Mars 2021

Un rendez-vous presque simple comme bonjour, on lui avait demandé de faire du troc avec ce grand groupe. Lui voyageant seul il pouvait avoir droit à une "protection". Il ne saisissait pas vraiment car jusqu'à maintenant il n'en avait pas eu besoin, il s'en était sorti seul. Plus ou moins.
Sa dernière grosse galère datait du mois dernier. Il avait été trop curieux malgré les avertissements qu'on lui avait donné il y a quelques mois. Trop curieux, trop envieux d'aller voir ce vaste "interdit" comme le disait d'autres. Et il n'avait pas été déçu. Un véritable bourbier dans lequel on ne trouvait plus rien de véritablement intéressant, comme si tout dans ce monde avait vécu le black friday en non-stop. Plus de confort même minime. Il avait la sensation que même dans les matelas grouillaient des puces de lit, et autre bestioles qui grattent. Il détestait cela. Il ne le supportait pas. Alors il dormait sur un matelas pourri certes, mais en enfilant une combinaison d'exterminateur avec sa capuche bien serrée sur sa tête pour pallier à toute rencontre malveillante avec ces machins là.
Et ce matin il avait passait un moment a retirer la combinaison, se faisant une fois de plus la réflexion qu'ainsi vêtu et avec son sac sur le dos il pourrait passer pour une nouvelle génération de chasseur de fantômes. Et rien qu'en pensant à cela, le brun se mettait à chantonner doucement le générique du film. Au moins cela lui donnait un semblant de normalité.

Mais à côté de ça il ne pouvait pas trop tarder. Il avait son rendez-vous et il ne pouvait pas le louper. Il aurait aussi de la marche à faire et s'il trouvait par chance un vélo même avec pneus crevés il le prendrait. Orion avait appris à en faire avec pneu crevé, tout était une histoire d'équilibre. La plupart du temps il faisait un peu de chemin avant d'envoyer valdinguer la "bécane" dans les gravas pour opter pour la marche à pied. C'etait bien aussi.

Enjambant donc des fourrés il inspectait avec un œil méfiant les alentours, ne avait-on jamais qu'une de ces choses qui raffole ne sorte d'un bosquet en grondant et grognant même si avec le temps froid il était plus facile de les voir arriver au travers des branches nues.
Dans son sac, il avait mis et placé délicatement des médicaments trouvé et piqué dans le nord de Seattle lors d'une de ses rares sorties.
Il se baladait donc avec de l'insuline - peut-être périmée- mais après tout qui ne tente rien n'a rien. Il avait aussi trouvé des sachets de médicament pour le ventre sous une armoire dans une maison désaffectée, ainsi que des piles et un vieux tensiomètre. Pour ces derniers il n'avait pas vérifié leur efficacité. N'ayant pas besoin de prendre sa tension ou de charger un accessoire avec des piles. Puis il avait cherché un peu partout et pendant longtemps des brosses à dents non usagées. Ca n'avait pas été une mince affaire. Oh que non ! Loin de là ! Une véritable galère cette expédition brosse à dents ! Mais au moins il avait pu en dégoter quatre. Youpi, ou presque.

Avec sa "livraison" un peu particulière le jeune tatoué espérait que tout fonctionne et qu'on ne l'envoie pas valser en lui disant que ce qu'il avait pris et trouvé était non utilisable ou ne pourrait servir à rien du tout.

[...]

Désormais il entrait enfin dans la zone de ce camp, du moins dans la zone que contrôlait The Haven. Il se le disait ainsi : il est en territoire de collaboration. Alors il devait bien se tenir, se comporter.
Il avait trouvé là, dans un "coin" un tas de branchages et s'était donc installé pour patienter la venue de ceux qu il allait rencontrer; ne sachant pas s'il les avait déjà vu ou non. Telle serait la surprise du jour.

Selene venait de glisser, dans la sacoche harnachée à la croupe de Fury, les denrées qui seraient troquée avec Orion. Si ce qu’il amenait était pertinent en tout cas. Elle ne le connaissait pas personnellement mais s’était portée volontaire pour aller à sa rencontre et voir ce qu’il avait à offrir. D’après ce qu’on lui avait dit, elle était réglo, mais… elle se méfiait de lui, comme de la grande majorité de la planète. La musicienne était donc particulièrement renfrognée et le fut encore plus en découvrant qui l’accompagnait.

- Euh… pourquoi c’est pas Akiko ?

Son aînée appréciait trop les chevauchée pour se défiler, elle devait probablement s’être blessée et avait cédé sa place. Génial. La pianiste haussa les épaules et jeta sa crinière sombre dans son dos, afin de l’attacher en chignon flou. D’un geste machinal, elle coinça une mèche rebelle derrière l’oreille qui avait été mutilée un an auparavant.

- Monte derrière moi, tu n’auras qu’à me tenir, lui indiqua-t-elle en prenant appuie dans son étrier pour se hisser sur sa jument, ça va aller ?

Il avait intérêt, parce qu’ils ne changeront pas de moyen de transport. Selene tendit donc une main à Felix pour qu’il la rejoigne. Elle se crispa légèrement lorsque ses bras durent enlacer sa taille, mais ils n’avaient pas vraiment le choix. Visage fermée, elle signala à Fury que leur périple commençait d’un coup dosé des talons. Quelques minutes plus tard, l’équipé déroulait son galop sur les voies fendues de Tacoma.

