Jena Cox
Jeu 2 Sep 2021 - 18:30
Drôle Maternelle Solaire Dynamique Observatrice Hypocrite Emotive Peureuse Charmeuse Sournoise | Jena ne possède plus grand-chose désormais. Au sein de Walla Walla, elle n’a pas besoin d’armes. De son ancienne vie d’errance, elle a conservé quelques affaires, notamment son alliance, qu’elle porte autour du cou avec un pendentif, et un doudou, petit lapin crasseux mais qui appartenait à son fils et dont elle n’a jamais su se défaire. Qu’elle n’a jamais lavé non plus, alors qu’il possède, selon elle, encore l’odeur de son petit disparu. Une vieille photo d’elle et de ses enfants traîne dans son portefeuille élimé, ainsi qu’une photo écornée et jaunie de photomaton avec Locklan, au temps où ils étaient heureux et insouciants… Au tout début de leur relation, donc. Elle s’est séparée de ses vêtements bien trop masculins en arrivant dans le camp, adoptant les robes, à contrecœur. Elle a conservé une veste en cuir dans son placard, qui porte les stigmates de sa vie mouvementée, mais à laquelle elle tient énormément. En guise de sac, elle a conservé celui de son fils, petit et en forme de lion, dans lequel elle a mis tout ce qui compte à ses yeux. Jena est plutôt grande pour une femme, mesurant 1m73 et fine avec ses 53 kilos. Elle a pesé bien moins pendant les premières années de l’épidémie, même si Locklan a fait tout ce qu’il a pu pour nourrir sa famille. Mais la nourriture allait surtout à leurs enfants et la jeune femme s’est laissée dépérir à la mort de son fils, avant de retrouver la force de se battre pour sa fille. Depuis qu’elle est à Walla Walla, elle a repris du poids et sa santé est excellente. Fine, mais nantie de courbes féminines certaines, la trentenaire est une belle femme, qui a le contact facile et sourit souvent. Son regard noisette pétille souvent de bonne humeur quand elle s’adresse aux autres. Jena aime plaire et être aimée et adapte son comportement dans ce sens, se faisant souvent charmeuse avec les autres. Elle porte les cheveux longs et bruns qui ont tendance à naturellement onduler si elle n’y prend pas garde. Elle les attache souvent, et prend soin de son apparence, heureuse de pouvoir de nouveau avoir accès à ce genre de privilège. |
Au cours des années avec Locklan, à évoluer avec les motards, son caractère a beaucoup changé. Petit à petit, elle s’est éteinte, se faisant aussi discrète qu’une souris, là où elle rayonnait auparavant. La peur s’est emparée d’elle, insidieusement, et ne l’a jamais vraiment quittée depuis. Jena n’a jamais su s’adapter à ce nouveau mode de vie. Elle faisait semblant, elle luttait, pour les siens, mais son âme aspirait à retrouver sa vie d’avant, son confort, à nier toute cette horreur et tous ses actes ont été dictés par ce refus de vivre dans ces conditions pour le restant de ses jours. Elle n’a jamais su se faire une raison, au contraire de son mari et de sa fille.
Depuis qu’elle a rejoint Walla Walla, elle a retrouvé son énergie, son sourire et son humour, souvent caustique d’ailleurs. Si Locklan pouvait la voir, possiblement la reverrait-il quand elle avait 20 ans, derrière son bar et en retomberait-il amoureux, même si quelques rides et stigmates des épreuves l’ont changé physiquement. Au sein du camp, elle cherche à ne pas faire de vagues, gardant pour elle ses opinions. Elle profite assez du confort pour ne pas avoir l’outrecuidance de critiquer. Elle se tait et observe, adaptant son comportement à son interlocuteur, usant de ses connaissances en psychologie.
Sa fille est bien plus difficile à tenir, étouffant dans cette société où le rôle des femmes est réduit à peau de chagrin. Maelys ayant hérité du caractère de son père, cela n’est pas étonnant et bien souvent, mère et fille se disputent à ce sujet, ce qui met Jena dans tous ses états, alors qu’elle n’a jamais agi que pour le bien de ses enfants. Elle adore sa fille, mais l’adolescence l’éloigne d’elle et elle ne sait comment retrouver leur complicité. Et malgré ses efforts, l’ombre de son fils décédé pèse sur sa façon de gérer Maelys, comme elle a pesé sur sa relation avec Locklan, qu’elle tient responsable de cette mort… pour ne pas s’effondrer de ne pas avoir su protéger son petit.
Newport, 1994 – 9 ans
Je sers nounours contre moi. Je voudrais couvrir mes oreilles de mes mains pour ne plus les entendre crier, mais entre tenir nounours et ça, j’ai choisi nounours. Papa et maman ne font que crier, tout le temps… Papa n’a plus de travail depuis quelques mois et maman le traite de fainéant. Elle pleure souvent quand il n’est pas là alors qu’elle a du vendre des bijoux et je ne sais plus trop quoi d’autre. Elle me gronde quand je veux avoir un jouet quand on fait les courses, ou une peluche. Même pour des bonbons, elle n’arrête pas de dire qu’on n’a plus d’argent et qu’on doit faire attention, que papa est un incapable… Je n’aime pas entendre maman dire du mal de papa. Je les aime tous les deux, mais je vois moins maman maintenant, elle travaille tout le temps et elle est fatiguée, alors elle crie. Papa, il est souvent à la maison, j’aime bien, on joue tous les deux et il me raconte des histoires. Par contre, il ne fait pas bien à manger. C’est tout le temps des pâtes ou des raviolis en boite. J’aime bien ça, mais quand même… Je sursaute alors qu’une porte claque. Les cris se sont arrêtés. Je regarde l’heure et me rappelle que maman part travailler… Alors je me décide à sortir de ma chambre et vais voir papa. Il a l’air triste, mais il sourit quand il me voit et je me jette dans ses bras pour un câlin. « Tu as fait tes devoirs ma puce ? » Je secoue ma tête. « Non. » « Pourquoi ? » « Parce que je vous ai entendu crier avec maman… » Papa soupire. « Je suis désolé mon cœur. Les choses vont s’arranger, je te promets. » Je hoche la tête. Mais papa ment. Les choses ne s’arrangeront pas…
Newport, 1995 – 10 ans
« Alors qu’est-ce que tu en penses Jena ? » Je ne réponds pas et jette mon sac sur le sol de ma nouvelle chambre. Papa et maman se sont finalement séparés et maman a déménagé… Et m’a emmenée avec elle. Elle a un travail, c’est la mère… Et mon avis n’a pas eu beaucoup d’importance pour la décision finale. J’en veux à maman. De s’être séparée de papa. Ils s’aimaient non ? Alors pourquoi divorcer ? Maman a essayé de m’expliquer qu’elle a essayé de faire des efforts, mais qu’elle ne peut pas entretenir papa et qu’il ne cherche pas à changer la situation. Je lui ai répondu que lui, au moins, il s’occupe de moi et passe du temps avec moi. J’ai eu une gifle en réponse et une punition. Et depuis, je ne parle quasiment plus à ma mère. Elle fait tout pour se rattraper mais je lui en veux. Pour tout. Pour changer ma vie, pour me faire changer d’école, d’amis, pour m’éloigner de papa, même si il a le droit de me voir un week-end sur deux… C’est trop peu. « Je veux rentrer à la maison. » Je réponds, butée, et maman pince les lèvres et se crispe. « Ce n’est pas possible, je t’ai déjà expliqué. » « « Et je t’ai déjà dit que je ne voulais pas venir avec toi. » Elle claque de la langue, agacée et me plante là. Je sens les larmes monter aux yeux et je finis par m’allonger sur mon lit et pleurer pour de bon.
