Hiver 2019

Passant au travers de la foule qui s'amasse, il me faut jouer des coudes pour me frayer un passage. Chacun semble obnubilé par ce qui se passe au milieu de la salle de réception alors que plusieurs Trônes ont fait irruption dans la soirée. Je m'agace de la situation, détestant avoir à forcer toutes ces personnes à se pousser pour me laisser passer. Ne se rendent-ils pas compte de qui je suis ? De qui est mon mari ? Quelle bande d'idiots.

Pourtant, je laisse bien vite de côté mon ressentiment lorsque mon regard se pose enfin sur la personne que je cherchais. Addison. Sa mère est actuellement au cœur de cette mascarade venue interrompre les festivités. J'ose à peine imaginer dans quel état d'esprit la jeune femme doit se trouver. Pendant longtemps, j'ai lutté pour essayer de lui ouvrir les yeux et lui faire prendre conscience qu'elle était manipulée par cette odieuse vieille femme. Une véritable sorcière, méritant certainement ce qu'elle est en train de vivre. Après tout, j'ai entendu parler des raisons de cette arrestation. Des accusations graves et un sort funeste l'attendant au tournant.

J'attrape le bras de la blonde et l'attire avec moi à l'écart, non sans lancer quelques regards en arrière par-dessus mon épaule pour m'assurer que nous ne soyons pas suivies. Dis-moi que tu n'as rien à voir avec tout ça. Qu'elle n'est pas parvenue à te manipuler à ce point. Les sourcils froncés, mon expression est sévère même si elle cache en réalité une certaine pointe d'inquiétude. Je connais cette fille depuis plusieurs années maintenant, depuis le début de l'apocalypse ayant ravagé le monde. Et il est possible que je sois parvenue à m'attacher à elle, d'une certaine manière.

Un soupir m'échappe, je me redresse légèrement et viens coincer une mèche s'étant échappée de ma coiffure derrière mon oreille. Ta mère est sujette à des accusations très graves. Si tu es liée à quelque chose qu'elle a pu faire, si tu as été impliquée, il faut impérativement que tu me le dises. Maintenant. Ai-je l'espoir de pouvoir faire quelque chose pour elle ? Je n'en sais rien. Pourtant, il me faut connaître la vérité. Je refuse d'imaginer qu'elle ait pu participer à de telles choses.

Parfaitement agacée par cette situation, je ne peux retenir un claquement de langue alors que les balbutiements de la blonde me parviennent. Une nouvelle fois, je lance un regard par-dessus mon épaule et parviens à repérer Adam dans la foule. Jamais je n'ai été aussi heureuse que mon mari ait pu se libérer pour assister à un événement mondain à mes côtés. Son quotidien de Général l'oblige à devoir mettre de côté ce genre d'apparitions pour remplir ses devoirs. Quoi qu'il en soit, il est présent ce soir. Et c'est la seule chose qui m'importe.

Nous n'avons pas besoin d'échanger le moindre mot, une œillade suffit pour que l'on se comprenne. Et d'un simple geste, il ordonne au Trône qui se dirigeait auparavant vers la fille de la meurtrière de s'écarter. Bien. Cela devrait nous faire gagner de précieuses minutes. De fait, je peux à nouveau reporter mon attention sur Addison. Mon expression est toujours aussi dure alors qu'elle semble totalement perdue. Comme une petite barque fragilisée par des vagues trop violentes et ballottée au large en plein milieu d'une tempête. Elle n'a pas les épaules pour gérer une telle chose. Raison pour laquelle j'ai toujours prôné son besoin d'émancipation envers sa mère. Une personne toxique, dont les agissements trouvent aujourd'hui conséquences.

Il faut que tu me dises la vérité, Addy. Il n'y a que comme ça que je pourrai essayer de t'aider. Elle est l'unique personne pour laquelle je tenterais une telle chose. Aller braver les lois de New Eden ? Très peu pour moi. Je tiens bien trop à mon titre, à mes privilèges. J'ai beaucoup sacrifié pour parvenir jusqu'ici et je refuse de tout perdre sur un mensonge.

D'un geste rapide, je viens glisser mes doigts sur mon visage tout en m'autorisant une grande inspiration. Ce n'est en rien le moment de perdre mes moyens. Si tant est que cela soit possible. Céder à la panique ne fait pas partie de mes habitudes et cela ne le deviendra certainement pas ce soir. Les yeux rivés dans ceux de la blonde, je finis par faire descendre la main précédemment placée sur son bras jusqu'à sa paume pour la saisir. Tu risques gros s'il s'avère que tu as un quelconque rapport avec ce qu'a fait ta mère. La complicité d'homicide volontaire n'est pas pardonnée, et tu le sais. Viens, suis-moi. Il me faut l'éloigner de l'agitation, lui permettre de reprendre ses esprits afin qu'elle puisse m'expliquer tout ce qu'elle sait.

Cette situation paraît tout bonnement improbable. Comment avons-nous pu passer d'une réception tout ce qu'il y a de plus habituelle à une véritable tempête de révélations et autres accusations ? Je refuse de m'imaginer que Addison puisse avoir quoi que ce soit à voir avec cette histoire. Je la connais depuis plusieurs années maintenant et sais pertinemment qu'elle est incapable d'une telle chose. Peut-être est-ce vil de ma part de lui servir si crûment la vérité. Mais c'est un mal nécessaire, afin qu'elle prenne conscience de la gravité de sa situation ainsi que de celle de sa mère.

Emmenant la blonde à l'écart, je surveille nos arrières avant de fermer la porte à clé derrière nous. Heureusement que celle-ci était présente sur la serrure car il s'agit d'un vestiaire où se retrouvent parfois certains couples au cours des soirées. Bref, ce n'est en rien le sujet. Le discours servi par la jeune femme ne me surprend guère. Cependant, un détail attire mon attention. Fronçant les sourcils, je plante à nouveau mon regard dans le sien. Un dîner ? Quand ? Est-ce que cela s'est produit peu de temps avant le décès de Wallace? Un empoisonnement, évidemment. Il s'agit certainement de la manière la plus simple de mettre fin aux jours de quelqu'un en espérant s'en sortir indemne.

Pestant dans un murmure à peine audible et dans ma langue natale, je me passe une main dans les cheveux avant de prendre une grande inspiration. Ce n'est pas le moment de perdre mon sang froid. D'autant plus lorsque je me rends compte des larmes présentes dans les yeux de Addison. Délicatement, je viens glisser ma main sur sa joue et essuie une larme ayant roulé sur celle-ci du bout du doigt. Ne pleure pas. Tu dois être forte. Ils vont très certainement vouloir t'interroger pour savoir si tu as quoi que ce soit en rapport avec toute cette histoire.

Suis-je réellement en position de lui faire prendre conscience de l'aspect putride de l'âme de celle qui lui a donné la vie ? J'ai bien peur que non. J'aimerais me montrer utile, mais je crains de ne pas pouvoir l'être autant que je le souhaiterais dans la situation actuelle. Reprenant mon calme – que je n'avais que très peu perdu, il faut l'avouer – je réfléchis quelques instants avant de revenir vers Addison. Je vais faire tout mon possible pour te protéger. Mais je ne peux pas entraver les enquêtes qui doivent être menées. En attendant le procès de ta mère, tu viendras vivre chez moi. Je sais malheureusement que cela ne sera que temporaire. Elle devra certainement, en tant que célibataire, devoir rejoindre les appartements du District 5 à terme.