ai pas à faire à un type tout en muscle, au contraire. Je vais te montrer comment la placer, que j'ajoute dans la foulée avec un soupir de circonstances.

Je lui fais signe de me suivre un peu plus profondément dans le bois. Baïka veille à côté, nous regarde avec curiosité, fait des ronds même autour de nous en fleurant dieu sait quoi. Je la surveille d'un oeil pour qu'elle tombe pas dans un piège quelconque, et avise plutôt Jesse pour lui montrer quoi faire :

Repère des zones de passage, là par exemple, je désigne l'endroit en question : Entre deux souches, c'est facile pour des petits animaux de passer, c'est là où ils peuvent se prendre au piège facilement, c'est un chemin naturel, je rêve ou il pâlit ? Tu la camoufles un peu, et tu te notes l'endroit où tu l'as posé : Marque un tronc à proximité, que je lui souffle.

Lui déconne encore à propos d'un sanglier et de comment s'en défaire, et je tâche de pas m'agacer davantage. Venant me pincer l'arête du nez un instant, je me redresse après avoir posé mon collet et me tourne vers lui plus franchement. Emma aimerait pas que je m'emporte, alors je vais songer très fort à ça avant de lui coller mes phalanges sur le nez directement :

C'est le genre de piège simple pour protéger un abri, mais contre un sanglier, c'est beaucoup d'effort pour peu de probabilités de prises, allez, la patience, ça se travaille. C'est comme un muscle. Si tu veux pas apprendre, tu peux attendre dans la voiture et manger ta terrine de sanglier, que je lui lance sèchement. Me fais pas perdre mon temps, ça va me fâcher, je charge mon fusil, le place sur mon épaule et siffle Baïka pour qu'elle me retrouve. Qu'il suive ou non, moi, je continue. Je suis pas venu ici pour rien, je dois ramener à manger.

Si, ça existe... Je me tourne un instant vers Jesse, gardant une expression égale en le fixant droit dans les yeux. Je sais pas ce qu'il a envie d'entendre à ce sujet, probablement que c'est une grande idée de faire ça. Mais comme je lui ai dit, c'est beaucoup d'effort pour pas grand chose comme résultat, donc quel intérêt ? S'il a envie de perdre du temps, il peut. Sauf que ça sera sans moi. Dans les dessins animés pour enfant, que j'ajoute. Ces pièges sont efficaces contre les morts qui réfléchissent pas et vont tout droit, pas les animaux...

On progresse, Jesse s'en sort pas si mal quand il écoute ce que je lui dis, je hoche la tête à sa prise d'initiative et termine de tourner la tête quand il me fait signe qu'il y a quelque chose. Je fronce les sourcils, pose l'index sur ma bouche pour lui faire signe de se taire, et prend mon fusil pour voir de quoi il est question. Embusqués, nous parvenons à voir derrière un arbre, quasiment sur un sentier naturel, un mort qui erre à notre recherche. Je soupire. Y'en a pas mal dans le coin, forcément. Je dégaine ma hachette cette fois, et m'avance d'un pas sérieux vers lui. En un rien de temps, ma lame s'abat sur son crâne, il a tout juste le temps de grogner et moi de le saigner.

Le corps s'effondre, je soupire. L'arme retourne à sa place, je me tourne vers Jesse.

Note bien l'endroit où tu as posé tes collets. Une empreinte sur un tronc, par exemple. Il y a que comme ça qu'il pourra vraiment retrouver ce qu'il fait, et nous progressons ensuite un peu. Ce n'est qu'au bout de dix minutes que je m'arrête et m'accroupis : Là, tu vois ces marques, de l'index, je les lui montre plus clairement : Vu l'espacement entre les pas, je dirais une biche ou un cerf, que j'analyse.

Je mesure de ma main, avise la forme des sabots :

Une biche. On va pas remonter vers elle, c'est un gros morceau et elle a un faon avec, il doit grandir, bref, on chasse mais avec conscience. Tu peux tomber sur des prédateurs ici d'ailleurs, que je souffle à Jesse : Les rôdeurs évidemment, mais parfois des loups voire des cougars, donc autant être prudents.