Athénaïs _et il frappera les faibles et les plongera au fond de l'infernal abysse
Mer 23 Mar 2022 - 19:06
débrouillarde solaire observatrice courageuse captivante impatiente impétueuse arrogante violente bornée | Un couteau serpette à lame longue, et un couteau de chasse sont ses armes premières, elles lui ont été données par Hugo avant sa mort. Un pendentif et un bracelet en jade volés au musée en 2020, une chose qu’elle ne regrette pas. Quelques bagues, qu'elle porte à ses doigts. Une photo de famille, gardée précieusement, des allumettes, une paire de jumelles, un hamac et ce petit camper van, petit bijou d’importation japonaise que lui a légué Hugo et lui permet de vivre. Athénaïs, c’est la plus belle, je vous le jure. Car c’est la première chose que l’on voit chez elle. Elle a les yeux tellement clairs, qu’au soleil, ils paraissent blancs ou dorés. Il est difficile de la voir sans une paire de lunettes de soleil, ou un couvre-chef pour cacher ses yeux. Voyez-vous quand on a l’oeil clair comme ça, on ne regarde jamais le soleil dans les yeux, malgré que l'on en est toujours terriblement envie. Ils sont verts, ses yeux, comme les rivières d’eaux claires qui coulent entre les roches et des ruisseaux. Athénaïs est brune, brune ébène aux reflets si sombres qu’on les croiraient bleus. Elle a la beauté écorchée par ce monde qui l’entoure qu’elle ne réussit pas à quitter, certainement trop chanceuse, aimant trop la vie malgré tout ou encore un peu optimiste. Athénaïs n’est pas une géante, mais elle n’a jamais eu de complexe en matière de longueur : 163 centimètres, pour quelques dizaines de kilos, quarante-cinq, pour être précis. Elle passe dans les vannes, les trous de souris, elle se cache, se plie en quatre. Un poids qui ne fluctue que bien peu faire le haut. L’apocalypse apporte son lot de misère et de famine, le corps d’Athénaïs en fait les frais lors des périodes de disette. Elle s’habille comme elle peut, avec les vêtements qu’elle avait emmené avant que l’humanité s’évapore. Beaucoup de ses vêtements sont trop grands, les coutures aux épaules trop longues. Athénaïs a du mal à se cacher, elle est un peu trop libre dans sa tête, cherchant à retrouver une féminité que la fin du monde lui a dérobé. Athénaïs a un tatouage qui n’a jamais été terminé, qu’elle avait commencé à Seattle et qu’elle devait terminer quelques mois après son stage. Un cadeau d'elle à elle, pour ses 21 ans. Un serpent, inspiré de son mythe préféré, celui de Méduse. Un chef-d’oeuvre sans fin, elle trouve bien tout à fait approprié pour les temps qui court et les heures qui passent. Le serpent sans couleurs dans le dos, comme une métaphore un peu trop ironique de sa situation. Il lui prend presque la totalité du dos, on a presque du mal à croire qu’elle puisse avoir pareille créature sur le dos. |
À l'aube de la trentaine, on pourrait croire que la fin du monde lui a mis du plomb dans les ailes. Seulement puisqu’elle est violente et captivante comme accident de voiture, elle vogue dans les rues avec l’esprit bohème et la maturité de la trentaine loin, loin devant elle, aussi loin que possible. La violence, c’est le monde d’après qui l’a attribuée à Athénaïs, sûrement à cause de cette colère qui boue depuis des années, de voir son futur volé, sa famille arrachée, ce monde prostré, se gargarisant d’une violence appréciée, assumée, et toutes ces couleurs désormais qu’elle ne voit plus et qui lui manque tant. Athénaïs n’a pas perdu de sa superbe, c’est le monde qui est devenu terne. Elle le voit dans ses yeux synesthèses, à quel point le monde a prit les nuances les plus ternes, et cela, elle ne l’accepte pas.
Athénaïs n’est pas une femme bavarde, pour autant, elle n’est pas muette. Son courage va tristement de pair avec son impulsivité, si bien que face à l’adversité, elle choisira le camp du bien, même si cela signifie de se brûler les ailes en chemin. Elle se sait chanceuse, comme guidée par une bonne étoile qu'elle espère être sa mère. Elle se sait maudite par l'impulsivité et l'impatience, elle voudrait tout, tout de suite, seulement le monde ne fonctionne plus de cette manière, s'il a fonctionné un jour comme ça.
