Aodhan n'avait pas grand souvenir de l'attaque, pour être tout à fait honnête son inquiétude avait d'abord traînée sur l'état de santé de ses étudiants, puis de ses proches, et enfin en dernier recours, son attention s'était portée sur l'état de l'école, fort heureusement, cette dernière n'avait pas véritablement été impactée par le bombardement, la chose la plus dangereuse qu'il y avait sans doute eu ce jour-là.. enfin.. pour cette fois. Combien y en aurait-il d'autres des bombardements ? C'était sans doute le retour du règne de terreur de la folie des hommes qui mèneraient à la mort de beaucoup des leurs encore. Le professeur n'avait jamais eu grand chose à se soucier vis à vis de cela ces derniers mois, il en avait même oublié l'existence pendant longtemps, à vrai dire, il avait évité les affrontements depuis que la course poursuite lui avait offert une magnifique entaille au niveau du cou, enfin c'était une autre époque avec d'autres gens qui pour certains étaient sans doute bien mieux là où ils étaient.

Mais s'il y avait bien quelqu'un qui n'était pas ailleurs mais bien là, c'était Zelda, la petite blondinette était toujours présente, faisant sans doute bien trop de bêtises pour son âge, étant sans doute bien trop bête pour celui-ci aussi comparé aux autres. Elle était libre de ne plus venir mais étrangement, cela lui arrivait encore de participer aux cours à la plus grande surprise d'Aodhan, il n'aurait jamais vraiment cru à ce qu'elle lui disait lorsque, toute fière, elle lui avait annoncée qu'elle viendrait tout de même de temps en temps en cours si elle ne recevait pas de devoirs. Le professeur ne savait pas véritablement si elle était assez pour croire qu'elle échapperait véritablement longtemps à des devoirs mais de toute évidence elle l'était assez pour tenir sa parole. A sa place, le Aodhan de ses quinze ans se seraient fait fissa la malle, la seule différence évidente c'est que lui, à l'époque, ne risquait pas de se faire dévorer par le premier inconnu aux joues creusés.

Quoique, dans les marais de la vieille Louisiane, on pouvait sans doute encore tomber sur un ou deux cannibales.

Aodhan avait fait donc fais cours comme si c'était un jour comme un autre, c'était étrange dans une période aussi noire que celle que traversait le camp avec la menace constante que ces gens reviennent mais pourtant ça ne le troublait plus vraiment le professeur. Autrement que les risques matériels et humains, il avait sans doute pris la fâcheuse habitude à l'époque d'American Dream de vivre dans la crainte constante que mademoiselle La Mort ne vienne mettre sa main décharnée sur son épaule pour lui proposer de la suivre dans tout le calme qui caractérise le passage à l'au-delà. Pour être franc, il en avait tellement l'habitude qu'il ne prêtait même plus attention à la crainte que cela pouvait susciter chez ses élèves, oui, parfois même le meilleur des enseignants pouvait avoir la plus douce des froideurs face à la plus grande crainte de ses petits.

Quand la cloche se fit entendre, que l'ordre de se lever fut dicter avec toute la lenteur qui l'amusait pour faire languir ses élèves bien impatients de retrouver leurs petites maisons et leurs petites familles, ou le semblant de famille qu'ils avaient, il fit signe à Zelda de rester assisse d'un geste de la main tandis que de l'autre il poussait avec un inintérêt profond quelques notes de cours vers son sac. Une fois le dernier élève ayant fuit sa salle de classe, ses yeux se posèrent définitivement sur la blondinette : "As-tu déjà travaillé pour le contrôle prochain ?" La question n'appelait pas véritablement une réponse, comme la moitié de sa classe elle n'avait sans doute même pas touchée au sujet. "J'hésite à le maintenir à cause de ce qui s'est passé, vos esprits sont sans doute ailleurs." Pour être franc, il s'amusait peut-être aussi de pouvoir un peu, ne serait-ce qu'un peu, ennuyé la petite princesse de Clayton en lui faisant un faux espoir.

