Un dernier regard à la machine à café alors que le liquide s’égoutte tranquillement et Yuan vérifie une nouvelle fois que la cuisine est impeccable. Non pas qu’il soit particulièrement maniaque, mais il tient tout de même à faire une bonne impression et à ne pas laisser à penser qu’ils vivent dans une porcherie. Comme supposé, tout est bien rangé et le plan de travail est rutilant. Il faut dire que lui-même ne mange pas assez souvent ici pour vraiment créer du désordre. Il ne saurait pas le dire pour Swann, mais le jeune homme n’a jamais fait de vagues depuis son arrivée sous son toit.

Et Yuan a pris le temps d’apprécier cette colocation, même s’ils ne passent pas vraiment de temps ensemble. Au moins, ils ne s’engueulent pas et aucun d’eux ne rend la vie de l’autre impossible. Un excellent compromis, surtout que la maison était beaucoup trop grande à son goût pour une seule personne. Alors, l’idée de proposer à une autre personne de se joindre à eux s’est faite tout naturellement.

Silas est arrivé il y a quelques semaines et semble intéressé. C’est pour ça qu’il doit passer incessamment sous peu, histoire qu’ils puissent voir s’ils peuvent être raccords et l’accepter dans leur garçonnière.

Yuan relève la tête alors que Swann entre dans la cuisine, non sans lui adresser un mince sourire. « Je sais, je vais probablement passer pour un maniaque. Mais au moins, ça donnera un peu le ton et il ne pourra pas dire qu’il n’est pas au courant. » Tout comme il se fera rapidement une idée du caractère de l’adolescent qui ne cache pas vraiment ne pas être tous les jours facile à vivre. Sauf qu’ils ont trouvé leur équilibre. Reste à voir comment ça va se passer avec le nouveau venu.

Ce n’est en rien une surprise pour Swann de voir Yuan s’activer autour de la maison pour que la moindre pièce de la petite baraque qu’ils occupent depuis un petit moment maintenant brille de mille feux. Le quarantenaire semble prendre très au sérieux ce futur emménagement que l’adolescent prend plutôt avec légèreté. C’est pas la première fois qu’on leur annonce que quelqu’un risque de les rejoindre, c’est pas non plus la première fois que cette personne finit par s’en aller ailleurs. Si Yuan s’amuse à vouloir offrir un semblant de luxe à ce Silas, Swann lui… s’en cogne un peu. Non pas qu’il est dérangé par la possible idée que les deux hommes soient rejoints par un autre, mais… il s’en fiche simplement. Qu’est-ce que ça pourrait bien faire qu’il y ait une assiette ou deux dans l’évier, qu’un grain de poussière traine sur le parquet ou que des chaussures trainent dans l’entrée…

Yuan nettoie, Swann traine. Cloitré comme rarement dans sa chambre avec l’un de ces bouquins qu’il a ramenés de la bibliothèque, il s’accorde une petite pause après une session de lecture des plus détendues, souvent interrompue par des dizaines de regards curieux lancés à travers la fenêtre de sa chambre à chaque allées et venues devant chez eux…

« Tu sais qu’tu risques surtout de le faire fuir, hein… ? » répond-il à son colocataire en faisant son entrée dans la cuisine, se dirigeant déjà vers la machine à café que Yuan a eu la gentillesse d’allumer. Le futur adulte tend le bras pour attraper trois tasses dans le placard par-dessus le plan de travail pour les déposer sur le comptoir, à l’exception de la sienne qu’il pose près de l’appareil pour s’en servir un. « C’est pas comme si c’était toujours ultra propre, de toute façon. Si j’étais toi, j’aurais rien changé… p’têtre que ça lui paraîtrait encore plus accueillant. » qu’il lui dit sans trop de ménagement dans un sourire des plus légers, avant de s’adosser au plan de travail avec sa tasse à moitié remplie, les bras presque croisés. Dans un regard porté sur l’horloge, il bouge les lèvres. « Il est censé bientôt arriver ? »

Est-ce ambitieux de son pointer avec son sac, qui contient littéralement toute sa vie, alors qu'il ne sait même pas qui sont les gens chez qui il va peut-être habiter ? Probablement. Sûrement, même. Mais Silas se connaît, a passé une grande partie de sa vie en collectivité, et il sait que si le courant ne va pas forcément bien passer, il ne pourra pas mal passer non plus. Il est conscient qu'il ne va pas retrouver l'ambiance du baraquement qu'il occupait avec ses gars, mais, il espère qu'il pourra au moins un peu déconner avec ces gens là. Il ne sait pas grand chose des deux types ; leur âge, leur origine ; rien du tout, si ce n'est, leurs noms. Et encore.