La fin du monde lui a demandé tant de changement, Athénaïs survit, débrouillarde, elle sait étrangement comment se tirer d'affaire, comme un don.
Je suis née à Athènes.
Je ne m'en souviens pas très bien à vrai dire. Quelques brides d’une ville dont je n’ai de souvenirs que certaines photos prises à l’époque, les photos d'argentique. Un pays millénaire auquel je ne connais que bien peu de choses, sauf celles que l’on m’a racontées. Ma mère est égyptienne, une immigrée comme on fait faire par centaines de milliers dont les parents rêvaient à une vie meilleure pour leur enfants. Ma mère était une chrétienne, comme ses parents avant elle. Fervents orthodoxes, La famille de ma mère avait trouvé en Grèce, une porte de sortie vers une vie loin de la pauvreté. Ma mère avait apprit le grec, assidûment pour trouver du travail plus facilement. Elle a rencontré mon père sur son lieu de travail, elle travaillait comme agent d’accueil dans un aéroport. Elle parlait grec et arabe, lui grec et anglais. Ils se sont aimés, et plus jamais quitté.
Je suis née le 27 février 1994 dans la clinique privée d’Athènes. Ma mère avait gardé son travail tout au long de sa grossesse et mon père était un militaire américano-grec avec le coeur sur la main, bien qu’iil fut particulièrement rigide, comme on peut imaginer un homme d’armée. J’étais la dernière d’une humble petite fratrie de quatre enfants, trois garçons me devançaient, j’étais l’ultime tentative de ma mère d’avoir une fille, elle se serait certainement résignée à n’avoir qu’une bande de garçons, elle qui avait toujours rêvé d’avoir une fille. Elle avait prié, prié, et il semblerait que cela aurait marché. Je n’ai que si peu de souvenirs dAthènes, je le déplore, mais ma mère disait toujours qu’Athènes ce n’était beau que sur les cartes postales, avec des écritures en police jaune, écrites de travers. Je crains que ma mère n’ait jamais été vraiment objective à propos de ma ville natale, rien ne semblait être à la hauteur de d'Alexandrie, où elle était née.
Ma mère nous a bercée d’histoire de mythes du Nil, dans son arabe natif, elle se refusait à nous parler grec, laissant mon père se charger du grec. Après la naissance de son deuxième, elle avait quitté son travail, pour s'occuper pleinement de l'éducation de ses enfants. Nous n’habitions pas sur les belles îles grecques proches de la mère Égée, mais ma mère avait toujours réussi à nous faire voyager avec la poésie qu’elle avait dans chacun de ses mots. Entre son amour pour les mythes et sa foi sans faille, ma mère apparaissait comme l'illustration parfaite de la madone. Je n’ai jamais mis les pieds en Égypte, c’est mon plus grands regret. Les regrets ne faisaient pas partie de ses histoires, simplement la nostalgie d'un autre pays.
En 1999, mon père est muté. Je n’ai jamais vraiment compris le travail de mon père, il était stationné en Grèce, c’est tout ce que semblait ma mère capable de m’expliquer ou avoir la patience de m'expliquer. Et à partir d’un certain âge, ça ne m’intéressait plus. Je suis née sur une île de Méditerranée, entourée d’une histoire qui dépassait l’entendement, fouler les pieds de ces ancêtres millénaires, pour terminer dans une ville comme Tacoma. Mes premières souvenirs de synesthésie datent de cette période là, je me souviens d’Athènes comme une ville flamboyante de bleu et toutes les nuances de jaunes possibles et imaginables, pour arriver à Tacoma, juste avant le boom des années 2000, ne parlant pas un mot de la langue de Shakespeare. Peut-être avais-je pris cela comme une punition, quitter le vieux continent pour les États-Unis, doit sûrement en traumatiser plus d’un. Je devais certainement faire partie du lot de traumatisés.