« Pourquoi tu m'poses la question alors qu'tu connais déjà la réponse ? »

L'adolescente arque un peu les sourcils et se fend d'un léger sourire. Cela fait bien longtemps qu'elle ne révise plus. Tout au plus aide-t-elle parfois Ka' à le faire. Mais l'une des conditions pour qu'elle accepte - de temps en temps - de remettre les pieds à l'école, c'est de ne plus avoir à se soucier de choses aussi triviales que des devoirs. Ou des contrôles.

« Attends... Tu serais pas en train d'me demander mon avis, là ?! » Zelda arbore un air sincèrement surpris. Mais pourquoi lui aurait-il parlé de ses doutes sur le fait de maintenir l'épreuve ? Elle l'observe encore un peu, partagée entre l'étonnement et l'amusement. « J'en sais trop rien... » Elle pose son coude sur la table et ancre son menton sur sa paume. Et son regard glisse jusqu'à la fenêtre, aux ruines qui se devinent au-delà et aux gens qui s'affairent autours d'elles.

L'attaque de New Eden a laissé des cicatrices profondes au sein de Fort Ward. Mais elles peuvent être réparées. Le groupe se relèvera, c'est une évidence. Parce que les bigots n'ont pas eu la présence d'esprit de couper les têtes pensantes. Mais ce qui inquiète l'australienne, ce ne sont pas les trous dans le sol ou les morceaux de cadavres disséminés partout dans le camp par les explosions. Mais bien les séquelles qui se sont gravées sur les âmes de ses résidents.

Zelda tapote des doigts sur son pupitre et finit par hausser les épaules avant de reporter son attention sur son professeur. « J'pense que tu devrais l'maintenir, ouais ! Ces nazes sont déboussolés ! »Les fameux nazes, ce sont évidemment à la plupart de ses camarades de classe. « Un peu d'normalité leur ferait du bien ! » Et tant pis s'ils doivent au passage apprendre des choses débiles, qui ne leur serviront à rien dans le futur. L'australienne pousse un petit soupir et se met à se balancer sur sa chaise jusqu'à pouvoir s'accouder à la table derrière elle. Elle sait bien que c'est dangereux et pourtant, elle ne peut pas s'empêcher de le faire.

« J'me demandais... » Son regard se perd à nouveau au-delà du verre fendu de la fenêtre. « Tu penses que c'est une mauvais chose qu'on se soit fait attaquer, toi ? » La question pourrait faire songer à une pitrerie de plus de la part de l'australienne. Pourtant elle a l'air parfaitement sérieuse lorsque elle ancre ses opales claires dans celles du professeur. « J'veux dire... Certains civils n'ont jamais été confrontés aussi directement à la guerre ! Et maintenant qu'elle a frappé à la porte d'leurs maisons, tu t'dis pas qu'ils seront plus motivés à s'battre ? » Il y a certainement eu des prises de conscience parmi ces gens qui n'avaient vu jusque-là qu'un seul hélicoptère de New Eden. « Un peu comme quand les chinois ont bombardé Hawaï, tu vois l'idée ? » Ca a tout de même poussé les américains à entrer de plein pied dans la deuxième guerre mondiale. Et les enfoirés ont perdu ! Il se passera peut-être la même chose avec New Eden, maintenant que le colosse Fort Ward a été touché en plein coeur ?

Prenant ses aises - après tout ils sont en-dehors des heures de cours - l'adolescente pose ses pieds sur la table et s'accoude plus confortablement sur la table qui lui sert d'appui. « Hey, Ao ! Honnêtement... Toi, ça t'donne pas envie d'abandonner tes livres pour retrouver tes couilles ? » Il était l'un de ces American Dream, non ? Est-ce qu'il n'a pas envie de faire ce qui doit être fait plutôt que d'inculquer des connaissances à des gens qui mourront, pour la plupart, avant d'avoir pu les mettre en pratique ? Car il faut dire qu'elle ne l'a pas beaucoup vu se battre, lui, dernièrement...

