Début février 2022

Il lui avait laissé quelques jours. Après ses mésaventures à lui, il se souvenait qu'il lui avait fallu ce temps de repos pour retrouver pleinement ses esprits. Il y avait tant à dire. La russe avait quitté Fort Ward de longs mois auparavant. Ils s'étaient promis de se tenir informés, de communiquer. C'était arrivé une fois seulement, avant l'été. Le silence était venu de Stan d'abord, alors qu'il était présumé mort, que Fort Ward pansait ses plaies. Puis de Roza ensuite tandis que le No Man's Land coulait…

Il s'était glissé dans le dispensaire, là où il l'avait en quelque sorte rencontrée quelques années auparavant. Il n'éprouvait pas de rancœur alors que son départ l'avait laissé amer. Trop heureux de la savoir revenue.

- J'te réveille pas ? Lui glissa-t-il en pénétrant dans sa chambre. Comment tu t'sens ? requinquée ? Ils t'ont laissée t'reposer ? Ils, c'était les autres. Ses amis - et Roza en avait beaucoup - notamment.

Elle avait encore un visage fatigué. Il ne savait quasiment rien de ce qu'elle avait traversé dernièrement. Il avait seulement compris qu'elle était seule sur les routes depuis un moment.

- Ça s'est pas vraiment passé comme tu l'espérais hein, déclara-t-il, probablement un peu navré pour elle. Beaucoup moins pour lui. Ce n'était pas vraiment une question. Y a pas d'jugement, j'te rassure. J'ai pas eu l'contrôle ici non plus… Alors il lui épargnerait des "J'te l'avais bien dit".

Ses yeux fatigués stagnent sur cette épaisse fissure au mur, elle est nouvelle, certainement une des nombreuses conséquences de l’assaut aérien lancé par ces fanatiques. Un spectacle auquel elle n’a pas pu assister, ce jour-là, son seul constat s’est arrêté au défilé des avions au-dessus de Seattle chargeant sur cette île. Son imagination a fait le reste, transformant alors ces nuits en angoisse quant au devenir de ses… amis.

La voix du jeune militaire la sort néanmoins de sa torpeur, dans ses songes, elle ne l’a pas entendu venir et pose instantanément la main sur son cœur qui a décidé de battre plus vite qu’il ne le devrait. “Stan’...” Marmonne t-elle du bout des lèvres dans un soulagement certain. “Je pète le feu ouais.” Souligne-t-elle avec ironie dans un faible sourire à hauteur de sa fatigue.

Ça s'est pas vraiment passé comme tu l'espérait hein. Boom, les deux pieds dans le plat, quel homme, fidèle à lui-même, quoique, un peu plus direct que par le passé, non ? “C’est ça…” Putain c’est même exactement ça et ils n’ont pas eu besoin d’échanger pour en venir à cette conclusion qui tient désormais de l’évidence, enfin, à les entendre. “Tu avais raison.” Confesse-t-elle du bout des lèvres sans insister plus qu’il n’en faut, il avait raison, elle le reconnaît sans mal pour s’être mangée un mur en pleine face, une puissante claque où elle a ravalé toute sa désillusion en un rien de temps et non sans repenser aux mots du militaire.

“J’te croyais mort.” C’est soufflé avec reproche et soulagement à la fois, un juste milieu entre les deux. “Tu étais où ?” Cette fois, pas la moindre once de reproches dans le ton employé, un simple besoin de se rassurer et au fond d’elle, elle se doute qu’il a manqué leur rendez-vous pour une raison qui le dépassait complétement, quelque chose de gros, peut-être même, de tortueux...

Il attrapa la chaise qui se dressait près du lit de la russe par le dossier pour la positionner à sa guise et s'y asseoir. Il n'était probablement pas le premier à venir ici.

- J'étais mort, ouais. Tout l'monde l'a cru ici. Une mission un peu osée à Glenwood qui a mal tourné, expliqua-t-il. Il était inutile de détailler, Roza savait exactement quels risques son ami prenait parfois. Et auxquels il les exposait tous aussi avec lui. C'était en août, juste avant qu'ils attaquent ici. Il la laissait faire le lien toute seule, comme une grande. On a été fait prisonniers, avec Logan, Karl, Spencer. Des compagnons de sortie qu'elle connaissait évidemment pour avoir aussi été très active dans le camp. Ça n'a pas été joli-joli et on allait être exécutés. Avec Lolo, les autres étaient déjà… morts. Il se garde toutefois d'énoncer le mot  tout haut. C'est juste par un coup d'bol monumental qu'on a réussi à sortir d'là. Mais derrière on a été am'né dans une communauté au sud, qui fait dans l'combat d'gladiateurs ou c'genre. Sale aussi, crois moi. On est resté un moment coincés là-bas. Il haussa une épaule.

Il ne savait pas si la russe connaissait les Oblivions et imaginait que ce n'était pas le cas. Après tout, Portland était loin…

Faiblement, elle vient puiser dans le peu de force qu’elle venait de récupérer pour se redresser sur le lit et caler son dos contre le mur. Position plus enviable pour tenir la conversation. Pointe d’orgueil aussi, loin d'elle le désir de  passer pour une faible littéralement clouée à son lit.

Une mission à Glenwood ? Ça fait loin… en août ? Ouais, elle fait rapidement le lien avec l’attaque mais le coup des gladiateurs, là, il l’a paumé. C’est quoi cette histoire au juste ? La surprise déforme rapidement ces traits avant qu’elle ne s’aventure à enchaîner les questions : “Des combats de gladiateurs ? Genre comme à la Spartacus et tout ? Tuer ou être tué ?” Putain quel destin peu enviable, faut être vraiment barge pour se divertir de ce genre de spectacles, ça lui file des frissons. “Au sud… C’était où exactement au sud ?” Son petit tour de l’état à la recherche des Remnants remonte bien à plusieurs années maintenant et elle est bien curieuse d’obtenir un nom de ville, voir si elle a loupé cette communauté où si il s’agit peut être d’un groupe de nomades.

“P’tain, ça a dû vous secouer… tu… tu es sûr que ça va ?” Elle a besoin de l’entendre, vraiment besoin et si il n'y avait pas autant de distance entre eux deux, elle aurait posé sa main sur son épaule pour donner plus de poids à sa question. À défaut de pouvoir le faire, elle serre juste le poing.

- Ce genre ouais… à t'foutre à poils et t'coller des sprinters à tabasser… Avec des gradins remplis d'gens, une foule en délire, qui s'délecte de ça.

En en parlant, Stanley réalisait à quel point les deux mois qu'il avait passé chez les Oblivions étaient réellement fous. Qu'il en soit sorti vivant surtout. Il cherchait dans ces combats, ces mises à mort auxquels il avait assisté, participé, les raison de ses troubles actuels, mais il ne trouvait pas. Survivre, combattre, c'était sa vie depuis le début de cette apocalypse. Roza pouvait le comprendre. Il haussa les épaules.

- C'est pas pour les nuls, c'est sûr. Logan m'a sauvé la mise quelques fois. T'aurais eu tes chances aussi. Au contraire de la plupart de ses connaissances. Et puisqu'elle partageait le même sexe, l'image de la Guêpe s'imposa à lui un court instant. A Portland. Même. dans l'centre. Ils sont des milliers aussi ces tarés, glissa-t-il avec une moue désabusée. Au moins ses histoires avaient le mérite de changer les esprits de son amie.  Ça va, ouais, t'en fais pas.

Il la regarda dans un sourire. C'était un mensonge, il n'avait pas été aussi mal dans sa vie depuis… toujours.

- Tu veux parler d'c'qui t'es arrivé ?