Je n’ai jamais détesté Tacoma, sûrement au début. Et puis l’âge de cinq ans, on oublie vite ses frustrations et l’on adapte à tout. Je devais dépendre particulièrement de ma mère et son art pour raconter les histoires, elle était celle qui mettait le plus de couleurs dans ma vie. L’enfance a été heureuse, très heureuse, ma mère avait quitté son travail, pour se concentrer sur le foyer. Mon père estimait qu’il était préférable qu’elle garde une activité pour lui éviter l’isolement et la vie ente quatre murs. Sûrement savait-il sa femme un peu trop colorée pour la laisser dépérir dans un choix peut-être volontaire mais certainement difficile à assumer. Elle avait donc prit des fonctions bénévoles à l'église orthodoxe, pour nous y sensibiliser le plus possible.
C’est à l’école Mc Carver, que j’ai connu ma première rentrée. Mon anglais manquait quelque peu d’authenticité, les premières années de ma vie n’avaient été bercées que par le grec et l’arabe, j’entendais l’anglais, seulement lorsque mon père était au téléphone, soit peu. Je n’ai que peu de choses à dire sur mon éducation scolaire, comme beaucoup d’enfants, je suppose, l’école on l’apprécie pour les amis que l’on s’y fait et toutes les histoires que l’on s’inventent à la cour de récréation. J’aimais les langues, l’art plastiques et l’histoire. Rien qui ferait de moi une chirurgienne de renom, ou une mathématicienne aguerrie. À vrai dire, j’associais un peu trop facilement les nombres aux couleurs pour trouver un quelconque intérêt à faire autre chose avec ces chiffres. Ce qui désolait mon père, et enchantait profondément ma mère.
De mon enfance, ce que je retiens le plus c’est elle, ma mère. Nous nous ressemblions tant, elle avait les cheveux épais, la seule chose qui différaient c’était la couleur de nos yeux, que j’avais verts et elle marron. Pourtant, quand il a été question de mon avenir, je me suis retrouvée face à un front commun. Un non, catégorique à propos d’une carrière artistique. - Peintre ? Certainement pas, Athénaïs. La peinture ne paye pas les factures. m’avait-elle dit avec un pragmatisme qui ne lui ressemblait pas, mimant le signe de croix comme pour se préserver d'avoir une peintre dans la famille. Un pragmatisme que je ne lui connaissais pas. De toutes les carrières que j’aurais pu choisir, celle-ci n’était pas acceptée ou acceptable.
Je n’avais jamais imaginé ma vie autrement que peintre, j’avais toujours apprécié pouvoir exprimer le monde que je voyais, les couleurs qui m’apparaissaient nombreuses et vives, s’associant aux tâches du quotidien. Je suppose que les parents n’aiment pas l’idée de l’inconnu. Les artistes ne vivent de rien, l’âme bohème c’est certainement très beau en Europe, mon père déplorait réellement que sa fille puisse avoir gardé la nonchalance méditerranéenne. - Elle n'est pas américaine pour un sou. Grecque, égyptienne, mais certainement pas américaine. Non, Athénaïs, είσαι η κόρη μου, ma fille, mon sang, il n'y aura pas de peintre dans cette famille. Et mes parents auront gain de cause. Impossible de mettre à profit ma synesthésie pour quelque chose d’aussi instable que la vie de peintre. Je devais choisir la voie de la raison même s’il s’agissait de frustrer une nature créative.
À 18 ans, j’entre à l’université d’Art de Seattle en tant qu’étudiante. Je ne peins pas, je ne sculpte pas, je ne graphe pas. Mais j’apprends autre chose, l’histoire des pratiques, l’histoires des courants artistiques, c’était le seul compromis que mes parents avaient daigné accepter. Dieu, comme je leur en avait voulu. Il est facile à dix-huit ans d’en vouloir à la terre entière puis de cristalliser le tout sur ses parents, gifle d’autorité et raison qui face à l’immaturité et l’incertitude adolescente se dressent ,en barrage face au Pacifique d’émotion que l’on est à cet âge-là. Mais que voulez-vous, on a rarement raison à dix-huit ans. Au bout de quelques mois, si la peinture restera mon premier amour, il semble qu’en parler, connaître les termes, les nuances, les subtilités pour exprimer une oeuvre me délivre de cette frustration qui me tenait depuis si longtemps.
