Début octobre 2021.

Ce n’est pas quelque chose qu’elle faisait avant, et ce n’était pas forcément ce dans quoi elle excellait le mieux – et pourtant. Aujourd’hui, elle avait proposé autre chose à Soo qu’un cours habituel de voltige, elle l’avait invité à préparer Chico, ce poney passe partout et curieux, pendant qu’elle-même préparait Hypérion pour une balade qu’elle désirait un peu plus éprouvante pour la jeune fille qui n’avait pas encore vu son endurance mise à l’épreuve encore – et si la jeune fille voulait plus tard les suivre dans leurs explorations équestres, il allait falloir qu’elle s’endurcisse.

L’amazone n’était probablement pas un professeur très encourageant, ni très patient – ses silences restaient parfois difficiles à interpréter. Mais la jeune fille avait su faire ses preuves lors de la toute première leçon de voltige qu’elle avait organisée pour juger un peu les niveaux des cavaliers de New Eden. Si elle ne s’était attendue à rien de la part de l’adolescente – au départ présente que pour faire plaisir à Isaac – Raina avait été forcée de reconnaitre le potentiel de l’asiatique, à condition qu’elle soit bien entrainée. Sans rien dire, elle l’avait observé venir tous les jours s’exercer sur son cheval d’arçon. Elle l’avait vu réussir, et échouer, mais surtout se relever. Alors après une bonne semaine à l’observer sans intervenir, elle avait fini un jour par s’approcher et lui proposer de suivre ses entrainements pour parfaire sa méthode et ses compétences. Et si la réponse qu’elle avait eue était timide, la jeune fille avait appris avec le temps à ne plus avoir peur des regards de l’amazone.

« Je t’emmène pour la journée, la météo semble clémente mais un peu de pluie ne nous tuera pas, de toute façon. Tu as fait ton sac en conséquence ? Nous ne rentrerons que tard dans l’après-midi. » Lui demanda-t-elle, alors qu’elle finissait de sangler Hypérion, avant d’aller se saisir de son side-pull pour harnacher l’étalon. Si la monture de Soo était plus petite, elle n’en était pas moins vive et endurante, et même si avec Isaac, on commençait à la faire monter sur des chevaux, pour cette sortie Raina préférait que Soo ait une monture qu’elle connaissait suffisamment bien. Chico était un brave poney qu’on qualifierait comme Hypérion de poney-tout-terrain - et c’était tout ce dont l’amazone avait besoin pour cette leçon d’équitation. « Nous longerons la côte vers le Sud, avant de traverser le pont de Tacoma et de remonter vers le Parc Sehmel. Ce sera long, il y a une quarantaine de kilomètres aller-retour. On ne s’arrêtera qu’à midi, j’ai besoin de tester ton endurance, d’accord ? » Raina ne partait évidemment pas à l’aveugle, cette randonnée, elle l’avait déjà faite avec Isaac et une autre fois seule, d’ailleurs pour s’enfoncer un peu plus dans le parc.

« Tu as tes armes ? » Lui-demanda-t-elle avant de décrocher Hypérion, signe explicite qu’il était temps de partir. Raina était elle-même équipée de son arc et de ses flèches, ainsi que de son couteau de survie. Elle avait intimé à la jeune fille d’enfiler un protège-dos – qu’elle-même portait également – ainsi qu’une bombe pour protéger sa tête. Si Raina n’en portait pas, elle n’accepterait pas que la jeune fille s’en passe – elle n’était pas sa fille, et de ce fait-là, les précautions étaient de mise, temps que c’était un luxe qu’elles pouvaient se payer.

« Bien » Lâche-t-elle, alors que la jeune fille lui énonce ce qu’elle a pris dans ses affaires et les précautions qui allaient avec. Soo était peut-être jeune, mais de nombreuses personnes autour d’elle s’activaient à la rendre rapidement débrouillarde et autonome. Au début un peu récalcitrante, Raina avait fini par voir l’intérêt à former la jeune fille aussi tôt. Et puis Soo n’avait pas n’importe qui comme mère, Andrea était une guerrière et une battante, qui prenait très à coeur l'entraînement de sa fille adoptive. Le moins qu’elle puisse faire, était de s’y mettre aussi. « Ne t’en fais pas, on saura se débrouiller, et tutoie-moi s’il te plait, on ne va pas s’embarrasser de cette politesse » Ajoute-t-elle, avant de ponctuer par un clin d’oeil - qui, comme toujours quand il s’agissait de Raina, ressemblait à une drôle de grimace.