C'est vrai, pourquoi posait-il la question si ce n'est pas pour s'amuser à la martyriser un peu, lui faire ce doux faux espoir que tout professeur peut faire à ses élèves en leur disant gentiment que peut-être leur examen n'aurait pas lieu le jour où il était prévu, serait peut-être repoussé ou annulé, on se suffisait de peu dans la vie après tout, non ? Passant sa main dans sa barbe, il dévisagea un instant Zelda alors qu'elle commençait à avoir l'impression, impression qu'elle affirmait par la voie orale, que le professeur la questionnait sur son avis, oui, parfois Aodhan demandait l'avis des gens, c'était rare, parce qu'il n'en avait pas besoin mais ça lui arrivait, il s'en fichait pas mal de la réponse ceci dit mais ça lui arrivait quand même. Puis elle finit par lui répondre, son visage de futur jeune femme déjà tourné à observer la fenêtre, l'extérieur. Le professeur aurait presque été surpris qu'elle se mette à réfléchir d'un seul coup à la réponse, sans doute se serait-il par habitude attendu à ce qu'elle lui donne une réponse catégoriquement négative pour des raisons purement évidentes.

Mais il fallait croire que même elle, elle grandissait.

Pire encore, elle finit par se mettre d'accord avec lui, acceptant qu'on maintienne l'examen comme si les élèves en avaient besoin pour retrouver un semblant de normalité.. et le pire c'est que l'argument tenait pleinement la route, c'était quelque chose quand même que de voir ça arriver. Et si ? Et s'il avait finalement réussi à faire quelque chose de la petite peste australienne ? C'était quand même quelque chose si c'était le cas, il irait sans doute demander une médaille à June, si tenté qu'elle comprenne ce que cela signifiait pour lui, ce dont il doutait particulièrement. "Eh bien, qu'on me rende la Zelda Anderson que je connais." C'était tout ce qui lui venait à la bouche à cet instant précis, il avait presque besoin de s'asseoir et d'y réfléchir pendant quelques temps tellement cela l'avait surpris d'une façon dont il ne se serait guère douté.

Puis elle se mit à parler plus que de nécessaire, sans doute que le professeur aurait préféré qu'elle se taise à ses derniers dires mais comme d'habitude il avait fallu qu'elle continue de jaqueter, de parler pour dire ce qui lui passait par l'esprit, toujours une mauvaise idée. D'un soupir, il se contenta de fermer les yeux quand elle lui fit part de son avis, que c'était peut-être une bonne chose que de se faire attaquer, quelque chose à propos des chinois qui fit avoir des rebonds à son cœur de professeur puis pour une raison qu'il ignorait elle lui mit un petit coup de coude personnel qui ne lui fit ni chaud ni froid ainsi croisant simplement les bras, assis sur le bureau, il se mit à dévisager la petite blondinette en réfléchissant à une réponse tout à fait convenable pour quelqu'un de son âge : "Il n'y a rien à retirer d'une guerre, si tu trouves ça bien, c'est parce que tu n'as pas encore perdue quelqu'un à qui tu tiens." C'était une vérité absolue pour lui, pas un avis. "Si un jour, des hommes armés viennent ici, pointent leurs fusils et tirent sur Clayton et Kassandra, que crois-tu que tu penseras de la guerre une fois que le sentiment de vengeance sera passé ?" Il n'avait que trop bien connu ça avec Kyle et avec d'autres encore avant.

"La guerre c'est tout sauf quelque chose qui fait du bien aux gens, que crois-tu qu'il va se passer ? Si on gagne et que tu ne perds personne, tu continueras de vouloir miser, si on gagne mais que tu perds quelqu'un t'aurais un trou à la place de ce qui bat dans ta poitrine et tu continueras de t'enfoncer parce que t'auras plus rien d'autre à perdre que la vie et si on perd, que crois-tu qu'il arrivera aux gens de ce fort ?" La chose était posée et elle était pensée depuis très longtemps : "Dans les conflits, y a jamais de vainqueurs, à la fin, tout le monde perd, c'est comme ça, c'est la loi de la nature." Tout le monde perdait toujours, ça aussi c'était quelque chose que le professeur avait fini par comprendre avec le temps, combien de gens avait-il vu être transformé, avait-il vu mourir, avait-il vu simplement partir un matin et ne jamais revenir, trop sans doute.

"Quand à l'attaque sur Hawaï, c'est le Japon, Zelda, révise tes leçons si tu veux pas avoir encore une fois la plus mauvaise note de la classe." Ce qui serait en toute honnêteté, une forme d'exploit.