En 2015, le musée d’Art moderne de Seattle devient mon premier lieu de travail. Mes parents peu convaincus par mon choix de carrière doivent reconnaître ma persévérance. Un sanctuaire d’Art, où je décroche mon premier stage, suite à l'obtention de mon bachelor. Mes parents peu confiants semblent s’apaiser. Mon premier jour est le 4 septembre 2015, j’ai 21 ans, et les yeux tournés vers l’avenir.
L’Art est certainement éternel. L’humanité semblait avoir une date limite.
το τέλος του κόσμου - La fin du monde.
Racontez moi le monde, racontez moi comment il est tombé.
Dîtes moi seulement s’ils se sont relevés.
2015. Entre les annonces, les avions annulés, la panique qui prend au tripes, le téléphone sonne. Ma mère au bout du fil, ils sont à Tacoma. Ma mère au téléphone est en pleurs. -Ton père, ton père.. O patéras sas.. la ligne grésille, mon père, qu’est ce qu’il a mon père ? La phrase suivante me coupe en deux, une douleur costale qui m’empêche de prendre une longue respiration, certainement celle qui m’aurait sauvée de cette névrose qui m’a prise depuis la fin du monde. Mon père est rentré de permission avec une fièvre terrible et une blessure qui ne cicatrisait pas au poignet, une blessure étrange répétait ma mère, étrange. Quand il est arrivé, mon père s’était effondré sur le canapé, au bout de quelques heures, il était mort. Le téléphone grésille, le réseau est mauvais, la douleur de ma mère dégouline du haut-parleur, elle crie alors, j’entend mon frère, ma mère, puis de nouveau l’un de mes frères, le téléphone se coupe. Fin.
Voilà, me voilà bien seule, devant ce portrait de Santi di Tito, cette jeune femme me regarde avec toute la pitié du monde. Et si ce n’est pas son intention, c’est tout ce que je comprends. Je reste bête devant ce tableau qui verra une nouvelle civilisation tombée, chose que je ne sais pas à ce moment. J'aurais du prendre une voiture et foncer à Tacoma. J'aurais certainement du. Mais la panique, la panique a prit tout le monde, et j'aurais perdu la vie en voulant me rendre auprès des miens. Hugo m'en avait empêché, vivement, prétextant une promesse faîte à mon père.
Le musée me paraissait si grand à ce moment, la distance entre Seattle et Tacoma paraissait interminable. Le signe de la fin fut la mort de mon père, quelques minutes plus tard un sms, étrange et cryptique que je ne comprendrais que quelques jours plus tard. Mon père aurait mordu ma mère. Le monde s’écroule, mes pas sont lourds dans le musée vide qui ferme ses portes pour ce soir. On ne sait rien, était-ce mieux ? De cacher la vérité aux gens ? Avec le recul des années, je ne peux que douter.
2016. Pour mes études, j’étais logée chez Hugo, Hugo March, un vétéran, collègue de mon père qui a du quitter l’armée après qu’on lui ai diagnostiqué un diabète de type 2. Les maladies chroniques et la fin du monde, ne font pas bon ménage, mais la cohabitation s’est toujours bien passée. Hugo était bourru mais généreux et noble, il avait les marques de la guerre dans le fond des yeux, comme beaucoup d’homme portant les armes. C’était un homme de peu de mots qui dormait peu, j’étais logée chez lui pour éviter les frais suite à mon entrée à l’université et ma vie à Seattle. Je suppose que l’on apprend à connaître les gens quand la fin du monde toque à la porte.
Hugo estime qu’il est préférable de rester à l’intérieur, de faire des provisions et d’attendre. La panique des grandes villes tuent aussi vite, si ce n’était plus. Entre les pilleurs, les voleurs, et ce qu’il se faisait de pire en matière d’humanité, celui qui allait devenir un pilier et un leader dans l’immeuble où nous logions, ne voyait aucun intérêt à ce qu’une « jolie fille » aille se retrouver au milieu du chaos, pour y trouver la mort ou pire, il préférait taire ce genre de choses. Les femmes, dans ce genre de contexte, n’était pas souvent érigé personne à protéger, mais souvent à abuser.
Lorsque le président du pays a fait son allocution, assurant que tout était sous contrôle, c’est à ce moment là qu’Hugo a déclaré qu’il fallait commencer à s’inquiéter, peut-être même à paniquer pour l’avenir. Sans lui, je serais certainement sortie convaincue par les grandes phrases, et la foule à l’extérieur qui elle aussi cherchait à se faire rassurer.
