Pensif, ce sont les mêmes songes qui tournent en boucle. J’ai perdu Selene pour un geste comme celui-là. Et puis ma fille, quand ma colère s’est tournée contre Juliet. Et maintenant, Keira.

J’souffle un épais nuage de fumée, il rejoint la brume révélée par les rayons de soleil dans l’atelier. C’est mon refuge depuis la putain de réunion qui a tourné à la catastrophe. Quand j’suis pas là, j’essaie de m’occuper dehors. J’veux surtout pas croiser Peter.

“T’en penses quoi ?” que j’fais sans grand enthousiasme à Otis qui découvre mes toiles et les pans d’mur décorés. On en a commencé un récemment avec Keira dans l’idée de poser les caricatures de tous les membres de la faction. Keira est aussi sur plusieurs toiles, dessins et brouillons, même si elle n’a pas toujours de visage bien défini.

Partout, quoi.

J’soupire un nouveau filet blanc, au moins l’odeur de la peinture et de l'herbe me rassure. “T’as des nouvelles de… Lucy ?” L’nom a un peu de mal à sortir, et pas parce qu’il m’échappe, au contraire. J’détourne le regard, gêné. Elle était enceinte, la dernière fois que je l’ai vue. J’me demande si elle a accouché. Pour m'redonner un peu de contenance, j'lui tends le joint. "Tiens, ça t'fera du bien." Car le jeune père semble angoissé de se retrouver loin de sa progéniture, et j'peux que comprendre.

Otis garde toujours les stigmates de l’accident… Quand il a perdu le contrôle du camion, à la fête foraine, il s’est cogné fortement le haut du front. Plus de peur que de mal, heureusement que Derek a eu le réflexe de lui reprendre le volant… Dire qu’il a failli rouler sur ses amis ; en plus du reste… Les souvenirs de cette soirée le hantent toujours et les tocs n’ont jamais été aussi présents depuis plusieurs années.

« C’est magnifique. » S’émerveille-t-il pourtant devant les peintures de son ami. Au château, il a retrouvé Eli. Le jeune homme l’a poussé à venir visiter son atelier et il a fini par accepter. Au moins, il fait autre chose que de penser à Lucy… Il lui a fallu plusieurs jours avant de se décider à quitter sa chambre. Posté à côté du mexicain, il scrute avec attention les portraits peints par le graffeur. Puis, il tourne la tête vers Eli, un léger sourire aux lèvres. « Tu crois que je pourrais t’emprunter une toile et un peu de peinture ? Ça fait longtemps que je n’ai pas peint… On pourrait peindre quelque chose ensemble ? » L’idée lui plaît et ça lui ferait du bien, sans doute.

A la question suivante, le métis perd subitement son sourire. Il soupire doucement, n’en voulant pas à Eli de lui demander ça. Il répond d’une voix lasse « Mis à part le bref message que nous avons reçu, rien depuis… » Il ignore où se trouve la rousse, si elle va bien…

Quand Eli lui tend un joint, il hésite… Puis finalement, il le prend pour le porter à ses lèvres. Il inspire doucement, malgré ses précautions, il toussote légèrement. « Merci. » Dit-il simplement à son vis-à-vis.

“Ouais, grave.” que j’suis chaud pour lui passer de quoi peindre. “J’tends des toiles ici avec des tasseaux, on pourrait s’en faire une grande.” J’lui adresse un sourire, le pauvre a l’air tellement abattu. J’suis pas franchement mieux avec mes dernières conneries, mais on peut p’têtre s’entraider à garder la tête hors de l’eau.

Le sourire se pince quand il avoue ne pas avoir de nouvelles de sa famille. “C’est chiant, putain. Ma fille est loin d’ici aussi, c’est super angoissant de pas savoir c’qui se passe.” Je lui laisse le joint, tapote doucement le haut de son dos alors qu’il tousse - tant que ça finit par lui faire du bien. “Elle est bien entourée, j’suis sûr que ça va bien s’passer.” J’dis ça autant pour Lucy que pour Effy. J’espère vraiment que les membres des Gentle Bastards s’en sont tous sortis entiers. Que le message vienne d’eux, ça doit être bon signe, non ?

“J’ai très envie d’y aller.” Sur le ton de la confession. Et avec la disparition de Keira, j’hésite. Rester ici jusqu’à ce qu’elle revienne, ou m’aventurer au hasard - paralysé par le doute, j’fais du sur-place. J’souffle, “Si on s’terre tous chacun de notre côté, on leur laisse gagner du terrain en toute tranquilité, ça craint.”

« Ça serait cool, ouais ! » Otis laisse entrevoir une lueur d’enthousiasme. Peindre lui fera du bien, c’est certain. Il accorde un sourire sincère au graffeur, heureux de constater qu’il peut compter sur lui pour lui changer les idées.

Quand Eli parle finalement de sa fille, le métis ne cache pas sa surprise. « Oh… Tu as une fille aussi… J’savais pas. Elle a quel âge ? » Finalement, ils ont pas mal de points en commun. Mais le dessinateur ne tarde pas à ajouter « Toi au moins, tu l’as déjà vue, j’imagine… Moi… J’sais même pas à quoi elle ressemble. Je ne peux même pas aider Lucy… » Il soupire, ne pouvant cacher sa tristesse et son impuissance, encore une fois…

Il relève finalement les yeux quand l’autre reprend. Lui n’a pas le même avis là-dessus. « C’est… C’est trop risqué… Tu t’ferais tuer… » Qu’importe ce qu’il dira, il est bien conscient qu’Eli n’écoutera pas ses conseils. Mais il tente pourtant de le raisonner « Peut-être que c’est mieux de disparaître, un temps… Quitte à mieux s’organiser et leur tomber dessus quand on aura les moyens de se battre correctement… J’en sais rien… » A nouveau, il laisse échapper un soupire dépité, dépassé par la situation…