« Tu devrais faire attention à c'que tu demandes, tu sais ? »

Un sourire amusé se dessine sur les lèvres de l'adolescente. Elle n'a pas changé. Tout au plus s'est-elle contentée de mûrir au fil du temps et des expériences. Aodhan semble sincèrement étonné. Et forcément, l'australienne s'en amuse. « Et puis j'ai pas dit que j'y participerai, moi, à ton examen... » souffle-t-elle en adoptant son plus bel air malicieux. Elle suppose simplement que c'est la meilleure chose à faire pour ses camarades. Notamment les plus faibles d'entre eux, ceux qui ont vécu la plupart du temps à l'abri des murs de Fort Ward et qui ont été confrontés à la dure réalité quelques jours plus tôt, lors de l'attaque de New Eden. Ils ont besoin de balises, de repères. Et plus que tout, de normalité.

Toujours est-il que l'australienne laisse sa tête tomber en arrière en poussant un profond soupir lorsque le professeur se lance dans une violente diatribe contre la guerre. Avec ce ton pédagogique, si cher à ceux qui pensent mieux savoir que les autres et qu'elle déteste tant. « J'vais faire comme si j'avais pas entendu... » grogne-t-elle alors qu'il lui fait remarquer qu'elle n'a sans doute pas perdu d'êtres chers pour penser ainsi. « Et tu te trompes si tu crois qu'une guerre n'apporte rien ! » Elle n'a pas le bagage culturel d'Aodhan, Zelda. Mais elle comprend de mieux en mieux comment le monde fonctionne. « Des territoires, de l'influence, du pouvoir, du prestige, du respect ou même mieux, d'la crainte... C'est pas les exemples qui manquent, non ? » Elle l'interroge d'un regard malicieux et finit par hausser les épaules. « Et puis la violence, dans l'fond, c'est dans notre nature. L'humanité est une belle saloperie ! » Et là encore, les exemples ne manquent pas.

Quant à celui qu'il vient d'utiliser, à savoir la perspective qu'elle puisse perdre Ka' et Clay' à cause de la guerre, elle le trouve carrément pervers. « Je n'permettrai pas que quelqu'un leur fasse du mal, c'est tout ! » réplique-t-elle sur un ton catégorique, qui prouve bien qu'elle ne compte pas se laisser entraîner dans ce sujet. D'autant plus qu'elle sait qu'elle a tort et qu'on ne peut pas toujours protéger ceux que l'on aime. L'exemple d'Ao' n'en reste pas moins extrême. « Tu fais chier... » maugrée-t-elle, agacée parce qu'elle ne peut pas réellement donner tort à son interlocuteur sur ce point particulier. « D'toute façon qu'on soit pour ou contre, c'est pas vraiment la question ! Il y aura toujours des guerres ! Même les rôdeurs n'ont pas réussi à la faire disparaître... » conclue-t-elle en posant son regard à l'extérieur, à travers la vitre fissurée par l'onde de choc d'une explosion.

L'australienne est presque contente quand son aîné la corrige sur Hawaï et les assaillants de l'archipel. « Les japonais, les chinois... C'est la même chose ! » souffle-t-elle en agitant vaguement la main. « T'arrives à faire la différence, toi ? » Elle doute que ce soit le cas. Ces gens-là se ressemblent tous. Et non, ce n'est pas vraiment raciste de dire ça ! « Mais ouais, hein, ce serait con d'avoir une mauvaise note. Surtout que j'ai prévu d'aller étudier à Harvard, ensuite... » ironise-t-elle en glissant ses mains jointes, doigts croisés, à l'arrière de son crâne.

« N'empêche que t'as toujours pas répondu à ma question... » fait-elle remarquer après quelques instants de silence. « T'as pas envie d'faire quelque chose d'vraiment utile pour l'camp ? Tu nous aiderais plus sur le champ d'bataille qu'ici, dans une salle de classe ! » Et c'est le lot de chaque habitant de Fort Ward, ça, dans le fond. Le groupe a besoin de mains pour manier des armes. Toutes celles qui peuvent en utiliser une correctement, du moins. « Tu sais, les types d'New Eden sont plutôt sympas à buter ! » ajoute-t-elle sur un ton complice. Ben quoi ? C'est un argument comme un autre...