Ce qui a étonné tout le monde fut l’hiver. Chaque locataire ou propriétaire de l’immeuble survivait isolé, dans un silence parfois interrompu par les cris d’un habitant, puis un long silence. C’est l’hiver qui a obligé les uns et les autres à sortir de chez soi, manque de vivres, manque de médicaments, et le besoin d’éviter à tout pris de sortir affronter ces vivants et ces morts qui arpentaient la rue à l’affut de la moindre faiblesse.
Les récalcitrants, dont Hugo faisaient partie, finissent par accepter l’idée d’organiser l’immeuble pour la survie de chacun. L’été 2016 met un point final à l’espoir de retrouver une ville normale, alors chacun met la main à la pâte. Le toit de l’immeuble se transforme vite en point stratégique d’observation, et pendant plus de trois mois les habitants de l’immeuble nettoient les infectés.
Ma première rencontre avec un infecté confortera Hugo dans l’idée de devoir me mettre une arme à la main. - Sauf qu’avec des bras pareils et ta carrure, une arme à feu, c’est hors de question. Il savait mieux que moi, je n’avais pas vocation à me rebeller contre quoi que ce soit, le silence me semblait être la seule réponse face au spectacle que j’avais sous les yeux. Où était le Dieu dont me parlait ma mère ? Au lieu d’être actrice de ma propre vie, je me retrouvais à devoir regarder ces rues que je n’avais même pas eu la chance d’arpenter, se transformer au fur et à mesure en guet-apens. La nature reprendrait ses droits bien rapidement, peut-être qu'au final, c'était elle qui avait voulu punir l'hubris des hommes en leur renvoyant leurs morts.
2018. θάνατος. C’est sûrement la colère qui a prit le pas sur tout le reste. Elle s’est immiscée dans ma vie au fur et à mesure des mois qui passaient, un mélange de frustrations, d’impuissance et de fatigue. Le monde n’avait plus les couleurs qui me donnaient envie de me lever le matin, je n’avais plus vue ces oeuvres gigantesques au format improbable, tout me semblait gris et de mauve terne, et l’ont entendait les pires horreurs du monde sortir de la bouche des gens que l’on croisait et saluait entre les fruits et les légumes du supermarché où il ne restait plus désormais que des aliments pourris, le reste avait été pillé, et nous en étions tout autant coupables.
Je crois que c’est le moment redouté de la pharmacie vide qui a eu raison du peu de paix qui me restait. Les habitants de l’immeuble disait que j’étais un accident de voiture en devenir, j’avais comme tout le monde perdu tout ce que je connaissais, ma famille, mes amis, ma vie. Mais je n’avais pas touché le mur, et quand l’insuline vint à manquer, c’était à ce moment là que j’ai commencé à creuser pour trouver le fond. Il était tout simplement impensable de seulement attendre qu’Hugo tombe dans le coma. L’homme n’avait pas été simplement l’homme chez qui je logeais, il m’avait transmis ce qu’il fallait pour survivre, les armes pour avancer, et m’avait mise en garde face à mon courage impétueux qui aurait certainement des conséquences un jour. L’abandonner à son sort n’avait jamais été une option, malgré les insistances de certains, et du premier intéressé. C’était une lutte dont le résultat resterait le même.
- Athy, il n’y a pas d’insuline.
Cette phrase à laquelle tout le monde attendait, Hugo aussi. Cela faisait plusieurs mois que l’homme qui apparaissait comme un mentor, une figure paternelle perdue perdait petit à petit du poids à force de sous doser l’insuline que l’on devait lui injecter. Plusieurs mois que je faisais le tour des pharmacies, le No man’s Land avait sauvé plusieurs fois Hugo, mais l’insuline périmée n’était qu’une solution repli, un pansement sur une plaie béante. Le monde ne produisait plus d’insuline, les médecins avaient été parmi les premières victimes, les pharmacies étaient vides et Hugo est tombé dans le coma, le lundi 15 septembre, au matin.
Il est mort dans la journée, sans un bruit, dans un long et définitif dernier soupir.
