Je me rends au No Man’s Land dans l’espoir de trouver la forgeronne où plutôt ma pote Monroe, je l’ai pas revu depuis trois ans et il parait qu’elle roule avec la viking maintenant et qu’elles peuvent blinder des véhicules. Ça tombe bien, j’ai un pick-up à blinder, l’ancienne caisse de mon pote Markus, une belle façon de lui rendre hommage et de rembourser les Exiles par la même occasion. Ça devrait suffire à certains pour se dire qu’ils ont possiblement bien fait de me récupérer.

Les gars du groupe m’ont rencardé sans trop me poser de questions, normalement cette semaine, la forgeronne est dans le coin et possiblement accompagnée de Monroe. Je prie pour que ce soit le cas car je me vois mal discuter avec miss sourire 2021 pour causer affaire surtout que je compte bien avoir un prix et pour ça, faut que je passe par la tatouée.

Je file du Merchant avec un gros sac de sport bien blindé de médicaments, de chargeurs, de bouffes, d’alcools, de piles, bref, y a vraiment de tout, que des trucs utiles que j’ai gagné avec mes combats à la cage. Tout ça, c’est rien qu’un échantillon de ce que je possède, le reste est planqué bien au chaud et n’attend qu’une chose : être dilapidé. Je grimpe en vitesse dans le véhicule de feu Markus et prend la direction de l'industrial district seule, plus pratique pour causer affaire.

Je gare le pick-up assez loin du No Man’s Land, enfin loin, y a vingt minutes de marche quoi mais je préfère ça que de le laisser à la vue de tout le monde, c’est carrément plus sage. Je quitte le véhicule et trottine jusqu'à l'entrepôt, par chance, je ne croise aucun rôdeur dans le coin. Mieux vaut ça que l’inverse et c'est un fait assez rare pour être soulevé. Arrivée au No Man’s Land, je retire bien vite la capuche de mon sweat et me dirige vers le stand d’armes blanches et … BINGO. La tatouée est là ! J’évite soigneusement le regard de sa compagne et me pointe au stand pour m’adresser directement à elle : “Hey ! Monroe !” Je sais pas trop comment réagir après toutes ces années alors je lui offre simplement un petit sourire en coin et un petit signe de main. “T'as deux minutes pour discuter ?” Ma carrure n'a rien à voir avec celle qu'elle a connue, j'ai clairement gagné en muscles, y a que ça et mon œil qui a du changer je pense, le reste, tout est planqué sous mes vêtements... j'espère qu'elle va me reconnaitre quand même  !

Premier retour au hangar depuis l’attaque. Si le traumatisme a fini par s’atténuer au fil des mois, si le corps s’est rétabli des blessures infligées, la parano a la dent dure. Exacerbée par l’idée que l’identité de leurs agresseurs lui est toujours inconnue et que chaque visage inconnu - voire connu - peut être la menace qui les a fait quitter la métropole, la mécano n’est plus dans son élément. Si l’endroit n’a jamais été un lieu sécuritaire, jamais elle n’a eu à trop jouer des poings pour obtenir ce qu’elle désirait au cours de toutes ces années. Une réputation forgée dans le cambouis et les privations, les trocs en tout genre et les alliances éphémères, il lui apparaît aujourd’hui comme un coupe gorge où chaque regard trop appuyé devient un problème sous-jacent.
Ça lui déplaît. Cette peur irraisonnée, ce doute qui ne la quitte pas, même après tout ce temps Monroe se sent toujours victime et ça continue de la ronger. Sa mine renfrognée parle pour elle et c’est surtout Kara qui alimente la conversation, consciente que ce retour, loin d’être précipité, reste complexe à gérer pour une écorchée vive comme elle. Derrière le masque, derrière la façade, la forgeronne le sait, sa tatouée est bien plus sensible qu’elle ne veut bien le montrer.

Chaque nouveau client est un troc supplémentaire et des ressources pour Cinder’s vale, et chaque transaction est scrupuleusement notée ou barrée sur la liste faite en amont par la mécanicienne. Idriss est resté à Olympia avec le reste du harem et c’est une virée à deux.

Toute accaparée par sa tâche pourtant simple pour tenter de filtrer l’agitation des lieux, ce n’est que son nom claironné au vent qui lui fait lever le museau de sa feuille, le crayon de bois coincé entre ses dents. La voix lui semble familière, de façon lointaine et quand ses yeux tombent sur les traits de la femme qui vient de la héler, ses yeux s’ouvrent en grand et le crayon chute au sol quand sa bouche suit le mouvement de son visage. Et… elle bloque… littéralement.