Newport, 1998 – 13 ans
La bulle de chewing-gum claque et je sens que ma mère a envie de faire un meurtre. Je l’observe, avachie dans le fauteuil, toute aussi agacée. « Jena s’il te plait… » Je n’ai pas envie d’être gentille et polie. Je jette un regard au type qui est derrière elle et ne dit rien. Son nouveau copain. Ca fait déjà plusieurs mois qu’ils se fréquentent et je crois qu’elle m’a prise pour une imbécile en trouvant des mensonges pour me le cacher. Mais quelque part, elle a raison : me le dire ou me le cacher, c’est pareil. Je ne veux pas de ce type dans ma vie. Je ne veux pas qu’il touche maman. « Jena ! » Elle s’impatiente. « Bonjour Jena. » Il s’approche finalement, après avoir posé sa main dans le dos de maman. Mon regard se fait noir. « Vous avez rien à faire ici. » Ma mère hoquète de stupeur. Il a un sourire en coin mais ne dit rien, tandis que je me lève et me tire du salon pour aller m’enfermer dans ma chambre. Je mets alors la musique en route, fort, histoire de bien faire savoir que je n’ai pas envie d’être dérangée, ni de discuter. Et j’appelle papa pour lui dire que maman a ramené son abruti à la maison et que je la déteste. Papa me répond mollement… Au fil des années, il a changé. Il vit de boulots miteux qu’il ne conserve pas. Et il a tendance à aimer jouer le peu d’argent qu’il gagne, m’assurant qu’il va se refaire… Papa est peut-être un looser comme dit maman finalement, mais je refuse de le voir pour le moment.
Newport, 1999 – 14 ans
« Débarrasse la table s’il te plait. » Je fais style que j’ai pas entendu l’ordre de mon beau-père. Finalement, maman s’est accrochée à lui et lui, à elle, même si j’ai tout fait pour bien lui faire comprendre qu’il est indésirable. Rien n’y a fait. Il est venu s’installer chez nous et en plus, il a apporté avec lui son crétin de fils, Nicholas. Il a deux ans de plus que moi, et il se croit obligé de me commander et me reprendre. Il est grave chiant et envahissant. « Jena, sors toi les doigts du cul et obéis. » Je jette un regard noir à Nick qui renchérit. « Toi, ta gueule, t’as rien à me dire ! » Il amorce le geste de se lever mais son père le retient. « C’est simple jeune fille, où tu débarrasses, ou tu dis au revoir à ta sortie de samedi. » Là, j’explose : « Mais de quel droit tu viens me faire chier au juste ! T’es pas mon père ! » Il m’énerve ! Il est toujours super calme et rien ne semble le toucher. Il n’en a rien à faire que je l’apprécie ou pas. J’ai beau tempêter, l’insulter, le bouder, il s’en fiche. Et évidemment, la punition tombe. Je lui fais un doigt d’honneur bien senti et je me tire de là, je sors et claque la porte derrière moi, me retrouvant dans la rue à 19h passé. Rien à foutre. Qu’ils aillent tous se faire foutre en fait ! Je commence à marcher, l’idée de prendre le bus jusque chez papa m’effleure, mais je n’ai pas d’argent sur moi. Merde. Alors j’erre jusqu’au square et m’assois sur une balançoire. Le parc est quasiment désert, hormis quelques promeneurs avec leurs chiens. Ma vie c’est vraiment de la merde.
Newport, 2000 – 15 ans
« Dis Jena, je peux te poser une question ? » Je regarde Jodie, intriguée. On n’est pas vraiment amies, même si on est dans la même classe. « Nicholas, il a une copine ? » Je claque de la langue, agacée. « J’en sais rien moi. » Elle semble interloquée. « Mais vous vivez ensemble ! » « Et alors ? Tu crois que j’épie ses faits et gestes ? » « Mais tu devrais au moins savoir ça. » « Ben non, et j’en m’en fous. Je vois pas pourquoi il t’intéresse, il est chiant comme la mort et relou à souhait. » Jodie semble prendre la mouche : « Il est mignon et sympa. Si t’étais un peu moins conne, tu le verrais aussi. » Là, c’est moi qui reste bouchée bée. Je viens de me faire insulter là ? Sans que je ne réfléchisse, la claque part. Et je reste figée par ma propre impulsivité. Jodie, elle, pose la main sur sa joue rougie. « Mais t’es tarée ma pauvre fille, va te faire soigner ! » Et elle se tire en me laissant comme ça. Sauf que ça n’en reste pas là et que je me retrouve vite chez le conseiller d’orientation qui commence à me servir son blabla habituel sur mon mal être et mon agressivité, que mes résultats ne sont pas fameux, que je suis insolente et que c’est dommage, qu’il faudrait se reprendre en main et qu’il connaît quelqu’un de très bien pour m’écouter. Il me force à prendre le numéro de téléphone et ça en reste là pour cette fois. Enfin, non, je suis collée, bien sûr. Et si je suis tentée de jeter la carte, je me ravise et la garde dans ma poche finalement. J’appelle ma meilleure amie et discute longtemps avec elle. Elle, elle pense que ça me ferait du bien de discuter un peu avec une psy… Parce que je ne devrais pas être tout le temps autant en colère. Ouais…
J’ai beaucoup pleuré. Melle Stanford me tend un paquet de mouchoirs que je saisis. Elle est gentille. Bienveillante. Elle ne juge pas et… elle me comprend. Et je commence à comprendre pourquoi je suis si en colère. Le divorce de mes parents n’a pas été digéré. La façon de gérer de mes parents… n’a pas été idéale. Et moi, j’en n’ai pas parlé. La psy me dit que maman a du beaucoup souffrir de la situation, qu’elle n’a sans doute pas voulu le montrer… Elle me conseille de dire à maman que je suis venue la voir. Les séances, ça se paie. La première a été gratuite, pour m’aider mais ensuite… Alors je rentre et prends mon courage à deux mains pour en discuter avec maman. J’ai l’impression qu’on n’a pas vraiment parlé depuis… 6 ou 7 ans. Et ça me fait mal. Si j’ai des enfants un jour, je ne laisserais pas ça arriver. Maman est surprise, avant de se mettre à pleurer et me prendre dans ses bras en me disant d’accord. Je sais pas si on peut réparer ce qui a été cassé… On verra.
