Lucy manoeuvrait son ventre de six mois comme si elle se baladait avec un caddie trop chargé au supermarché. Heureusement que le reste du groupe et qu’Otis étaient aux soins avec elle, sinon elle se demande encore comme elle ferait pour envisager aussi sereinement l’idée de donner la vie. Quand bien même elle était constamment fatiguée et qu’elle devait toujours aller aux toilettes. Elle se posa sur une chaise à côté de la scène, elle sortait d’une préparation de spectacle avec les filles et elle était réellement lasse : « Je commence à penser qu’Oxana avait raison. » Non pas qu’elle songeait sérieusement à avorter et il était trop tard de toute façon, mais c’était plus pour le simple plaisir de râler qu’elle disait ça.

Et, comme si le bébé avait entendu ce qu’elle venait de raconter, il lui donna un coup de pied. Ça faisait une petite semaine qu’il bougeait et qu’elle le sentait. C’était une sensation très perturbante pour la jeune femme, mais elle se contenta de rappeler à l’ordre le petit être qu’elle avait dans le ventre : « Tu ne devrais pas commencer à t’agiter là-dedans. » Elle avait autre chose à penser que les coups de pieds d’un passager clandestin !

Mais alors qu’elle pestait en silence, à voix basse, indifférente à son environnement, Lucy ne perçu pas qu’une femme s’approchait d’elle. Du moins jusqu’à ce qu’elle soit planté devant elle : « Oh, bonjour. » La rousse l’étudia d’un œil critique et rapide, yeux vairons, cheveux courts, tatouages, une stature imposante, un air sévère… ce n’était pas une danseuse du motel, alors que lui voulait-elle ?

« Je peux vous aider ? » Mais le regard bleu de la rousse fut attirer par la feuille que tenait la femme, il y avait deux visages, les croquis d’Otis. Kassandra et Zelda. La rousse ferma les yeux une seconde et revécu l’intégralité de la soirée comme si elle y était. Un frisson de dégout la parcouru et elle dit, avec un sourire et le regard plein d’un espoir qui ne lui ressemblait pas : « Vous avez trouvez Zelda ou Kassandra ? Elles ne vous ont pas posé de problème ? »

Cette Zelda était visiblement dangereuse et n’avait aucun sens des réalités et de la mesure. Mais cette femme semblait être une dure à cuir, quelqu’un qui ne semblait pas se laisser emmerder par une adolescente quelconque.

J’étais en forme, la grande forme même, la bonne humeur ou presque, la totale quoi. Capuche sur la tête, je fais mon petit tour au NML pour me trouver un peu de tabac à rouler et finalement je dépasse même pas le tableau des primes, en fait je m’arrête net devant lui pour dévisager un croquis de Zelda et de Kassidy avec une belle récompense à la clé. C’est quoi ce putain de délire de merde ? Je vois rouge en une seconde et arrache la feuille avant de m’écarter vers la sortie, sans mon putain de tabac.

Arrivée dehors, je prends le temps de lire les petites lignes, visiblement ça vient de la cage, d’une certaine Lucy. Ok, direction la cage donc. Ce ne sera que mon troisième passage ici et je sens qu’il risque d’être aussi mouvementé que les deux précédents. J’aime vraiment pas ce coin.

Je débarque donc dans le squatt’, gros baggy sur le cul, paire de couteaux à la ceinture et mes deux 9mm dans leurs holsters à mes flancs, ça annonce la couleur, enfin, je l’espère. On m'interpelle ensuite bien vite, une femme ballonnée, encore, c’est fou ça, y en a partout où je vais. Je ne comprends vraiment pas les gens, comment peut- on envisager pondre un gosse dans un monde pareil ? Bref, je juge pas plus que ça et dévisage la jolie donzelle qui me propose son aide de haut en bas. J’allais ouvrir la bouche mais le referme aussitôt quand elle repère le bout de papier que je serre entre mes doigts tatoués. Et là je capte, c’est elle qui a posé la putain de prime. J’hallucine, j’en perds mes mots tout en dévisageant son gros bide. Une future maman qui condamne à la mort deux ado en un claquement de doigts, putain…

