Quand Grant était venu la trouver avec ce vieux costume militaire un peu défraîchi, l’israélienne avait été un peu surprise - et surtout peu sûre d’elle-même sur sa capacité à lui redonner un peu d’éclat. Mais il croyait tellement en elle qu’elle lui avait promis de faire ce qu’elle pourrait avec les filles de la blanchisserie. Parce que oui, trois mois ici ne faisaient toujours pas de l’architecte une bonne couturière, elle apprenait encore - maladroitement - à rapiécer des vêtements, mais se contentait généralement de s’occuper des machines et du repassage, où elle se débrouillait mieux. Ses collègues pourraient probablement mieux qu’elle rattacher les épaulettes du costume de Grant.

Cecilia - l’épouse de son patron à la blanchisserie - avait pris un peu de temps pour lui montrer quelques astuces de couture, mais irrémédiablement, l’israélienne était plus douée avec un crayon qu’avec une aiguille. Elle avait fait de son mieux cependant et l’aide précieuse de ses collègues avait permis de rendre ce costume absolument splendide. Ela était justement en train de le pendre pour l’emballer proprement quand elle se fit la réflexion qu’il irait parfaitement bien à Grant pour son mariage. Il n’y avait plus qu’à se mettre en route pour l’amener au futur marié.

Sur le trajet qui la menait jusque chez le militaire, elle repensa à cette annonce soudaine du quinquagénaire. Il fallait dire que ce mariage semblait des plus précipités. Elle avait vu la nervosité dans les prunelles de son ami mais… mais aussi de l’impatience ? En tous cas, les propos que le militaire avait tenu au sujet de sa future épousée étaient élogieux. La précipitation de ce mariage n’était peut-être pas un si mauvais signe. Peut-être. Les choses n’allaient pas tout à fait au même rythme pour Luther et elle - c’était même tout l’inverse. Le mariage aurait lieu le plus tard possible - pour elle, du moins, compte tenu du délai qui lui était imposé pour trouver un parti. Le médecin et elle s’en seraient bien passé à vrai dire, si seulement tout n’était pas une question de lois et d’obligations. Au moins ne devraient-ils faire semblant qu’en société, et la compagnie de Luther loin d’être si désagréable qu’elle ne paraissait.

Elle est un peu en retard quand elle se présente chez Grant - parce qu’elle s’est d’abord trompée de rue, évidemment. Quand il lui ouvre, il l’accueille d’un grand sourire - l’oublier, lui ? C’est vrai que ça lui était déjà arrivé. Et elle rougit, légèrement honteuse. Elle allait pour s’excuser quand le militaire vint la prendre amicalement dans ses bras, avant de lui embrasser le sommet du crâne. Elle, elle reste figée dans cette étreinte, ayant encore beaucoup de mal à les accepter et à ne pas laisser son coeur s’emballer sous le coup de la panique. Mais c’est Grant, et il ne lui veut aucun mal. Alors, un peu mal à l’aise elle lui sourit quand même, à défaut de lui rendre ce geste d’affection inoffensif pour la plupart. « Désolée, je me suis encore trompée de rue en arrivant. » Puis elle lui tend le costume, précautionneusement emballé dans une housse fermée. Il est tout excité à l’idée de le découvrir, comme un enfant le jour de Noël. Il faut dire que ça l’adoucit un peu Ela, alors que l’instant d’avant, elle luttait contre la panique.

« Allons dans la salle à manger, je pourrais l’étaler sur la table. Ce serait dommage de le froisser. » Lui propose-t-elle avec prévenance. Elle l’accompagne ensuite dans la pièce, avant d’étendre la housse noire sur la grande table et de défaire la fermeture éclair, laissant le costume apparaître dans toute sa splendeur. « Je… J’ai fait ce que j’ai pu. Ce sont les filles qui ont recousu les épaulettes. Elles tiendront mieux que si c’était moi qui m’en étais occupée. » Lui expose-t-elle ensuite, un peu inquiète quand même que ce ne soit pas à la hauteur de ses espérances. « Alors, est-ce que ça te convient ? »

« Je… Eh bien oui. » L’israélienne était naturellement embarrassée, mais elle finit par deviner la taquinerie du blond à ses côtés et s’empêcher dès lors, de s’excuser platement. Outre ses problèmes de mémoire, il avait raison : elle ne sortait pas beaucoup de son district - mis à part pour livrer le linge. Même pour Luther, elle ne voyageait pas beaucoup de District en District, l’homme venait plutôt la rejoindre, ou la chercher quand c’était nécessaire. Elle eut un léger sourire - sa timidité non feinte, sa docilité et son extrême prudence faisaient un peu tâche à côté de la chaleur du militaire, mais Ela faisait de son mieux. En dépit de tout ce qu’elle avait subi aux mains de ses pairs.

Elle se montre même un peu enthousiaste à l’idée de lui présenter le costume qu’il lui avait demandé de remettre en ordre pour son mariage qui aurait lieu dans quelques jours à peine. L’arme en morceau sur la table la panique un peu, mais elle en fait rapidement abstraction - les vieux réflexes ont parfois la vie dure. Elle défait ensuite la housse et laisse son ami juger son travail d’amateur. Et il faut le dire, sa réaction dépasse les attentes de la brune qui rougit malgré elle. « Je, mais non je te jure c’est le même » Elle oscille un peu entre l’inquiétude et l’amusement. Sentiment complexe, alors qu’elle hésite malgré tout sur l’interprétation de la réaction de Grant quant à son travail. Il est parfait, Ela, merci. Elle souffle à vrai dire.