Roza fucking… okay elle ne connaît pas son nom mais… putain elle est censée être… MORTE! Trois ans merde! Peut-être plus, sans doute moins. Trois ans sans nouvelles, sans voir sa trogne au No man’s land. Et tout le monde a fait passer le mot. Disparue. TROIS ANS! Tout le monde savait ce que ça signifiait dans ce monde. Roza avec une carrure de mastodonte. Roza avec la gueule de celle qui a vécu de sales trucs. Mais Roza quand même!

Kara se racle la gorge à côté de la mécano et celle-ci tourne finalement les yeux vers sa compagne. “Est-ce que tu vois une fille devant nous?” chuchote-t-elle peu discrètement comme pour confirmer qu’elle n’est pas en train de virer tarée et de voir des fantômes. La coutelière acquiesce non sans froncer des sourcils dans un questionnement muet alors que Monroe se redresse, tendant son index par-dessus le stand jusqu’à toucher le bras de la Russe. Merde…

Acquiesçant comme pour trouver du sens à tout ceci, elle finit par reposer son feuillet sur le stand, faisant le tour de ce dernier non sans jeter quelques regards alentour. Dans un étrange paradoxe, elle se méfiait d’à peu près tout le monde ici, mais pas de la tatouée. “J’en ai pour quelques minutes, je t’explique après” signale-t-elle à la forgeronne avant de se tourner vers la Russe. “Amène-toi…” lui glisse-t-elle doucement non sans lui jeter des regards surpris en s’éloignant du stand d’armes.

Passant de nouveau les portes, elle se glisse à l’extérieur, fourrant sa casquette sur la tête pour passer inaperçu, la chaleur estivale la privant de sa veste trop grande. Loin des regards indiscrets, elle tire une clope artisanale de son paquet et la colle à ses lèvres, nerveuse. “Pour info, ton entrée en matière est à chier!” balance-t-elle en fixant sa vis-à-vis. “Ça fait trois ans que je te croie morte et tout ce que t’as à dire c’est Hey Monroe t’as deux minutes pour discuter??” Tirant sur sa clope, elle souffle la fumée sur le côté, la dévisageant. “Putain de merde…. trois ans…”

La russe n’a pas tout de suite le droit au visage anxieux ou même à ses traits qui imaginent le pire, ce n’est que la surprise qui prend place en premier lieu place chez son interlocutrice. Ça change. Désignée ensuite du bout de l’index au même titre qu’un fantôme, la scène lui arrache un petit sourire en coin alors qu’elle gagne en mutisme. Rien qu’entendre le son de sa voix est rassurant à ce stade, comme si la regarder derrière ce stand n’était pas suffisant pour s’assurer de sa survie.

“Je suis un cafard, tu devrais l’savoirr.” Sa voix est presque dénuée de son fidèle accent et aussi légère qu’une ombre, à hauteur du fantôme qu’elle semble être. Le doigt qui vient toucher son bras vient alors ôter tout doute, elle est bien là et bien vivante. Elle s’est souvent demandée comment elle a pu survivre dans ce milieu chaotique au goût quotidien de fer et finalement, la comparaison avec cette blatte répugnante, résistante aux radiations et à la décapitation lui semble être son insecte totem idéal.

La vérité à demi-rétablie, les deux tatouées progressent sans plus attendre dans l'entrepôt et le regard vairon de la slave ne s’attarde pas sur les nombreuses silhouettes croisées, souffrant à l’évidence de malnutrition et à l'hygiène plus que douteux. Elle regarde plutôt devant elle, le dos droit et la démarche emplis d’une assurance pourtant fausse mais qu’elle s’efforce de maintenir en public.

La marche arrêtée de l’autre côté des portes, son œil vient papillonner autour d’elles à la recherche de possibles éléments perturbateurs. “Désolée.” Fait-elle une fois assurée que personne ne peut les entendre avant de laisser planer un court silence. “Ouais… Trois ans... ” Répète-t-elle à mi-voix, mâchant ses mots plus qu’elle ne les déguste. “J’étais coincée… je ne pouvais pas revenir. Vraiment.” Aucune détresse dans le ton employé, son visage reste placide et tranquille, démontrant par la même occasion et sans réellement le vouloir son nouveau masque. Son nouveau elle. “Mais je suis de retour et pour de bon cette fois.” Jusqu’à ce que la mort ne l’emporte tout du moins. “C’est une longue histoire… Et dans l’idée, j’vais avoir besoin de tes talents pour tourner définitivement la page.” Ajoute la russe non lever son regard écorché vers son interlocutrice. “Il me faut un blindage. J’ai déjà le véhicule. J’en ai besoin pour… racheter une dette.” Dette qu’elle s’est finalement imposée elle-même, à priori, sa nouvelle troupe n’attend aucun dédommagement de sa part, ce n’est que l’orgueil qui parle là et l’envie de remettre le compteur à zéro pour éviter tout débordement futur et reproche qu'elle lit déjà dans les yeux de certains.