Les deux cavalières étaient à présent prêtes à mettre pied à l’étrier et commencer cette randonnée à deux. Ce que l’amazone fit sans toucher l’étrier d’ailleurs, se mettant en selle dans un mouvement souple en effectuant un à-terre-à-cheval comme elle l’apprenait à ses élèves de voltige - où Soo excellait dans son apprentissage d’ailleurs. Une légère pression des mollets et l’amazone guida la marche, avec l’adolescente et son poney à côté d’elle. « Notre avantage face aux supers-rôdeurs seront les chevaux. Je tâcherai de ne pas te mettre dans ce genre de difficulté, nous ne sommes pas là pour nous battre, mais pour voir si tous tes entraînements te permettront de tenir une journée entière à cheval. C’est plus éprouvant qu’il n’y paraît. » Commença-t-elle à expliquer alors qu’elles quittaient Nisqually.

« Chacun de tes muscles vont être sollicités, du haut de ton dos à l’articulation de tes chevilles. Une journée ne te tuera pas, mais tu devrais sentir les courbatures quelques jours après encore. Je crois que tu vois Nihima demain… » Mentionne-t-elle, en regardant la jeune fille. « Ton entrainement risque de te paraitre plus dur, mais c’est normal. » Dit-elle, un peu amusée à cette idée - mais comme d’habitude l’amusement se lisait difficilement sur le visage assez froid de l’amazone.

Elles avancèrent un moment, laissant les chevaux se délier et s’échauffer pour la suite, jusqu’à ce que Raina l’avertisse. « On va prendre le trot pour quelques minutes, tu peux choisir de rester en trot enlevé ou en suspension, ce qui te semble le plus facile. Nous ferons ce genre d’exercices tout au long de la journée, d’accord ? Tu es prête ? Je reste à ta hauteur. » Elle ne s’inquiétait nullement des capacités de Soo à tenir en selle, la cavalière ne lui aurait jamais proposé cette journée si elle ne la croyait pas capable. Elle attendit l’assentiment de la jeune fille, avant de claquer la langue et de presser légèrement les flancs d’Hypérion pour un trot cadencé, calqué sur le rythme de Chico pour que celui-ci ne parte pas au galop. Raina elle, choisit de se tenir en légère suspension, la tête souvent tournée vers l’adolescente qui était loin de souffrir pour le moment. « Bien, profite de la sensation… Je sais que sur Chico c’est moins confortable car ses mouvements sont plus rapides, mais je te préfère sur une monture dont tu es sûre de ton équilibre pour cette fois-ci. » Dit-elle, en haussant un peu la voix pour qu’elle l’entende. « Tu sens leur puissance ? » Et là, sur le visage de la voltigeuse, un sourire plus sincère apparaît sur ses lèvres.

Elles maintiendront ainsi ce rythme, une dizaine de minutes avant d’enfin repasser au pas. « Tout va bien? »

La cavalière observe la jeune fille tout le long, d’abord franchement, puis du coin de l'œil en voyant que ses leçons payaient. Il faut dire que plus ils apprennent tôt, mieux les gens se tiennent à cheval. Certes, elle était beaucoup plus jeune que l’asiatique quand elle avait à monté, mais à l’âge de Soo, il était toujours plus facile d’apprendre que quand on avait atteint l’âge adulte. Le premier trotting terminé, elle écouta les élans du cœur de la jeune fille avec un léger sourire. Raina n’était pas réputée pour savoir tenir une longue conversation, les discussions avec elle étaient souvent abruptes et courtes. Parfois même un peu gênantes quand on se rendait compte que la métisse n’avait aucun mal à ne pas vous répondre si elle n’avait rien à dire. Mais concernant les chevaux, elle avait la langue plus facilement déliée.

« Effectivement, et vu la route qu’on a à faire, on ne va pas galoper tout de suite. Le trot reste leur allure de croisière, tu sais ? Avant cette épidémie, il existait des courses d’endurance où des cavaliers s’affrontaient sur le meilleur chrono longue distance, le tout en veillant à la santé du cheval au départ et à l’arrivée. C’était parfois des boucles de 20 kilomètres, avec une vitesse imposée à tenir… ou à battre. » Explique-t-elle, avec des mots simples pour ne pas partir dans des termes trop inutilement complexes. Ici, leurs chevaux n’étaient qu’à peine échauffés, mais elles n’étaient qu’au début de leur randonnée. « On galopera, ne t’en fais pas. Mais pas de suite. » Puis la jeune fille l’interrogea sur sa vie d’avant.