2019. Nous nous bercions d’illusions à croire que nous pouvions continuer à survivre, peut-être même vivre dans ce petit immeuble que nous formions une petite communauté d’une quinzaine de personnes. La nécessité nous avait rapprochée, la fin du monde avait ce genre de pouvoir, dans une autre vie je n’aurais certainement que croiser le reste des occupants de l’immeuble dans l’ascenseur en rentrant de Walmart. Les étudiants aidaient les séniors, et Hugo avait formé qui étaient capable de porter une arme pour les sorties ravitaillement. Quand j’y pense, nous nous entraînions pour lutter et éviter les infectés, une erreur que l’on ne fait qu’une seule et unique fois dans ce nouveau monde.
La mort d’Hugo avait jeté un silence dont plus personne n’avait l’habitude, l’immeuble avait perdu son leader et avec ça, la garde s’est baissée. Et il fallait être objectif, nous ne pouvions que bien peu de choses face à un groupe de personnes déterminées à venir déranger notre paix durement gagnée. Ils sont arrivés au crépuscule, au mois de février. Le soleil commençait à faiblir en fin d’après midi, l’heure à la laquelle tout le monde ferme boutique. Il fallait vivre avec le soleil, c’était plus simple et plus sûr.
Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que nous étions attaqués. Même après quatre ans d’apocalypse, certains pillards apprécient beaucoup trop l’odeur d’une arme à feu après qu’elle ait été utilisée.
J’étais à cette époque encore rongée par le deuil et la culpabilité. Perdre Hugo m’avait renvoyée à 2015, j’étais repartie tout droit dans mes retranchements, ne répétant qu’une seule routine, l’entraînement que m’avait préparé Hugo. Il avait promis à mon père de s’occuper de moi, certainement qu’il n’avait jamais jamais pensé à une fin du monde, mais il avait tenu promesse. Sa disparition avait laissé un grand vide, il était le pilier de beaucoup de gens, le mien dans cette nouvelle vie. Si l’on pouvait appeler ça une vie.
Les premiers étages avaient été abandonnés, préférant les appartements au étage supérieur à cause de l’odeur des morts. C’est une chose à laquelle on ne s’habitue pas. Il y a eu les cris, puis les pleurs, et le silence. Pendant un temps. Je sais que j’ai peu de temps pour prendre une décision. Fuir n’est plus une option, à moins de vouloir passer par la fenêtre, et du sixième étage, la chose me semblait arrogante et bien plus que je ne l’étais. J’ai pris un sac, des affaires, deux couteaux, les clefs du van d’Hugo, et je me suis cachée, dans un placard à balais du couloir, lâchement, agrippée à mon sac. La survie est un mélange de chance et de lâcheté, j’en suis certaine. Je me pensais plus courageuse, je me sais plus courageuse, mais la mort avait déjà frappé au porte de trop nombreuse fois, et le deuil me paralysait.
J’avais l’impression que cette qualité, ce fameux courage dont me parlait souvent mon père m’avait quittée. Je n’étais plus animée par rien, il fallait survivre, simplement survivre. Les hommes ont été tués. Les femmes n’ont pas trouvé le salut, tout de suite. Je suppose que c’est cela qui m’a maintenu dans ce minuscule placard, accroupie, sans un bruit. Au bout de quelques heures, ce n’était plus les bras contre la poitrine que j’avais, mais les paumes plaquées si fort contre mes oreilles pour ne plus entendre leurs pleurs, au point d’en avoir des crampes.
Ils sont partis le lendemain au petit matin. Après une purge, des rires goguenards et vulgaires, des rires monstrueux. C’est seulement sous couvert de la nuit que je me suis extirpée de ma cachette pour m’enfuir.
2020. C’est la douleur qui paralyse, qui prend au nez. C’est la solitude qui fait que l’on n’oublie jamais. Ils me manquent tous, chaque jour qui passe. Je n’avais jamais été seule, de ma vie. Pour la première fois, je devais faire faire la survie seule, faire face à la solitude dans ce petit van où je trouvais refuge. La petite survie en communauté ne m’avait jamais préparée à la nuit, ma vie de famille ne m’avait pas mise une seule seconde face à la possibilité d’arpenter quoique ce soit sans être accompagnée. J’avais toujours été une personne sociale, entourée par ma mère, mon père et mes frères, couvée et choyée. Je n’avais plus que mes yeux pour pleurer.