“J’ai fait quelques combats à la cage qui m’ont rapporté gros, j’ai d’quoi t’payer j’pense, j’ai d’tout… ” Dit-elle en faisant glisser le sac témoin de ses richesses de son épaule à ses pieds. “Y a quelques échantillons là-dedans, ça peut aussi faire office de premier paiement.” D’un geste succinct du menton, elle l’invite à vérifier d’elle-même le contenu du sac. Cigarettes, alcool fait maison, médicaments, désinfectant, lot de piles, conserves de légumes, viande séchées, petites lames, munitions etc… toutes les richesses des habitués de la cage désireux de doubler leur gain et ayant misé sur le mauvais cheval.

“Coincée? Pendant trois ans?” Répète-t-elle dans une interrogation suspicieuse. Parce que dans sa vision du monde coincée signifie prisonnière et de ce qu’elle peut voir de son amie, cette dernière ne ressemble pas vraiment à une rescapée qui aurait subie mille et uns sévices. Même sous la couche de ses vêtements la trentenaire peut deviner la masse musculaire qui s’est développée. Son regard la détaille sans gêne, sans chercher à être discrète. Bon ok, sa gueule et les coups récents qu’elle a visiblement pris parle d’eux même mais...
Quelque chose cloche dans son discours, ou peut-être qu’il y a trop de blancs à combler pour qu’il apparaisse comme cohérent à la tatouée. Est-ce que ses yeux avaient cette couleur particulière? Les détails lui semblent flous, les souvenirs trop lointains. Il s’était passé tellement en trois ans. Tellement. Elle avait fini par faire son deuil, accepter l’idée que la Russe avait péri. Mise de côté pour continuer à avancer, pour ne pas alourdir une conscience déjà pesante, la voir face à elle en chair et en os lui fait douter soudainement de tout et la brune préfère donc s’abstenir et retient la dizaine de questions qui menacent de franchir ses lèvres.

Arquant un sourcil surpris mais néanmoins intéressé quand ses talents sont cités, elle attend la suite. Tourner la page? Rembourser une dette? Waow, Monroe n’avait pas conscience d’avoir autant de pouvoir… La suspicion s’en mêle évidemment. Justement parce que trois ans se sont écoulés, que l’attaque la rend encore parano et que Roza a précisément choisi de revenir pour son premier jour au No man’s land depuis plus de six mois. “Pour quelqu’un qui vient tout juste de revenir tu en sais vachement long sur mes nouvelles activités…” lance-t-elle en tirant sur sa clope sans la quitter des yeux, plus sérieuse que précédemment. Pas pour la mécanique mais la spécialisation que son travail avec Kara lui procure.

La cage… où les masochistes allaient se faire taper sur la gueule et gonfler leur ego sous les applaudissements, et probablement leur verge parce que ça les faisait triquer. Ça expliquait sa gueule de Rocky Balboa et comment elle avait pu entendre parler de ses nouveaux services. Elle suit du regard le sac qui glisse au sol, ne cherchant pas immédiatement à regarder ce qu’il y a à l’intérieur. “Si tu as les moyens de te payer un blindage tu as dû sacrément démonter des gueules…” suppose-t-elle sans imaginer qu’elle ait pu se faire ratatiner la tronche.

La clope coincée entre les lèvres, elle se penche finalement pour ouvrir le sac et découvrir les petits trésors qui s’y cachent. Et ce n’est qu’un échantillon. “Ce sera effectivement un premier paiement” clarifie Monroe, ne comptant pas céder du terrain. Roza avait été une amie oui mais cette Roza était morte et elle ne connaissait pas encore sa nouvelle version. Sans compter qu’il ne s’agissait plus seulement d’elle comme trois ans auparavant. Il y avait Kara, Erin, Naya et Idriss maintenant. Et toutes ces choses seraient partagées équitablement. Enfin plus ou moins, fallait pas déconner quand même. “Il est planqué où ton véhicule? J’ai besoin de le voir pour me faire une idée. Et Kara sera forcément dans le coup. C’est elle qui bosse la tôle. C’est ma partenaire pour ce genre de travail” explique-t-elle succinctement sans entrer dans les détails. “Je ne sais pas ce que tu as en stock mais ça va coûter sacrément plus cher que ça. Et prendre du temps. Je précise au cas où ta dette doit être payée rapidement….” C’est un fait et possiblement une ouverture à quelques confidences si la Russe le souhaite. Sans obligation d’achat et sans limite dans le temps.  

Se redressant, elle referme le sac non sans vérifier que des regards curieux ne traînent pas autour d’elles. “Bon, sans me faire la version longue, tu étais où merde?”