Il s'avance sous la pluie, qui dégouline le long de son chapeau de brousse et la housse étanche de son énorme paquetage, alors qu'il tâche de se souvenir de cette information qui pourrait s'avérer utile. Mais il abandonne vite, puisque, de toute façon, ils passeront forcément par l'étape des présentations. Alors, c'est assez sereinement qu'il finit devant la porte, à laquelle il toque sans tarder. Non pas que la protection relative du porche est relative ; mais c'est qu'il a hâte d'être au chaud et pouvoir se poser. Mine de rien, son arrivée ici n'a pas été de tout repos.

Alors que la porte ne tarde à s'ouvrir, il s'apprête à adopter une posture détendue ; il glisse un pouce entre sa ceinture et son pantalon cargo, alors que l'autre va divaguer un instant dans le vide, cherchant l'appui de la crosse du pistolet qui ne l'a quasi-jamais quitté depuis six ans, et qu'il ne parvient pas à trouver. Il brasse l'air un instant comme un demeuré, avant que sa main adopte finalement la même position que l'autre en venant se reposer sur sa ceinture. Il n'a pas le temps de s'apitoyer sur son sort et de la vulnérabilité que lui afflige le fait d'être désarmé qu'il ne tarde à se présenter d'un ton tranquille et détendu :

" Hey. Silas " il tend une main d'un geste franc, avant de demander d'un geste s'il peut entrer. Il s'avance alors, mais s'arrête net quand il voit l'état de propreté de la maison. Lui est dégoulinant, alors, il annonce directement : " Si j'commence à tout dégueulasser, j'crois qu'ça va pas l'faire " il se défait de l'armature rigide de son sac, qu'il pose à l'extérieur à l'abri du porche, accroche son chapeau et sa parka au premier porte manteau qu'il trouve, et prend la peine et le soin d'enlever ses chaussures boueuses avant d'être tout à fait prêt à rejoindre ses hôtes.

A la remarque de Swann, il se contente de lever un sourcil, non sans effacer une tâche visible de lui seul. Possible qu’il le fasse suivre, mais c’est comme ça, c’est dans sa culture, son éducation. Tout doit être impeccable, en ordre. Pour montrer qu’ils sont de bons hôtes. Probablement une question d’orgueil mal placé que Yuan assume totalement. A la remarque de son cadet, il a tout de même un sourire en coin et il souffle, d’un ton amusé. « Ce n’est pas le moment de dire que ce n’est pas forcément grâce à toi n’est-ce pas ? » Une petite pique à laquelle il est habitué depuis le temps. Si Yuan est maniaque, il ne demande pas aux autres de l’être.

Et, au moment où il demande quand leur éventuel colocataire doit arriver, voilà qu’on toque à la porte. Yuan lève un index et esquisse un sourire. « Et bien, tu l’as invoqué on dirait. » Il s’éloigne pour ouvrir, non sans papillonner des cils quand il voit le nouveau venu essayer de… prendre une arme imaginaire ? Peut-être. Difficile à dire. Enfin, il ne compte pas s’appesantir là-dessus et il souffle, avec sa politesse habituelle. « Yuan. Bienvenue. » Voir les gouttes d’eau dégouliner sur le sol immaculé ne lui arrache qu’un trait léger tic au niveau des lèvres, mais il s’abstient de tout commentaire, se contentant d’un regard d’avertissement direction de Swann, qui ne manquera pas de relever ce qui sera probablement à ses yeux une bonne blague, lorsqu’il entraine le nouveau venu à la cuisine. « Je vous présente Swann. Swann, voilà Silas. » Et il désigne une des tasses de café, curieux de voir comment son jeune colocataire va lancer les hostilités.