“Alorrrs c’est toi Lucy...” Je serre les dents tellement ça me fou la rage d’un coup d’un seul. “Non. En rrréalité, c’est ma petite sœur que tu cherrrches à buter… enfin, on a pas les même darrrons pour sûrrr, mais c’est tout comme.” Et sur ces mots, mes lèvres s’étirent d’un sourire sans joie, faut dire que ce que je viens de dire m’amuse aussi, j’ai jamais osé poser les mots sur notre relation et là, ça me semble si clair… Il aura fallu que je vois cette affiche pour comprendre à quel point la gamine faisait désormais partie de ma famille et qu’elle comptait encore plus que ce que j’imaginais. “M’du coup j’viens plutôt t’apporrrrter des infos que tu devrrrrais savoirr avant de t’enfoncer dans cette voie.” Ouais, je viens juste en bonne samaritaine. Bon, certes, je vois rouge mais là, faut quand même que je me contrôle un peu. “Tu sais où elle crrrèche ? Moi oui, dans un grrrand camp avec pas moins d’une centaine de personnes.” Peut-être qu’elle le sait déjà et si c’est le cas, je donne pas cher de son intelligence. “M’du coup, j’viens en simple messager pour t’inviter à rréflécchir à ce que tu veux vrrraiment. À savoir, t’mettre toi et…” Je me coupe volontairement, juste le temps que mes yeux vairons s’abaissent fugacement sur le ventre bien rond, histoire d’être claire sans vraiment l’être. “...les tiens en danger  pourr une simple putain d’adolescente affamée un brrin conne. Ou, éventuellement, cherrcher une autrre issue plus saine, avec beaucoup moins de morrrts au compteurr.” Je suis pas une salope, je viens pas la menacer gratos quand même, y a certainement moyen de trouver un arrangement. Bref, je me la ferme enfin, la balle est dans son camp.

Lucy fut quelques peu surprise en entendant les propos de son invitée indésirable. Mais surtout, elle était surprise de son ton agressif et menaçant : « Votre petite sœur ? » voilà qui était embêtant, mais quand l’autre eu terminé son discours, la rousse pris le temps de peser le pour et le contre avant de déclarer d’un ton ferme : « Non. Evidement que non, je ne vais pas retirer la prime car tu te présentes devant moi arguant des menaces. » Lucy n’avait pas pour principe de céder aux menaces, c’est d’ailleurs ce qu’il l’avait conduite à se faire tirer dessus par la jeune femme.

Elle continua d’un ton ferme pour contrer l’argument qui l’avait le plus choqué dans le réquisitoire de l’étrangère : « Etre une petite conne excuserait de voler à l’étalage, de mal parler, de fumer de l’herbe en écrivant ACAB sur les murs. » Elle nota mais ne releva pas les mentions de ce groupe puissant qui « protégeait » une criminelle comme Zelda et son amie. Ce serait faire preuve d’une quelconque peur, Lucy préféra expliciter très clairement ce qu’elle reprochait aux adolescentes pour mériter une telle prime :

« Mais ça ne justifierait pas de menacer, insulter, frapper et tirer sur une femme enceinte pour de la nourriture. Ça ne justifie pas de la laisser avec une blessure hémorragique sur un toi, seule. » Le ton de Lucy s’était imperceptiblement durcie elle avait eu très peur ce soir-là, une peur de mourir comme elle n’avait jamais ressentis jusqu’à présent. Et ce souvenir devait entrer dans le top cinq des pires de l’ancienne actrice.

Elle continua, mentant à moitié pour le coup : « Je suis surprise d’une chose également. Pourtant c’est écrit dans un anglais parfait, mais comment tu peux affirmer que nous allons tuer ces deux adolescentes ? Ce n’est écrit nulle part, Zelda est à ramener morte ou vive certes, mais c’est à cause de sa dangerosité et de sa violence, c’est une invitation à la prudence pour les chasseurs de primes. » Zelda serait tué, Bill lui avait fait cette promesse et Lucy voulait la voir morte, pour protéger les autres de cette personne dangereuse, éviter que d’autres se fassent attaquer à l’avenir.

La menace de causer plus de morts, Lucy en doutait sincèrement en réalité, qui voudrait perdre des adultes parfaitement saints dans une guerre pour une simple adolescente ? Le pragmatisme de la rousse ne pouvait pas vraiment l’envisager. Mais… Mais elle ouvrit un début de solution à son interlocutrice : « La prime reste en place et si cela te pose un problème, trouve Zelda et son amie toi-même et organise un procès en bonne forme. Elles pourront se justifier et se défendre. » Ce serait la seule concession que Lucy serait prête à faire.