Newport, 2001 – 16 ans
« Allez Jena, fais pas ta farouche. » Je suis coincée contre le gradin par Randy et deux de ses potes. Il parait que je lui plais, mais ce n’est pas réciproque. Et encore moins là alors qu’il me coince et me colle comme ça, avec un sourire en coin que j’ai envie de lui faire avaler. « Lâche-moi, Randy. » Je ne sais pas d’où il tient qu’il est irrésistible. Il a essayé de me draguer, mais il me laisse de marbre. On dirait pourtant qu’un non n’est pas vraiment clair dans sa petite tête de sportif. Il a du perdre des neurones avec les coups. Et sans prévenir, ce connard m’embrasse et commence à me tripoter, alors que ses deux potes ricanent. J’ai envie de hurler, mais je suis bâillonnée par ses lèvres dégoûtantes. « Jena ! » Je peux enfin reprendre mon air alors que Randy me relâche et que je vois Nick qui nous regarde, incertain. Je balance un coup de pied à mon agresseur et cours me réfugier derrière mon demi-frère. « Hey, tout va bien ? » Je secoue négativement la tête alors que je me mets à trembler. Les trois mecs sont un instant interdits, avant que Randy lâcher, pour sauver sa peau : « Ta sœur devrait apprendre à faire gaffe à son attitude, si elle a pas envie, qu’elle allume pas les mecs. » Je suis outrée. J’ai été assez sympa avec lui, je ne l’ai pas envoyé chier quand il était lourd… Ben j’aurais du. « Je ne t’ai pas allumé pauvre con ! » Nicholas me jette un regard, puis regarde l’autre, et je le sens se crisper. « Je vais lui casser la gueule. » Je le retiens par la manche et le tire vers moi. « Laisse tomber, tu vas avoir des problèmes… On s’en va. » « Mais, Jena… » « Viens. » Il soupire et jette un regard noir aux autres alors qu’on s’en va. Je marche vite et les larmes me piquent les yeux. Je me sens humiliée. Nick marche derrière moi en silence, avant de finalement me rattraper. « j’ai pas envie d’en parler. » « D’accord. On n’en parle pas… Mais Jena… tu sais que si tu as un problème, je suis là hein ? » Je hoche la tête… J’ai appris à l’accepter dans ma vie. Comme son père. Il y a encore des disputes et tout, mais je ne les déteste plus. Ils sont même plutôt sympas en vrai. Je souffle finalement d’une petite voix : « Merci. » Il me tapote la tête et on rentre. Jamais il n’en soufflera mot aux parents… Et moi non plus.
Newport, 2003 – 18 ans
Et voilà ! J’ai mon bac en poche, je peux enfin voler de mes propres ailes. Même si c’est plus calme à la maison, j’ai envie d’indépendance. J’en ai envie depuis des années. Alors je vais quitter Newport et m’installer à Seattle pour mes études. De psy. Celle que j’ai vue pendant plusieurs années m’a fait énormément de bien et je veux aider les gens comme elle m’a aidée. J’ai appris à être moins en colère, à comprendre davantage les gens. J’ai compris que maman n’était pas infaillible, que papa n’était pas intouchable. Qu’ils avaient leurs torts tous les deux. Si je suis un peu réconciliée avec maman, j’ai quand même besoin d’air, surtout que Nick a quitté le nid il y a deux ans et que seule avec ma mère et mon beau-père, ça été un peu compliqué. Leurs règles me saoulent. Maintenant, je suis adulte et autonome. Je vais avoir ma piaule, mes règles. A la rentrée, j’intègre la North University de Seattle et débute la junior year. Viendront ensuite les trois années de bachelor, puis enfin, les 4 années de Master. Cela va être long et difficile, mais j’ai la foi. Je suis motivée.