« Je vivais déjà sur les routes avant tout ça. Nous allions de ville en ville pour présenter nos spectacles. La vie était déjà pas mal éprouvante ; nous vivions avec peu et nous travaillions énormément en dehors des répétitions des spectacles et des numéros, nous faisions tout nous-même. La seule différence, c’est que nous voyagions en camion, pas à cheval. » Lui raconte-t-elle, un peu nostalgique c’est vrai. Cette vie lui manquait parfois. Même si au final, les exigences et les efforts fournis n’étaient pas si différents de ceux qu’elle devait faire aujourd’hui. Même si, à l’époque, sa vie n’était pas menacée si elle perdait un peu en vigilance. « Et un cirque c’est… » Elle réfléchissait aux mots qu’elle allait employer. C’est vrai que pour elle, c’était évident. Mais Soo était trop jeune à l’époque pour en avoir vraiment connu - ou s’en souvenir, finalement.

« Je ne faisais pas partie d’un cirque au premier sens du terme. Nous ne faisions que des spectacles avec les chevaux. Nous avions un thème, une histoire et nous la racontions avec les chevaux devant un public. Un cirque, ce n’était pas seulement les chevaux. Et ça, c’est Rafaël qui pourrait t’en parler mieux que moi. » Explique-t-elle, en tournant la tête vers la jeune fille. Peut-être qu’un jour, on parviendrait à la convaincre de retenter ses anciens numéros mais… ça lui semblait si loin et si… compliqué. Elle était passée à une autre vie, et pour ça la métisse était assez pragmatique. La nostalgie ne faisait pas partie de son caractère. « Dans un cirque tu avais d’autres animaux ; les chevaux, les chiens, les lama, les chameaux aussi, des tigres et parfois des éléphants. Même si, je ne suis pas vraiment certaine que ces spectacles auraient perdurés, les animaux comme les tigres et les éléphants n’ont pas vraiment leur place dans cette vie-là. » Commente-t-elle, ensuite.

« Mais ça permettait, dans un sens, à faire découvrir d’autres animaux aux enfants. Tu es sûre de ne jamais en avoir vu ? Même toute petite ? » La questionne-t-elle ensuite. Quelques minutes étaient déjà passées et les chevaux étaient un peu remis de leur dernier trot. « Allez, on y retourne un peu… Cette fois-ci, reste en suspension sur tes étriers , on va trotter quelques minutes, galoper et puis on repassera au pas. Allons-y » Varier ainsi les allures travaillait autant le cheval que le cavalier qui sentait tous ses muscles travailler en même temps. L’amazone pressa les flancs d’Hypérion qui adopta une allure contrôlée, calquée sur le rythme de Chicco, et elles tinrent l’allure quelques minutes avant que d’un claquement de langue, Raina ne les pousse au galop, toujours l’une à côté de l’autre. Il aurait été mentir que de dire que de voir Soo aussi heureusement ne la faisait pas sourire.

Soo garda le silence, attentive, alors que Raina lui parlait de cette vie "d'avant", qu'elle n'avait pratiquement jamais connu.
C'était un peu étrange de penser que les gens faisaient des courses de chevaux, juste pour le plaisir ; ou qu'il y avait eu des spectacles où même des éléphants ou des tigres survivaient, juste pour qu'on les montre aux enfants.

Elle essaya de fouiller à nouveau dans sa mémoire, de se forcer à faire émerger quelques souvenirs, mais comme d'habitude, il n'y avait que le néant. A croire qu'elle n'avait pas de passé, qu'il n'y avait que son cheminement avec le groupe qui avait jamais compté dans sa vie.

Elle émit un petit soupir, souffla un bon coup, et se mit en suspension, docilement, sur ses étriers, dans une posture souple, à l'aise sur l'animal qu'elle appréciait tant, et qu'elle connaissait bien maintenant.
Et enfin, elle se lança au galop.

Le vent se mit à souffler dans ses cheveux, qui volèrent derrière elle comme un grand drapeau noir, et elle ne put s'empêcher de rire de joie. La jeune fille aimait la liberté procurée par cette ballade, cette impression de pouvoir aller jusqu'au bout du monde, et elle dédia, à nouveau, un sourire éblouissant de candeur à sa compagne.

- "On devrait faire ça souvent, Raina ! Ca change tellement du camp. Tu sais, je ne me souviens de rien à part du groupe, alors ma vie d'avant ne me manque pas. Mais ... peut-être que j'allais voir les tigres et les éléphants, ce genre de choses. Ça aurait été amusant qu'on se soit croisé avant."

La gamine eut un petit silence.

- "Tu te promènes souvent seule dans la région ? C'est quand même dangereux, mais c'est vraiment très beau. On voit que la nature reprend ses droits sur les routes et les maisons..."


Si Soo ressentait un peu de fatigue, elle n'en montrait, tellement elle se sentait excitée. Son regard sombre se promenait un peu partout, et elle profitait, simplement, de l'instant prévu.
Après tout, on ne savait pas ce que réservait l'avenir !