Dire que 2020 a été la pire année de ma nouvelle vie, serait un euphémisme. Hugo disait toujours qu’il y avait un avant et un après infectés, que les morts avaient remis le compteur à zéro. J’ai toujours vu ça comme une manière de mettre une distance avec qui l’on était, ce à quoi on aspirait, qui ont avait perdu. Dans l’immeuble, on ne parlait plus d’avant Jésus Christ, mais d’avant-Infectés. Selon le nouveau calendrier d’Hugo, j’étais en l’an 5, après infectés. Ce genre de choses le faisait sourire, seulement cette cinquième année de cette nouvelle ère allait avoir raison des quelques kilos de réserves que j’avais sur les os.
Les maisons se sont vidées au fur et à mesure des années, ne laissant que des portes ouvertes, des infectés coincés, et des placards désespérément vide. La faim.. Personne ne connaît vraiment la faim. Je ne parle pas de celle des jours où l’on a rien mangé, non, celle des semaines à devoir se contenter d’une misère, même la potence en aurait pitié. J’ai vu mon corps, au fur et à mesure des semaines devenir plus faim, se déplumer au fur et à mesure des semaines, puis est arrivée la faiblesse, les lèvres gercées, et les cernes violettes. Et enfin, est arrivée le moment où la misère périodique ne posait plus de soucis, puisqu’au bout de quelques mois sous alimentée, je n’avais plus mes règles. Le courage ne fait pas tout, je n’ai pas la force de me traîner jusqu’au No Man’s Land pour y supplier quoique ce soit. J’avais autant peur de la faim que de ce que l’on pouvait me faire, moi et mon pathétique état de femme sous-alimentée.
Je dois mon salut à un paquet d’avoine, oublié au plus haut d’une étagère.
Je dois ma survie à New Eden et en sachant cela, je tremble de honte.
J’ai pu me remettre sur pied. La seule manière que j’ai trouvé pour avoir de quoi troquer, était de retourner au musée. Je n’y avais pas mis les pieds depuis plus de cinq années. Les alarmes ne fonctionnaient plus, beaucoup de choses avaient fini par disparaître, il restait sur les murs les traces d’où étaient accrochés les peintures, comme un fenêtre plus claire, là où le temps n’avait pas laissé de traces. Voler pour survivre, rien ne bien glorieux ou de bien noble. J’ai rempli mon sac, de ce que je pouvais porter. Je ne regrette rien, mais quelque chose en moi m’a toujours empêché de mourir. Peut-être la fierté, l’arrogance de croire que je survivais à tout pour que quelqu’un, au moins une personne se souvienne des gens que j’ai connu, de ma mère morte, de mon père mort et de mes frères disparus.
2021. αηδία. C’est en novembre que la fameuse colère divine s’est abattue sur la ville. Sans le message relayé, personne n’aurait pu partir. Beaucoup ne s’en sont pas sorti. Notamment, le motel, qui n’en avait pas entendu, il fut pari les premier à tomber. J’avais survécu à la famine grâce à eux, la nécessité et le manque oblige à beaucoup de choses. La faim jouera avec les nerfs, elle avait joué avec les miens. New Eden, comme une providence qui avait gratté une sortie du fin fond de l’enfer. Ma mère croyait en Dieu, mais elle ne croyait pas en ce qu’ils prêchaient, jamais, et je n'y croyais pas d'ailleurs.
Il y avait le ciel, et dans le ciel, les traces du dégout des hommes de New Eden. Je n’ai jamais naïvement cru que la fin du monde, et les morts qui se relèvent entraînement une purge purificatrice et thérapeutique des pires individus de la planète. C’est à croire qu’ils sont plus adaptés, capables de faire l’impardonnable, et l’insurmontable pour survivre. Il y avait le ciel, et dans le ciel, une lueur rougeoyante et jaune, illustrant les feux de joie qui s’allumaient aux quatre coins de cette ville que j’avais appris à connaître, pour y jeter ceux qui s’opposaient à eux.