Seattle, 2006 – 21 ans
« Jena concentre-toi un peu, tu rêvasses. » Ah oui, ma bière coule sur mes doigts. Le client ne va pas être content. Je ne suis pas là depuis bien longtemps, alors j’ai intérêt à être réglo. Cela dit, je n’y peux rien si je n’arrive pas à détacher mes yeux du beau brun… Son sourire me donne envie de rigoler bêtement. Et ses yeux noirs me transpercent. Je regarde l’heure… Bientôt la fin de mon service. Je ne peux pas rester trop tard, mes études me prennent du temps et de l’énergie, mais c’est quand même plus fun de servir dans ce bar, aussi craignos soit-il, que de faire du baby sitting ou des menus travaux ménagers pour dépanner. Ici, je m’amuse. Et quand vient enfin la fin de mon service, je vérifie que le beau brun est encore là. Oui. Je sens mon cœur battre à tout rompre, mais je prends mon courage à deux mains et je vais danser non loin de lui, attirant son attention et lui jetant des petits regards et des sourires. Si je suis open ? Complètement. Et c’est comme ça que commença mon histoire avec Locklan…
Seattle, 2007 – 22 ans
Non, non, non… Je regarde bêtement le test de grossesse. Heureusement que je suis assise parce que je crois que je me serais écroulée. Mes jambes tremblent, alors que mon monde s’écroule. J’avais bien des soupçons, mais j’avais espéré que je m’étais trompée… Je suis incapable de réfléchir pendant un moment, assise comme une idiote sur mes WC… Mais à un moment, le choc passé, je me remets à réfléchir… Qu’est-ce que je fais ? Je termine mes études cette année, mais je dois encore poursuivre ensuite… Et là, ce ne sera pas possible avec un enfant. Avorter ? C’est une possibilité, mais cela me rebute. Finalement, je me saisis de mon téléphone et appelle l’autre concerné dans cette affaires, pour lui dire simplement que je suis enceinte. J’ai du mal à y croire moi-même… Alors je ne suis pas surprise qu’il demande si c’est une blague ou ce que je compte faire. J’en sais rien. Je lui dis simplement, il fait ce qu’il veut de ça ensuite. Après, ce n’est pas comme si notre relation était au beau fixe non plus ou qu’on avait décidé de construire quelque chose ensemble… On s’éclate bien ensemble. Il me fait vibrer avec ses airs de bad boy… Et sexuellement, on s’entend vraiment bien. Mais on se dispute aussi sur pas mal de points… Et bon, je ne sais pas si il m’aime comme je l’aime… Parce que j’ai pas réussi à juste me contenter du sexe avec lui et je sais que je suis jalouse des autres filles qui le regardent. Je ne me suis même pas rendue compte que je pleurais. Cela ne dure pas. Je ne vais pas me laisser abattre… On verra. Je vais prendre rendez-vous avec le médecin. Et je déciderais ensuite de ce que je fais… Avec ou sans Locke. Je comprendrais qu’il se tire ventre à terre, il n’a sûrement pas envie d’élever un môme…
Seattle, 2008 – 23 ans
Je ne peux pas m’empêcher de sourire bêtement. Je suis… heureuse. J’ai ma jolie robe blanche, et Locke et superbe dans son costume. Et cette façon de me regarder alors que j’avance jusqu’à lui en remontant l’allée… je retombe amoureuse de lui. Contre toute attente, il a voulu que je garde l’enfant… Il s’est montré présent et aux petits soins avec moi. Hyper responsable. Et cela m’a confortée dans mon choix. Ca été difficile de terminer mon bachelorat en étant enceinte, et ça a fait un peu jaser, mais j’ai tenu bon. Je me dis que je reprendrai mes études bientôt… Quand Maelys sera un peu plus grande. Là… C’est un bébé adorable et je ne pensais pas ressentir un tel amour pour quelqu’un un jour. L’accouchement a été pénible, mais s’est relativement bien passé. Et quand j’ai eu ma fille sur ma poitrine… J’ai senti mon cœur exploser. Depuis, c’est un enchaînement d’émerveillement, mais aussi d’épuisement. J’ai craqué plus d’une fois, de fatigue, d’énervement… Mais Locke est là, et même si il bosse comme un fou, il s’occupe aussi de sa fille. Je ne pensais pas que mon rêve serait d’avoir une belle petite famille, et pourtant… il me surprend… Il est totalement fou de sa fille. Je saisis la main qu’il me tend alors que nous allons réciter nos vœux et je lui souris en retour, alors que j’ai encore des papillons dans le ventre, comme a premier jour. Il est à moi… C’est la pensée qui me vient quand je glisse l’anneau à son annulaire. Il est mien maintenant. Peut-être que tomber enceinte l’a forcé à rester avec moi, à m’épouser par devoir mais… Quand je le regarde là, je me dis qu’il doit tenir à moi lui aussi, que je ne l’ai pas pris en otage. Et quand enfin, on nous déclare mariés, que je deviens Madame Reid, je lui saute au cou et l’embrasse passionnément.
Seattle, 2011 – 24 ans
Quand j’entends la clé dans la serrure, je me redresse. Locke rentre et je dois me faire violence pour ne pas directement lui faire des reproches. Les derniers mois ont été difficiles, avec la maladie, puis la mort de son père et j’ai essayé de me montrer patiente, mais je déteste me faire planter. Encore plus quand je suis aussi ronde qu’une baleine et que j’ai besoin qu’il soit là et qu’il me rassure. Il s’arrête, surpris, alors qu’il est 3h du matin et que je devrais dormir. « Qu’est-ce que tu fais debout ? » Je viens me planter devant lui. « On devait passer la soirée tous les deux Locke. » Il a un moment de flottement… Il a oublié. Encore. Je ne pourrais pas le changer. Je l’aime comme ça mais… Plus le temps passe, plus je le voudrais davantage avec moi, et moins à s’éclipser sans prévenir, à aller risquer sa peau sur sa moto cross. Peut-être que devenir maman m’a rendue plus chiante, probablement même, mais ce que je trouvais excitant et sexy à notre rencontre, me fait flipper maintenant. Il a assumé ses responsabilités, mais il se comporte encore beaucoup comme un célibataire qui n’a pas de comptes à rendre et ça, ça m’horripile. On se dispute souvent à ce sujet, il promet qu’il va faire attention, il fait des efforts et puis le naturel revient au galop. Notre relation est ainsi… Tumultueuse, passionnée. Jamais ennuyeuse. Mais il m’épuise parfois.
Seattle, 2013 – 26 ans
« Jena, réveille-toi. » Je me redresse et je me stoppe, ayant mal au dos. Je me suis endormie sur mon livre… Je regarde autour de moi, un peu déboussolée. Il est minuit passé, les enfants dorment et c’est Locklan qui se tient dans mon dos. Il s’accroupit près de moi pour me regarder et souligne mon œil du pouce. « Tu es morte de fatigue… » J’ai un petit rire. « C’est un euphémisme. » Il n’y a pas assez d’heures en une journée pour tout ce que j’ai à faire… Est-ce que c’était une bonne idée de reprendre mes études après la naissance d’Ewen ? Des fois, je doute. Mais je m’accroche. Je veux ce diplôme. Être barmaid n’est pas mon rêve ultime. Et encore, j’ai du renoncer et Locke se retrouve à devoir assumer toute la famille. Je m’en veux pour ça. Il l’a déjà fait pour Ian… Et voilà que je m’y met. Mais je ne peux pas mener ma vie de mère, d’épouse, d’étudiante et en plus bosser, de front. Je ne suis pas superwoman, même si j’aimerais bien. « Viens te coucher, tu ne feras plus rien à cette heure. » Je soupire et acquiesce. « Ou peut-être que si… » Je le regarde, malicieuse : « j’ai peut-être encore un peu d’énergie… » Il a un grand sourire et je l’embrasse, tout en nous dirigeant vers la chambre, malgré l’heure tardive…
Seattle, 2015 – 28 ans
« Alors félicitations à ma belle-sœur préférée ! » J’ai un rire alors que je trinque avec Ian qui me lance un regard pétillant. Après des années d’acharnement, je l’ai enfin ce fichu diplôme. Dans un monde parfait, j’aurais fini depuis déjà une paire d’années, mais j’ai du m’interrompre avec mes grossesses, jongler avec les enfants, le boulot parfois, les modules… Les dernières années ont été aussi difficiles que riches en émotions et je ne regrette rien. Je laisse passer l’été et je tente de m’installer comme psychologue à la rentrée. Même si cela va prendre du temps. Je pense qu’il vaut mieux que j’intègre un cabinet ou que je m’associe, Locklan ne peut pas pourvoir à toutes mes dépenses. Déjà qu’il a entretenu son frère, puis moi, pendant toutes ces années. « Merci. Ton frère va enfin pouvoir souffler. » Il a un rire. Les deux ne s’entendent pas vraiment et c’est dommage. J’aime bien Ian. Comme j’aime leur sœur et essaie d’assister à ses prestations dans son groupe. Elle a un joli brin de voix. Peut-être qu’un jour, Ian et Locke se réconcilieront et que les repas de famille seront vraiment conviviaux. En attendant, je dois faire avec et trinquer avec le cadet en tête à tête. « Je tente de m’installer en septembre, souhaite-moi bonne chance… Et je te ferais même une ristourne si tu veux m’honorer de ta présence et me laisser un avis. » Il éclate de rire et décline avec amusement ma proposition.
