Quand on m’a demandé de faire des échantillons, je dois avouer que je n’ai pas compris tout de suite pourquoi. On ne me demande jamais d’en faire. Du moins, pas depuis 2015. À l’époque, le but était de pouvoir vendre au-delà des particuliers. Pas de là à devenir traiteur mais à pouvoir faire quelques grosses commandes qui, à l’époque, n’étaient jamais de refus.

Dans le contexte actuel, faire des échantillons pour un évènement du district 2 paraissait presque irréaliste. Je ne suis jamais allé dans un district autre que le 4 et le 3 pour aller voir Mason ou Elijah. Ce qui fait que… je ne sais même pas si je dois me conduire de façon différente. Je n’ai pas envie de me faire rentrer dedans parce que j’aurai dit un truc qu’il ne faut pas. C’est bizarre mais je les vois comme des cons, pour la plupart. Enfin, des snobs qui écrasent les autres seront probablement un meilleur vocabulaire puisqu’il faut être un minimum intelligent pour grimper les étapes, je suppose. Enfin, je m’en fiche un peu de la façon dont les gens atterrissent au district 1 ou 2. Tant que je n’ai pas de problèmes frontaux avec eux, j’estime que ça va. Je préfère faire les coups en douce pour éviter d’être le premier à passer sous le fouet. Ou que les personnes que j’apprécie passent sous le fouet. Tout est relatif.

Enfin, rien de négatif dans l’immédiat, mon collège m’a ouvertement laissé en plan pour faire les préparations, mon patron s’en bat l’œil de savoir ce que je fabrique. J’ai un peu l’impression d’être tout seul dans ma connerie, finalement. Ce qui est génial. Réellement génial. J’aime mon métier et je pourrais passer ma journée à le faire, au fond. Mais devoir me démerder tout seul, ce n’est pas vraiment la joie quand je n’ai pas plus de directive que ça. J’ai vu ce que la mairie réclame en termes d’échantillons et ce n’est pas bien compliqué. Mais ça sort quand même de ce que je fais tous les jours.

À mi-chemin de la mairie, je me repère enfin sur le chemin. Je ne suis jamais allé dans le district 2 et j’ai dû me perdre finalement deux ou trois fois. J’ai dû embêter quelques personnes sur le chemin pour m’assurer que j’étais sur la bonne voie. Certaines ne m’ont pas répondus et d’autres ont été plus qu’aimable. Ce qui redonne un peu fois en l’humanité si j’oublie l’impression de privilégier que je ressens à chaque fois que je regarde quelqu’un. Normalement, je ne m’ennuie pas et je fourre tous dans un sac, ou dans mon sac pour plus de facilité. Mais non, on m’oblige à utiliser des boites que je juge clairement peu solide pour ce que je porte. Est-ce que ça ennuie le monde ? Bien sûr que non vu que c’est moi qui porte.

J’ai un peu l’impression d’être dans un autre monde, finalement.

La mairie enfin attente, je regarde les portes. Ouais… il me manque des bras. Merde. Je vais galérer. Ok, ne rien faire tomber et ouvrir la porte. Objectif premier. Je mets en équilibre les deux boites sur mon bras gauche pour presser la poignée de la porte, je pousse ensuite à l’aide de mon dos pour entrer dans la mairie. Eh bah putain. Mes yeux s’attardent sur la décoration. Des années que je n’ai pas vu une mairie et j’ai l’impression de revenir en arrière. Ce qui est aussi positif que négatif. Je me dirige vers l’accueil.

- Bonjour, je m’excuse de vous déranger. On m’a dit de venir voir Madame Ben Ami. C’est pour des échantillons de la boulangerie du District 4. Je suis probablement un peu en avance…

D’une quinzaine de minutes disons. Dire que j’avais prévu de me perdre n’est pas forcément obligatoire. Mais j’ai bien fait, au fond. J’ai un bon sens de l’orientation en forêt. En ville, ce n’est pas pareil alors que ça devrait être plus simple. Assez ironique. Je tourne la tête vers les chaises pour patienter. J’ai l’impression de faire la queue pour ma carte d’identité, c’est fou. Je hoche la tête, un simple merci avant d’aller m’asseoir. Je pose les boites à côté de moi. Peu de risque que ça tombe au sol, hein.