« Je suis soulagée que ça te convienne, j’avais peur de mal faire. » Dit-elle, sans lui cacher le soulagement que ses mots lui procurent. L’intention à Peyton ne lui échappe pas d’ailleurs. « Eh bien, je suis sûre que tu seras resplendissant dedans. Tu devrais peut-être l’essayer, pour voir s’il faut encore ajuster quelque chose. » Lui conseilla-t-elle néanmoins. Il ne leur restait que quelques jours, certes. Mais il aurait été regrettable que cette journée ne soit pas parfaite. Un mariage, cela restait important. Et vu le regard qu’avait Grant en pensant à sa fiancée, elle ne doutait pas qu’il espérait que tout soit parfait pour ce jour-là.

« Oh, je ne voudrais pas déranger. » Mais il ouvrait déjà un placard pour lui citer ce qu’il avait en réserve. Alors elle finit par s’adoucir et accepter cette invitation. « Alors, un jus de pomme serait parfait. » Lui dit-elle, finalement. Dans la suite logique, il l’invita à s'asseoir, en attendant d’être servie et les biscuits se retrouvèrent même sur la table, entre eux deux. « Merci, Grant. » Dit-elle, en prenant son verre. « Alors, tout est prêt pour le grand jour ? Peyton n’est pas trop nerveuse ? Je n’ai pas eu le temps d’apprendre à mieux la connaitre, mais elle m’a beaucoup aidée lors de la manifestation d’octobre, pendant l’épidémie. Elle a l’air d’être une bonne personne. » Elle ne pouvait que reconnaître la douceur et la candeur de cette jeune fille.Trop jeune ? Peut-être bien, à bien des égards d’ailleurs. Mais Ela n’était plus celle qui émettait ce genre d’opinion, même dans ses propres pensées.

« Elle-même ? J’aurai aimé avoir ce talent. Je suis sûre qu’elle sera radieuse. » Commente-t-elle, réellement impressionnée par les talents de la jeune femme. L’israélienne ne possédait pas ce genre de don, n’ayant jamais dû apprendre au cours de son ancienne vie, ce genre de pratique. Il fallait dire qu’elle était plus douée avec les mathématiques et son crayon qu’avec du fils et une aiguille. Néanmoins, le travail qu’elle avait fait avec le costume de Grant - épaulée par ses collègues - lui donnait un certain… sentiment de fierté. C’était à la fois satisfaisant et… triste, d’une certaine manière. Triste, pour une partie d’elle-même qui luttait encore contre la femme qu’elle était devenue en arrivant à Walla Walla. Mais c’est bien un sourire sincère et humble qui orne son visage, face à Grant.

« Je serai là, c’est promis. » Répond-elle avec cœur. Grant était une des premières personnes qui l’avait aidé à son arrivée - bien que leur première rencontre l’avait réellement terrorisée. Les traumatismes étaient encore si frais pour elle, que la vue de cette arme lui avait donné envie de partir en courant. L’homme avait semblé d’ailleurs savoir qui elle était réellement - d’où la méfiance à son égard aux premiers abords. Mais il avait rapidement changé d’attitude à son contact. Ela n’était plus rien de la dangereuse ennemie qu’elle était avant d’arriver ici. « Et si Peyton en éprouve le besoin, je suis sûre qu’elle saura où me trouver. » Elle en serait très honorée.

Elle était également reconnaissante pour la confiance dont il témoignait à son égard. « J’ignore si mon fiancé pourra se libérer par contre, il est médecin et fort occupé. Mais il ne verra aucun inconvénient à ce que je sois là pour vous deux » Ces mariages et réceptions qu’elle allait vivre seules n’était qu’un aperçu de la vie qu’elle allait mener aux côtés de Luther - absent la plupart du temps. C’était loin d’être un mal, en réalité. Ils ne se choisissaient pas par amour. Comme pour Grant et Peyton, leur mariage était arrangé. Mais l’issue serait moins romantique que pour les futurs époux. Ce mariage n’était pour eux qu’une façon de se protéger du système, et plus tard, de se protéger l’un et l’autre. « Parfois ces mariages arrangés ont des fins heureuses. Et je peux voir à ton sourire que cette jeune femme te touche réellement. » Dit-elle, avec bienveillance. « Et je sais que Peyton rougit instantanément quand il est question de toi, je crois que tu l’intimides un peu. » Dit-elle, toujours avec un doux sourire. Il faudrait qu’il prenne soin de cette jeune femme - elle est innocente, et par bien des égards naïve. Grant pouvait être un peu bourru sous certains aspects, elle l’espérait tendre avec sa future épouse.

Son verre servi et un petit biscuit déjà croqué, l’israélienne n’oubliait pas non plus pourquoi elle était là. « Il faudra vraiment que tu essayes le costume avant que je parte, d’accord ? S’il y a des retouches à faire, il faut qu’on puisse les faire à temps. » Ajouta-t-elle, malgré elle nerveuse à l’idée de bien faire les choses.