Sauf que je n’aurais pas le temps de m’installer et d’aider les gens comme j’en rêvais.
Seattle, Octobre 2015
« Locke, s’il te plait, n’y va pas. » Je le regarde, nerveuse. Apeurée aussi. Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai en tête le crâne explosé de mon poursuivant et le cadavre de notre chien… J’ai essayé de le cacher au maximum aux enfants, mais Maelys est têtue et curieuse… Et intelligente, elle a compris rapidement que quelque chose n’allait pas. Pas comme si son père et moi pouvions cacher nos propres inquiétudes… Je ne veux pas qu’il aille se rendre à la police… Qu’est-ce qu’on va devenir sans lui ? Mais Locke, si il a bien des défauts, si il est affilié aux Hell’s Angels, reste un homme bien et sa décision est inébranlable… Je dois donc attendre durant de longues heures, de savoir comment cela s’est passé. La télévision tourne en boucle en fond, et les informations continuent de faire grimper mon angoisse, si bien que j’éteins tout. Je ne me rends compte que je me suis endormie à force de l’attendre que quand j’entends la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer et que Locke rentre enfin, déboussolé. Je reste interdite quand il me narre ce qu’ils lui ont dit. Et un sombre pressentiment m’étreint alors quand au futur…
Les jours suivants sont un enchaînement infernal, sur lequel je n’ai aucune emprise. Impossible de joindre ma famille. Tout ce que je sais, c’est que ma mère et son mari tentaient de rejoindre un camp de réfugiés et que mon demi-frère était, d’après lui, en sécurité dans son bled paumé. Il nous apparait rapidement évident qu’on ne peut pas rester ici sans rien faire alors qu’autour de nous, le monde s’effondre, que les morts se relèvent, comme celui qui m’a poursuivi et que Locke a abattu. Il nous aura fallu du temps pour comprendre, alors que les informations ont été… Chaotiques. Sans doute que le gouvernement a voulu essayé d’étouffer ça, mais cela a échappé à tout contrôle malheureusement.
Si je veux me rendre dans un des camps, sécurisé par l’armée, Locke, lui, refuse catégoriquement. J’ai beau argué que sa famille se trouve là bas, et peut-être la mienne également, que l’armée nous protégera, il ne veut rien entendre. Il ne cède pas, malgré mes supplications et la meilleure solution qu’il a à me proposer après que nous ayons été pillés, c’est de faire route avec les Hell’s Angel. Et encore une fois, même si je ne suis pas d’accord, je n’ai pas gain de cause… Me voilà obligée de voyager avec ce gang sans foi ni loi, me sentant en insécurité comme jamais. En danger même. Et j’ai l’impression que plus jamais je ne connaîtrais la paix…
Redmond, Eté 2016
« Vas-y sans elle. » J’essaie de rattraper Maelys qui se précipite déjà vers son père pour partir avec lui. Je ne le supporte pas. J’ai peur, pour elle, pour lui… Parfois, je me demande si il n’est pas complètement inconscient en se pensant invincible. Il a beau être doué sur sa moto, il peut avoir un accident, il peut se faire mordre, je peux le perdre… Je peux les perdre tous les deux. « Jena, elle doit apprendre et… » « ELLE A LE TEMPS D’APPRENDRE, C’EST UNE ENFANT LOCKE ! » A bout de nerfs, je hurle. Maelys m’échappe déjà pour rejoindre son père, trop heureuse d’aller faire une petite virée avec lui. Elle non plus n’a pas conscience du danger. Mon mari n’épilogue pas plus longtemps, se disant que ça ne sert à rien et qu’il reviendra quand je serais calmée. Mais je ne pourrais jamais me calmer… Je n’y arrive pas… Plus le temps passe, plus j’ai peur. Je réprouve ce que ce gang fait. Cela assure notre survie, oui, mais à quel prix ? Je ne sais pas fermer les yeux aussi facilement que Locke à leur sujet. Bien sûr que je ferais tout pour protéger mes enfants mais… Le faire en marchant sur d’autres vies… Petit à petit, cette existence a raison de moi, de ma joie de vivre, de mes espoirs. Mon époux m’apprendre à me servir d’une arme à feu et d’un couteau, au cas où, même si, au sein de ces dangereux vivants, les morts sont le cadet de mes soucis. Je me mure de plus en plus dans le silence et deviens une petite souris, afin de ne pas attirer l’attention. Pour le moment, les motards restent respectueux avec moi, mais… Tant d’hommes et je suis une femme… Locke ne peut pas comprendre. Alors je pleure, jusqu’à ce qu’Ewen se réveille alors que je me force à sourire pour lui.