On toque doucement à la porte de mon bureau et instinctivement, mes yeux trouvent la petite horloge sur l’un des meubles de la pièce. J’ai un petit sourire qui étire mes lèvres. Mon rendez-vous est d’avance. Bien. Je me lève de mon siège et vais répondre. L’on me confirme l’évidence et je quitte mon bureau pour aller chercher le jeune homme qui m’attend à l’accueil.

Je lisse ma robe marine pour éviter tout pli, passe ma longue chevelure sombre par-dessus une épaule et révise dans mon esprit les différentes demandes de mes clients. Le bruit de mes escarpins résonne doucement dans le grand hall de la mairie et mon regard se pose immédiatement sur la personne avec des boites.

- Bonjour Monsieur. Je suis Mme Ben Ami, enchantée. Je tends une main pour me présenter. Vous devez être l’employé de M. Davis. Si vous voulez bien me suivre. Je lui offre un beau sourire pour l’encourager, même si mon ton aimable doit être suffisant.

Il n’est pas question que je porte quoi que ce soit cependant, mais je veux bien retenir les différentes portes pour l’aider jusqu’à mon bureau. Il y a un peu de mouvement dans le bâtiment aujourd’hui, le printemps approche et les urbanistes s’activent de nouveau, comme sortant d’une hibernation forcée. Nous arrivons néanmoins sans mal à destination et une fois la porte refermée derrière nous, j’invite mon invité à prendre place sur l’un des fauteuils confortables.

- Vous pouvez disposer des boites sur la table basse. Celle qui nous sépare, alors que je m’installe face au boulanger. Souhaitez-vous une tasse de café, de thé ? Ou un peu d’eau ? La politesse avant tout. J’ai appris bien tôt qu’il valait mieux bien traiter les fournisseurs si l’on voulait de la qualité.

Je lui servirai le breuvage de son choix bien entendu. C’est ce qui est attendu d’une femme ici…

- Donc ! Nous avons un petit événement au District 2, un brunch plus spécifiquement. Mon patron a déjà fait affaire avec le vôtre et souhaitait obtenir un nouveau menu de sa part. Pâtisseries et différents pains. Nous allons donc voir ce que vous avez préparé et nous pourrons sélectionner ce qui conviendra pour le brunch. Je vous laisse me présenter vos confections.

Toujours avec un sourire, j’attrape mon carnet et mon stylo. Je pourrai bien détailler le tout à mon patron, mais soyons honnête, c’est moi qui prends les décisions.

Je n’attends pas énormément. Une minute tout au plus avant de voir une brune sortir d’un bureau pour s’approcher. Je me redresse finalement avant qu’elle ne m’atteigne. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas eu à faire ça. Pas être poli mais à devoir faire attention à tout pour pouvoir vendre quelque chose. J’ai presque l’impression de ne plus vraiment savoir comment faire. Les boites encore à ma droite, je serre la main de la jeune femme avant de sourire.

- Evan Jensen. Je suis content de vous rencontrer aussi, Madame Ben Ami. Oui, je suis désolé, je suis en avance, j’espère que je ne vous ai pas pressé.

Le but n’est pas non plus de la faire courir à droite et à gauche. Je me tourne pour pouvoir récupérer les deux boites présentes sur la chaise. Aller, Evan. Quelques mètres sans se casser la figure. Je peux y arriver. Durant le court trajet, heureusement, la jeune femme m’aide avec les portes et un sourire suivi d’un merci sort de ma bouche à chaque porte. Heureusement qu’il n’y a pas trente portes où ça risque d’être redondant. Je dépose les boites sur la table basse, côté à côté pour éviter de continuer à tout écraser.

- Je veux bien de l’eau, merci.

Je m’assois finalement et j’aurai aimé que Davis me prépare un peu plus à ce genre d’entretien. Mais je ne risque pas grand-chose. Hein. Je crois. Je suppose. On verra. Je sais qu’il s’agissait d’un brunch. Et c’est déjà pas mal comme information. J’aurai aimé avoir l’ancien menu pour ne pas refaire la même chose.

- Aucun problème. Dépendant des goûts des restrictions alimentaires de chacun, la plupart des recettes peuvent être adaptées alors il ne faut pas hésiter à demander s’il faut changer quoi que ce soit.