*

La jeune femme tira sur les rênes de la jument pour la faire revenir au pas. Ils étaient dans la zone du rendez-vous. Pas un mot, elle se contentait de scruter les environs de ses orbes bleu glacier. Elle ne tenait plus les liens que d’une main, l’autre flirtait maintenant avec la grosse de son glock, rangé dans un étui à sa cuisse. On lui avait décrit Orion, mais elle s’attendait tout autant à ce qu’il ait ramené du renfort pour les piller. Pour l’instant, seul le son des sabots de Fury ponctuait leur recherche, mais si leur contact était bien au rendez-vous, il ne devait pas être bien loin…

Orion patientait, guettant les moindres sons hors ceux des oiseaux qu'on pouvait par moment entendre. Il était plutôt tendu, se disant qu'il ne serait peut-être pas la bienvenue, et si jamais un marcheur nouvelle génération venait à le prendre pour cible ? Sa jambe droite bougeait rapidement, comme si elle était agitée par des spasmes, mais non, simplement il essayait de ne pas se laisser gagner par l'anxiété. Les dizaines de films catastrophes qui pouvaient défiler dans sa cervelle. Il se disait qu'il n'avait pas bien fait, qu'il devrait simplement rebrousser chemin. Néanmoins il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait faire des injections d'insuline. Il n'était pas diabétique. Son pancréas fonctionnait très bien, et même que son appendice avait retrouvé son rôle de base datant des siècles passé où l'on ne pouvait pas cuire tout à fait correctement la viande. Du moins, c'est ce que le brun se répétait encore et encore pour se rassurer.

Soupirant et passant une main sur son visage, tout en ramenant ses cheveux sales en arrière, il entendait des bruits. Pas ceux des oiseaux, pas ceux des marcheurs quelque soit sa génération. Non ça ressemblait plus à un "pataclop". Un poney ?! Ouais au moins ça peut servir.
Orion se relevait de son petit talus et sortit du sous-bois en douceur, se risquant ainsi à se dévoiler. Le soleil de mars était présent, l'air restait toujours bien frais. Là, en plissant un peu plus ses yeux il découvrait la monture portant des gens sur son dos. Le brun déglutissait et par principe comme pour prouver qu'il ne voulait rien de mal, il levait les mains vers le haut, montrant ses paumes, en signe de "paix" s'il pouvait nommer ça ainsi. "Bonjour ? J'ai rendez-vous avec des gens... Pour un troc. C'est vous ? " Il posait son regard sombre sur les inconnus et restait sans bouger, ainsi il prouvait sa bonne foi.

Orion n'avait encore jamais vraiment fait de troc tout seul avec un groupe. Alors il ne savait pas vraiment comment se passait les échanges, est-ce que si cela se déroulait mal on allait le punir ? L'envoyer valdinguer comme une pauvre merde ? Est-ce qu'il prenait le risque de se faire tirer dessus ? Tant de questions: aucunes réponses certaines pour le moment. Il espérait donc un peu, un tout petit peu dans un coin de sa tête que tout se passe bien. Alors il enchaînait : "Je suis Orion, et vous ?" Autant démarrer par le début :les présentations, même si les deux personnes, avec ce contre-jour, lui donnait plus la sensation de parler à des ombres.

A l’instant où elle vit une silhouette sortir doucement d’un talus, la musicienne fit s’arrêter sa monture. Perchée sur Fury, elle toisait l’inconnue qui cherchait à clairement montrer son intention d’être pacifique. Méfiante, elle ne dit pourtant rien dans un premier temps et examina brièvement les environs, cherchant à déceler les éventuelles traces d’une embuscade. RAS – de ce qu’elle voyait.

- Tu peux descendre, indiqua-t-elle à Felix pour qu’il touche terre, c’est nous, oui, répondit ensuite la jeune femme à Orion.

Elle consentit enfin à quitter sa selle, ce qui permet probablement à son interlocuteur de ne plus autant avoir le soleil dans les yeux en la regardant. Ses semelles foulèrent quelques cadavres de feuilles, sa main flatta machinalement l’encolure de la jument, tandis qu’elle prenait les devants pour ouvrir le dialogue. Son partenaire était censé rester vigilent aux alentours, elle espérait qu’il le comprendrait sans qu’elle n’ait besoin de le préciser…

- Selene, se présenta-t-elle sobrement, et lui c’est Felix.

Qu’il ne le prenne pas personnellement : elle était toujours comme ça avec les étrangers. Froide, fermée, inaccessible. Un instant, elle se demanda quelles étaient les raisons qui motivaient ce voyageur à rester mobile, plutôt qu’à rejoindre Nisqually, mais… ce n’était plus son rôle, ni son souci. Il avait probablement une explication.

- C’est bien avec nous le rendez-vous, oui. On m’a dit de ramener essentiellement de quoi manger, tout est là, elle pivota le bassin pour accompagner un geste qui désignait la sacoche fixée au-dessus de la croupe de Fury, qu’est-ce que tu as ramené ? On est censé estimer ce qu’on te donne en fonction de ce que tu as à proposer.

Là, elle posait le cadre. Le but n’était pas de généreusement dilapider des ressources pour des babioles, il fallait que les apports d’Orion aient une valeur. Néanmoins, Selene ne savait pas ce qui avait déjà pu être négocié avec lui. Dans tous les cas, elle attendait de voir, pour juger d’un œil objectif avec Felix. Elle tenta vainement un sourire, qui mourut rapidement sur ses lèvres pâles. Non, décidément, se montrer avenante n’était pas son fort.