Redmond, 2017
Au bout de deux ans, je crois que j’ai oublié qui j’étais… Renié mes valeurs. Je survis, tout simplement, alors que le monde se pare de gris. Je ne suis plus jamais tranquille et ne dors que d’un œil. C’est encore pire quand Locke s’en va… J’ai bien réussi à me lier d’amitié avec quelques uns du groupe mais… petit à petit, l’humanité se perd. La morale n’est plus qu’une vague notion, que beaucoup ont oublié. Je ne suis pas heureuse… J’ai mes enfants, je fais semblant pour eux, mais combien de temps encore saurais-je jouer cette mascarade ? J’essaie de puiser du réconfort dans l’amour que je porte à ma famille et qu’ils me portent. J’aime toujours Locke, même si j’ai peur de le perdre. Peur qu’il devienne un autre, qu’il se transforme en monstre, comme beaucoup avant lui. Lui qui se tenait loin des embrouilles avant, se fait plus hardi, participe davantage aux pillages, à la violence… Et il ne me dit même pas tout. Qu’est-ce que je ferais si il perdait à son tour son humanité ? Je vois déjà des ombres danser dans son regard sombre. Mais il est encore mien et je retrouve, parfois… rarement, notre complicité. Il m’accuse de ne pas savoir m’adapter à cette vie, de vivre dans le passé. Il a raison. Mais qu’y puis-je ? J’ai l’impression d’avoir déjà consenti à bien des sacrifices pour lui… Et lui pour nous. Je suis une ingrate. Sa décision de nous emmener ici nous a permis de vivre, quand les camps de réfugiés se sont effondrés… Pour ce que j’en sais, ma famille est morte. Pourtant, j’ai l’impression que nous ne pourrons pas continuer comme ça indéfiniment. Pas alors que nous laissons du sang et des larmes dans notre sillage. Tout prédateur en trouve toujours un plus féroce encore… Combien de temps avant que nous connaissions un retour de karma ? J’essaie d’en parler à mon mari, mais il balaie mes peurs d’un geste… Et ses sourires ont encore le don de me faire fondre. Sa façon de m’assurer que tout ira bien de me rassurer…
Redmond, Printemps 2018
La terreur…
Je tiens Ewen contre moi et essaie de me cacher, alors que ces hommes armés fondent sur nous. Une frappe éclair, que nous n’avons pas vu venir. Mais mon petit pleure de terreur alors que j’essaie de le faire taire, morte de peur. Dans ma botte, il y a bien un couteau, mais… Je ne suis pas une guerrière. Et soudain, un visage apparaît devant moi, avec un sourire machiavélique. Je hurle et essaie de m’enfuir, mais il m’arrache Ewen des bras en riant et me gifle, m’étourdissant. Je ne sais pas ce qu’il me prend, mais je me retrouve à dégainer le couteau dans ma botte et à tenter de frapper cet homme, malheureusement, un autre me bloque le poignet et me le tord violemment. Je sens les os craquer alors que je hurle de nouveau, animée par le désespoir, j’essaie de mordre, de griffer… de faire mal, de rejoindre mon fils. J’appelle à l’aide, Locke est absent… J’appelle Zack, mais il est lui-même en train de se faire rouer de coups pour avoir tenté de nous aider. Je suis seule. C’est un cauchemar… je prends un coup de poing dans la tempe cette fois. Je m’écroule, non sans les supplier de me laisser mon fils… Mon fils qui crie et tend ses bras vers moi. Horrifiée, je vois qu’on le frappe. Avant que la douleur ne s’abatte sur moi, avant que les coups ne pleuvent. On me traite de salope, de pute, on commence à m’attraper les poignets et me mettre sur le dos, ce qui me fait hurler de douleur. Une terreur glacée s’empare de moi. Je sais ce qu’ils veulent faire… Comme les Hell’s Angel l’ont fait avant… Le viol est monnaie courante. J’ai fermé les yeux là-dessus, une fois de plus… La tête me tourne, un liquide chaud s’écoule, mon cœur est en miette, mon âme déchirée. Mais rien ne se passe, alors qu’ils repartent, n’ayant plus le temps. Et je sombre, en espérant mourir…
Mais cela n’arrivera pas.
Je me réveille. Si ma fille va bien, Ewen, lui, a disparu. Et Locke part à sa recherche, en me jurant qu’il le retrouvera. Je suis partagée entre l’envie qu’il reste avec moi, parce que moi aussi, j’ai besoin de lui, de sa force… Et le besoin qu’il retrouve notre fils. Et un autre sentiment s’insinue également dans mon cœur… La culpabilité. Je n’ai pas su protéger mon petit. Et Locklan n’a pas su nous protéger nous. Cela fait des mois que je lui dis que tout ça va mal finir qu’on a dépassé les limites de l’acceptable… il a toujours balayé mes peurs. Mais cette fois j’avais raison… Et Ewen n’est plus là…
Pendant des semaines, je vis dans l’attente. Mon fils a disparu, mon mari n’est plus là non plus. Il a dit qu’il les traquerait jusqu’en enfer. Mais si j’essaie de garder la foi durant les premiers jours, cet espoir s’amoindrit au fil des semaines… Et s’éteint par un beau jour de mai, quand Locke revient… bredouille. Il a trouvé Ewen, mais il était trop tard. Au fond de moi… Mon cœur de mère le savait déjà. Mais je refuse d’accepter l’idée d’un monde sans mon fils. Je refuse de le croire, je crie, je lui demande des preuves. Pourquoi n’a-t-il pas ramené le corps de notre fils ? C’est idiot, je sais pourquoi. On ne promène pas un corps comme ça, après tant de temps, surtout que sa tête doit être méconnaissable pour l’empêcher de revenir. Mais ma raison est perdue. Je le frappe et il supporte. Il est… éteint. Alors je m’effondre en pleurant contre sa poitrine.
Aujourd’hui, je suis morte.