Évitons l’empoisonnement quelqu’un. Quoi que, ça pourrait être  utile. Mais ce n’est pas le but de la manœuvre dans l’immédiat. Je récupère l’une des boites pour pouvoir l’ouvrir et tourner celle-ci en face d’elle. Merci les boites avec compartiment où tout se serait cassé la figure.

- Dans cette boite, vous avez tout ce qui est pâtisserie. Je pense que des petites portions seront plus appropriées que de grosses pâtisseries.

Surtout que gouter à tout reste plus intéressant que d’avoir un gros truc au milieu qui, finalement, ne plaira pas à tout le monde. Enfin. Je pointe finalement la première rangée.

- Sur la première rangée, vous avez plusieurs types de macarons. Il y a des goûts plutôt classiques puisque les macarons ont tendance à être fort sucré. Vanille, chocolat et des plus fruités, donc fraise, framboise.

Même sans colorant alimentaire, il est plutôt simple d’avoir la couleur. Et c’est ce que j’adore. Les fruits ont pas mal de couleurs propres alors s’en servir est d’une simplicité sans nom. Sans compter que New Eden regorge de fruit et c’est le pied pour préparer quelque chose.

- Sur la seconde, vous avez des beignets aux pommes ainsi que différents donuts avec des goûts identiques aux macarons. Pour les plus classiques, il y a toujours ce qui est pain au chocolat et croissant en miniature.

Parce que ça reste des choses que tout le monde aime manger en temps normal. Moi, le premier, d’ailleurs.

Excellent. Cette petite précision concernant les allergies ou les modifications me satisfait. Le tout n’est pas gagné pour ce Monsieur Jensen, mais cela est encourageant d’entendre cette flexibilité dont il est prêt à faire preuve. Il veut ce contrat. Il vaut mieux qu’il l’obtienne de toute façon vu les gens qui nous ont offert ce celui-ci.

Il ouvre, puis tourne chacune de ses boites dans ma direction. Je pose les yeux sur les différentes pâtisseries et viennoiseries qui apparaissent soudainement à moi, puis rapidement Monsieur Jensen m’en fait la présentation.

- Oui, bonne réflexion. Je commente tout en ne détachant pas mes yeux des produits.

De petites portions sont moins salissantes surtout et permette de les manger avec plus d’étiquette. Les macarons sont toujours un choix sûr, il me faudra peut-être lui demander des saveurs plus gastronomiques que vanille ou chocolat cependant. Beignets, croissants et pains au chocolat. J’ai une petite moue quant à ce fameux chocolat. De nos jours, il n’est plus très frais il faut dire. Tout comme la vanille.

- Quels seraient nos choix de saveurs pour remplacer le chocolat ? Un peu d’érable ? De la pâte d’amande ? À moins que vous ayez un peu de café en stock ou d’agrumes ? Je suis consciente que ce sont des ingrédients assez rares, mais nous desservons des gens exigeants. Peut-être des pêches conservées dans le sirop pourraient être les bienvenues dans la confection de certaines pâtisseries. Ou peut-être une mousse ? Qu’en pensez-vous ? Le tout est de surprendre et d’offrir quelque chose de haut de gamme, vous comprenez Monsieur Jensen ?

Je me tais et commence à gouter certains des macarons aux fruits.

- Ceux-ci seront parfaits. Je ne touche même pas aux vanillés ou chocolatés qui reposent dans la boite. Les croissants assurément aussi. J’attrape un beignet aux pommes et en prendre une toute petite bouchée pour y gouter. Ces beignets-ci également, mais nous allons changer les autres pour des saveurs différentes.

Je tente les pains chocolatés et hoches lentement de la tête. Ce n’est pas un gout désagréable bien entendu. Je suis persuadée que plusieurs apprécieront grandement et je ne souhaite pas être trop sévère dans mes choix. Après tout, ce n’est pas chaque habitant aisé de cette ville qui a connu les œuvres gastronomiques du temps d’avant. Je dois aussi les satisfaire dans leurs goûts plus… rudimentaires.

- Les pains au chocolat me vont également. Pour le reste, j’aimerais entendre de vos propositions s’il vous plait.