Seattle avait toujours été un coupe-gorge où faire sa place n’était jamais aisé. Je ne portais pas le lieu dans mon coeur. Mais la ville n’appartenait à personne. Seulement, le dégout, sa couleur et son odeur se sont immiscé petit à petit comme un ces feux sans flammes qui consume sans alerter. Ils ont frappés, sans discrimination, les forts, les faibles, les femmes libres et les hommes courageux. No Man’s Land n’avait rien de parfait, mais chacun avait au moins le choix d’y faire ses affaires et de ne pas traîner.
Quand le message est arrivé, la question de rester ou de partir s’est posée. Peu de temps à vrai dire. Se tenir face à l’oppression, au fanatisme, mourir pour ses principes, sauver le faibles et l’opprimé, était les grands piliers de mon militaire de père et de ce militaire d’Hugo. Seulement face à la cruauté, le courage n’est qu’une absurdité. Il a fallu partir. Je suis partie, comme tout le monde. Qu’y avait-il a sauvé ? La liberté du No Man’s Land ? Cela paraît certainement important pour certain, mais jamais au péril de sa vie. La vérité était que le lieu était déjà tombé quand New Eden y avait investi ne serait-ce qu’une ration alimentaire. Alors je suis partie. J’ai appuyé sur la pédale du van, direction sud, la seule destination que je ne connaissais : Tacoma.
Ai-je pousser la porte de la maison familiale ? Non. Je ne m’y résous pas. En n’y mettant pas les pieds, je gare l’idée que peut-être mes frères sont quelques part. Il y a des espoirs que l’on préfère garder. Étais-je lâche ? J’avais beau m’y résoudre chaque matin, je rebroussais chemin, ou remettais ça au lendemain. J’avais trop perdu, je ne pouvais pas perdre la possibilité de les revoir en vie, même je me berçais dans un rêve illusoire. Je voulais y croire, croire que mes frères puissent être encore en vie.
Le van était devenu ma maison. Il a fallu survivre, trouver un endroit où passer l’hiver, recommencer, encore et encore. Je n’aurais pas survécu à une nouvelle période de disette.
J’ai trouvé The Haven ou peut-être que c’est eux qui m’ont trouvée, j’aide au champ, j’aide aux écuries, j’aide où il faut. Je ne peux pas me dire experte en écurie, ou en culture, mais j'apprends. C'est une servitude nouvelle, j'aide et j'apprend où l'on m'envoie. C'est un apprentissage nouveau, pour une nouvelle vie à construire entre Tacoma et la communauté The Haven.
Depuis que New Eden a conquis dans la sueur et le sang la ville de Seattle, les journées sont chamboulées, peut-être même plus difficiles. Moins libre de ne laisser de trace nulle part, la nécessité oblige à faire des choix. Athénaïs n’est pas la seule, ni la première à avoir du changer son quotidien. Il n’y avait jamais eu d’abondance, mais elle réussissait à manger, à peindre un peu, Athénaïs vivait libre avec No Man’s Land, on ne le voyait pas trop, elle observait les gens de loin. Depuis qu’ils avaient été chassés de Seattle, elle avait du redescendre, prendre la route de Tacoma, la peur au ventre. La jeune femme n’avait jamais voulu se mettre face à la réalité du destin qu’avait rencontré son père, sa mère, et peut-être ses frères. Elle ne l’a toujours pas fait.
Athénaïs vit dans le camper que lui a légué Hugo, et depuis quelques mois maintenant, elle vit entre ses obligations auprès de The Haven. Athénaïs aide particulièrement auprès des écuries et des chevaux, cela lui permet d’échanger labeur contre vivres, une servitude nécessaire qui la dérange bien moins qu’elle ne souhaiterait l’avouer. Athénaïs aide où elle le peut, que ce soit en tant qu’ouvrière agricole, ou palefrenier, elle ne rechignera pas à la tâche. D’une certaine manière, elle préfère cela à devoir grappiller des pacotilles contre de maigres rations. Une stabilité presque bienvenue, quand elle est à The Haven. Elle se lève à une heure fixe, travaille toute la journée avant de rentrer chez elle, et ainsi de suite jusque’à ce qu’elle ait assez de vivres pour quelques jours ou plusieurs semaines.
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Mer 23 Mar 2022 - 19:27
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Mer 23 Mar 2022 - 20:32
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Re: Athénaïs _et il frappera les faibles et les plongera au fond de l'infernal abysse
Mer 23 Mar 2022 - 20:46
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