Redmond, 2019
Allongée à côté de Locke, je pleure en silence. Le sommeil me fuit. Le manque de mon fils m’étouffe. Les mois ont passé et je ne sais pas ce qui me maintient encore en vie… Ma fille sans doute. Même si je deviens une étrangère à ses yeux et qu’elle ne jure que par son père. Je serre mes mains l’une contre l’autre et triture mon alliance. La rancœur a gangrené notre relation. Un fossé infranchissable s’est érigé entre nous… Aucun pont ne saurait plus nous ramener l’un vers l’autre. La mort d’un enfant cimente certains couples… Pas nous. Cela fait trop longtemps que nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde. Souvent, je me dis qu’ils seraient mieux sans moi, tous les deux. Je ne suis d’une ombre noire et triste, un boulet qui se morfond… Les premières semaines suivant la mort d’Ewen sont floues dans ma mémoire, alors que tout a été engourdi… Je n’étais qu’un fantôme. Et plus d’une fois, j’ai souhaité mettre fin à la douleur… Fermer les yeux et ne jamais les rouvrir. Pourtant… Je n’ai pas su me résoudre à en finir. Il reste sans doute une flamme de vie, de rage de vivre, enfouie dans mon être. J’ai connu l’enfer… j’ai connu la pire douleur qui puisse arriver à une femme… Je la connais encore. Et jamais je ne l’oublierai. Je dois apprendre à vivre avec. Et avec la peur. La violence est mon quotidien. Les regards lubriques envers moi aussi. Pas encore envers Maelys, mais combien de temps avant que sa fraîcheur n’attire les pires pervers ? Encore une fois, Locklan refuse de partir, alors que tout ce qu’on a connu a disparu. Il me dit que je vis dans le passé, mais parfois, il n’est pas mieux. Et son entêtement a coûté la vie à notre fils. Si nous étions partis, il ne serait pas mort. Si nous étions partis, Locke n’aurait pas tout ce sang sur les mains.
Désormais, j’ai peur de mon mari. Peur de ses réactions. Je n’ose plus rien dire alors qu’il prend tout de travers. Chaque mot de ma part est un reproche à ses yeux. Notre complicité a disparu et il ne me parle que pour m’aboyer dessus… Je sais qu’il souffre aussi de la perte d’Ewen, mais il se cache derrière une attitude agressive, il se mure dans le silence et refuse de me parler. Ou de m’écouter. Il n’était pas là quand c’est arrivé… Et je ne lui ai pas raconté l’attaque en détails… Peut-être que Zack l’a fait. Zack réussirait-il à le convaincre de partir ? Il ne trouve pas non plus son compte ici… Comment le pourrait-il alors qu’on le force à faire des choses qu’il réprouve ? Je songe à cette pauvre fille qu’il a du prendre de force pour prouver qu’il était bien un homme, sous les menaces, puis les sourires ravis des hommes présents. Combien d’horreurs puis-je encore supporter ? Un goût de bile envahit ma gorge. Je n’ai rien fait… j’ai assisté à cet horrible spectacle, j’ai détourné les yeux quand cette fille a cherché du soutien. Je suis un monstre… Je mérite l’enfer que je traverse.
Mais pas ma fille…
Redmond, Hiver 2019
« Maelys, réveille-toi, on s’en va. » Ma fille me regarde, ensommeillée. Je pose une main sur ses lèvres et lui intime de se taire. « Ne discute pas. » Il y a de l’urgence dans ma voix. Je suis passée en mode survie. En mode louve aussi. Je n’ai pas su protéger mon fils, je ne ferais pas la même erreur avec Maelys. « Mais et papa ? » Mon cœur se brise de nouveau… Malgré ces derniers mois où nous étions devenus des étrangers, je n’ai jamais cessé de l’aimer. Et il est mort. Une nouvelle qui m’a figée, glacée le sang… Et paniquée. Au delà de ma douleur personnelle, il y a eu un éclair de lucidité : sans Locke… Plus personne pour nous protéger des appétits voraces. J’ai verrouillé ma douleur, et planifié notre fuite. Maelys refuse de penser que son père ai pu mourir. Naturellement, dans sa tête, il est immortel. Mais la vie m’a prouvé que personne ne l’était. Je m’accroupis face à elle et lui prend le visage entre les mains. « S’il te plait. Pour cette fois, fais-moi confiance. Nous ne sommes plus en sécurité ici… tu sais ce qu’ils font aux femmes Mae… » Ma gorge se noue et je vois la compréhension dans son regard… Si jeune, mais ayant déjà vu tant d’horreur. « On ne peut pas attendre. » Je ne pourrais pas la protéger. Je n’ai pas su le faire avec son frère. Face à la force brute, je ne fais pas le poids. Finalement, elle acquiesce. La disparition de Locke semble avoir fait basculer le camp dans le chaos. Les dissensions sont de pire en pire et je sens venir la guerre intestine. Brutale et sans merci. Et j’ai raison. Une bagarre éclate, attire l’attention… tant mieux. J’en profite pour filer avec mon maigre baluchon et ma fille, loin de cet enfer.
Seattle, Septembre 2020
« S’il vous plait, faites quelque chose pour elle. » Je regarde le médecin asiatique avec des yeux suppliants. Maelys est souffrante. J’ai découvert qu’elle n’était pas la seule. On me sort un nom barbare de maladie dont je n’ai que faire. La seule chose que je veux c’est la guérir. Et l’aide de ces gens est providentielle. Pendant des mois, Maelys et moi avons vivoté avec quelques survivants, voyageant jusqu’à nous poser plus longuement à Lynnwood, ma fille me surprenant par sa débrouillardise. Après des années, protégée des rôdeurs au sein du camp, je me suis retrouvée confrontée à eux… Et c’est ma fille qui a agi. Si Locke m’a appris à tenir une arme et frapper avec un poignard pour m’assurer de leur mort, je me rends compte que rien ne vaut la pratique alors que Maelys agit instinctivement et sans hésiter. Il m’a bien fallu apprendre d’elle, et tuer des rôdeurs à mon tour. Le premier a été laborieux et j’aurais été mordue si elle n’était pas intervenue. Je revois tellement son père en elle que cela me pince le cœur à chaque fois… Peut-être a-t-il eu raison de prendre son éducation en mains. Et c’est terrible, mais du haut de ses 13 ans, je la sens me jauger et me trouver… inutile. Je ne suis pas assez forte, j’en ai conscience. Mais je trouve un peu de réconfort dans les sages paroles du médecin. Je n’ai pas hésité longtemps avant de faire le déplacement jusqu’à Seattle, dans le No Man’s land. Cet homme est calme, bien habillé, propre sur lui… Bien nourri. Cela attise ma curiosité et il me parle alors de son groupe. New Eden. Et je n’ai guère besoin de davantage d’arguments de sa part pour succomber à l’attrait de ce paradis et accepter son offre d’en faire partie. C’est une rencontre providentielle. Là bas, nous serons en sécurité. Là bas, ma fille sera soignée, nourrie, logée et retrouvera une vie normale. Là bas, je retrouverais une vie normale…
Walla Walla, Printemps 2021
La porte claque. Je soupire. Les disputes avec Maelys sont quotidiennes… Moi qui m’étais promis de ne jamais avoir une relation aussi pourrie que celle que j’avais eu avec ma mère… C’était sans compter sur l’adolescence. Et je ne pensais pas non plus devoir l’élever seule, dans un monde post-apocalyptique. Affligée, je vais jusqu’à mon armoire et l’ouvre, pour caresser le vieux perfecto en cuir qui y repose et qui n’en ressortira probablement jamais. Je le décroche et le serre contre moi. Il me rappelle tant de souvenirs. J’ai l’impression de pouvoir sentir l’odeur de Locke dessus. Cette veste me rappelle des jours heureux et insouciants… Quand ai-je cessé d’être cette Jena là ? Je me suis découverte lâche dans l’adversité. Faible. Pleureuse. Je déteste cette femme. Depuis que je suis arrivée ici, je suis préservée de la mort, du sang… Je me retrouve en paix, pour la première fois depuis des années. Certes, la vie ici est… particulière. La formation pour m’apprendre qu’elle était ma place ici et ce que j’avais le droit ou non de faire m’a surprise… Révoltée aussi, après tant de temps à me débrouiller. Ma fille a été ulcérée. Mais c’est un prix assez faible à payer pour la sécurité finalement. Même si porter des robes m’a fait un drôle d’effet après autant de temps à préférer la praticité des pantalons. Je vivote avec mon salaire misérable de serveuse. Mais un salaire, c’est déjà énorme. Avoir un chez moi aussi. Et toute velléité de révolte a vite été étouffée dans l’œuf quand d’autres femmes ont manifesté pour nos droits et ont été pendues… Cela m’a sidérée… Je me suis demandée dans quoi je m’étais fourrée. Mais impossible de faire marche arrière alors… j’ai fait ce que j’ai toujours fait : baisser la tête, me fondre dans le moule, ne pas faire de vagues.
Prier pour le salut de mon âme n’est pas une contrainte alors que je me suis mainte fois dit que j’avais payé de la vie de mon fils, puis de mon mari, mes mauvais choix et mon absence de morale. Je ne suis pas libre de sortir, mais encore une fois, cela me convient. Maelys, en revanche, éprise de liberté, enrage de se retrouver dans la peau d’une gamine Ingalls qui doit s’instruire et se préparer à devenir une bonne épouse. Elle a le temps. Quant à moi… L’horloge tourne et si on respecte mon veuvage, je sens que cela ne durera pas…
Walla Walla, Eté 2021
Voilà, on y est… Je ne peux plus vraiment reculer. Je regarde mon reflet dans le miroir. Vivre ici m’a fait du bien, c’est une évidence. Je mange à ma faim, je peux prendre soin de moi, je porte des vêtements propres et à ma taille. La vie est de nouveau dans mon regard. Mais aujourd’hui, mon reflet est… mélancolique. Aujourd’hui, je me marie. L’alliance que je portais à mon doigt est désormais à une chaine à mon cou. Je ne peux me résoudre à me débarrasser de cet anneau. Je me rappelle avec une douce nostalgie de mon mariage avec Locke… J’étais si jeune, si heureuse. Il était si séduisant dans son costume, même si cela ne lui allait pas aussi bien que son look de motard, ce look qui m’a totalement fait craquer quand j’ai posé le regard sur lui. Mais aujourd’hui, c’est différent… Aujourd’hui, je me marie pour avoir la paix. Je suis une femme, je suis encore en âge de procréer, cela fait presque un an que je suis ici, il est plus que temps que je remplisse mon devoir… Depuis juin, ce n’est même plus de la pression, c’est une loi. Le prix à payer pour la tranquillité ici… je ne me marie pas par amour. Mais au moins ai-je de l’affection pour Morgan, qui est assez charmant. Et de l’attirance physique. Il en faut bien pour procréer et que cela demeure agréable n’est-ce pas ? Même si j’ignore encore comment oublier Locke et nos étreintes passionnées avec le sage Morgan… Aujourd’hui, Jena Reid devient Jena Cox. Pour le meilleur et pour le pire.
Pour ne pas changer, Maelys fait la gueule. Je suis inquiète. Son tempérament rebelle risque de lui attirer des ennuis. Petit à petit, le peu de droits qu’elle avait encore s’est retrouvé encore amoindri… Ses cours se sont spécialisés dans le manuel de la parfaite petite épouse. Et ma fille est trop intelligente pour ne pas remarquer qu’on la prive de ses droits les plus élémentaires. Elle tempête, elle s’offusque, elle veut s’échapper de cette prison… Je tente de la raisonner, de lui demander de la patience, de la pondération, mais elle est une vraie cocotte minute. Elle ressemble trop à son père pour son bien…
La vie de Jena est d’une monotonie affligeante. Se lever le matin, préparer le petit déjeuner pour son mari et sa fille, se vêtir, envoyer sa fille aux cours et se rendre au restaurant où elle gagne une misère pour être serveuse. Elle a beau être psychologue, elle ne peut exercer ici. Travailler à l’hôpital pourrait être une solution, mais le salaire n’est pas vraiment plus décent. Et elle n’est pas certaine de vouloir se confronter à la misère humaine. Elle en a déjà trop vu. C’est plus facile de sourire aux clients, d’oublier qu’en dehors de l’enceinte de Walla Walla, les gens luttent pour leur survie. Il est facile d’oublier alors qu’elle sert une belle assiette que d’autres meurent de faim. Ici, elle vit dans l’illusion et cette illusion lui convient. Loin d’être idiote concernant la place des femmes et la politique sectaire menée par l’adonaï, elle se tait et e fond dans la masse, ne souhaitant pas attirer l’attention, par quelque moyen que ce soit. Les avertissements qui ont régulièrement lieu pour rappeler qu’il y a un ordre et que tout contrevenant sera puni, lui suffisent amplement.
Une fois sa journée achevée, la jeune femme rentre chez elle, tient sa maison, cuisine pour sa famille. Elle a l’impression d’être la parfaite représentante publicitaire de la femme au foyer des années 50… Surtout que ses robes n’en sont pas si éloignées. Une vraie petite ménagère modèle, qui fait tout pour son époux. Epoux dont elle n’est pas amoureuse, mais qu’elle apprécie, avec qui la vie est… tranquille. Puis, elle se couche, honore régulièrement son devoir conjugal tout en pensant souvent à un autre, à ses yeux sombres et son sourire ravageur, alors qu’une petite voix lui hurle que ce n’était pas cette vie qu’elle avait souhaité.
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She-Hulk | Neenja
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Re: Jena Cox
Jeu 2 Sep 2021 - 19:15
- Madalena Auditore
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